Pourquoi il y a toujours des travaux sur les lignes de train ? (1)
Mes chers camarades, bien le bonjour, Aujourd'hui, je vous propose un bon gros
reportage sur un sujet qui touche à plein de choses différentes : l'histoire du chemin de
fer en France et plus particulièrement en Île-de-France ! Allez hop ! En voiture,
personne ne descend ! Avant toute chose, il faut
bien le spécifier au risque de heurter notre côté chauvin: le chemin de fer n'a pas été inventé en
France ! Non. Le rail est une recette typiquement anglaise mais contrairement au pudding, c'est une
invention qui s'est plutôt bien exportée ! Paris n'a donc pas abrité la première ligne de chemin
de fer ! Non. La première ligne de chemin de fer au monde se trouve au sud de Londres ; la Surrey
Iron Railway est mise en service en 1802 et en opération plus ou moins continue jusqu'en 1846.
Autre grande révélation ! On utilisait déjà le chemin de fer alors que la locomotive à
vapeur n'avait même pas été inventée ! Les premiers wagons étaient en réalité tirés par
des chevaux et ironiquement, ces chevaux transportaient du charbon… le combustible
pour les machines à vapeur du temps… Au risque de vous retourner le cerveau on
peut faire un constat : le rail reste dans l'imaginaire collectif associé à la vapeur,
pourtant on parle de chevaux-vapeur pour parler de la puissance des locomotives et des moteurs… Donc,
la puissance du rail ne réside ni dans la vapeur ni dans les chevaux, mais dans le
rail. Tout ça c'est une question de PHYSIQUE ! D'ailleurs, vous pouvez tenter une expérience à la
maison : Essayez de déplacer une boîte remplie de cailloux sur le sol. Après avoir bien sué,
ajoutez quatre coussinets sous la boîte. D'un coup, c'est beaucoup plus facile ! Pourquoi ? A
cause de la friction ! En réduisant la surface de contact, on réduit la perte
d'énergie produite par la friction. Le résultat est sans appel : il est possible de déplacer des
charges plus lourdes avec moins d'énergie. Pour simplifier : sur des rails, ça glisse
bien et c'est mieux parce que ça fatigue moins ! Pousser sur des rails des wagons organisés en
train permet de transporter de lourdes charges à moindre coût et beaucoup plus rapidement que
sur des barges dans des canaux à écluses. Pour faire cours : le rail, ça marche bien… ou plutôt
roule bien… ou ça glisse bien… … bref le rail anglais fonctionne partout y compris en France.
L'Étoile de Legrand Et si toutes les routes
mènent à Rome, en France tous les chemins de fer mènent à Paris… mais littéralement.
Il suffit de regarder une carte du réseau pour constater que toutes les lignes convergent vers
un point : Paris, la capitale et le centre de l'univers comme en témoigne ce schéma en étoile…
Ce schéma radial aura une énorme influence sur la vie sociale et économique de la France au
XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui. Bien qu'on puisse le penser, ce plan stellaire n'est
pas le produit des desseins machiavéliques d'un astrologue délirant souhaitant invoquer un dieu
ancien du fin fond des abysses cosmiques…Non. Ce plan est hérité de la première phase de
construction du réseau ferroviaire au XIXe siècle. Le grand architecte derrière ce plan c'est
l'ingénieur Baptiste Alexis Victor Legrand, directeur général des Ponts et chaussées et
des Mines. C'est ce monsieur qui trace en 1838 le premier plan radial centré à Paris. C'est
pourquoi on parle de L'Étoile de Legrand… L'Étoile de la Mort ça aurait eu un peu
plus de gueule, mais il s'appelait Legrand et pas Lamort... Dommage !
Pourquoi ce plan en forme d'étoile ? Les raisons sont multiples. Déjà,
le réseau routier au XVIIIe siècle empruntait ce plan. Ensuite, l'obsession de projeter le
pouvoir central sur l'ensemble du territoire n'est bien sûr pas étrangère à l'affaire.
Ce qui est assez étonnant, c'est que ce schéma en forme d'étoile impacte encore fortement la
circulation des chemins de fer aujourd'hui, et quand un incident se produit à Paris,
il y a immédiatement des répercussions sur l'ensemble de la ligne, jusqu'en Province ! C'est
une sorte d'onde de choc que l'on peut visualiser et qui matérialise très bien cette volonté de
pouvoir central à Paris dès le XIXe siècle. On en trouve la trace dans un mémoire adressé
à l'Empereur Napoléon en 1814 par l'ingénieur en chef des mines, Pierre Michel Moisson-Desroches,
intitulé : Sur la possibilité d'abréger les distances en sillonnant l'empire de sept
grandes voies ferrées. L'idée aurait bien été pratique pour déplacer des armées aux quatre
coins de l'Empire français… malheureusement, Napoléon rencontra son Waterloo. Le mémoire de
Moisson-Desroches restera lettre morte. Mais l'idée de lignes de chemin de fer
partant de Paris pour se disperser dans toutes les directions ne disparaît pas
avec le Premier Empire. Un demi-siècle après la Restauration, le plan se concrétise.
