2-4 Le trésor des valois
Le trésor des valois
Ainsi que nous venons de le constater, si Chantecoq avait déjà réussi à mettre debout contre Belphégor un plan de campagne qui, sans lui offrir encore de sérieuses garanties de succès, avait au moins l'avantage d'être inspiré par la logique même et basé sur des événements dont il avait pu contrôler lui-même l'authenticité, l'inspecteur Ménardier, malgré toute l'activité qu'il avait déployée, se débattait toujours dans les ténèbres du plus obscur mystère. Les fouilles qu'il avait fait opérer à l'intérieur de notre grand musée, pas plus que les explorations et recherches auxquelles il avait procédé lui-même n'avaient donné aucun résultat. Aucune des empreintes, que le service anthropométrique avait photographiées, ne correspondait aux fiches de malfaiteurs dont on tient, à la préfecture, un répertoire si exact et si complet… Et pas un des limiers chargés d'enquêter sur les individus suspects, étrangers ou non, n'avait découvert le moindre indice qui pût permettre de les accuser vraisemblablement d'être le Fantôme du Louvre. À la direction de la police, chefs et subalternes montraient des visages plutôt renfrognés.
En effet, l'opinion publique commençait à s'énerver : plusieurs journaux avaient déjà publié quelques entrefilets aigres-doux à l'adresse de ceux qui sont chargés de veiller sur la sécurité de leurs concitoyens. Et M. Ferval avait convoqué Ménardier, non pas pour le gourmander, mais pour rechercher avec lui le moyen d'en finir. – Monsieur le directeur, déclarait nettement l'inspecteur, plus je me creuse la cervelle, plus je me dis que pour être revenu deux nuits de suite dans la salle des Dieux barbares et pour n'avoir pas hésité à assommer d'un coup de casse-tête l'infortuné Sabarat, il faut que le Fantôme soit guidé par d'importants et d'impérieux motifs, que le désir de s'emparer d'un objet de valeur est insuffisant à expliquer. – Alors ? ponctuait M. Ferval.
– J'ai d'abord cru que notre mystérieux bandit avait eu l'intention de faire sauter le Louvre… Mais je ne m'y suis guère arrêté… Car je ne vois pas très bien à qui un pareil attentat profiterait. – En effet, à moins d'être fou. – Et notre mystérieux gredin ne l'est pas… J'en répondrais sur ma tête… Car, pour agir ainsi qu'il l'a fait, pour entrer et sortir du Louvre sans qu'on puisse se douter comment, il ne suffit pas d'avoir toute sa raison, il faut encore être doué d'un génie que je qualifierai d'infernal. – D'accord. – Et j'en suis arrivé à me persuader qu'il y a là-dessous une affaire politique. Lorsque j'ai été chargé, à plusieurs reprises, de filer des Orientaux suspects, j'ai pu me rendre compte qu'il existait, dans ce pays, un grand nombre de sociétés secrètes extrêmement puissantes et qui ont des ramifications un peu partout. – Nous savons cela.
– Voilà pourquoi, déclarait l'inspecteur, j'en suis arrivé à me demander si la statue de Belphégor n'aurait pas jadis servi de cachette à l'une de ces nombreuses sectes qui serait en ce moment désireuse de récupérer les papiers qu'on y avait déposés. – Mon cher Ménardier, c'est un sujet de roman pour Pierre Benoît, que vous me racontez là… C'est évidemment très captivant, et nul doute que ce grand romancier populaire n'en tirerait un très amusant récit. Mais un limier tel que vous doit se méfier de son imagination… vous auriez tort de vous engager sur une piste qui ne peut que vous procurer une amère déconvenue. De tout ce que vous m'avez dit, je ne retiens qu'une chose, car elle est capitale, c'est que, pour être revenu deux nuits de suite au Louvre, le Fantôme doit avoir un motif aussi grave qu'impérieux. J'ajouterai qu'il n'y a pas de raison pour qu'il ne revienne pas encore dans la salle des Dieux barbares… – Monsieur le directeur, j'allais vous le dire, et j'ai l'intention d'établir, dès ce soir, une souricière dans cette salle où il s'est déjà passé de si terribles choses. Seulement, voilà, maintenant qu'il nous sent à ses trousses, le Fantôme osera-t-il reparaître ? – Oui, si nous lui donnons le change, affirmait le haut fonctionnaire.
