Part (65)
Que moi, qui ai tant de d'admiration pour vous, j'aie pu dire quelque chose d'aussi inconséquent… Ces stupides vieilles lèvres qui sont les miennes et cette stupide vieille tête ne le méritent pas; mais vous l'oublierez, n'est-ce pas ? » Il se pencha très bas devant elle tandis qu'il parlait ; elle prit sa main, et, le regardant à travers ses larmes, elle dit d'une voix rauque : « Non, je ne l'oublierai pas, car il est bon que je m'en souvienne; et ce souvenir, je le prendrai en bloc avec tous les autres souvenirs plus doux que j'ai de vous. Maintenant, vous devez tous partir bientôt. Le petit déjeuner est prêt, et nous devons tous manger pour prendre des forces. » Le petit déjeuner fut un repas étrange pour nous tous. Nous essayâmes d'être chaleureux et de nous encourager les uns les autres, et Mina était la plus lumineuse et la plus chaleureuse de nous tous. Quand ce fut fini, Van Helsing se leva et dit : « Il est temps, mes chers amis, de nous lancer dans notre terrible entreprise. Sommes-nous bien armés, comme cette nuit lorsque nous visitâmes pour la première fois le repaire de notre ennemi ; armés contre les attaques spectrales aussi bien que contre les attaques corporelles ? » Nous l'assurâmes tous que c'était le cas. « Alors c'est bien. Maintenant, Madam Mina, vous êtes dans tous les cas tout à fait en sécurité jusqu'au coucher du soleil; et avant qu'il ne se couche, nous serons de retour - si… - nous serons de retour ! Mais avant que nous partions laissez-moi vérifier que vous êtes armée contre une attaque personnelle. J'ai moi-même, depuis que vous êtes descendue, préparé votre chambre en y plaçant les choses que nous savons, afin qu'Il ne puisse pas entrer. Maintenant laissez-moi vous protéger vous-même. Sur votre front j'appose ce morceau d'Hostie Consacrée au nom du Père, du Fils et » Il y eut un hurlement effrayant qui pétrifia et glaça nos cœurs. Lorsqu'il l'avait placée sur le front de Mina, l'Hostie l'avait grillé - elle avait brûlé ses chairs comme s'il s'agissait d'un fer rouge. Le cerveau de ma pauvre bien-aimée avait interprété ce fait aussi vite que ses nerfs lui avaient transmis la douleur; et les deux, la douleur et sa signification, l'avaient à ce point submergée que sa sensibilité exténuée s'était exprimée dans ce cri terrifiant. Mais la conscience et les mots lui revinrent promptement ; l'écho de son cri résonnait encore dans l'air quand arriva sa réaction; elle tomba à genoux par terre, profondément humiliée. Tirant ses beaux cheveux pour cacher son visage, comme une lépreuse abaissant son capuchon, elle gémit : « Impure ! Impure ! Même le Tout-Puissant rejette ma chair souillée ! Je dois porter cette marque de honte sur mon front jusqu'au Jugement Dernier. » Ils s'arrêtèrent tous. Je m'étais jeté à ses côtés dans un geste de douleur désespéré, l'entourant de mes bras pour la tenir serrée. Pendant quelques minutes nos cœurs blessés battirent ensemble, tandis que nos amis, autour de nous, détournaient les yeux pour verser des larmes silencieuses. Alors Van Helsing se tourna et dit gravement - si gravement que je ne pus me départir de l'impression qu'il était inspiré, et que ses paroles lui venaient d'au-delà de lui-même : « Il se peut que vous ayez à porter cette marque jusqu'à ce que Dieu lui-même juge bon, comme il le fera très certainement au Jugement Dernier, de redresser tous les torts sur la Terre et chez ses Enfants qu'il a placés à sa surface. Et alors, oh Madam Mina, ma chère, ma chère, puissions-nous, nous qui vous aimons, être là pour voir le moment où la rouge cicatrice, le signe de la reconnaissance par Dieu de ce mal, disparaîtra, et laissera votre front aussi pur que le coeur que nous vous connaissons. Car, aussi sûr que nous sommes vivants, cette cicatrice disparaîtra quand Dieu trouvera bon d'alléger le fardeau qui nous écrase. Jusque-là nous porterons notre Croix, comme l'a fait son Fils, en obéissance à sa Volonté. Il se peut que nous soyons élus comme les instruments de son bon plaisir, et que nous accédions à ses commandements, comme d'autres, à travers des luttes et de la honte, à travers des