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Jane Austen - Orgeuil et Préjugé - tome I, Orgeuil et Préjugé - tome I, chapitre 06

Orgeuil et Préjugé - tome I, chapitre 06

CHAPITRE VI.

LES dames de Longbourn se présentèrent chez celles de Metherfield, qui ne tardèrent pas à rendre la visite dans toutes les formes. Les manières attrayantes des Miss Bennet charmèrent de plus en plus Mist. Hurst et Miss Bingley, et quoiqu'on trouvât que la mère étoit intolérable, et qu'on ne pouvoit faire la conversation avec les soeurs cadettes, on exprima cependant le désir de faire plus ample connoissance avec les deux aînées. Elisabeth, qui leur trouvoit toujours beaucoup de hauteur, ne pouvoit les goûter. La préférence qu'elles accordoient à Jane, venoit du sentiment qu'elle avoit inspiré à leur frère ; ce sentiment étoit évident pour tout le monde, et il étoit évident aussi pour Elisabeth que Jane cédoit à l'attrait qu'elle avoit senti pour lui au premier abord ; qu'elle étoit par conséquent au commencement d'une inclination ; mais Elisabeth espéroit que l'on ne s'en doutoit pas, parce que Jane avoit une grande force d'âme, un caractère égal et une constante sérénité qui la garantiroit des soupçons des médisans ; elle en parla à son amie Miss Lucas. — C'est très-bien, répondit Charlotte, de pouvoir en imposer au public, mais c'est quelquefois un désavantage d'être si réservée. Si une femme cache son affection avec le même soin à celui qui en est l'objet, elle peut perdre l'occasion de le fixer, et ce sera alors une bien légère consolation pour elle de penser que le monde est dans la même ignorance que lui. Il entre tant de reconnoissance ou d'amour-propre dans presque tous les attachemens, qu'il n'est pas prudent d'en abandonner un à lui-même, c'est-àdire au seul pouvoir de l'amour. Une légère préférence est assez naturelle, mais il y a peu de gens capables d'aimer vivement sans être payés de retour. Sur dix exemples, il y en a neuf où une femme réussit mieux, en montrant plus de sentiment encore qu'elle n'en éprouve. Bingley distingue votre soeur, il n'y a pas de doute, mais il n'ira pas au-delà de la simple préférence, si elle ne l'encourage pas, en lui laissant voir ce qu'elle éprouve pour lui. — Mais elle l'encouragera autant que son caractère peut le lui permettre, et d'ailleurs, si moi je vois le sentiment qu'elle a pour lui, il faudroit qu'il fût bien simple pour ne pas le découvrir aussi. — Souvenez-vous, Elisa, qu'il ne connoît pas le caractère de votre soeur aussi bien que vous. — Cependant si une femme qui a de l'amour pour un homme ne fait pas tous ses efforts pour le lui cacher, il doit bien enfin s'en apercevoir. — Peut-être s'en apercevra-t-il s'il la voit assez souvent pour pouvoir l'étudier. Mais quoique Jane et M. Bingley se rencontrent fréquemment, ce n'est jamais longtemps de suite, et comme c'est en société, ils ne peuvent pas s'entretenir toujours ensemble. Plus Jane pourra attirer son attention, mieux elle réussira. Lorsqu'elle sera sûre de lui, elle pourra alors l'aimer tant qu'elle voudra. — Votre plan seroit bon, s'écria Elisabeth, s'il ne s'agissoit que d'avoir envie de se marier, et je vous assure que je l'adopterois si je ne voulois qu'épouser un homme riche, ou enfin avoir un mari quelconque. Mais ces idées là n'occupent point Jane. Elle n'a aucun dessein, elle n'est pas même certaine du degré de préférence qu'elle lui accorde, et s'il est fondé. Elle ne le connoît que depuis quinze jours ; elle a dansé à Meryton avec lui ; elle l'a vu en visite à Metherfield, et a dîné trois ou quatre fois avec lui ; ce n'est réellement pas assez pour qu'elle puisse connoître et juger son caractère. — Non pas comme vous présentez la chose, si elle n'avoit fait que dîner avec lui, elle auroit pu seulement découvrir s'il avoit un bon appétit, mais vous oubliez qu'ils ont aussi passé trois ou quatre soirées ensemble, et cela fait beaucoup. — Oui, les quatre soirées les ont mis à même de savoir réciproquement s'ils aiment mieux le