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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 5 - La partie de plaisir (fin)

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 5 - La partie de plaisir (fin)

De nouveaux venus s'approchèrent presque aussitôt pour saluer Yvonne de Galais, et les deux jeunes gens se trouvèrent séparés. Un malheureux hasard voulut qu'ils ne fussent point réunis pour le déjeuner à la même petite table. Mais Meaulnes semblait avoir repris confiance et courage.A plusieurs reprises, comme je me trouvais isolé entre Delouche et M. de Galais, je vis de loin mon compagnon qui me faisait, de la main, un signe d'amitié. C'est vers la fin de la soirée seulement, lorsque les jeux, la baignade, les conversations, les promenades en bateau dans l'étang voisin se furent un peu partout organisés, que Meaulnes, de nouveau, se trouva en présence de la jeune fille. Nous étions à causer avec Delouche, assis sur des chaises de jardin que nous avions apportées lorsque, quittant délibérément un groupe de jeune gens ou elle paraissait s'ennuyer, Mlle de Galais s'approcha de nous. Elle nous demanda, je me rappelle pourquoi nous ne canotions pas sur le lac des Aubiers, comme les autres. "Nous avions fait quelques tours cet après-midi, répondis-je. Mais cela est bien monotone et nous avons été vite fatigués. Eh bien, pourquoi n'iriez-vous pas sur la rivière? dit-elle. Le courant est trop fort, nous risquerions d'être emportés. Il nous faudrait, dit Meaulnes, un canot à pétrole ou un bateau à vapeur comme celui d'autrefois. Nous ne l'avons plus, dit-elle presque à voix basse, nous l'avons vendu". Et il se fit un silence gêné. Jasmin en profita pour annoncer qu'il allait rejoindre M. de Galais. "Je saurai bien, dit-il, où le trouver". Bizarrerie du hasard! Ces deux êtres si parfaitement dissemblables s'étaient plu et depuis le matin ne se quittaient guère. M. de Galais m'avait pris à part un instant, au début de la soirée, pour me dire que j'avais là un ami plein de tact, de déférence et de qualités. Peut-être même avait-il été jusqu'à lui confier le secret de l'existence de Bélisaire et le lieu de sa cachette. Je pensai moi aussi à m'éloigner, mais je sentais les deux jeunes gens si gênés, si anxieux l'un en face de l'autre, que je jugeai prudent de ne pas le faire... Tant de discrétion de la part de Jasmin, tant de précaution de la mienne servirent à peu de chose. Ils parlèrent. Mais invariablement, avec un entêtement dont il ne se rendait certainement pas compte, Meaulnes en revenait à toutes les merveilles de jadis. Et chaque fois la jeune fille au supplice devait lui répéter que tout était disparu: la vieille demeure si étrange et si compliquée, abattue; le grand étang, asséché, comblé; et dispersés, les enfants aux charmants costumes... "Ah!" faisait simplement Meaulnes avec désespoir et comme si chacune de ces disparitions lui eût donné raison contre la jeune fille ou contre moi... Nous marchions côte à côte... Vainement j'essayais de faire diversion à la tristesse qui nous gagnait tous les trois. D'une question abrupte, Meaulnes, de nouveau, cédait à son idée fixe. Il demandait des renseignements sur tout ce qu'il avait vu autrefois: les petites filles, le conducteur de la vieille berline, les poneys de la course. "Les poneys sont vendus aussi? Il n'y a plus de chevaux au Domaine?..." Elle répondit qu'il n'y en avait plus. Elle ne parla pas de Bélisaire. Alors il évoqua les objets de sa chambre: les candélabres, la grande glace, le vieux luth brisé... Il s'enquérait de tout cela, avec une passion insolite, comme s'il eût voulu se persuader que rien ne subsistait de sa belle aventure, que la jeune fille ne lui rapporterait pas une épave capable de prouver qu'ils n'avaient pas rêvé tous les deux, comme le plongeur rapporte du fond de l'eau un caillou et des algues. Mlle de Galais et moi, nous ne pûmes nous empêcher de sourire tristement: elle se décida à lui expliquer: "Vous ne reverrez pas le beau château que nous avions arrangé, monsieur de Galais et moi, pour le pauvre Frantz. "Nous passions notre vie à faire ce qu'il demandait. C'était un être si étrange, si charmant! Mais tout a disparu avec lui le soir de ses fiançailles manquées. "Déjà monsieur de Galais était ruiné sans que nous le sachions. Frantz avait fait des dettes et ses anciens camarades apprenant sa disparition ont aussitôt réclamé auprès de nous. Nous sommes devenus pauvres; madame de Galais est morte et nous avons perdu tous nos amis en quelques jours. "Que Frantz revienne, s'il n'est pas mort. Qu'il retrouve ses amis et sa fiancée; que la noce interrompue se fasse et peut-être tout reviendra-t-il comme c'était autrefois. Mais le passé peut-il