larmes et du sang; à travers des doutes et des terreurs, et tout ceci fait la différence entre Dieu et l'Homme. » Il y avait de l'espoir dans ses paroles, et du réconfort, et elles invitaient à la résignation. Mina et moi nous le ressentîmes de la même manière, et nous primes chacun, d'un seul élan, l'une des mains du vieil homme et nous nous penchâmes pour la baiser. Ensuite, sans un mot, nous nous agenouillâmes tous ensemble, et, nous tenant les mains, nous nous jurâmes fidélité les uns aux autres. Nous, hommes, nous nous engageâmes à soulever le voile de tristesse de la tête de celle que, chacun à notre manière, nous aimions; et nous priâmes pour recevoir aide et assistance dans cette terrible tâche qui se trouvait devant nous. Il fut ensuite temps de partir. Aussi je dis adieu à Mina - une séparation que ni l'un ni l'autre nous n'oublierons jamais, jusqu'au jour de notre mort ; et nous sortîmes. Il est une chose à propos de laquelle j'ai pris une décision : si nous découvrons que Mina doit finir par devenir un vampire, alors elle ne se rendra pas toute seule pas dans ce pays terrible et inconnu. Je suppose que c'est la raison pour laquelle, dans les temps anciens, un vampire en amenait nécessairement plusieurs ; tout comme leurs corps hideux ne pouvaient reposer qu'en terre sacrée, l'amour le plus sacré devait être le sergent recruteur de leur effroyable armée. Nous entrâmes à Carfax sans problème et trouvâmes tout exactement dans le même état qu'à notre première visite. Il était difficile de croire qu'au milieu d'un environnement si prosaïque, négligé, poussiéreux et pourri, se trouvait le terreau d'une terreur telle que celle que nous connaissions. N'étaient la ferme résolution de nos esprits, et les terribles souvenirs susceptibles de nous éperonner, nous aurions à peine été capables de mener notre tâche à bien. Nous ne trouvâmes aucun papier, ou aucun signe d'occupation de la maison ; et dans la vieille chapelle les grandes boîtes semblaient exactement pareilles que la fois dernière. Le Dr Van Helsing nous dit solennellement, alors que nous étions debout devant lui : « Et maintenant, mes amis, nous avons un devoir à remplir ici. Nous devons stériliser cette terre, si sacrée par les souvenirs saints qui l'imprègnent, et qu'il a amenée d'une terre lointaine pour un usage maudit. Il a choisi cette terre à cause de son caractère sacré. Ainsi nous le déferons avec ses propres armes, car nous la rendrons encore plus sacrée. Elle a été sanctifiée pour l'usage des hommes - maintenant, nous la sanctifierons pour Dieu.» Tandis qu'il parlait, il prit de son grand sac un tournevis et une pince et très rapidement le couvercle d'une des boîtes fut ouvert. La terre sentait le moisi et le renfermé, mais nous n'y prêtâmes guère attention, car notre attention était concentrée sur le Professeur. Prenant de son sac un morceau d'Hostie Consacrée, il le déposa avec beaucoup de révérence sur la terre, et ensuite, il referma le couvercle et le revissa, avec notre aide. Une par une, nous traitâmes de la même manière chacune des grandes boîtes, et nous les laissâmes telles que nous les avions trouvées, en apparence; mais dans chacune d'entre elles reposait un morceau de l'Hostie. Quand nous refermâmes la porte derrière nous, le Professeur dit solennellement : « Nous avons déjà fait beaucoup. Si seulement nous pouvions être aussi efficaces avec toutes les autres boîtes, alors le soleil de ce soir pourrait briller sur le front de Madame Mina, blanc comme l'ivoire, et pur de toute tâche!» Comme nous traversions la pelouse en direction de la gare où nous souhaitions prendre le train, nous pûmes voir la façade de l'asile. Je regardai intensément, et à la fenêtre de ma propre chambre j'aperçus Mina. Je lui fis un signe de la main, et un autre de la tête pour lui dire que notre mission était accomplie. Elle hocha la tête en retour pour signifier qu'elle avait compris. La dernière chose que je vis d'elle, fut qu'elle agitait la main en signe d'adieu. Ce fut avec le cœur lourd que nous atteignîmes la gare pour prendre notre train, qui arrivait en gare juste au moment où nous gagnions