– Peut-être, en effet…
– Attendez un instant…
Et M. Ferval se mit à griffonner les lignes suivantes, qu'il lut ensuite à Ménardier : Nous apprenons que l'inspecteur Ménardier, chargé d'enquêter sur l'affaire du Louvre, serait sur la piste du coupable. Celui-ci, dans l'impossibilité de passer la frontière, se serait réfugié dans un petit village du Nord, où il serait dès à présent traqué par la brigade mobile. Ajoutons que l'inspecteur Ménardier est parti ce matin en mission confidentielle pour une destination inconnue. Nous ne dirons rien de plus, afin de ne pas entraver l'action de la police, mais attendons-nous à des révélations aussi prochaines qu'inattendues. Sa lecture terminée, M. Ferval reprit :
– Je vais adresser immédiatement cette note à la presse, afin qu'elle paraisse dans la troisième édition des journaux de ce soir. Elle ne manquera pas de tomber sous les yeux de notre gredin. Vous allez donc rester ici bien tranquille, dans mon arrière-bureau, où l'on vous apportera à dîner. Vers vingt-deux heures, avec deux agents que vous choisirez vous-même, vous vous rendrez au Louvre. Vous vous cacherez avec eux dans la salle en question et si, comme je l'espère, dupé par notre communiqué, le Fantôme y revient, cette fois, il ne vous échappera pas. – Et moi, monsieur le directeur, j'en suis sûr ! affirmait l'inspecteur avec force. Fidèle aux directives que lui avait données son supérieur, Ménardier, le même soir, d'accord avec l'administration du musée, s'introduisait subrepticement au Louvre avec ses deux meilleurs agents. Ceux-ci, après avoir reçu ses instructions, se dissimulèrent derrière deux grandes statues qui décoraient la salle des Dieux barbares. Ménardier se blottit dans une énorme vasque où il disparut tout entier, tandis qu'à travers les larges fenêtres garnies de barreaux qui donnaient sur la cour du Louvre, les rayons de la lune se glissaient, nimbant de leur argent clair la tête du dieu Belphégor, gisant toujours au pied de son socle, sur les dalles en mosaïque encore marquées par le sang du gardien Sabarat. À la même heure, une scène étrange se déroulait à l'intérieur de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois qui dresse, en face de la célèbre colonnade de Perrault, son admirable façade, dont le portail, si délicatement ouvragé, date, paraît-il, de Philippe le Bel. Au milieu du sanctuaire, désert et silencieux, brillait, devant le maître-autel, muette et perpétuelle prière, la petite lampe aux reflets rouges qui ne doit s'éteindre jamais. Tout à coup, la porte d'un confessionnal, qui s'appuyait contre le mur de l'un des bas-côtés, s'ouvrait lentement. Une ombre en sortait, puis une autre… C'étaient le bossu mystérieux et l'homme à la salopette. Celui-ci portait à la main une valise assez volumineuse… Tous deux se glissèrent, à pas de loup, derrière le maître-autel. Un instant, ils demeurèrent immobiles, l'oreille aux aguets. Mais aucun bruit ne s'élevait dans la nef, dont les colonnades et les ogives se perdaient dans la nuit… Le bossu prit dans sa poche une lampe électrique, dont il fit fonctionner le contact… et projeta la lumière vers le sol. Il s'agenouilla et promena sa main sur une dalle, au centre de laquelle on pouvait encore apercevoir les vestiges très vagues d'une fleur de lis qui, plusieurs siècles auparavant, avait été sculptée en plein granit. Peu à peu, la dalle se déplaça, comme si elle basculait sur un axe invisible, et démasqua une excavation où s'amorçait un étroit escalier de pierre. Le bossu s'y engouffra le premier… suivi par son compagnon, dont il éclairait la marche avec sa lampe… Dès qu'ils eurent disparu, la dalle reprit sa place. Après avoir descendu une quarantaine de marches, les deux hommes atteignirent un couloir dont les voûtes et les parois, en maçonnerie puissante, ne semblaient pas avoir reçu des ans le moindre outrage.
