La véritable histoire du Roi Arthur - Nota Bene (2)
et domine ainsi des chevaliers dont les noms sont inscrits sur le pourtour du cercle. Au
centre, on aperçoit la double rose des Tudor, symbolisant l'union des deux camps de la
guerre des Deux-Roses, les York et les Lancastre (représentés respectivement par une rose
blanche et rouge). Tout indique que la noblesse turbulente de l'époque est mise au pas
par un monarque omniprésent justifiant sa préséance par sa généalogie prestigieuse,
remontant au temps du roi Arthur. Comme on le voit, l'histoire du mythe du
Camelot au Moyen âge est assez riche. Pour vous y retrouver, nous avons mis en lien dans
la description un schéma simplifié, que vous avez ici à l'image
Mais, pour résumer, il faut retenir quelques points importants.
Point numéro 1/ Il n'existe pas un « pur » mythe arthurien. Si on s'appuyait sur les
textes les plus anciens, la légende ne comporterait qu'un seul personnage (Arthur), il n'y
aurait ni Camelot, ni Table ronde, ni Graal. Ca serait un peu plus chiant.
Point numéro 2/ Le mythe est composite. Il est constitué dès l'époque médiévale
de plein de couches différentes. Chaque auteur se sent libre d'en rajouter ou d'en enlever
une ou plusieurs, en fonction du message qu'il a envie de faire passer et du public qu'il
vise. La légende arthurienne, c'est en fait un peu comme une recette dont chaque
auteur se sentirait libre de mettre un ou des ingrédients en plus, voir d'en retirer.
Perso, je rajouterai des fayots !. Point numéro 3/ Au Moyen âge, la diffusion
du mythe se limite à l'Europe occidentale. Il existe certes des variantes germaniques,
italiennes ou ibériques de la légende, mais le gros des textes a été composé en France
du nord (langue d'oïl) et en Angleterre. C'est vraiment peu lorsque l'on compare
par exemple à toute la mythologie autour d'Alexandre le Grand qui est une véritable
superstar littéraire du Moyen âge, dont les exploits sont lus et chantés dans toute
l'Eurasie, dans le monde chrétien orthodoxe, musulman, de l'Afrique jusqu'en Indonésie.
Si on fait s'affronter Alexandre et Arthur dans un bouquin...y'a des chances qu'Arthur
mange la poussière c'est moi qui vous le dit !
Point numéro 4/ La littérature arthurienne du Moyen âge est principalement connue dans
la société aristocratique. Les légendes de Camelot sont en effet écrites avant tout
par et pour un auditoire noble. Cela n'empêche pas une certaine diffusion dans ce que l'on
appellerait aujourd'hui le « grand public », mais celle-ci est très restreinte avant l'impression
des premiers textes arthuriens. Donc Arthur, c'est un peu le héros des
bourgeois quoi...mais ça va changer à partir du XIXe siècle !
Devenu un héros de la culture populaire, le mythe de Camelot, à travers des films
ou des bandes dessinées, se diffuse sur plusieurs continents : Amérique d'abord, puis Asie
et surtout le Japon à partir des années 1970. Aujourd'hui, les œuvres qui racontent
les exploits des héros de la Table ronde sont accessibles à l'ensemble de la population,
sans discrimination. Pas besoin d'être un aristocrate pour regarder un épisode de
Kaamelott ou pour lire les aventures de Captain America. En fait, vu le nombre de textes ou
de films arthuriens qui sortent chaque année, à un tel point qu'il est difficile d'en
suivre le rythme, on peut dire que nous vivons clairement dans l'âge d'or du Graal.
Et c'est exactement pour cette raison que l'on peut affirmer ici, sur cette chaîne
Youtube, et aussi dans le bouquin de William Blanc avec qui j'ai écrits l'épisode
et que vous pouvez retrouver en description, que que les récits arthuriens constituent
plus un mythe contemporain qu'une légende médiévale. Et ça, je suis sûr que vous
l'aviez pas vu venir hein ! Et moi non plus...