renaître? Qui sait!" dit Meaulnes pensif. Et il ne demanda plus rien. Sur l'herbe courte et légèrement jaune déjà, nous marchions tous les trois sans bruit: Augustin avait à sa droite près de lui la jeune fille qu'il avait crue perdue pour toujours. Lorsqu'il posait une de ces dures questions, elle tournait vers lui lentement, pour lui répondre, son charmant visage inquiet; et une fois, en lui parlant, elle avait posé doucement sa main sur son bras, d'un geste plein de confiance et de faiblesse. Pourquoi le grand Meaulnes était-il là comme un étranger, comme quelqu'un qui n'a pas trouvé ce qu'il cherchait et que rien d'autre ne peut intéresser? Ce bonheur-là, trois ans plus tôt, il n'eût pu le supporter sans effroi, sans folie, peut-être. D'où venait donc ce vide, cet éloignement, cette impuissance à être heureux, qu'il y avait en lui, à cette heure? Nous approchions du petit bois où le matin M. de Galais avait attaché Bélisaire; le soleil vers son déclin allongeait nos ombres sur l'herbe; à l'autre bout de la pelouse, nous entendions, assourdis par l'éloignement, comme un bourdonnement heureux, les voix des joueurs et des fillettes, et nous restions silencieux dans ce calme admirable, lorsque nous entendîmes chanter de l'autre côté du bois, dans la direction des Aubiers, la ferme du bord de l'eau. C'était la voix jeune et lointaine de quelqu'un qui mène ses bêtes à l'abreuvoir, un air rythmé comme un air de danse, mais que l'homme étirait et alanguissait comme une vieille ballade triste: Mes souliers sont rouges... Adieu, mes amours... Mes souliers sont rouges... Adieu, sans retour!... Meaulnes avait levé la tête et écoutait. Ce n'était rien qu'un de ces airs que chantaient les paysans attardés, au Domaine sans nom, le dernier soir de la fête, quand déjà tout s'était écroulé... Rien qu'un souvenir--le plus misérable--de ces beaux jours qui ne reviendraient plus. "Mais vous l'entendez? dit Meaulnes à mi-voix. Oh! Je vais aller voir qui c'est". Et, tout de suite, il s'engagea dans le petit bois. Presque aussitôt la voix se tut; on entendit encore une seconde l'homme siffler ses bêtes en s'éloignant; puis plus rien... Je regardai la jeune fille. Pensive et accablée, elle avait les yeux fixés sur le taillis où Meaulnes venait de disparaître. Que de fois, plus tard, elle devait regarder ainsi, pensivement, le passage par où s'en irait à jamais le grand Meaulnes! Elle se tourna vers moi: "Il n'est pas heureux", dit-elle douloureusement. Elle ajouta: "Et peut-être que je ne puis rien pour lui?..." J'hésitais à répondre, craignant que Meaulnes, qui devait d'un saut avoir gagné la ferme et qui maintenant revenait par le bois, ne surprît notre conversation. Mais j'allais l'encourager cependant; lui dire de ne pas craindre de brusquer le grand gars; qu'un secret sans doute le désespérait et que jamais de lui-même il ne se confierait à elle ni à personne--lorsque soudain, de l'autre côté du bois, partit un cri; puis nous entendîmes un piétinement comme d'un cheval qui pétarade et le bruit d'une dispute à voix entrecoupées... Je compris tout de suite qu'il était arrivé un accident au vieux Bélisaire et je courus vers l'endroit d'où venait tout le tapage. Mlle de Galais me suivit de loin. Du fond de la pelouse on avait dû remarquer notre mouvement, car j'entendis, au moment où j'entrai dans le taillis, les cris des gens qui accouraient. Le vieux Bélisaire, attaché trop bas, s'était pris une patte de devant dans sa longe; il n'avait pas bougé jusqu'au moment où M. de Galais et Delouche, au cours de leur promenade, s'étaient approchés de lui; effrayé, excité par l'avoine insolite qu'on lui avait donnée, il s'étaitdébattu furieusement; les deux hommes avaient essayé de le délivrer, mais si maladroitement qu'ils avaient réussi à l'empêtrer davantage, tout en risquant d'essuyer de dangereux coups de sabots. C'est à ce moment que par hasard Meaulnes, revenant des Aubiers, était tombé sur le groupe. Furieux de tant de gaucherie, il avait bousculé les deux hommes au risque de les envoyer rouler dans le buisson. Avec précaution mais en un tour de main il avait délivré Bélisaire. Trop tard, car le mal était déjà fait; le cheval devait avoir un nerf foulé, quelque chose de brisé peut-être, car il se tenait piteusement la tête basse, sa selle à demi dessanglée sur le dos, une patte repliée sous son ventre et toute tremblante. Meaulnes, penché, le tâtait et l'examinait sans rien dire. Lorsqu'il releva la tête, presque tout le monde était là rassemblé, mais il ne vit personne. Il était fâché rouge. "Je me demande, cria-t-il, qui a bien pu l'attacher de la sorte! Et lui laisser sa selle sur le dos toute la journée? Et qui a eu l'audace de seller ce vieux cheval, bon