#107 Faire garder son enfant en France (2)
[00:13:43] Alors donc, si vous avez bien suivi, vous avez compris que tout ce que je vous ai dit concerne les nouveaux-nés et les nourrissons. Mais une fois que les congés paternité et maternité sont passés, qu'est-ce qu'il se passe ? On va voir ça dans une deuxième partie.
[00:14:24] Jusqu'aux trois ans de l'enfant, les parents ont le droit à un congé parental. C'est différent de ceux dont je vous ai parlé avant. Le congé parental peut être pris en plusieurs fois jusqu'aux trois ans de l'enfant. Il peut être à temps plein ou à mi-temps. Il permet donc en théorie aux deux parents de rester chacun leur tour à la maison avec leur enfant jusqu'à ce que celui-ci entre en maternelle.
[00:14:58] En théorie certes… Mais en pratique, ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe. Moins de la moitié des parents prennent un congé parental, et surtout ce sont les femmes qui s'y collent. «S'y coller» c'est une expression qui veut dire «qui font le travail», «qui se dévouent.» Donc, là, c'est pour vous dire que, majoritairement, le congé parental est pris par les femmes. Eh oui, moins de 1% des pères prennent leur congé parental à taux plein.
[00:15:36] Pour compenser ce déséquilibre, il y a eu une réforme en 2014 dans le cadre de la loi sur l'égalité réelle entre les hommes et les femmes. Depuis 2015, la durée du congé parental dépend de sa répartition : une partie est réservée pour le deuxième parent. S'il n'en profite pas, c'est perdu. Tout simplement.
[00:15:59] Le problème c'est que cette réforme a été un échec total : l'année dernière, donc 5 ans après, à peu près, la proportion de père prenant un congé parental à temps plein était passé de 0,5% à 0,8%. Tu parles d'un changement ?
[00:16:21] Pourquoi un tel échec ? En fait c'est simple : le congé parental n'est pas payé sur la base du salaire ! Peu importe sa situation initiale, le parent qui prend un congé parental recevra une indemnisation forfaitaire d'un montant vraiment très bas. C'est environ 400 euros. Et encore, c'est seulement pendant une partie du congé. Le parent qui voudra prendre trois ans pour la naissance de son premier enfant n'aura pas le droit à une indemnisation pendant 3 ans. Il recevra une indemnisation pendant 6 mois et le reste du temps ne sera pas du tout payé.
[00:17:06] Alors, pour les parents, le calcul est vite fait : soit ils décident de ne pas du tout prendre de congé parental parce que ce n'est pas correct financièrement, soit ils décident qu'un seul des deux va prendre le congé et forcément, ce sera celui qui gagne le moins d'argent. Comme ça, celui qui continue à travailler ramène plus d'argent à la maison. Et en général le parent qui gagne le mieux c'est l'homme, le papa.
[00:17:38] Donc voilà, on est pris dans un cercle vicieux : les femmes sont moins bien payées, parce qu'elles sont soupçonnées de prendre, éventuellement, un congé parental et elles sont poussées à prendre plus le congé parental que les papas parce qu'elles sont moins bien payées. Il y a vraiment un problème dans cette histoire.
[00:18:00] Alors, bien sûr, il existe d'autres solutions. 60% des enfants sont gardés par des professionnels de la petite enfance. Le premier choix qui s'offre aux parents est la garde collective, dans des endroits qu'on appelle des crèches. Il existe près de 2000 crèches en France et les places sont difficiles à obtenir.
[00:18:24] Le mot «crèche» désigne à l'origine une mangeoire pour les animaux comme les vaches ou les moutons. C'est le mot qu'on utilise pour désigner une scène de la naissance du Christ. Vous savez, avec le bébé Jésus, Marie, Joseph, les Rois Mages et les animaux. Par extension, c'est le mot qu'on utilise pour désigner un endroit où les parents peuvent laisser leurs enfants la journée pendant qu'ils vont au travail.
[00:18:57] La première crèche a été créée en 1884 à Paris par un élu municipal. L'objectif était d'offrir aux enfants des ouvrières un endroit sain où passer leurs journées et être soignés pendant que leurs mamans allaient au travail. Le concept a très bien fonctionné et des crèches ont été ouvertes partout en France. Puis, quand les femmes des autres classes sociales ont commencé à travailler, les places en crèche ont été de plus en plus demandées. Aujourd'hui, il existe plusieurs types de crèches : collective, familiale, parentale, d'entreprise, haltes garderie et jardins d'enfants. Tous ces établissements sont similaires et ils ont en commun d'être en partie financés par l'État. Les parents doivent payer une partie, mais le montant va dépendre des revenus des parents et c'est calculé par l'Etat.
