L'imagerie mentale pour (re)muscler le cerveau et le corps | Aymeric GUILLOT | TEDxClermont (1)
Traducteur: eric vautier Relecteur: Lionel FAUCHER
Jade est une petite fille de cinq ans.
Vous savez, une de ces petites filles qui incarnent la joie de vivre.
Comme tous les enfants de son âge, au matin du 25 décembre,
elle est donc impatiente d'ouvrir ses cadeaux
et de voir si elle a reçu
le fameux vélo qu'elle attendait tant.
Ses parents, sous ses yeux émerveillés,
lorsqu'elle ouvre ce paquet immense
et découvre le fameux vélo dont elle a tant rêvé,
sont ravis, au moins autant ravis qu'elle.
Et là, sans réfléchir,
elle décide de monter sur le vélo
puis se met à pédaler,
en chantonnant l'un de ses airs préférés.
Ses parents restent sidérés,
ayant peur de la chute de leur enfant, d'un côté,
mais également étant très surpris
de la voir faire du vélo aussi parfaitement, d'un autre côté,
alors même qu'elle n'en avait jamais fait auparavant.
Lorsqu'ils lui demandent
comment cela se fait qu'elle en fasse aussi facilement,
elle leur répond en toute simplicité :
« Je l'ai tellement imaginé
et j'en ai tellement rêvé,
que c'est facile. »
Cette petite histoire de Jade illustre parfaitement les bénéfices
que peut apporter
l'évocation mentale au quotidien.
On peut parler d'imagerie mentale,
d'imagerie motrice, de visualisation,
que cette évocation soit volontaire ou involontaire.
Peut-être même que certains d'entre vous,
pendant que je racontais cette histoire,
se sont surpris à visualiser des images
pour accompagner ma narration.
Enseignant-chercheur à l'Université de Lyon,
depuis plus de 15 ans,
je m'intéresse - vous l'aurez compris -
à ce qu'il se passe là-dedans,
quelque chose de fascinant.
Mes travaux portent sur les représentations mentales que nous formons,
et sur les bénéfices qu'elles sont susceptibles d'apporter,
que ce soit pour développer des compétences, améliorer des performances,
ou également récupérer en cas de blessure ou d'incapacité motrice.
Si vous le voulez bien, nous allons pratiquer un peu,
puisqu'il se trouve que nous faisons tous spontanément et quotidiennement
un travail de cette forme.
On ne le formalise pas forcément ainsi
mais nous le faisons tous, à plusieurs reprises, au cours de la journée.
Je vous propose dans un premier temps
de centrer votre attention sur cette croix au centre de l'écran,
un peu comme si vous vouliez rentrer dans une bulle,
être ici et maintenant, en pleine conscience,
écouter le bruit de votre silence intérieur.
Et puis progressivement,
vous allez laisser venir à votre esprit
quelques images.
Les images d'un moment
pendant lequel vous avez effectué un mouvement à la perfection,
un mouvement sportif,
un acte de la vie quotidienne,
un acte professionnel peut-être,
comme ce coup droit au tennis,
comme un coup de pinceau sur une toile,
comme un geste relativement précis
pour atteindre votre but,
peut-être pour certains
un plongeon dont vous êtes excessivement fier
pour rattraper le vase qui allait tomber lorsque le chien l'a cogné.
Bref, un mouvement que vous effectuez à la perfection,
que vous maitrisez parfaitement, comme si vous aviez eu un déclic
et que vous le fassiez exactement comme vous devez le faire.
Laissez les images s'installer et défiler sous vos yeux.
Laissez vos sens s'imprégner de cette expérience.
Accompagnez les images de tous les sons
qui étaient présents à ce moment-là.
Également, laissez remonter à vous les émotions,
les sensations,
qui accompagnaient ce délicieux moment.
Je sais ce que vous allez me dire,
c'est plutôt agréable,
et surtout très facile.
Prenons un 2e exemple si vous le voulez bien.
Autorisez-vous à vous projeter dans un événement à venir.
Dans une situation que vous allez vivre dans quelques jours.
Là encore, prenez le temps
de laisser tous les détails de la scène où vous allez vous retrouver
vous imprégner,
revenir à votre esprit.
Peut-être est-ce un moment agréable,
peut-être une situation plus anxiogène
que vous serez alors capable de surmonter.