commerce que le vingt-et-un ; mais pour ce qui est des traits caractéristiques de l'un et de l'autre, je ne crois pas qu'ils aient été fort développés. — Je souhaite de tout mon coeur, dit Charlotte, que Jane soit heureuse, mais je crois qu'elle auroit autant de chances de bonheur si elle l'épousoit demain que si elle étudioit son caractère pendant un an. Le bonheur dans le mariage est absolument une chose du hasard. Que les deux parties connaissent parfaitement leurs défauts réciproques, et que même d'avance elles soient parfaitement d'accord, cela n'assure pas le moins du monde leur félicité. Les défauts, qui ne sont souvent que de légères différences, vont toujours en augmentant, et deviennent par la suite si opposés qu'ils peuvent occasionner mille désagrémens aux deux époux. Le mieux seroit encore de connoître aussi peu que possible les défauts de la personne avec laquelle on doit passer sa vie. — Vous me faites rire, Charlotte, mais vous ne me persuadez point, vous ne voudriez pas vous-même agir ainsi. » Toute occupée à observer les soins de M. Bingley pour sa soeur, Elisabeth étoit loin de soupçonner qu'elle fût ellemême devenue un objet d'intérêt pour son ami. M. Darcy avoit d'abord eu de la peine à convenir qu'elle fût jolie ; il l'avoit considérée avec indifférence au bal ; depuis lors, il ne l'avoit regardée que pour la critiquer, mais il n'eût pas plutôt prouvé à ses amis qu'il n'y avoit pas un trait de sa physionomie de remarquable, qu'il commença à trouver que la belle expression de ses yeux noirs lui donnoit l'air fort spirituelle ; à cette découverte en succédèrent plusieurs autres également mortifiantes. Quoique l'oeil de la critique lui eût fait voir plus d'un défaut dans la parfaite régularité de sa taille, il étoit forcé de reconnoître que sa tournure étoit svelte et agréable, et en dépit de la décision qu'il avoit prise que ses manières n'étoient pas celles du grand monde, leur grace et leur enjouement le séduisoient. Elle ignoroit complètement tout cela, et il n'étoit encore à ses yeux qu'un homme qui ne se faisoit aimer nulle part, et qui ne l'avoit pas trouvée assez jolie pour la faire danser. Il commença à désirer de la connoître davantage, et afin de parvenir à lui parler, il prenoit part à la conversation qu'elle avoit avec les autres. Ces avances attirèrent enfin son attention, c'étoit chez sir Williams Lucas où il y avoit beaucoup de monde. « À quoi pensoit M. Darcy, disoit-elle à Charlotte, d'écouter ainsi ma conversation avec le colonel Forster ? — C'est une question à laquelle M. Darcy peut seul répondre. — S'il recommence encore, je lui laisserai voir ce que je pense. Il a un regard très-satyrique, si je ne commence par être impertinente moi-même, je finirois par avoir peur de lui. Il se rapprocha d'elle peu de momens après, sans paroître avoir l'intention d'entrer en conversation. Miss Lucas défia alors son amie d'oser lui parler, ce qui provoqua Elisabeth, elle se retourna, et lui dit : — Ne pensez-vous pas, Monsieur Darcy, que je parlois fort bien lorsque je tourmentois le colonel Forster pour qu'il nous donnât un bal à Meryton ? — Du moins, avec beaucoup de chaleur, c'est un sujet sur lequel les jeunes dames sont toujours très-pressantes. — Vous êtes sévère pour nous. Ce sera bientôt son tour d'être attaquée, pensa Miss Lucas. — Je vais ouvrir le piano, Elisa, et vous savez ce qui en arrivera. — Vous êtes une singulière créature, sous l'apparence d'une amie ! toujours me faire jouer et chanter devant tout le monde ! si ma vanité s'étoit tournée du côté de la musique, vous auriez été inappréciable ! mais j'aimerois mieux ne pas en faire devant des gens qui sont accoutumés à entendre les artistes les plus distingués. Cependant Miss Lucas persistant, elle ajouta : Allons, puisque vous le voulez, il le faut. Son exécution étoit agréable quoique peu brillante ; après un ou deux morceaux de chant, et avant qu'elle eût eu le temps de répondre aux sollicitations des personnes qui désiroient l'entendre encore, elle