[00:20:06] Le problème, c'est qu'il n'y a pas du tout assez de place pour tout le monde. Dans certaines villes, il y a 6 places pour 100 enfants de moins de 3 ans. Dans les villes où il y a plus de places, on attend peut-être 40% des places. En plus, les conditions d'attribution sont opaques. «Opaque», ça veut dire qui n'est pas transparent, c'est quand il n'y a pas de règles claires. Certaines enquêtes journalistiques ont révélé qu'il était possible d'obtenir une place en écrivant des lettres aux élus municipaux, en passant des appels. En clair, en se faisant pistonner. «Se faire pistonner», ça veut dire réussir à avoir quelque chose grâce à une personne à l'intérieur du système. Forcément, les parents avec un plus grand capital culturel et économique sont favorisés. Tout le monde n'a pas les outils pour réussir à convaincre Monsieur ou Madame le Maire.
[00:21:10] Au final, ce sont 20% des enfants de moins de 3 ans qui réussissent à aller en crèche ou dans un autre type de garde collective. Pour les autres, donc un peu plus de 30% des enfants, l'autre option c'est la garde individuelle, c'est-à-dire de faire garder son enfant par une nounou.
[00:21:38] «Nounou», c'est le diminutif de «nourrice». Donc la nourrice on en parlait avant, c'était la personne qui s'occupait anciennement des enfants des familles aisées. Aujourd'hui, on utilise encore le mot «nourrice» mais je pense que c'est quand même plus commun de dire «nounou». Dans tous les cas, «nourrice» ou «nounou», ce ne sont pas des mots administratifs, c'est plutôt une façon générale, voire affective, de désigner toute personne dont le métier est de s'occuper de son enfant. Enfin…des enfants des autres.
[00:22:16] La «nounou» ça peut être simplement une baby-sitter qui n'est pas forcément qualifiée, ça peut être une jeune fille au pair, mais souvent les parents préfèrent opter pour une nourrice agréée, une professionnelle qui est diplômée, qui sait ce qu'elle fait. Dans ce cas-là, ça peut être soit une auxiliaire parentale, quand elle se rend chez les parents, soit, la plus courante, c'est l'assistante maternelle, qui accueille les enfants chez elle. Pour les nourrices agréées également, il y a un prix fixé par l'Etat avec une partie payée par les parents et une partie qui est financée par différentes aides.
[00:23:04] Alors, peut-être que vous avez remarqué, je parle de tous ces métiers au féminin : une baby-sitter, une jeune fille au pair, une auxiliaire parentale et une assistante maternelle. Je le fais exprès, parce que c'est plus proche de la réalité : la très grande majorité des professionnelles de la petite enfance sont des femmes. Et cette précision n'est pas un détail. Vous allez comprendre pourquoi.
[00:23:30] Je vous ai dit que trouver une place en crèche peut être très difficile. Eh bien, trouver la nounou idéale peut aussi être un parcours du combattant. Pour certaines familles, c'est surtout très cher. Pour d'autres, c'est une difficulté à trouver une nounou qui réussisse à les accommoder avec leurs horaires. Face à la difficulté à faire garder ses enfants, certains parents n'hésitent pas à faire appel à des femmes sans papiers, c'est-à-dire des personnes migrantes en situation irrégulière, ou encore à des femmes en situation de grande précarité qui ne sont pas exigeantes sur les conditions de travail. Ces femmes travaillent pour moins que le salaire minimum et font des heures bien au-delà du maximum légal.
[00:24:25] Ainsi, malheureusement, la boucle des inégalités est bouclée : dans l'absence de politique familiale efficace, les femmes des classes moyennes et aisées sont défavorisées au travail. Et pour que celles-ci puissent continuer à travailler malgré tout, elles se retrouvent à exploiter des femmes en situation de précarité prêtes à accepter des mauvaises conditions de travail. C'est donc une chaine dans laquelle aucune femme n'est epargnée.
[00:25:08] Vous avez donc compris, faire garder ses enfants est très difficile en France et cela déséquilibre les relations entre les hommes et les femmes à la maison comme au travail. Heureusement, à partir de 2 ou 3 ans, ça commence à devenir un petit peu plus facile, grâce à l'école maternelle. Et ce sera notre troisième et dernière partie : comment l'école est utilisée comme un moyen de garde.
[00:25:41] La maternelle est l'école où vont les enfants à partir de 3 ans et jusqu'à l'âge de 6 ans. Depuis la rentrée 2020, en France, la scolarisation est obligatoire à partir de 3 ans. Avant cela, c'était à partir de 6 ans. Mais en réalité, cela fait des années que la France a le taux record de scolarisation des enfants de 3 ans parmi tous les pays de l'OCDE. En 2019, selon les chiffres de l'OCDE, 100% des enfants de 3 ans étaient scolarisés en France, bien au-dessus des 80% de la Finlande ou des 66% de l'Australie. Les deux seuls autres pays de l'OCDE qui comptent 100% des enfants de 3 ans scolarisés sont l'Israël et le Royaume-Uni.