tout au plus pour une carriole". Delouche voulut dire quelque chose--tout prendre sur lui. "Tais-toi donc! C'est ta faute encore. Je t'ai vu tirer bêtement sur sa longe pour le dégager". Et se baissant de nouveau, il se remit à frotter le jarret du cheval avec le plat de la main. M. de Galais, qui n'avait rien dit encore, eut le tort de vouloir sortir de sa réserve. Il bégaya: "Les officiers de marine ont l'habitude... Mon cheval... Ah! Il est à vous?" dit Meaulnes un peu calmé, très rouge, en tournant la tête de côté vers le vieillard. Je crus qu'il allait changer de ton, faire des excuses. Il souffla un instant. Et je vis alors qu'il prenait un plaisir amer et désespéré à aggraver la situation, à tout briser à jamais, en disant avec insolence: "Eh bien je ne vous fais pas mon compliment". Quelqu'un suggéra: "Peut-être que de l'eau fraîche... En le baignant dans le gué... Il faut, dit Meaulnes sans répondre, emmener tout de suite ce vieux cheval, pendant qu'il peut encore marcher, et il n'y a pas de temps à perdre! Le mettre à l'écurie et ne jamais plus l'en sortir". Plusieurs jeunes gens s'offrirent aussitôt. Mais Mlle de Galais les remercia vivement. Le visage en feu, prête à fondre en larmes, elle dit au revoir à tout le monde, et même à Meaulnes décontenancé, qui n'osa pas la regarder. Elle prit la bête par les rênes, comme on donne à quelqu'un la main, plutôt pour s'approcher d'elle davantage que pour la conduire... Le vent de cette fin d'été était si tiède sur le chemin des Sablonnières qu'on se serait cru au mois de mai, et les feuilles des haies tremblaient à la brise du sud... Nous la vîmes partir ainsi, son bras a demi sorti du manteau, tenant dans sa main étroite la grosse rêne de cuir. Son père marchait péniblement à côté d'elle... Triste fin de soirée! Peu à peu, chacun ramassa ses paquets, ses couverts; on plia les chaises, on démonta les tables; une à une, les voitures chargées de bagages et de gens partirent, avec des chapeaux levés et des mouchoirs agités. Les derniers nous restâmes sur le terrain avec mon oncle Florentin, qui ruminait comme nous, sans rien dire, ses regrets et sa grosse déception. Nous aussi, nous partîmes, emportés vivement, dans notre voiture bien suspendue, par notre beau cheval alezan. La roue grinça au tournant dans le sable et bientôt, Meaulnes et moi, qui étions assis sur le siège de derrière, nous vîmes disparaître sur la petite route l'entrée du chemin de traverse que le vieux Bélisaire et ses maîtres avaient pris... Mais alors mon compagnon--l'être que je sache au monde le plus incapable de pleurer--tourna soudain vers moi son visage bouleversé par une irrésistible montée de larmes. "Arrêtez, voulez-vous? dit-il en mettant la main sur l'épaule de Florentin. Ne vous occupez pas de moi? Je reviendrai tout seul, à pied". Et d'un bond, la main au garde-boue de la voiture, il sauta à terre. A notre stupéfaction, rebroussant chemin, il se prit à courir, et courut jusqu'au petit chemin que nous venions de passer, le chemin des Sablonnières. Il dut arriver au Domaine par cette allée de sapins qu'il avait suivie jadis, où il avait entendu, vagabond caché dans les basses branches, la conversation mystérieuse des beaux enfants inconnus... Et c'est ce soir-là, avec des sanglots, qu'il demanda en mariage Mlle de Galais.

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De nouveaux venus s'approchèrent presque aussitôt pour saluer Yvonne de Galais, et les deux jeunes gens se trouvèrent séparés. Newcomers approached almost immediately to greet Yvonne de Galais, and the two young men found themselves separated. Un malheureux hasard voulut qu'ils ne fussent point réunis pour le déjeuner à la même petite table. An unfortunate chance was that they would not be reunited for breakfast at the same little table. Mais Meaulnes semblait avoir repris confiance et courage.A plusieurs reprises, comme je me trouvais isolé entre Delouche et M. de Galais, je vis de loin mon compagnon qui me faisait, de la main, un signe d'amitié. But Meaulnes seemed to have regained confidence and courage. On several occasions, as I was isolated between Delouche and Monsieur de Galais, I saw from a distance my companion, who was making a sign of friendship with my hand. C'est vers la fin de la soirée seulement, lorsque les jeux, la baignade, les conversations, les promenades en bateau dans l'étang voisin se furent un peu partout organisés, que Meaulnes, de nouveau, se trouva en présence de la jeune fille. It was towards the end of the evening only, when the games, swimming, conversations, boat trips in the nearby pond were organized everywhere, that Meaulnes, again, was in the presence of the young girl. Nous étions à causer avec