Les origines de la Grande Muraille de Chine (1)
Mes chers camarades, bien le bonjour ! Dans notre imaginaire collectif,
la Grande Muraille de Chine est un immense mur fortifié en pierre, d'un seul tenant sur
plusieurs milliers de kilomètres, et construit par les Chinois pour se défendre face à des invasions
barbares. Et les théories les plus loufoques vont jusqu'à affirmer qu'on peut la voir
depuis la Lune. Même si c'est faux, ça montre quand même bien l'importance qu'on lui donne,
et à quel point on la voit comme un ouvrage massif. Dans cette vidéo on va voir ensemble ce
qu'est en réalité ce que nous, Occidentaux, appelons la « Grande Muraille de Chine ».
Pour commencer, un petit point d'étymologie, parce qu'aussi étonnant que cela puisse paraître, , ce
nom même de « Grande muraille » n'existe pas tel quel dans les textes chinois anciens. Les Chinois
parlent de Sai “frontière fortifiée”, puis, plus récemment de « Changcheng » , « chang » poour «
long » et « cheng » signifiant « ville fortifié ». En occident, certains textes de l'antiquité
mentionnent un long mur qui enferme le peuple des Sères. A la base, le terme “Grande Muraille” est
en fait une traduction littérale proposée par les voyageurs Européens qui vivaient en Chine au cours
de la dynastie des Ming et des Qing. Et c'est dans ces rapports envoyés dans les cours Européennes,
que le mot “Grande Muraille” va commencer à se faire connaître. Pour le sinologue français Guy
Boiron, l'expression de « Longues Fortifications » serait la meilleure traduction et la plus
correcte : elle est plus proche du sens du mot chinois, et correspond aussi mieux à la réalité
de ce qu'est la Grande Muraille de Chine. On pourrait même proposer une autre traduction qui se
rapproche un peu plus, celle de “Cités fortifiées étendues”, puisqu'on va le voir, cette grande
muraille est en réalité une ligne de forteresses connectées entre elles par un mur fortifié.
Bref, on n'a pas fini de se prendre le chou sur la meilleure traduction possible mais vous
voyez l'idée ! Pour des raisons pratiques, on continuera donc de parler de “Grande Muraille”
dans l'épisode. .
Il y a un autre truc que l'on va utiliser par commodité dans cet épisode et il faut le dire
direct : le terme “Chinois”. Le problème avec ce terme c'est qu'il est totalement
anachronique au début de la construction de la Grande Muraille. Si vous voulez,
c'est comme parler des Gaulois en imaginant qu'il existe une structure politique centrale,
qu'ils sont tous unis comme un seul. Ce qui n'est pas le cas. Sur le territoire chinois actuel,
les royaumes sont tous influencés par d'autres cultures et il faut attendre l'unification des
royaumes en 221 av. J.-C., puis surtout celle des Han, pour que le mot "chinois" prenne un sens
différent. Mais c'est clairement plus pratique dans le cadre de cette vidéo de vulgarisation.
Voilà, on a mis tous les warnings, on peut y aller et commencer à examiner
un peu plus cette Grande Muraille et son évolution à travers l'Histoire de la Chine.
Allez, c'est parti ! La première question que l'on
peut se poser est celle de la place de la Muraille de Chine dans l'histoire chinoise : quand a-t-elle
été construite ? Et la réponse à cette première question vient déjà casser un bon gros cliché,
celui qui veut que la Grande Muraille ait été construite d'un seul tenant, sur une période
peut-être longue mais continue, sans interruption. En réalité les Chinois ont construit des Longues
Fortifications sur une très longue période remontant même avant l'âge du fer, au Ve
siècle avant notre ère, jusqu'à la dynastie Qing, qui prend la tête de l'Empire au début du XVIIe
siècle. Sur autant de de temps, on utilise plein de techniques de construction différentes, à des
endroits différents, dans des contextes politiques différents, avec des objectifs différents.