fut remplacée au piano avec empressement par sa soeur Mary, qui ayant le plus travaillé pour acquérir des talens et de l'instruction, étoit toujours impatiente de les montrer. Mary n'avoit ni dispositions, ni génie, et la vanité qui lui avoit donné beaucoup d'application, lui avoit donné aussi un air pédant et satisfait qui auroit nui à de plus grands talens que les siens. Elisabeth, sans affectation, sans prétentions, avoit été écoutée avec beaucoup de plaisir, quoiqu'elle fût loin d'être aussi forte que sa soeur. Après un long concerto, Mary fut charmée d'avoir à mériter de nouveaux éloges, et joua des airs irlandais et écossais à la demande de ses soeurs cadettes, qui avec les Miss Lucas et quelques officiers, se mirent à danser dans le fond du salon. M. Darcy étoit dans une muette indignation de cette manière de passer la soirée qui excluoit toute espèce de conversation. Il étoit trop occupé par ses réflexions pour faire attention à sir Williams Lucas qui étoit près de lui ; jusqu'à ce qu'enfin ce dernier lui adressa la parole. — Quel charmant amusement pour les jeunes gens, Monsieur Darcy ! Après tout, il n'y a rien comme la danse ; je la considère comme un des premiers degrés de la civilisation dans les sociétés policées. — Certainement, Monsieur, elle a aussi l'avantage d'être fort en usage dans les sociétés les moins policées. Les sauvages dansent aussi. Sir Williams sourit légèrement. — Vos amis dansent à ravir. Après une courte pause, voyant Bingley se joindre au groupe des danseurs : je ne doute pas, M. Darcy, que vous ne soyez vous-même adepte dans cet art ? — Vous m'avez vu danser à Meryton, je crois, Monsieur. — Oui, en vérité, et ce spectacle m'a procuré un plaisir infini ! Vous dansiez souvent à St.-James sûrement ? — Jamais, Monsieur. — Ne pensez-vous cependant pas que ce seroit honorer à la cour ? — C'est un honneur que je ne fais nulle part, lorsque je puis m'en dispenser. — Vous avez une maison à Londres, je suppose ? M. Darcy s'inclina. — J'avois eu une fois l'idée de m'établir à Londres ; j'aime passionément la bonne société, mais je n'étois pas sûr que cet air-là convînt à la santé de Lady Lucas. Il s'arrêta pour attendre une réponse, mais son interlocuteur n'étois pas disposé à lui en faire une. Dans ce moment, Elisabeth passoit près d'eux. Sir Williams, enchanté de l'idée de faire une chose qu'il croyoit trèspolie, l'arrêta, et lui dit : ma chère Miss Elisa, pourquoi ne dansez-vous pas ? M. Darcy, vous me permettrez de vous présenter cette jeune dame, comme un partner fort agréable ; vous ne pouvez me refuser de danser, quand la beauté est devant vous ; et prenant la main d'Elisabeth, il vouloit la donner à Darcy, qui quoiqu'extrêmement surpris, ne la recevoit pas sans plaisir, lorsqu'elle la retira brusquement et dit à sir Williams : En vérité, Monsieur, je n'ai pas le moindre désir de danser, et je ne venois point vous demander un partner. M. Darcy lui demanda alors d'un air fort sérieux de lui faire l'honneur de danser avec lui, mais ce fut en vain ; Elisabeth étoit décidée, et Sir Williams, malgré tous ses efforts, ne put parvenir à ébranler sa résolution. — Vous dansez si bien, miss Elisa ! il est cruel de me refuser le plaisir de vous voir ! Quoique M. Darcy n'aime pas cet exercice, il ne feroit aucune difficulté de nous obliger pendant une demi heure. — M. Darcy est rempli de politesse, dit Elisabeth en souriant. — C'est vrai, mais en reconnoissant le motif qui le feroit agir, nous ne pourrions pas nous étonner de sa complaisance ; car, qui pourroit refuser une telle danseuse ! Elisabeth lança un regard malin sur M. Darcy, et s'en fut. Sa résistance ne lui avoit point fait de tort dans l'esprit de M. Darcy, il pensoit à elle avec complaisance, lorsqu'il fut abordé par Miss Bingley. — Je parie que j'ai deviné le sujet de votre rêverie ? — Je ne le crois pas. — Vous pensez combien il seroit insupportable de passer plusieurs soirées de cette manière, et dans une pareille société. Je suis tout-à-fait de votre