Delouche, assis sur des chaises de jardin que nous avions apportées lorsque, quittant délibérément un groupe de jeune gens ou elle paraissait s'ennuyer, Mlle de Galais s'approcha de nous. We were talking with Delouche, sitting on the garden chairs we had brought when, deliberately leaving a group of young people where she seemed bored, Mademoiselle de Galais approached us. Elle nous demanda, je me rappelle pourquoi nous ne canotions pas sur le lac des Aubiers, comme les autres. |||||||||canoed||||||||| She asked us, I remember why we do not canoe on the Lake Aubiers, like the others. "Nous avions fait quelques tours cet après-midi, répondis-je. "We had a few laps this afternoon," I replied. Mais cela est bien monotone et nous avons été vite fatigués. But this is very monotonous and we were quickly tired. Eh bien, pourquoi n'iriez-vous pas sur la rivière? Well, why do not you go on the river? dit-elle. she says. Le courant est trop fort, nous risquerions d'être emportés. The current is too strong, we risk being carried away. Il nous faudrait, dit Meaulnes, un canot à pétrole ou un bateau à vapeur comme celui d'autrefois. We would need, said Meaulnes, an oil canoe or a steamboat like the old one. Nous ne l'avons plus, dit-elle presque à voix basse, nous l'avons vendu". We do not have it anymore, she said almost in a whisper, we sold it. " Et il se fit un silence gêné. And there was an embarrassed silence. Jasmin en profita pour annoncer qu'il allait rejoindre M. de Galais. Jasmin took the opportunity to announce that he was going to join M. de Galais. "Je saurai bien, dit-il, où le trouver". "I'll know where to find him," he says. Bizarrerie du hasard! Oddity of chance! Ces deux êtres si parfaitement dissemblables s'étaient plu et depuis le matin ne se quittaient guère. |||||dissimilar|||||||||| These two beings, so perfectly dissimilar, had taken pleasure in each other, and since the morning they had hardly left each other. M. de Galais m'avait pris à part un instant, au début de la soirée, pour me dire que j'avais là un ami plein de tact, de déférence et de qualités. M. de Galais had taken me aside for a moment, at the beginning of the evening, to tell me that I had a friend there, full of tact, deference, and qualities. Peut-être même avait-il été jusqu'à lui confier le secret de l'existence de Bélisaire et le lieu de sa cachette. Perhaps he had even gone so far as to confide to him the secret of Belisarius' existence and the place of his hiding place. Je pensai moi aussi à m'éloigner, mais je sentais les deux jeunes gens si gênés, si anxieux l'un en face de l'autre, que je jugeai prudent de ne pas le faire... Tant de discrétion de la part de Jasmin, tant de précaution de la mienne servirent à peu de chose. I also thought of going away, but I felt the two young people so embarrassed, so anxious, facing each other, that I thought it prudent not to do so ... So much discretion on the part of Jasmin, so precautionary of mine served little. Ils parlèrent. They spoke. Mais invariablement, avec un entêtement dont il ne se rendait certainement pas compte, Meaulnes en revenait à toutes les merveilles de jadis. But invariably, with a stubbornness of which he was certainly not aware, Meaulnes returned to all the wonders of yore. Et chaque fois la jeune fille au supplice devait lui répéter que tout était disparu: la vieille demeure si étrange et si compliquée, abattue; le grand étang, asséché, comblé; et dispersés, les enfants aux charmants costumes... And each time the young girl was tortured to tell him that everything was gone: the old house is so strange and so complicated, it's dead; the big pond, dry, filled; and scattered, children with charming costumes ... "Ah!" faisait simplement Meaulnes avec désespoir et comme si chacune de ces disparitions lui eût donné raison contre la jeune fille ou contre moi... Nous marchions côte à côte... Vainement j'essayais de faire diversion à la tristesse qui nous gagnait tous les trois. Meaulnes was simply desperate and as if each of these disappearances had proved him right against the girl or against me ... We walked side by side ... I was trying to distract the sorrow that won us all three . D'une question abrupte, Meaulnes, de nouveau, cédait à son idée fixe. From an abrupt question, Meaulnes, once more, yielded to her fixed idea. Il demandait des renseignements sur tout ce qu'il avait vu autrefois: les petites filles, le conducteur de  la vieille berline, les poneys de la course. He asked for information on everything he had seen before: the little girls, the driver of the old sedan, the ponies of the race. "Les poneys sont vendus aussi? "The ponies are sold too? Il n'y a plus de chevaux au Domaine?..." There are no more horses at the Domaine? ... " Elle répondit qu'il n'y en avait plus. She replied that there was none left. Elle ne parla pas de Bélisaire. She did not speak of Belisarius. Alors il évoqua les objets de sa chambre: les candélabres, la grande glace, le vieux luth brisé... Il s'enquérait de tout cela, avec une passion insolite, comme s'il eût voulu se persuader que rien ne subsistait de sa belle aventure, que la jeune fille ne lui rapporterait pas une épave capable de prouver qu'ils n'avaient pas rêvé tous les deux, comme le plongeur rapporte du fond de l'eau un caillou et des algues. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||wreck|||||||||||||||||||||||algae Then he mentioned the objects in his room: the candelabra, the big mirror, the broken old lute ... He inquired about all this, with an unusual passion, as if he wanted to persuade himself that nothing remained of his It was a beautiful adventure that the girl would not bring her a wreck capable of proving that they had not dreamed of each other, just as the diver brings back a pebble and seaweed from the bottom of the water. Mlle de Galais et moi, nous ne pûmes nous empêcher de sourire tristement: elle se décida à lui expliquer: "Vous ne reverrez pas le beau château que nous avions arrangé, monsieur de Galais et moi, pour le pauvre Frantz. Mademoiselle de Galais and I could not help but smile sadly. She decided to explain to her: "You will not see the beautiful chateau we had arranged, Monsieur de Galais and I, for poor Frantz. "Nous passions notre vie à faire ce qu'il demandait. "We spent our life doing what he asked. C'était un être si étrange, si charmant! He was such a strange being, so charming! Mais tout a disparu avec lui le soir de ses fiançailles manquées. But everything disappeared with him on the night of his failed engagement. "Déjà monsieur de Galais était ruiné sans que nous le sachions. "Monsieur de Galais was already ruined without our knowledge. Frantz avait fait des dettes et ses anciens camarades apprenant sa disparition  ont aussitôt réclamé auprès de nous. Frantz had made debts and his old comrades learning of his disappearance immediately demanded from us. Nous sommes devenus pauvres; madame de Galais est morte et nous avons perdu tous nos amis en quelques jours. We became poor; Madame de Galais is dead, and we have lost all our friends in a few days. "Que Frantz revienne, s'il n'est pas mort. "Let Frantz come back, if he is not dead. Qu'il retrouve ses amis et sa fiancée; que la noce interrompue se fasse et peut-être tout reviendra-t-il comme c'était autrefois. Let him find his friends and his fiancée; that the interrupted wedding takes place and perhaps everything will come back as it used to be. Mais le passé peut-il renaître? But can the past be reborn? Qui sait!" Who knows!" dit Meaulnes pensif. Meaulnes said thoughtfully. Et il ne demanda plus rien. And he asked nothing more. Sur l'herbe courte et légèrement jaune déjà, nous marchions tous les trois sans bruit: Augustin avait à sa droite près de lui la jeune fille qu'il avait crue perdue pour toujours. On the short grass, already slightly yellow, we all walked noiselessly: Augustine had on his right near him the girl he had thought lost forever. Lorsqu'il posait une de ces dures questions, elle tournait vers lui lentement, pour lui répondre, son charmant visage inquiet; et une fois, en lui parlant, elle avait posé doucement sa main sur son bras, d'un geste plein de confiance et de faiblesse. When he asked one of those harsh questions, she turned slowly to answer him, her charming worried face; and once, speaking to him, she had gently placed her hand on his arm, in a gesture full of confidence and weakness. Pourquoi le grand Meaulnes était-il là comme un étranger, comme quelqu'un qui n'a pas trouvé ce qu'il cherchait et que rien d'autre ne peut intéresser? Why was the great Meaulnes there as a stranger, as someone who did not find what he was looking for and that nothing else can interest? Ce bonheur-là, trois ans plus tôt, il n'eût pu le supporter sans effroi, sans folie, peut-être. This happiness, three years earlier, he could not have endured without fear, without madness, perhaps. D'où venait donc ce vide, cet éloignement, cette impuissance à être heureux, qu'il y avait en lui, à cette heure? Where did this emptiness, this distance, this impotence to be happy, come from? Nous approchions du petit bois où le matin M. de Galais avait attaché Bélisaire; le soleil vers son déclin allongeait nos ombres sur l'herbe; à l'autre bout de la pelouse, nous entendions, assourdis par l'éloignement, comme un bourdonnement heureux, les voix des joueurs et des fillettes, et nous restions