Prenez le temps d'inspecter ces détails,
toutes les informations,
importantes comme secondaires.
Nous avons fait un petit exemple sur le passé,
nous venons de faire un petit exemple sur le futur,
permettez-moi de vous proposer un dernier exemple sur le présent.
Imaginez que sur cette scène du théâtre
de l'opéra magnifique dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui,
imaginez qu'apparaisse soudainement un chien
en train de faire du vélo,
le même vélo que la petite Jade a découvert en ouvrant ses cadeaux à Noël.
Un chien tellement heureux d'être là qu'il se met à tourner autour de moi,
enchaînant des figures acrobatiques toutes plus complexes les unes que les autres.
Un chien qui salue son public,
un chien qui sourit,
qui est content d'être là parmi nous aujourd'hui.
N'est-ce pas fascinant de se rendre compte à quel point
il est possible de construire des représentations mentales
de choses pourtant improbables - enfin normalement -
aussi facilement ?
C'est quelque chose qui est absolument déconcertant,
et encore une fois,
qui est relativement spontané,
et que l'on fait au quotidien.
Alors, de nombreuses études scientifiques se sont penchées
sur l'intérêt, l'importance de l'évocation mentale de nos pensées
pour essayer de comprendre.
Pourquoi, penser à quelque chose, se concentrer, imaginer un mouvement,
permet d'améliorer des performances ?
Le cerveau fait bien la différence
entre un mouvement réalisé physiquement
et un mouvement simulé mentalement.
Néanmoins, comme vous pouvez le voir sur ce schéma,
imaginer un mouvement et le réaliser physiquement
vont activer des régions du système nerveux communes.
Nous pouvons voir sur l'image du bas,
les zones colorées en bleu correspondent
aux zones qui sont activées pendant l'imagerie mentale,
la représentation mentale du mouvement, et pendant son exécution réelle.
Certes la superposition n'est pas parfaite
mais elle est importante.
Cela signifie que lorsqu'on imagine un mouvement,
lorsque l'on se projette dans la construction d'une représentation mentale
on va activer les mêmes régions
que celles responsables du mouvement.
Ce sont les réseaux de la préparation, de l'exécution
et du contrôle du mouvement.
On parle d'équivalence fonctionnelle ou neurofonctionnelle
entre réaliser et imaginer.
Et c'est pour cette raison, on le verra,
que le travail mental va être particulièrement efficace.
D'un point de vue un petit peu plus pratique,
de nombreux résultats ont mis en évidence les bénéfices que cela apporte,
en termes de performance ou d'apprentissage, par exemple.
Parmi ces exemples, laissez-moi vous présenter
une étude célèbre qui a été réalisée chez les musiciens.
Les auteurs de ce travail ont mis en évidence
que le fait de s'entraîner mentalement
deux heures par jour pendant cinq jours, sur une séquence de piano
permettait d'arriver à un niveau de performance significativement plus élevé
qu'un groupe contrôle qui faisait une activité neutre de durée équivalente.
Bien sûr, ceux s'entraînant mentalement vont moins progresser
que ceux s'entraînant physiquement.
On peut le voir en comparant les deux courbes du bas sur ce graphique.
Le niveau de performance atteint
par les personnes qui se sont entraînées mentalement
équivaut à peu près au niveau de performance atteint au 3ème jour
par le groupe qui s'est entraîné physiquement.
Le fait de s'entraîner mentalement permet d'atteindre
un niveau de performance au bout de cinq jours qui équivaut
à celui atteint par le groupe s'entraînant physiquement au bout de trois jours.
Ce qui est intéressant dans ce travail,
c'est qu'en rajoutant simplement 2 heures de pratique physique supplémentaires
au groupe qui s'est entraîné mentalement,
alors ils atteignent un niveau de performance strictement équivalent
au groupe qui s'est entraîné au total 10 heures en pratique physique.
Parallèlement, les auteurs ont montré que la représentation
au niveau de la surface corticale -
donc dans le cerveau -
des muscles concernés par le mouvement - les effecteurs de la main,
donc fléchisseurs, extenseurs des doigts -
la taille de ces représentations
augmentait à la surface du cortex,
de la même manière selon qu'on s'entraîne physiquement ou mentalement.
C'est prodigieux.
Ce résultat met en évidence un principe relativement bien connu et d'actualité,
qu'on appelle la plasticité cérébrale, ou neuroplasticité.