Bref, beaucoup de “différents” ! Et y'a même des périodes de plusieurs siècles pendant lesquelles
les chinois ne construisent aucun grand mur ! Les morceaux les plus anciens de la Grande Muraille
ont donc été bâtis, d'après les dernières données archéologiques à notre disposition,
aux alentours du VIIe siècle avant notre ère. Elles sont déjà dotées d'un mur, d'un fossé, de
tours et d'autres bâtiments, destinés par exemple à accueillir des soldats en garnison. Elles
s'étendent sur des centaines de kilomètres mais à cette époque il n'est pas encore question de
fortifications en pierre ou en brique, les Chinois utilisent alors une autre technique : celle du
pisé, c'est-à-dire qu'on construit en terre, tassée grâce à un cadre de bois ou de bambou.
Cette technique de construction en terre est restée utilisée très longtemps par les Chinois
pour construire ces murs et pour plusieurs raisons. La terre est facile à travailler,
elle ne demande pas de travailleurs qualifiés et en l'employant on construit très vite ces murs qui
font plusieurs centaines de kilomètres, grâce à une main-d'œuvre nombreuse.
Bien sûr, il y a aussi des désavantages : la terre est vulnérable face à l'érosion,
à la dégradation par l'eau de pluie et aux animaux, comme les rongeurs ou les oiseaux.
En tout cas, même si cette technique paraît rudimentaire à première vue, de nombreux
vestiges de ces murs ont été retrouvés, preuve qu'ils ont pu traverser le temps. Faut dire que
la solidité de ces lignes reposent aussi sur l'épaisseur des blocs de pisés, qui peuvent
aller jusqu'à 10 m au sol. Une belle bête ! Une autre idée reçue qu'il faut aussi tout
de suite rejeter est celle que ces murs auraient été, dès le départ,
construits pour repousser avant tout les attaques des puissances de la steppe,
les nomades dans le Nord de la Chine. Pour y voir plus clair, il faut s'intéresser un
peu au contexte de création de ces murs. A partir du 1er siècle avant notre ère,
la dynastie des Han vont tenter de construire une histoire où les peuples
des steppes sont des sociétés barbares contre lesquelles il faut se protéger.
On pourrait dire qu'ils nous ont fait une Trump avec son mur anti-mexicain quoi !
Pour autant, chinois et puissances de la Steppe cohabitaient, en particulier dans le
Nord de la Chine, et des dynasties étrangères ont régulièrement régné sur les Chinois. Sous le règne
de la dynastie Zhou, de -1045 à -256, on assiste à un affaiblissement progressif du pouvoir royal.
Leurs royaumes vassaux, qu'on appelle les Guo, gagnent en autonomie et finissent même par entrer
en guerre, pendant plus de 500 ans, les uns contre les autres. C'est au cours de ces guerres entre
vassaux des Zhou qu'apparaissent, au VIIe siècle avant notre ère, les premiers bouts de cette
Grande Muraille. Même si les peuples des steppes ont un rôle dans les jeux d'alliance de l'époque,
ce sont donc avant tout des guerres entre chinois. La Grande Muraille a donc d'abord été utilisée par
les chinois pour lutter contre d'autres chinois ! Prenons un petit exemple pour être plus concret.
L'État de Chu est un de ces Guo, un royaume vassal, dont la capitale est proche de
l'actuelle Jingzhou, dans le Hubei. Au début du VIIe siècle avant notre ère,
il est dirigé par le roi Wen, qui est en guerre avec ses voisins chinois,
évidemment. C'est lui qui aurait construit le premier morceau de la Grande Muraille en
-684. Elle était appelée « fangcheng » ou « grande muraille carrée ». Perchée au sommet des collines,
elle faisait à peu près 500 kilomètres, était en terre battue et en forme de fer à cheval, ouvert
vers le sud. Il y a d'ailleurs débat entre les historiens pour savoir si ce mur était défensif
ou, au contraire, offensif. Il aurait surtout été destiné à se protéger de la puissance des Qin,
prenant de plus en plus de place dans le jeu de pouvoir des royaumes. Au fur et à mesure de
l'essor des Qin au temps des Royaumes Combattants, entre le Ve et le IIIe siècle avant notre ère,
le mur est progressivement consolidé. Mais ce n'est pas le seul exemple de murs
de cette période. Il y en a d'autres, certains défensifs, comme celui du petit État de Zhongshan,
qui le construit à ses frontières en 369 avant notre ère. Mais il subit plusieurs invasions et
finit par disparaître dans les premières années du IIIe siècle avant notre ère.
