08f. La Reine des Neiges. Chapitre 4 : 1ère partie.
Enfin Gerda dut encore se reposer, car elle sentait que ses forces l'abandonnaient, et que, si elle tentait d'aller plus avant, elle allait certainement tomber.
Elle s'assit donc sur une grosse pierre.
Juste en face de l'endroit où elle était assise, sautillait une corneille.
Cette corneille la regarda longtemps, et finit par dire :
– Krrra, krrra, b'jour, b'jour.
Elle ne savait pas mieux s'expliquer, la pauvre bête, mais il était évident qu'elle voulait du bien à la petite fille.
Aussi Gerda lui fit-elle un gentil signe de tête en lui répondant :
– Bonjour, corneille.
Alors, dans son langage toujours, la corneille lui demanda (d') où elle allait et comment elle se trouvait ainsi seule.
La petite Gerda lui raconta toute son histoire et finit par lui demander :
– Corneille, mon amie, n'as-tu pas vu le petit Peters ?
La corneille réfléchit longuement et dit :
– Cela pourrait bien être, cela pourrait bien être.
La petite Gerda prit la corneille et manqua l'étouffer en l'embrassant.
– Je crois, je crois, krrra, fit la corneille, cela pourrait bien être, krrra.
Le petit Peters vit, krrra, mais maintenant il doit t'avoir oubliée pour la princesse. Krrra, krrra, krrra. – Est-ce qu'il demeure chez une princesse ?
demanda Gerda. – Oui, répondit la corneille, mais je parle mal ta langue.
Est-ce que tu ne parles pas la mienne, toi ? – Non, je ne l'ai point apprise, dit tristement la petite Gerda, et cependant j'aurais pu, car ma grand-mère la savait.
– Cela ne fait rien, répondit la corneille, je vais tâcher de parler de mon mieux, écoute.
La petite Gerda rassura la corneille lui disant que si mal qu'elle parlât, elle comprendrait bien certainement ; qu'elle pouvait donc commencer en toute tranquillité.
Et la corneille lui raconta ainsi ce qu'elle savait :
– Dans le royaume où nous sommes à présent, demeure une princesse qui est incroyablement sage et savante.
Mais il faut dire aussi qu'elle est abonnée à tous les journaux qui se publient dans le monde entier. Il est vrai qu'elle a tant d'esprit qu'elle les oublie aussitôt qu'elle les a lus. Elle monta sur le trône à l'âge de dix-huit ans, et quelque temps après on lui entendit chanter une chanson qui commençait par ces mots : Il est temps de me marier.
« Mais la fin de la chanson n'était pas si facile à dire que le commencement, car la princesse ne voulait pas seulement un prince comme il y en a beaucoup, c'est-à-dire qui sache bien porter un bel uniforme, sourire à propos et être toujours de son avis.
« Non ; elle voulait un véritable prince, beau, brave, intelligent, qui pût encourager les arts pendant la paix, se mettre à la tête des armées en cas de guerre ; enfin, elle voulait un prince comme, en regardant sur tous les trônes de la terre, elle n'en voyait pas.
« Mais la princesse ne désespéra point de trouver ce qu'elle désirait, décidée qu'elle était à ne pas s'arrêter à la condition et de choisir, dans quelque rang qu'il fût, un époux digne d'elle.
« Elle fit venir le directeur général de la presse, et les journaux parurent le lendemain entourés d'une guirlande de roses, et annonçant qu'un concours était ouvert pour obtenir la main de la princesse, et que tout jeune homme de bonne mine, âgé de vingt à vingt-cinq ans pouvait se présenter au château, causer avec la princesse, qui accorderait sa main à celui qui lui paraîtrait réunir le plus de qualités intellectuelles et morales.
Tout cela n'était guère probable, et la petite Gerda paraissait douter de la véracité du récit de la corneille, lorsque celle-ci, mettant sa patte sur son cœur :
– Je vous jure, dit-elle, que je ne vous dis que la vérité, ayant appris tous ces détails par une corneille privée qui habite le palais, et qui est ma fiancée.
Du moment où la corneille était renseignée de si bonne source, il n'y avait plus à douter de ce qu'elle disait.
– Les jeunes gens à marier accoururent de tous les côtés du royaume, c'était une foule à ne pas s'y reconnaître, une presse à ne pouvoir passer par les rues, et cependant rien ne réussit, ni le premier, ni le second jour.
Tous parlaient bien et avec beaucoup d'éloquence tant qu'ils n'étaient qu'à la porte du château, mais une fois dans la cour, quand ils voyaient les gardes en uniforme d'argent, qu'après avoir monté les escaliers ils voyaient les laquais en livrée d'or, qu'après avoir traversé les grandes salles illuminées, ils se voyaient droit devant le trône de la princesse, oh ! alors, ils avaient beau chercher, ils ne trouvaient autre chose à dire qu'à répéter le dernier mot de la phrase qu'elle avait prononcée, de sorte que la princesse n'avait pas besoin d'en entendre davantage, et savait du premier coup à quoi s'en tenir sur eux. On eût dit que tous ces gens-là avaient pris un narcotique qui endormait leur esprit, et qu'ils ne retrouvaient la parole qu'une fois hors du palais. Il est vrai qu'une fois là, elle leur revenait surabondamment, tous parlaient à la fois, se répondant les uns aux autres ce qu'ils eussent dû répondre à la princesse, si bien que c'était un caquetage à ne pas s'entendre. Il y avait là toute une rangée de bourgeois imbéciles qui attendaient leur sortie, et qui riaient de leur désappointement. J'y étais, et je riais avec eux de tout mon cœur. – Mais le petit Peters, mais le petit Peters, demanda Gerda, tu ne me parles pas de lui.
– Attends donc, attends donc, dit la corneille, nous y viendrons au petit Peters.
C'était le troisième jour, voilà qu'il vint un petit bonhomme sans voiture, sans cheval, tout joyeux, il marcha droit au château, ses yeux brillaient comme les tiens, il avait de beaux cheveux longs, mais d'ailleurs de pauvres habits. – C'était Peters, c'était Peters, s'écria Gerda dans sa joie, oh !
alors, je l'ai retrouvé. Et dans son contentement, oubliant sa fatigue, elle sautait et frappait des mains.