Sur le sol, légèrement détrempé par une infiltration qui provenait du voisinage assez rapproché de la Seine, ils s'avancèrent à pas comptés, faisant fuir devant eux d'énormes rats et sautiller de non moins gros crapauds qui avaient élu domicile dans ce souterrain, désormais ignoré des humains. Ils parcoururent ainsi une centaine de mètres et s'arrêtèrent devant une petite porte en chêne massif garnie de grosses ferrures rouillées en forme de trèfle… Le bossu heurta de trois coups espacés. La porte s'entrebâilla, livrant passage aux deux complices, qui pénétrèrent dans une sorte de crypte en forme de rotonde. Le reflet rougeâtre d'une lanterne accrochée au mur enveloppait sinistrement une forme humaine assise sur un banc. C'était le Fantôme du Louvre. Le corps drapé dans un linceul noir et la tête dissimulée dans son capuchon, il semblait attendre le bossu et l'homme à la salopette qui s'approchèrent de lui en une attitude non de frayeur, mais de respect. L'homme à la salopette déposa la valise à ses pieds. Le bossu, tout en continuant à s'éclairer avec sa lampe électrique, en retira un tube de la dimension et de la forme de ces bouteilles d'air qui servent à regonfler les pneus d'automobiles… Puis, il se mit à donner quelques explications, à voix basse, au Fantôme qui l'écoutait attentivement et l'approuvait de quelques brefs hochements de tête. Alors, après avoir replacé le tube dans la valise, le bossu se releva et fit :
– Cette fois, Belphégor, la victoire est à nous !
Le Fantôme se penchant vers la valise, s'empara du tube à air que le bossu y avait déposé et le glissa sous son linceul. Puis, il se dirigea vers la porte, qu'il ouvrit toute grande… Précédé par le bossu, qui avait rallumé sa lampe électrique, et suivi par l'homme à la salopette, il s'engagea dans le souterrain qui se dirigeait vers le Louvre. Belphégor et ses deux complices, après avoir marché environ pendant cent cinquante mètres, arrivèrent devant un escalier exactement semblable à celui dont l'ouverture secrète donnait derrière le maître-autel de Saint-Germain-l'Auxerrois. Ils le gravirent sans bruit et se trouvèrent bientôt en face d'un mur qui ne présentait aucune fissure. Le Fantôme appuya le doigt sur le centre d'une petite pierre qui, en légère aspérité, ressortait sur la paroi. La muraille s'entrouvrit sans le moindre bruit, sans le plus petit grincement, laissant apparaître une ouverture par laquelle s'engouffrèrent successivement Belphégor, l'homme à la salopette et le bossu qui se trouvèrent de plain-pied sur le palier où se dressait la Victoire de Samothrace, à l'endroit même où Chantecoq et Bellegarde avaient vu précédemment disparaître le Fantôme. Les trois personnages, sans s'y attarder, descendirent les degrés, et atteignirent le palier du bas. Belphégor fit signe au bossu d'éteindre sa lampe et, seul, il s'engagea dans une galerie obscure. Presque en rampant, avec une souplesse féline, sans hésiter, sans tâtonner, en homme qui connaît admirablement les lieux et qui a soigneusement, méticuleusement repéré d'avance tous les obstacles qu'il pourrait rencontrer sur son chemin, il atteignit l'entrée de la salle des Dieux barbares… et, s'arrêtant, il déposa à terre l'instrument qu'il tenait caché sous son suaire. Il s'agenouilla et commença à dévisser une petite manette fixée à l'entrée du tube, d'où s'échappa aussitôt une vapeur légère, presque impalpable, dont il dirigea le jet vers la salle où Ménardier et ses deux hommes se tenaient aux aguets. Puis, se relevant, il attendit, immobile, invisible dans la nuit.