avis, jamais je n'ai été plus fatiguée, plus ennuyée, du bruit, de la nullité, et cependant de l'importance de tous les gens. Combien je donnerois pour entendre vos observations sur eux ! — Votre conjecture est entièrement fausse, je vous assure ; mon esprit étoit plus agréablement occupé. Je réfléchissois sur le plaisir que peuvent faire deux beaux yeux qui parent la figure d'une jolie femme. Miss Bingley fixa les siens sur lui et le pria de vouloir bien lui dire qu'elle étoit la dame qui avoit le bonheur de lui inspirer de telles réflexions. — Miss Elisabeth Bennet. — Miss Elisabeth Bennet ! s'écria Miss Bingley, je suis stupéfaite. Y a-t-il longtemps qu'elle est votre favorite ? Quand pourrai-je vous faire mon compliment, je vous prie ? — C'est absolument la question que je pensois que vous me feriez. L'imagination des femmes est si prompte ; qu'elle s'élance de l'admiration à l'amour, et de l'amour au mariage ; en un instant ; je savois que vous me féliciteriez. — Mais vraiment si vous parliez sérieusement je regarderois la chose comme arrangée. Vous aurez une charmante belle-mère ! Je pense qu'elle demeurera toujours à Pimberley avec vous ? Il l'écoutoit avec une parfaite indifférence, pendant qu'elle s'amusoit à parler ainsi : tranquilisée par son air calme qui lui persuadoit qu'il n'y avoit rien de réel dans cette plaisanterie, elle continua à déployer son esprit sur ce sujet.


Orgeuil et Préjugé - tome I, chapitre 06 Orgeuil et Préjugé - tome I, chapter 06

CHAPITRE VI.

LES dames de Longbourn se présentèrent chez celles de Metherfield, qui ne tardèrent pas à rendre la visite dans toutes les formes. THE ladies of Longbourn presented themselves to those of Metherfield, who were not long in returning the visit in every form. Les manières attrayantes des Miss Bennet charmèrent de plus en plus Mist. The attractive manners of the Miss Bennets increasingly charmed Mist. Hurst et Miss Bingley, et quoiqu'on trouvât que la mère étoit intolérable, et qu'on ne pouvoit faire la conversation avec les soeurs cadettes, on exprima cependant le désir de faire plus ample connoissance avec les deux aînées. Elisabeth, qui leur trouvoit toujours beaucoup de hauteur, ne pouvoit les goûter. Elisabeth, who always found them very lofty, could not taste them. La préférence qu'elles accordoient à Jane, venoit du sentiment qu'elle avoit inspiré à leur frère ; ce sentiment étoit évident pour tout le monde, et il étoit évident aussi pour Elisabeth que Jane cédoit à l'attrait qu'elle avoit senti pour lui au premier abord ; qu'elle étoit par conséquent au commencement d'une inclination ; mais Elisabeth espéroit que l'on ne s'en doutoit pas, parce que Jane avoit une grande force d'âme, un caractère égal et une constante sérénité qui la garantiroit des soupçons des médisans ; elle en parla à son amie Miss Lucas. — C'est très-bien, répondit Charlotte, de pouvoir en imposer au public, mais c'est quelquefois un désavantage d'être si réservée. "It is very good," replied Charlotte, "to be able to impress the public, but it is sometimes a disadvantage to be so reserved." Si une femme cache son affection avec le même soin à celui qui en est l'objet, elle peut perdre l'occasion de le fixer, et ce sera alors une bien légère consolation pour elle de penser que le monde est dans la même ignorance que lui. If a woman hides her affection with the same care from the one who is the object of it, she may lose the opportunity to fix it, and it will then be a very small consolation to her to think that the world is in the same ignorance as him. Il entre tant de reconnoissance ou d'amour-propre dans presque tous les attachemens, qu'il n'est pas prudent d'en abandonner un à lui-même, c'est-àdire au seul pouvoir de l'amour. There is so much gratitude or self-esteem in almost all attachments that it is not prudent to abandon one to itself, that is to say, to the sole power of love. Une légère préférence est assez naturelle, mais il y a peu de gens capables d'aimer vivement sans être