C'est-à-dire la capacité étonnante, formidable,
du cerveau à se réorganiser.
Il existe différentes formes de plasticité.
La 1e que je souhaite illustrer
est la plasticité de compensation spontanée,
celle qui se met en oeuvre naturellement, spontanément,
généralement en cas de lésion ou d'immobilisation prolongée.
Dans cette vidéo, vous allez pouvoir identifier
chez un amputé du membre supérieur,
que les régions qui sont initialement dédiées au contrôle de la motricité
et de l'intégration sensorielle des muscles du bras amputé,
se font envahir progressivement
par les régions adjacentes à la surface du cortex moteur.
Cet envahissement, qui traduit ou reflète la plasticité de compensation spontanée,
est souvent au moins partiellement associée
aux terribles douleurs fantômes que vivent ces patients.
Dans une étude relativement célèbre,
chez cette population, il a été mis en évidence
que lorsqu'on demande aux patients de se pincer les lèvres
en même temps qu'on scanne leur activité cérébrale,
ils activent à la fois les régions du cerveau
qui sont responsables ou qui contrôlent la motricité des muscles de la bouche -
ils se pincent les lèvres - mais également des mains,
encore une fois au reflet de cette plasticité de compensation spontanée.
Ce qui est intéressant ici,
c'est qu'après un entraînement mental de quelques jours,
la configuration d'activation change considérablement.
Si on redemande, après le travail mental, à ces personnes de se pincer les lèvres,
alors on a une activation des régions
dédiées au contrôle de la motricité de la bouche, mais plus de la main.
C'est la colonne du milieu.
Et vous pouvez constater, par rapport à la colonne de droite
qui correspond à ce qu'on observe chez des sujets sains,
que ça se rapproche de plus en plus
de la configuration initiale chez ces sujets sains.
Ce tout dernier résultat met en évidence
la seconde forme de plasticité,
celle qui va plus nous intéresser,
qu'on appelle la plasticité activité-dépendante,
c'est-à-dire celle qui est directement induite par un travail,
en l'occurrence physique,
ou, pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, un travail mental.
Cette 2nde forme de plasticité, on la retrouve très fréquemment
chez les sportifs et les musiciens,
puisque c'est elle qui va progressivement caractériser,
façonner, moduler, le cerveau expert.
Dans cette expérience, nous avons demandé
à l'haltérophile français le plus titré, notamment vice-champion olympique à Pékin,
de simuler mentalement son mouvement,
et nous avons enregistré l'activité cérébrale au cours de son travail mental.
Nous avons ensuite comparé ces activations aux configurations obtenues
chez un sportif débutant
qui effectuait le même travail, qui s'imaginait le même mouvement.
Sans rentrer dans le détail des configurations qui sont représentées ici,
ou qui vont apparaître dans cette vidéo,
nous pouvons constater assez facilement
que la modulation des activités, et la mélodie jouée par le système nerveux
est très différente en fonction du niveau d'expertise.
Ça caractérise véritablement le cerveau expert,
cette capacité, grâce à la pratique progressive, de tous les jours,
de construire, réorganiser en permanence,
les connexions des réseaux neuronaux
qui sont responsables des comportements d'intérêt.
Quand on réfléchit un petit peu à tout ça, on se dit
que ce n'est finalement pas très illogique.
Puisque le travail mental, c'est une forme de travail.
Même si on ne pratique pas,
il y a des informations qui vont permettre au cerveau
de renforcer des programmes moteurs ou de les modifier.
Au bout de quelques années de travail sur ce domaine-là,
je suis tombé un jour sur la BD -
vous connaissez tous la BD du Chat, de Philippe Geluck -
je suis tombé sur un schéma qui résumait
tout ce que j'étais en train de faire,
tout ce pourquoi je me cassais la tête.
On avait le Chat qui était posé devant un haltère, qui le regardait
et qui disait :
« Si je soulève cet haltère, je me muscle le biceps,
mais si je pense que je le soulève, je me muscle le cerveau. »
C'est dit un petit peu différemment, mais je me suis dit :
« Il a en fait résumé une bonne partie
de ce que j'essaie d'expliquer de manière un peu plus complexe,
mais c'est exactement ça. »
Moduler le cerveau pour apprendre, améliorer une performance,
on a vu que c'était possible.