Du fond de la vasque où il était tapi, Ménardier, qui avait l'ouïe excessivement fine, entendit sans doute un bruit insolite, car, tout doucement, il se leva et regarda autour de lui. Il lui sembla que l'un des inspecteurs qui se dissimulait derrière une statue chancelait comme s'il était pris d'un subit étourdissement. En proie lui-même à un malaise indéfinissable, Ménardier sortit de la vasque. Au même instant, son agent, comme assommé, s'écroulait sur les dalles. La tête lourde, les jambes de plomb, à demi suffoqué, Ménardier s'approcha de lui. En même temps, l'autre inspecteur sortait de sa cachette, titubant, lui aussi, comme un homme ivre. Ménardier le considéra avec stupeur. En un geste instinctif, il le saisit par le bras, mais l'homme glissa sur le sol, à côté de son collègue, près duquel il demeura étendu, inanimé. Se raidissant contre la torpeur qui l'envahissait, le limier voulut faire quelques pas… Mais, soudain, il s'arrêta, sidéré… Un spectre effrayant venait de surgir de l'ombre et s'avançait lentement vers lui, du pas automatique d'un halluciné… Machinalement, Ménardier porta la main vers sa poche à revolver… Mais il n'eut pas le temps de saisir son arme… Le Fantôme était près de lui, un poignard à la main. Rassemblant ses dernières forces, qui semblaient prêtes à l'abandonner, le policier saisit le bras menaçant de Belphégor et, en même temps, il releva brusquement le capuchon qui lui masquait entièrement la tête. Un cri, un râle plutôt, lui échappa…
Le mystérieux bandit portait un masque contre les gaz asphyxiants.
D'un bond en arrière, le Fantôme se dégagea… Ménardier voulut s'élancer sur lui, mais battant l'air de ses bras, il s'écroula, évanoui, près des corps des deux hommes qui, ainsi que lui-même, ne donnaient plus signe de vie. Tour à tour, Belphégor se pencha au-dessus des trois inspecteurs… et certain qu'ils étaient immobilisés pour un long moment, il fit entendre un bref sifflement. Le bossu et l'homme à la salopette apparurent. Chacun d'eux portait un masque exactement semblable à celui de Belphégor, et qui les protégeait contre les émanations grâce auxquelles le Fantôme du Louvre avait réussi à endormir profondément les trois policiers… Frôlant d'un pas ouaté les mosaïques de la salle, les trois personnages s'approchèrent de la statue du dieu des Moabites qui gisait toujours à la même place. Mais ils ne s'y attardèrent point. Sur un signe du Fantôme, les deux acolytes saisirent à bras-le-corps le socle de la statue… et, non sans effort, mais habilement, silencieusement, ils le poussèrent de côté, de façon à découvrir la partie des dalles sur lesquelles il reposait.
Pendant cette délicate opération, qui demanda plusieurs minutes, le Fantôme demeura immobile… les yeux rivés sur Ménardier et ses agents, qui semblaient, d'ailleurs, aussi rigides que les images de marbre et de pierre qui les entouraient… Ce fut seulement lorsque le socle eut laissé entièrement apparaître l'emplacement qu'il recouvrait, que Belphégor regarda à terre. Éclairé par le rayonnement de la lampe électrique que le bossu avait rallumée, il fixa le rectangle plus clair, moins patiné, qui s'offrait à son attention. Bientôt il se pencha. Son doigt ganté de noir s'en fut vers une fleur de lis qui occupait le centre d'une mosaïque représentant le blason des Valois et s'y appuya avec force… Lentement et sans bruit, comme celle de Saint-Germain-l'Auxerrois, la dalle bascula, démasquant un trou noir qui se prolongeait sous le sol. Belphégor s'empara de la lampe du bossu et la promena à l'intérieur de l'excavation, au fond de laquelle gisait un coffre assez volumineux. Puis, se relevant, il adressa un simple signe à ses deux complices qui s'étendirent tout de leur long de chaque côté de l'orifice et y plongèrent chacun un bras… Leurs mains rencontrèrent et saisirent les poignées métalliques fixées aux deux extrémités du coffre que, non sans peine – car il était fort lourd – ils retirèrent de sa cachette et déposèrent près de la statue renversée. Avec sa lampe électrique, le Fantôme l'examina. Sur le couvercle en cuir de Cordoue, que fermaient de solides ferrures rouillées, il aperçut, à demi effacées, des armes royales, au-dessus desquelles on pouvait encore déchiffrer les initiales en or terni d'Henri III, roi de France. L'une des quatre serrures d'angle était presque entièrement détachée… Belphégor