payés de retour. A slight preference is natural enough, but there are few people capable of loving deeply without being reciprocated. Sur dix exemples, il y en a neuf où une femme réussit mieux, en montrant plus de sentiment encore qu'elle n'en éprouve. Out of ten examples, there are nine in which a woman succeeds better, by showing even more feeling than she experiences. Bingley distingue votre soeur, il n'y a pas de doute, mais il n'ira pas au-delà de la simple préférence, si elle ne l'encourage pas, en lui laissant voir ce qu'elle éprouve pour lui. Bingley singles out your sister, no doubt, but he won't go beyond mere preference if she doesn't encourage him, letting him see what she feels for him. — Mais elle l'encouragera autant que son caractère peut le lui permettre, et d'ailleurs, si moi je vois le sentiment qu'elle a pour lui, il faudroit qu'il fût bien simple pour ne pas le découvrir aussi. "But she will encourage him as much as her character will allow, and besides, if I see the feeling she has for him, he would have to be very simple not to discover it too." — Souvenez-vous, Elisa, qu'il ne connoît pas le caractère de votre soeur aussi bien que vous. “Remember, Elisa, he doesn't know your sister's character as well as you do. — Cependant si une femme qui a de l'amour pour un homme ne fait pas tous ses efforts pour le lui cacher, il doit bien enfin s'en apercevoir. "However, if a woman who has love for a man does not make every effort to hide it from him, he must finally notice it." — Peut-être s'en apercevra-t-il s'il la voit assez souvent pour pouvoir l'étudier. “Perhaps he will notice if he sees her often enough to study her. Mais quoique Jane et M. Bingley se rencontrent fréquemment, ce n'est jamais longtemps de suite, et comme c'est en société, ils ne peuvent pas s'entretenir toujours ensemble. But though Jane and Mr. Bingley meet frequently, it is never long together, and as it is social, they cannot always talk together. Plus Jane pourra attirer son attention, mieux elle réussira. The more Jane can get his attention, the better off she will be. Lorsqu'elle sera sûre de lui, elle pourra alors l'aimer tant qu'elle voudra. When she is sure of him, she can then love him as much as she wants. — Votre plan seroit bon, s'écria Elisabeth, s'il ne s'agissoit que d'avoir envie de se marier, et je vous assure que je l'adopterois si je ne voulois qu'épouser un homme riche, ou enfin avoir un mari quelconque. "Your plan would be good," cried Elisabeth, "if it were only a question of wanting to marry, and I assure you that I would adopt it if I only wanted to marry a rich man, or finally to have any husband. Mais ces idées là n'occupent point Jane. But these ideas do not occupy Jane. Elle n'a aucun dessein, elle n'est pas même certaine du degré de préférence qu'elle lui accorde, et s'il est fondé. She has no design, she is not even certain of the degree of preference she gives him, and whether it is justified. Elle ne le connoît que depuis quinze jours ; elle a dansé à Meryton avec lui ; elle l'a vu en visite à Metherfield, et a dîné trois ou quatre fois avec lui ; ce n'est réellement pas assez pour qu'elle puisse connoître et juger son caractère. She has only known him for a fortnight; she danced at Meryton with him; she saw him on a visit to Metherfield, and dined with him three or four times; it is really not enough for her to know and judge his character. — Non pas comme vous présentez la chose, si elle n'avoit fait que dîner avec lui, elle auroit pu seulement découvrir s'il avoit un bon appétit, mais vous oubliez qu'ils ont aussi passé trois ou quatre soirées ensemble, et cela fait beaucoup. "Not as you present it, if she had only dined with him, she could only have found out if he had a good appetite, but you forget that they also spent three or four evenings together, and that does a lot. — Oui, les quatre soirées les ont mis à même de savoir réciproquement s'ils aiment mieux le commerce que le vingt-et-un ; mais pour ce qui est