silencieux dans ce calme admirable, lorsque nous entendîmes chanter de l'autre côté du bois, dans la direction des Aubiers, la ferme du bord de l'eau. We were approaching the little woods where M. de Galais had in the morning tied Belisaire; the declining sun lengthened our shadows on the grass; At the other end of the lawn, we heard the voices of the players and the girls dulled by the distance, like a buzzing happy, and we remained silent in this admirable calm, when we heard the other side singing. wood, in the direction of Aubiers, the farm of the edge of the water. C'était la voix jeune et lointaine de quelqu'un qui mène ses bêtes à l'abreuvoir, un air rythmé comme un air de danse, mais que l'homme étirait et alanguissait comme une vieille ballade triste: Mes souliers sont rouges... Adieu, mes amours... Mes souliers sont rouges... Adieu, sans retour!... |||||||||||||the watering trough||||||||||||stretched||languished||||||||||||||||||| It was the young and distant voice of someone leading his animals to water, a rhythmic air like a dance tune, but the man was stretching and languidly like an old sad ballad: My shoes are red .. Farewell, my loves ... My shoes are red ... Farewell, no return! Meaulnes avait levé la tête et écoutait. Meaulnes had raised her head and listened. Ce n'était rien qu'un de ces airs que chantaient les paysans attardés, au Domaine sans nom, le dernier soir de la fête, quand déjà tout s'était écroulé... Rien qu'un souvenir--le plus misérable--de ces beaux jours qui ne reviendraient plus. It was nothing but one of those tunes that the beleaguered peasants were singing at the nameless estate on the last night of the feast, when everything had already collapsed ... Nothing but a memory - the most miserable- those beautiful days that would never come again. "Mais vous l'entendez? "But do you hear it? dit Meaulnes à mi-voix. said Meaulnes in a low voice. Oh! Oh! Je vais aller voir qui c'est". I'll go and see who it is. " Et, tout de suite, il s'engagea dans le petit bois. And immediately he went into the little wood. Presque aussitôt la voix se tut; on entendit encore une seconde l'homme siffler ses bêtes en s'éloignant; puis plus rien...  Je regardai la jeune fille. Almost immediately the voice was silent; Another man was heard for a second, whistling his animals away; then nothing ... I looked at the girl. Pensive et accablée, elle avait les yeux fixés sur le taillis où Meaulnes venait de disparaître. Pensive and overwhelmed, she had her eyes fixed on the thicket where Meaulnes had just disappeared. Que de fois, plus tard, elle devait regarder ainsi, pensivement, le passage par où s'en irait à jamais le grand Meaulnes! How many times, later, she must look thoughtfully at the passage where the great Meaulnes would go forever! Elle se tourna vers moi: "Il n'est pas heureux", dit-elle douloureusement. She turned to me: "He's not happy," she said painfully. Elle ajouta: "Et peut-être que je ne puis rien pour lui?..." She added, "And maybe I can not do anything for him? ..." J'hésitais à répondre, craignant que Meaulnes, qui devait d'un saut avoir gagné la ferme et qui maintenant revenait par le bois, ne surprît notre conversation. I hesitated to reply, fearing that Meaulnes, who was about to have won the farm and was now coming back by the wood, did not surprise us. Mais j'allais l'encourager cependant; lui dire de ne pas craindre de brusquer le grand gars; qu'un secret sans doute le désespérait et que jamais de lui-même il ne se confierait à elle ni à personne--lorsque soudain, de l'autre côté du bois, partit un cri; puis nous entendîmes un piétinement comme d'un cheval qui pétarade et le bruit d'une dispute à voix entrecoupées... Je compris tout de suite qu'il était arrivé un accident au vieux Bélisaire et je courus vers l'endroit d'où venait tout le tapage. |||||||||||startle||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||was stampeding|||||||||||||||||||||||||||||||racket But I was going to encourage it though; tell him not to be afraid of rushing the big guy; that a secret doubtless despaired him, and that he would never confide in himself or herself-when suddenly, on the other side of the wood, a cry was heard; then we heard a trampling like a horse farting and the sound of an argument with broken voices ... I understood right away that an accident had happened to old Belisarius and I ran to the place from where all the noise was coming. Mlle de Galais me suivit de loin. Mademoiselle de Galais followed me from a distance. Du fond de la pelouse on avait dû remarquer notre mouvement, car j'entendis, au moment où j'entrai dans le taillis, les cris des gens qui accouraient. From the bottom of the lawn we must