Mais au-delà de l'aspect militaire, on a aussi d'autres utilisations du mur qui se développent
et auxquelles on aurait pas pensé directement ! Exemple avec le mur construit par le roi Xian de
Qi, qui régnait, de -455 à -405 avant notre ère sur un territoire à peu près équivalent à celui
de l'actuel Shandong. Selon les auteurs chinois de l'Antiquité, son mur aurait été construit
pour défendre son royaume très riche contre ses voisins, notamment les Chu. Mais, en réalité,
les Chu n'étaient pas les voisins directs des Qi. Le mur aurait alors pu servir, en plus d'un usage
militaire, à contrôler la contrebande du sel, qui était la principale ressource du royaume.
On a dit tout à l'heure que les chinois avaient construit ces bouts de murailles
surtout pour se protéger entre eux et pas forcément contre les peuples des steppes. Il
existe aussi des murs construits “contre” eux mais pas tant pour se défendre des invasions.
En réalité c'était plutôt pour consolider des conquêtes faites sur ces territoires.
C'est par exemple le cas des royaume Yan, Zhao ou encore Qin au tournant des IVe et
IIIe siècles avant notre ère : après une conquête sur les puissances de la Steppe au Nord de leurs
territoires respectifs, ils construisent des Longues Fortifications pour appuyer leur conquête
et protéger les populations chinoises qu'ils implantent sur place. À la fin de cette période,
que l'historiographie traditionnelle nomme les « Royaumes Combattants » de -475 à -221,
la dynastie Zhou, qui jusque là dominait un peu le jeu, n'a plus qu'une autorité morale symbolique,
et son dernier roi meurt en -256. En -221, après une série de guerre, le roi de l'État de Qin,
Qin Shi Huang, parvient à unifier les royaumes chinois sous son autorité. Il fonde le premier
empire chinois et en devient le premier empereur. Une fois son empire unifié, la guerre reprend
pourtant, en -215 et -214 cette fois contre les Xiong'nu. Les Xiong'nu, c'est une confédération
de peuples des steppes mongoles qui se réunissent sous la puissance d'un Shanyu (comme dans Mulan,
sauf que Shanyu est un titre, comme “Khan”, mais pas un prénom!). Le roi chinois remporte
des succès importants dans ses conquêtes et il fait construire une nouvelle ligne
de fortifications pour protéger ses nouveaux territoires, qu'il fait peupler en installant
des condamnés. En -213 il fait aussi construire une Longue Fortification au Sud du Fleuve bleu.
C'est notamment Meng Tian, un général et architecte militaire assez connu en Chine
jusqu'à aujourd'hui, qui est le principal responsable du détournement des différentes
lignes défensives construites par les différents royaumes, pour en faire une ligne unique tournée
vers le nord. Cette muraille est restée particulièrement célèbre et importante
dans l'histoire et la culture chinoises, et pas seulement pour son côté démesuré.
L'Empereur était particulièrement autoritaire, la muraille a été construite très vite,
dans des conditions de travail tyranniques et désastreuses (selon ce qu'en disent les textes
postérieurs d'un siècle après les faits), en faisant notamment travailler des condamnés et
des opposants. C'est aussi un très bon coup de la part de l'Empereur d'un point de vue politique,
puisque la construction d'une "Grande Muraille", c'est une manière de dire aux anciens royaumes
qu'il faut s'unifier pour être plus fort contre un ennemi commun: les Xiong'nu.
Mais Qin Shihuangdi meurt plutôt jeune, à seulement 49 ans. Et son fils ne règne pas
longtemps. Suite à une longue période de rébellion, c'est un dénommé Liu Bang qui
fonde sa propre dynastie, les Han, et qui devient l'Empereur Gaozu. Il doit faire face, très vite,
à l'essor des Xiongnu installés au Nord de son empire. En -201, ceux-ci le mettent en difficulté
à Pingcheng, l'actuelle Datong, et il doit battre en retraite. Les années qui suivent sont
consacrées à des dénouements diplomatiques plus que militaires. Et la Grande Muraille, rarement
mentionnée dans les textes, n'aurait qu'un faible rôle dans les opérations militaires de l'époque.