des traits caractéristiques de l'un et de l'autre, je ne crois pas qu'ils aient été fort développés. — Je souhaite de tout mon coeur, dit Charlotte, que Jane soit heureuse, mais je crois qu'elle auroit autant de chances de bonheur si elle l'épousoit demain que si elle étudioit son caractère pendant un an. Le bonheur dans le mariage est absolument une chose du hasard. Que les deux parties connaissent parfaitement leurs défauts réciproques, et que même d'avance elles soient parfaitement d'accord, cela n'assure pas le moins du monde leur félicité. That the two parties are perfectly aware of their reciprocal faults, and that even in advance they are perfectly in agreement, does not assure their happiness in the least. Les défauts, qui ne sont souvent que de légères différences, vont toujours en augmentant, et deviennent par la suite si opposés qu'ils peuvent occasionner mille désagrémens aux deux époux. The faults, which are often only slight differences, always go on increasing, and afterwards become so opposite that they can cause a thousand disagreements to the two spouses. Le mieux seroit encore de connoître aussi peu que possible les défauts de la personne avec laquelle on doit passer sa vie. — Vous me faites rire, Charlotte, mais vous ne me persuadez point, vous ne voudriez pas vous-même agir ainsi. » Toute occupée à observer les soins de M. Bingley pour sa soeur, Elisabeth étoit loin de soupçonner qu'elle fût ellemême devenue un objet d'intérêt pour son ami. M. Darcy avoit d'abord eu de la peine à convenir qu'elle fût jolie ; il l'avoit considérée avec indifférence au bal ; depuis lors, il ne l'avoit regardée que pour la critiquer, mais il n'eût pas plutôt prouvé à ses amis qu'il n'y avoit pas un trait de sa physionomie de remarquable, qu'il commença à trouver que la belle expression de ses yeux noirs lui donnoit l'air fort spirituelle ; à cette découverte en succédèrent plusieurs autres également mortifiantes. Quoique l'oeil de la critique lui eût fait voir plus d'un défaut dans la parfaite régularité de sa taille, il étoit forcé de reconnoître que sa tournure étoit svelte et agréable, et en dépit de la décision qu'il avoit prise que ses manières n'étoient pas celles du grand monde, leur grace et leur enjouement le séduisoient. Elle ignoroit complètement tout cela, et il n'étoit encore à ses yeux qu'un homme qui ne se faisoit aimer nulle part, et qui ne l'avoit pas trouvée assez jolie pour la faire danser. Il commença à désirer de la connoître davantage, et afin de parvenir à lui parler, il prenoit part à la conversation qu'elle avoit avec les autres. Ces avances attirèrent enfin son attention, c'étoit chez sir Williams Lucas où il y avoit beaucoup de monde. « À quoi pensoit M. Darcy, disoit-elle à Charlotte, d'écouter ainsi ma conversation avec le colonel Forster ? — C'est une question à laquelle M. Darcy peut seul répondre. — S'il recommence encore, je lui laisserai voir ce que je pense. Il a un regard très-satyrique, si je ne commence par être impertinente moi-même, je finirois par avoir peur de lui. Il se rapprocha d'elle peu de momens après, sans paroître avoir l'intention d'entrer en conversation. Miss Lucas défia alors son amie d'oser lui parler, ce qui provoqua Elisabeth, elle se retourna, et lui dit : — Ne pensez-vous pas, Monsieur Darcy, que je parlois fort bien lorsque je tourmentois le colonel Forster pour qu'il nous donnât un bal à Meryton ? — Du moins, avec beaucoup de chaleur, c'est un sujet sur lequel les jeunes dames sont toujours très-pressantes. — Vous êtes sévère pour nous. Ce sera bientôt son tour d'être attaquée, pensa Miss Lucas. — Je vais ouvrir le piano, Elisa, et vous savez ce qui en arrivera. — Vous êtes une singulière créature, sous l'apparence d'une amie ! toujours me faire jouer et chanter devant tout le monde ! si ma vanité s'étoit tournée du côté de la musique, vous auriez été inappréciable ! mais j'aimerois mieux ne pas en faire devant des gens qui sont accoutumés à entendre les artistes les plus