le quai. J'ai écrit tout ceci dans le train. Picadilly - 12h30 Juste avant d'arriver à Fenchurch Street, Lord Godalming me dit : « Quincey et moi nous allons trouver un serrurier. Vous feriez mieux de ne pas venir avec nous, pour le cas où il y aurait des difficultés; car dans ces circonstances, il ne paraîtrait pas trop grave pour nous d'entrer par effraction dans une maison vide. Mais vous êtes avoué et la Société des Gens de Loi pourrait vous reprocher d'avoir ignoré cette dernière. » Je m'opposai au fait de ne pas partager un danger, même d'opprobre, mais il continua : « De plus, cela attirera moins l'attention si nous ne sommes pas nombreux. Mon titre aplanira les difficultés avec le serrurier, et avec n'importe quel policier qui viendrait se renseigner. Vous devriez aller avec Jack et le Professeur et rester à Green Park, à un endroit d'où vous pouvez observer la maison, et quand vous verrez la porte ouverte et le serrurier parti, venez tous. Nous vous guetterons, et vous ferons entrer. » « Le conseil est bon ! » dit Van Helsing, et nous cessâmes de parler. Godalming et Morris se dépêchèrent de prendre un cab, et nous les suivîmes dans un autre. A l'angle d'Arlington Street notre petit contingent sortit et s'engagea dans Green Park. Mon cœur battit quand j'aperçus la maison dans laquelle étaient concentrés tous nos espoirs, cette maison qui apparaissait sinistre et silencieuse, dans son abandon, au milieu de ses voisines plus vivantes et coquettes. Nous nous assîmes sur un
banc, d'où nous pouvions bien voir, et commençâmes à fumer des cigares afin de paraître plus naturels. Les minutes que nous passâmes à attendre le retour des autres semblèrent passer avec une lenteur inimaginable. A la fin nous vîmes arriver une voiture. En sortirent, nonchalamment, Lord Godalming et Morris, ainsi qu'un un travailleur trapu muni de sa corbeille à outils en osier. Morris paya le cocher, qui toucha son chapeau et repartit. Ensemble, les deux hommes grimpèrent les marches, et Lord Godalming indiqua ce qu'il souhaitait qu'on fasse. L'ouvrier retira son manteau sans se presser et le pendit à l'un des pics de la rampe, adressant quelques mots à un policier qui passait justement par là. Le policier acquiesça, et l'homme s'agenouilla avec sa corbeille à côté de lui. Après de brèves recherches, il sélectionna des outils qu'il disposa en bon ordre à côté de lui. Ensuite il se leva, regarda à travers le trou de la serrure, souffla à l'intérieur, et, se tournant vers ses employeurs, fit une remarque. Lord Godalming sourit, et l'homme tira un impressionnant trousseau de clés; et, en choisissant une, il l'essaya dans la serrure, comme pour tâter le terrain. Après avoir fait quelques essais infructueux il en essaya une seconde, puis une troisième. Tout à coup la porte s'ouvrit, sur une légère poussée de sa part, et lui et les deux autres pénétrèrent dans le hall. Nous restions immobiles; mon propre cigare se consumait furieusement, tandis que celui de Van Helsing s'éteignait. Nous attendîmes patiemment, regardant l'ouvrier sortir et amener son sac à l'intérieur. Puis il tint la porte partiellement ouverte, la maintenant avec ses genoux, tandis qu'il ajustait une clef dans la serrure. Cette clef, il la donna ensuite à Lord Godalming, qui sortit son porte-monnaie et lui donna quelque chose. L'homme toucha son chapeau, prit sa corbeille à outils, remit son manteau et s'en alla; personne ne prit garde à toute cette transaction. Quand l'homme fut bel et bien parti, nous traversâmes tous les trois la rue et toquâmes à la porte. Quincey nous ouvrit immédiatement. Derrière lui se tenait Lord Godalming qui allumait un cigare. « C'est une telle puanteur, ici ! », dit-il quand nous entrâmes. Et, de fait, cela empestait - comme la vieille chapelle de Carfax - ce qui indiquait clairement, d'après notre expérience, que le Comte était passé par là à de nombreuses reprises. Nous avançâmes pour explorer la maison, restant groupés pour parer à une éventuelle attaque; très conscients d'avoir à affronter un ennemi fort et rusé, bien que n sachant pas si le Comte se trouvait ou non dans la maison.