have noticed our movement, for I heard, as I entered the copse, the cries of the people who came running. Le vieux Bélisaire, attaché trop bas, s'était pris une patte de devant dans sa longe; il n'avait pas bougé jusqu'au moment où M. de Galais et Delouche, au cours de leur promenade, s'étaient approchés de lui; effrayé, excité par l'avoine insolite qu'on lui avait donnée, il s'étaitdébattu furieusement; les deux hommes avaient essayé de le délivrer, mais si maladroitement qu'ils avaient réussi à l'empêtrer davantage, tout en risquant d'essuyer de dangereux coups de sabots. Old Belisarius, tied too low, had taken a paw in front of his loin; he had not moved until the moment when M. de Galais and Delouche, during their walk, had approached him; frightened, excited by the unusual oats he had been given, he had fallen furiously; the two men had tried to deliver him, but so awkwardly that they had managed to entangle him more, while risking dangerous hoofs. C'est à ce moment que par hasard Meaulnes, revenant des Aubiers, était tombé sur le groupe. It was at this moment that by chance Meaulnes, returning from the Aubiers, had fallen on the group. Furieux de tant de gaucherie, il avait bousculé les deux hommes au risque de les envoyer rouler dans le buisson. Furious with so much awkwardness, he had jostled the two men at the risk of sending them rolling in the bush. Avec précaution mais en un tour de main il avait délivré Bélisaire. With caution but in a jiffy he had delivered Belisarius. Trop tard, car le mal était déjà fait; le cheval devait avoir un nerf foulé, quelque chose de brisé peut-être, car il se tenait piteusement la tête basse, sa selle à demi dessanglée sur le dos, une patte repliée sous son ventre et toute tremblante. |||||||||||||||||||||||||||||||||loosened|||||||||||| Too late, for the evil was already done; the horse must have a sprained nerve, something broken perhaps, for he was pitifully standing with his head down, his saddle half-wagged on his back, a paw folded under his belly and trembling. Meaulnes, penché, le tâtait et l'examinait sans rien dire. Meaulnes, leaning over, felt it and examined it without saying anything. Lorsqu'il releva la tête, presque tout le monde était là rassemblé, mais il ne vit personne. When he looked up, almost everyone was there, but he did not see anyone. Il était fâché rouge. He was angry red. "Je me demande, cria-t-il, qui a bien pu l'attacher de la sorte! "I wonder," he cried, "who was able to tie it that way! Et lui laisser sa selle sur le dos toute la journée? And leave his saddle on his back all day? Et qui a eu l'audace de seller ce vieux cheval, bon tout au plus pour une carriole". And who had the audacity to saddle this old horse, good at most for a cart ". Delouche voulut dire quelque chose--tout prendre sur lui. Delouche wanted to say something - take everything on him. "Tais-toi donc! "Shut up, then! C'est ta faute encore. It's your fault again. Je t'ai vu tirer bêtement sur sa longe pour le dégager". I saw you foolishly pull on his lanyard to release him. " Et se baissant de nouveau, il se remit à frotter le jarret du cheval avec le plat de la main. And stooping again, he began to rub the hock of the horse with the flat of his hand. M. de Galais, qui n'avait rien dit encore, eut le tort de vouloir sortir de sa réserve. M. de Galais, who had said nothing yet, was wrong in wanting to leave his reserve. Il bégaya: "Les officiers de marine ont l'habitude... Mon cheval... Ah! |stammered||||||||| He stammered: "The naval officers are used ... My horse ... Ah! Il est à vous?" He's yours?" dit Meaulnes un peu calmé, très rouge, en tournant la tête de côté vers le vieillard. said Meaulnes a little calmed, very red, turning his head to the side of the old man. Je crus qu'il allait changer de ton, faire des excuses. I thought he was going to change his tone, make excuses. Il souffla un instant. He blew a moment. Et je vis alors qu'il prenait un plaisir amer et désespéré à aggraver la situation, à tout briser à jamais, en disant avec insolence: "Eh bien je ne vous fais pas mon compliment". |||||||||||||||||||||||||||do not||||| And then I saw that he was having a bitter, desperate pleasure in aggravating the situation, breaking everything forever, saying insolently, "Well, I'm not complimenting you." Quelqu'un suggéra: "Peut-être que de l'eau fraîche... En le baignant dans le gué... Il faut, dit Meaulnes sans répondre, emmener tout de suite ce vieux cheval, pendant qu'il peut encore marcher, et il n'y a pas de temps à perdre! Someone suggested: "Maybe fresh water ... By bathing it in the ford ... It is necessary," said Meaulnes without answering, "take this old horse right away, while