distingués. Cependant Miss Lucas persistant, elle ajouta : Allons, puisque vous le voulez, il le faut. Son exécution étoit agréable quoique peu brillante ; après un ou deux morceaux de chant, et avant qu'elle eût eu le temps de répondre aux sollicitations des personnes qui désiroient l'entendre encore, elle fut remplacée au piano avec empressement par sa soeur Mary, qui ayant le plus travaillé pour acquérir des talens et de l'instruction, étoit toujours impatiente de les montrer. Mary n'avoit ni dispositions, ni génie, et la vanité qui lui avoit donné beaucoup d'application, lui avoit donné aussi un air pédant et satisfait qui auroit nui à de plus grands talens que les siens. Mary had neither disposition nor genius, and the vanity which had given her great application, had also given her a pedantic and self-satisfied air which would have harmed greater talents than hers. Elisabeth, sans affectation, sans prétentions, avoit été écoutée avec beaucoup de plaisir, quoiqu'elle fût loin d'être aussi forte que sa soeur. Elisabeth, without affectation, without pretensions, had been listened to with great pleasure, although she was far from being as strong as her sister. Après un long concerto, Mary fut charmée d'avoir à mériter de nouveaux éloges, et joua des airs irlandais et écossais à la demande de ses soeurs cadettes, qui avec les Miss Lucas et quelques officiers, se mirent à danser dans le fond du salon. M. Darcy étoit dans une muette indignation de cette manière de passer la soirée qui excluoit toute espèce de conversation. Mr. Darcy was mutely indignant at this way of passing the evening, which excluded all kind of conversation. Il étoit trop occupé par ses réflexions pour faire attention à sir Williams Lucas qui étoit près de lui ; jusqu'à ce qu'enfin ce dernier lui adressa la parole. — Quel charmant amusement pour les jeunes gens, Monsieur Darcy ! Après tout, il n'y a rien comme la danse ; je la considère comme un des premiers degrés de la civilisation dans les sociétés policées. — Certainement, Monsieur, elle a aussi l'avantage d'être fort en usage dans les sociétés les moins policées. "Certainly, sir, it also has the advantage of being widely used in less civilized societies." Les sauvages dansent aussi. Sir Williams sourit légèrement. — Vos amis dansent à ravir. Après une courte pause, voyant Bingley se joindre au groupe des danseurs : je ne doute pas, M. Darcy, que vous ne soyez vous-même adepte dans cet art ? After a short pause, seeing Bingley join the group of dancers: I have no doubt, Mr. Darcy, that you are adept in this art yourself? — Vous m'avez vu danser à Meryton, je crois, Monsieur. 'You saw me dancing at Meryton, I believe, sir. — Oui, en vérité, et ce spectacle m'a procuré un plaisir infini ! - Yes, in truth, and this show gave me infinite pleasure! Vous dansiez souvent à St.-James sûrement ? Surely you often danced in St. James? — Jamais, Monsieur. — Ne pensez-vous cependant pas que ce seroit honorer à la cour ? "Do you not think, however, that it would be honor at court?" — C'est un honneur que je ne fais nulle part, lorsque je puis m'en dispenser. "It's an honor that I do nowhere, when I can dispense with it." — Vous avez une maison à Londres, je suppose ? M. Darcy s'inclina. — J'avois eu une fois l'idée de m'établir à Londres ; j'aime passionément la bonne société, mais je n'étois pas sûr que cet air-là convînt à la santé de Lady Lucas. “I once had the idea of settling in London; I am passionately fond of good society, but I was not sure that such an air suited Lady Lucas's health. Il s'arrêta pour attendre une réponse, mais son interlocuteur n'étois pas disposé à lui en faire une. He paused to wait for an answer, but his interlocutor was unwilling to give him one. Dans ce moment, Elisabeth passoit près d'eux. Sir Williams, enchanté de l'idée de faire une chose qu'il croyoit trèspolie, l'arrêta, et lui dit : ma chère Miss Elisa, pourquoi ne dansez-vous pas ? M. Darcy, vous me permettrez de vous présenter cette jeune dame, comme