Ce succès n'était en tout cas pas écrit d'avance. En fait, à partir de la fin du
XVIe siècle, le mythe de Camelot connaît une longue éclipse qui va durer deux cents
ans. Pendant cette période, l'Europe s'intéresse surtout à l'Antiquité et aux légendes
grecques ou romaines. Le Moyen âge est démodé et pour beaucoup barbare. D'ailleurs, on
arrête de réimprimer Le Morte d'Arthur à partir de 1634. Puis, au début du XIXe
siècle, tout change. En Europe, on se fascine pour le temps des chevaliers. Les auteurs
romantiques l'imaginent comme une période magique, à la fois merveilleuse et terrifiante,
pleine de passions, à l'exact opposé de notre époque rationnelle. Du côté politique,
les monarchies, après l'ère des révolutions, s'appuient sur le Moyen âge pour rappeler
que le système qu'ils défendent est plus ancien et plus légitime que celui que proposent
les républicains. En Angleterre, on réimprime le texte de Malory à partir de 1816 et l'aristocratie
locale s'imagine à l'époque victorienne comme des nouveaux chevaliers de la Table
ronde. On met des peintures représentant les héros du mythe sur les murs des grandes
écoles où sont formées les élites de l'Empire britannique.
Comme dans une sorte de sous-poudlard quoi... Au même moment, des officiers partent des
colonies : comme Lancelot s'en allait affronter des périls dans les forêts des romans médiévaux,
ils espérait revenir à Londres, nouvelle Camelot, couverts de gloire. C'est d'autant
plus le cas qu'à l'époque, on pense en Europe que les pays du Proche Orient et
de l'Asie seraient bloqués dans un Moyen âge obscur et perpétuel. Ainsi le fameux
Lawrence d'Arabie n'hésite pas à comparer ses alliés bédouins à des chevaliers arthuriens.
Envoyé par l'armée britannique soulever les tribus arabes contre l'Empire ottoman
pendant la Première Guerre mondiale, il emmène dans son sac trois livres dont un exemplaire
du Morte Darthur de Thomas Malory. Et pourtant, ce n'est pas de l'Angleterre
que va venir l'actuelle popularité de la légende de Camelot, mais des États-Unis.
Et pour comprendre ce mouvement, on va le simplifier en trois temps.
Le premier temps, c'est la sortie d'un livre à succès, le roman de Mark Twain : Un
Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur. Publié en 1889, il raconte l'histoire,
comme son titre l'indique, d'un Américain du Nord-est appelé Hank Morgan [U1] qui arrive,
sans que l'on sache trop comment, à Camelot. Très vite, il se moque des chevaliers, qui
sont des brutes et des ignares, de Merlin, qui, s'aperçoit-il, n'est pas un vrai
magicien, mais un charlatan, et plus largement de la société médiévale où il est arrivé.
Alors perso j'avais jamais entendu parler de ce livre avant cet épisode et en vous
lisant ça, on croirait presque que c'est la description de la série Kaamelott que
l'on connait en France. Mais si on le replace dans le contexte de l'époque, pour les
lecteurs américains, la métaphore, elle est plutôt claire. À travers son roman teinté
d'humour, Twain se livre en fait à une parodie acide de l'Europe, resté selon
lui coincée dans des temps féodaux d'autant que l'ensemble du continent, à de rares
exceptions près, est encore gouvernée par des régimes monarchiques. Face à ce continent
d'arriérés donc, c'est pas moi qui le pense mais Mark Twain, l'Amérique apparaît
alors, à l'instar d'Hank Morgan, comme un modèle de démocratie et de modernité.
Mais vous inquiétez pas, Twain est aussi “un peu” critique vis à vis de son propre
pays. En se moquant de la cour de Camelot, il vise
l'aristocratie des plantations du sud des États-Unis qui s'imaginait, avant même
la guerre de Sécession, comme une nouvelle chevalerie. Et en plus de ça, attention spoiler,
la fin du roman est assez sombre... Hank Morgan a pris le pouvoir à Camelot. Convaincu qu'il
faut amener la modernité, y compris de force, à des gens qu'ils voient comme des primitifs,
il a ordonné que les chevaliers deviennent des hommes-sandwich publicitaires et a transformé
les châteaux en usines. Dégoutté par leur nouvelle condition, faite de journées interminables
de travail à la chaîne, le peuple du royaume se révolte. Hank se réfugie alors dans un
bunker qu'il a fait préparé à l'avance et, armé de mitrailleuses, avec l'aide
de quelques mercenaires, il massacre par milliers les insurgés.