he can still walk , and there is no time to lose! Le mettre à l'écurie et ne jamais plus l'en sortir". |||||||more|| Put it in the stable and never get out of it again. " Plusieurs jeunes gens s'offrirent aussitôt. Several young people offered themselves at once. Mais Mlle de Galais les remercia vivement. But Mademoiselle de Galais thanked them warmly. Le visage en feu, prête à fondre en larmes, elle dit au revoir à tout le monde, et même à Meaulnes décontenancé, qui n'osa pas la regarder. Her face on fire, ready to burst into tears, she said goodbye to everyone, and even to Meaulnes, disconcerted, who did not dare to look at her. Elle prit la bête par les rênes, comme on donne à quelqu'un la main, plutôt pour s'approcher d'elle davantage que pour la conduire... Le vent de cette fin d'été était si tiède sur le chemin des Sablonnières qu'on se serait cru au mois de mai, et les feuilles des haies tremblaient à la brise du sud... Nous la vîmes partir ainsi, son bras a demi sorti du manteau, tenant dans sa main étroite la grosse rêne de cuir. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||rein|| She took the beast by the reins, as one gives one's hand, rather to approach her more than to lead her ... The wind of the end of summer was so warm on the way to the Sablonnières that it would have been the month of May, and the leaves of the hedges were shaking in the southern breeze. We saw her leave like that, her arm half out of the cloak, holding in her narrow hand the big leather rein. Son père marchait péniblement à côté d'elle... Triste fin de soirée! Her father walked painfully beside her ... Sad late evening! Peu à peu, chacun ramassa ses paquets, ses couverts; on plia les chaises, on démonta les tables; une à une, les voitures chargées de bagages et de gens partirent, avec des chapeaux levés et des mouchoirs agités. Little by little, each one picked up his bundles, his cutlery; the chairs were folded, the tables were dismounted; One by one, the cars loaded with luggage and people left, with raised hats and handkerchiefs. Les derniers nous restâmes sur le terrain avec mon oncle Florentin, qui ruminait comme nous, sans rien dire, ses regrets et sa grosse déception. ||||||||||||||||||||and||| The last of us stayed on the ground with my uncle Florentin, who was ruminating like us, without saying anything, his regrets and his big disappointment. Nous aussi, nous partîmes, emportés vivement, dans notre voiture bien suspendue, par notre beau cheval alezan. |||||||||||by|||| We, too, set out, hastily carried away, in our well-hung carriage, by our beautiful chestnut horse. La roue grinça au tournant dans le sable et bientôt, Meaulnes et moi, qui étions assis sur le siège de derrière, nous vîmes disparaître sur la petite route l'entrée du chemin de traverse que le vieux Bélisaire et ses maîtres avaient pris... Mais alors mon compagnon--l'être que je sache au monde le plus incapable de pleurer--tourna soudain vers moi son visage bouleversé par une irrésistible montée de larmes. The wheel creaked at the turn in the sand and soon, Meaulnes and I, who were seated in the back seat, we saw disappearing on the small road the entrance to the cross-road that old Belisarius and his masters had taken. But then my companion - the being that I know the world most incapable of crying - suddenly turned to me his face upset by an irresistible rise of tears. "Arrêtez, voulez-vous? "Stop, do you want? dit-il en mettant la main sur l'épaule de Florentin. he said, putting his hand on Florentin's shoulder. Ne vous occupez pas de moi? Do not worry about me? Je reviendrai tout seul, à pied". I will come back alone, on foot. " Et d'un bond, la main au garde-boue de la voiture, il sauta à terre. And with a bound, his hand to the mudguard of the car, he jumped to the ground. A notre stupéfaction, rebroussant chemin, il se prit à courir, et courut jusqu'au petit chemin que nous venions de passer, le chemin des Sablonnières. To our astonishment, turning back, he began to run, and ran to the little road we had just passed, the Chemin des Sablonnieres. Il dut arriver au Domaine par cette allée de sapins qu'il avait suivie jadis, où il avait entendu, vagabond caché dans les basses branches, la conversation mystérieuse des beaux enfants inconnus... Et c'est ce soir-là, avec des sanglots, qu'il demanda en mariage Mlle de Galais. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||that he|||||| He had to arrive at the Domain by this alley of fir trees he had once followed, where he had heard, vagabond hidden in the low branches, the mysterious conversation of the beautiful unknown children ... And it is that evening, with sobs, that he proposed in marriage Mlle de Galais.