un partner fort agréable ; vous ne pouvez me refuser de danser, quand la beauté est devant vous ; et prenant la main d'Elisabeth, il vouloit la donner à Darcy, qui quoiqu'extrêmement surpris, ne la recevoit pas sans plaisir, lorsqu'elle la retira brusquement et dit à sir Williams : En vérité, Monsieur, je n'ai pas le moindre désir de danser, et je ne venois point vous demander un partner. M. Darcy lui demanda alors d'un air fort sérieux de lui faire l'honneur de danser avec lui, mais ce fut en vain ; Elisabeth étoit décidée, et Sir Williams, malgré tous ses efforts, ne put parvenir à ébranler sa résolution. — Vous dansez si bien, miss Elisa ! il est cruel de me refuser le plaisir de vous voir ! it is cruel to deny me the pleasure of seeing you! Quoique M. Darcy n'aime pas cet exercice, il ne feroit aucune difficulté de nous obliger pendant une demi heure. Although Mr. Darcy does not like this exercise, he would have no difficulty in obliging us for half an hour. — M. Darcy est rempli de politesse, dit Elisabeth en souriant. — C'est vrai, mais en reconnoissant le motif qui le feroit agir, nous ne pourrions pas nous étonner de sa complaisance ; car, qui pourroit refuser une telle danseuse ! — It is true, but recognizing the motive which would make him act, we could not be surprised at his complaisance; for who could refuse such a dancer! Elisabeth lança un regard malin sur M. Darcy, et s'en fut. Sa résistance ne lui avoit point fait de tort dans l'esprit de M. Darcy, il pensoit à elle avec complaisance, lorsqu'il fut abordé par Miss Bingley. Her resistance had done her no harm in Mr. Darcy's mind, he was thinking of her with complacency, when he was accosted by Miss Bingley. — Je parie que j'ai deviné le sujet de votre rêverie ? — Je ne le crois pas. — Vous pensez combien il seroit insupportable de passer plusieurs soirées de cette manière, et dans une pareille société. Je suis tout-à-fait de votre avis, jamais je n'ai été plus fatiguée, plus ennuyée, du bruit, de la nullité, et cependant de l'importance de tous les gens. I am entirely of your opinion, never have I been more tired, more bored, by the noise, by the worthlessness, and yet by the importance of all people. Combien je donnerois pour entendre vos observations sur eux ! How much I would give to hear your observations on them! — Votre conjecture est entièrement fausse, je vous assure ; mon esprit étoit plus agréablement occupé. Je réfléchissois sur le plaisir que peuvent faire deux beaux yeux qui parent la figure d'une jolie femme. I reflected on the pleasure two beautiful eyes can give to the face of a pretty woman. Miss Bingley fixa les siens sur lui et le pria de vouloir bien lui dire qu'elle étoit la dame qui avoit le bonheur de lui inspirer de telles réflexions. — Miss Elisabeth Bennet. — Miss Elisabeth Bennet ! s'écria Miss Bingley, je suis stupéfaite. Y a-t-il longtemps qu'elle est votre favorite ? Quand pourrai-je vous faire mon compliment, je vous prie ? When can I pay you my compliment, please? — C'est absolument la question que je pensois que vous me feriez. "That's absolutely the question I thought you would ask me." L'imagination des femmes est si prompte ; qu'elle s'élance de l'admiration à l'amour, et de l'amour au mariage ; en un instant ; je savois que vous me féliciteriez. The imagination of women is so quick; let it soar from admiration to love, and from love to marriage; in an instant ; I know you would congratulate me. — Mais vraiment si vous parliez sérieusement je regarderois la chose comme arrangée. - But really if you were to speak seriously I would regard the matter as settled. Vous aurez une charmante belle-mère ! You will have a charming mother-in-law! Je pense qu'elle demeurera toujours à Pimberley avec vous ? Il l'écoutoit avec une parfaite indifférence, pendant qu'elle s'amusoit à parler ainsi : tranquilisée par son air calme qui lui persuadoit qu'il n'y avoit rien de réel dans cette plaisanterie, elle continua à déployer son esprit sur ce sujet.