Ouais, moi non plus je l'avais pu venir... Cet épilogue sanglant est un moyen pour Twain
d'interroger son public. Le système capitaliste américain, dans lequel, en cette fin de XIXe
siècle, une élite ultra-riche domine sans partage la société, n'est-il pas une nouvelle
forme de féodalisme ? Ces grands patrons de Wall Street, que l'on surnomme dès cette
époque les « barons voleurs » en référence aux seigneurs normands alliés au Prince Jean
que combat Robin des Bois, ne sont-ils pas aussi malfaisants que les autocrates d'Europe ?
Le nom d'Hank Morgan n'est d'ailleurs pas pris au hasard. Il renvoie à J.P. Morgan,
banquier américain et fondateur d'une entreprise qui est devenu, en ce début de XXIe siècle,
l'une des plus grosses multinationales mondiales. Le roman de Twain est encore aujourd'hui
l'œuvre arthurienne la plus adaptée au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée,
ce qui contribue à la popularité de la Table ronde en Amérique. On ne compte plus les
héros de série, de comics ou de cartoons qui, comme Hank Morgan, font le voyage à
la cour du roi de Camelot : Batman, Superman, Iron Man, Mickey Mouse, Bugs Bunny, MacGyver,
etc. Sauf que les créateurs de ces versions omettent presque tous la seconde partie du
roman. Ne reste que la première, où le héros américain amène à une société qu'il
considère comme arriérée une civilisation qui se résume le plus souvent aux derniers
biens de consommation à la mode outre-Atlantique. Et ça, c'est pas parce que les types ont
la flemme de décrire une boucherie sans nom à l'écran ou sur le papier… et non...cette
réécriture, elle s'inscrit souvent dans un contexte politique très précis.
La visite de Batman à la cour de Camelot dans un comics paru en 1946, dans lequel on
voit le héros de Gotham secourir les chevaliers de la Table ronde, fait évidemment écho
à l'image qu'ont les Américains d'eux-mêmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
en se pensant comme les sauveurs de l'Europe Le deuxième temps dans la diffusion du mythe
de Camelot aux États-Unis va passer par d'autres canaux. Le pasteur américain William Forbush
l'utilise à des fins pédagogiques quelques années seulement après la publication du
Yankee du Connecticut. Alors qu'en Angleterre, cette méthode est surtout réservée à l'usage
des élites, lui décide de la démocratiser en l'ouvrant aux classes moyennes. Pour
cela, il fonde en 1893 les « chevaliers du roi Arthur » (« Knights of King Arthur »)
à destination des garçons âgés de 13 à 16 ans. Ceux-ci se réunissent dans un local
appelé pour l'occasion le château sous la supervision d'un adulte, surnommé le
Merlin, ils prennent des pseudonymes arthuriens et se déguisent en chevaliers. Très vite,
les groupes Forbush connaissent un immense succès, ouvrent une variante pour les filles
(les « reines d'Avalon ») et rassemblent dans les années 1920 près de 130 000 membres,
aux États-Unis, mais aussi au Canada, au Mexique, en Grande-Bretagne, en Jamaïque
et en Nouvelle-Zélande. D'autres pédagogues imitent les « chevaliers du roi Arthur »
du pasteur américain. Le plus célèbre d'entre eux est sans conteste l'anglais Robert Baden-Powell
qui fonde le mouvement scout en 1907. Dans un chapitre de son manuel, Éclaireurs (Scouting
for Boys) publié en 1908, il enjoint encourage ses jeunes disciples à imiter l'exemple
du roi Arthur et de ses chevaliers. Et décidément, il y a beaucoup trop de choses
que j'avais pas vu venir dans cet épisode... Le succès des groupes Forbush influence de
deux manières les représentations du mythe arthurien aux États-Unis. Tout d'abord,
parce que les membres de ces tables rondes réinventés élisent leurs chefs, la Table
ronde elle-même devient une métaphore de la démocratie et de la diversité américaine.
C'est d'ailleurs pour que par la suite aux États-Unis, jusqu'à aujourd'hui,
les écrits concernant Arthur et Camelot s'ouvrent peu à peu à des personnages venus de tous
les horizons pour correspondre à l'idée que se fait le public d'une Amérique diverse
et moderne. Dans le film de Guy Ritchie, Le Roi Arthur : La Légende d'Excalibur sorti
en 2017, et pour lequel je me suis fait gauler par Hadopi (la honte), le jeune souverain