l'arracha tout à fait, l'examina, réfléchit un instant, puis, sans prononcer un mot, il désigna simplement l'entrée de la salle au bossu et à l'homme à la salopette… Ce dernier s'empara du coffre et le chargea sur ses épaules, qui ployèrent légèrement sous le poids. Alors, après avoir jeté à terre la ferrure, le Fantôme, éclairant la marche, se dirigea vers la galerie, suivi par ses deux aides. En passant, le bossu reprit le tube qui était resté sur le seuil. Tous trois, tels des ombres, gravirent l'escalier de la Victoire de Samothrace et atteignirent le palier. Belphégor fit de nouveau manœuvrer le ressort de l'entrée secrète que, plus perspicace que les historiens et les architectes du Louvre, il avait su découvrir… Quelques instants après, nos personnages s'enfermaient dans la crypte où nous les avons vus tout à l'heure se rassembler. L'homme à la salopette, dont le front ruisselait de sueur, déposa à terre le coffre et, sans perdre une minute, après avoir, ainsi que le bossu, retiré son masque, il fit sauter les trois serrures à l'aide d'un ciseau à froid qu'il avait pris dans sa poche, et, vivement, il souleva le couvercle… Aussitôt, le bossu approcha sa lampe électrique et Belphégor, qui s'était avancé, ne put réprimer mieux qu'une exclamation de surprise, un cri de victoire… Le coffre était rempli de bijoux, de joyaux et de pièces d'or. L'homme à la salopette y plongea la main… et en retira une poignée d'écus… qui étaient marqués à l'effigie du roi Henri III. Tandis qu'il les faisait retomber en cascades, le bossu, à son tour, retirait du coffre une magnifique couronne enrichie de pierreries. – Le diadème de Catherine de Médicis ! murmura-t-il en le faisant admirer au Fantôme.
Presque aussitôt, à voix basse, mais tout en scandant ses mots d'un geste autoritaire, celui-ci murmura à l'oreille du bossu quelques paroles qui devaient être des ordres ; car le bossu s'empressa de replacer le précieux et somptueux objet à la place où il l'avait pris… et, tirant un couteau, il attaqua une des ferrures d'angle… tandis qu'immobile, Belphégor contemplait le trésor étalé devant lui. Une heure plus tard, la voiturette du bossu stationnait, avenue d'Antin, quelques maisons plus bas que le rez-de-chaussée de Jacques Bellegarde. Mais, cette fois, c'était l'homme à la salopette qui se tenait sur le siège. De temps en temps, celui-ci se retournait pour jeter un rapide coup d'œil vers l'entrée de l'immeuble où demeurait le jeune reporter. Il était visible qu'il attendait quelqu'un. Or, ce quelqu'un n'était autre que le bossu qui, à ce moment, était occupé à une étrange besogne. Après avoir pénétré, à l'aide de fausses clefs dont il possédait un trousseau des plus complets, dans l'appartement du journaliste, dont il semblait connaître à merveille toutes les dispositions, le bossu, tout en s'éclairant de sa lampe électrique, était entré droit dans le bureau, dont les volets étaient clos et les rideaux fermés. Après avoir refermé la porte, dont il poussa le verrou, il tourna le commutateur qui faisait fonctionner le courant d'un petit plafonnier placé au centre de la pièce, éteignit sa lampe, qu'il déposa sur la table ; et, après avoir jeté autour de lui un regard investigateur, il s'approcha de la bibliothèque. Saisissant quelques-uns des livres qui garnissaient les rayons du centre, et tout en les gardant sous son bras gauche, il fouilla dans l'une des poches de sa houppelande, en retira un objet qu'il glissa rapidement derrière les bouquins demeurés sur la planche et remit les autres livres à leur place… Puis, se transportant jusqu'au bureau de Bellegarde, après avoir choisi, d'un œil expérimenté, l'une des clefs de son trousseau, il l'introduisait dans la serrure de l'un des tiroirs qu'il ouvrit sans la moindre peine… Il déposa d'abord à l'intérieur du meuble une liasse de lettres, puis la ferrure du coffre Renaissance qu'il avait prise dans l'une de ses autres poches… Il referma soigneusement le tiroir, ralluma sa lampe électrique, éteignit le lustre, quitta la pièce, traversa l'antichambre, sortit dans le vestibule, donna un simple tour de clef à la porte et lança, devant la loge du concierge, un sonore : – Cordon, s'il vous plaît ! Un bruit de déclic… et le bossu se retrouva dans la rue… À grandes enjambées, il rejoignit l'homme à la salopette, grimpa près de lui, et… la voiture s'éloigna dans la nuit.