La phase initiale de construction du réseau de chemins de fer français commence en 1823
par la concession par Louis XVIII de la ligne Saint-Étienne-Andrézieux dans la Loire autour
de l'industrie sidérurgique du Creuzot, grande consommatrice de charbon. De ce premier embryon,
le rail s'étendra dans plusieurs régions où les mines fournissent ce charbon.
Les séjours à la campagne des citadins motivent aussi la pose de rails. Le 24 août 1837 est
inaugurée la ligne Paris-St-Germain-en-Laye. Longue de 18 km pour un trajet d'une durée de
25 minutes, cette ligne constitue une première en France, car elle est dédiée entièrement au
transport de voyageurs et ses wagons sont tractés par des locomotives à vapeur.
Derrière cette initiative innovante : les frères Pereire.
Ces Bordelais d'origine portugaise, les frères Émile Pereire et Isaac Pereire sont au centre
des premières entreprises industrielles du Second Empire. Les deux frères ont
un portefeuille très diversifié dans divers secteurs tels que : la banque, l'immobilier,
les transports maritimes, les assurances et, bien entendu, les chemins de fer.
En 1837, le chemin de fer débarque donc à Paris, mais il s'arrête à la périphérie,
à la hauteur approximative de l'ancien mur des Fermiers généraux d'avant la Révolution.
Pourquoi ? Pour des logiques de rentabilité ! Et oui, construire dans le tissu urbain très
dense de Paris, ça coûte cher et ça représente des défis assez importants ! Et d'ailleurs,
l'extension du rail, ce n'est pas le monde des bisounours et il s'accompagne de sa part d'ombre.
En 1842 a lieu l'accident du Meudon sur la ligne reliant Versailles à Paris. Avec ses 55 victimes,
ce déraillement constitue la première grande catastrophe ferroviaire de l'histoire mondiale.
La même année, le parlement vote la Loi relative à l'établissement des
grandes lignes de chemin de fer en France ; l'idée est d'accélérer l'industrialisation
du pays grâce au chemin de fer. Parmi les grands projets prioritaires
lancés par cette loi se trouve la réalisation d'une ligne reliant Paris à la frontière belge,
le cœur industriel de l'Europe du Nord à l'époque. En quinze ans, plusieurs compagnies privées
construisent les premiers axes qui partent — de manière générale — de Paris pour rejoindre la
mer (comme les lignes de Normandie, de Lyon et de Marseille) ou vers les frontières avec l'Allemagne
et la Belgique (Compagnie de l'Est et du Nord). Mais comment ça se développe tout ça ? Qui
choisit ? Et bien à la fois le privé et l'Etat ! L'état, en fonction de ce qu'il veut développer,
offre le chantier et l'exploitation du rail à des compagnies privées. Les oligarques du rail,
on va les appeler comme ça, se partagent ainsi le territoire après des batailles entre eux dont les
armes sont les considérations techniques et les enjeux de rentabilité. Chaque ligne est
construite par une compagnie privée dont les actifs sont soutenus par le pouvoir
politique central et adossés à des groupes financiers. On imagine bien les enjeux de
pouvoir qui pouvaient se cacher derrière tout ça ! En 1843, le baron James de Rothschild – financier
des Bourbons sous la Restauration puis de Louis-Philippe sous la Monarchie de
Juillet – reçoit la concession de la Compagnie des chemins de fer du Nord, la plus rentable
des quatre compagnies ferroviaires françaises. Tels des seigneurs du Moyen Âge désirant exposer
leurs grandeurs, les compagnies ferroviaires construisent des châteaux à leurs gloires ;
les gares monumentales qui s'égrènent le long et aux extrémités des voies servent à exposer leurs
prospérités et la beauté des territoires — comme autant de fiefs — qu'elles desservent. Terminus et
point de départ, les gares parisiennes jouent le double rôle de siège social et de vitrine.
L'embarcadère de l'Europe, qu'on appelle aujourd'hui la Gare de Paris-Saint-Lazare,
est le premier arrêt parisien affecté par la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest,
suivi trois ans plus tard par les embarcadères de la barrière du Main, aujourd'hui la Gare de
Paris-Montparnasse, qui est une possession de la Compagnie Paris-Versailles et de celle d'Orléans,
aujourd'hui Gare de Paris-Austerlitz, tenu pour sa part par la Compagnie Paris-Orléans. En 1843,
la construction d'un quatrième point d'embarquement parisien est lancé.
Inaugurée le 4 juin 1846, la première Gare du Nord, parce qu'il en aura deux, est construite
sous la supervision des ingénieurs des ponts et chaussées d'après les plans de Léonce Reynaud,
professeur d'architecture à l'École polytechnique. Reynaud, qui sera surtout connu pour ses phares,
dessine une façade en pierre de style classique tout en longueur et en sobriété avec huit arcades
séparées par des piliers encastrés dans le mur, avec deux pavillons à fronton aux extrémités.
L'aménagement intérieur est beaucoup plus original avec notamment ses toilettes à
chasse d'eau : un gadget tout neuf à l'époque ! Le premier modèle a été mis sur le marché par
le britannique Thomas Crapper en 1836. Après avoir traversé une cour grillagée
et être passés devant un des deux portiques sous lesquels prolifèrent plusieurs petits commerces,
les voyageurs accédaient à un hall d'entrée. À l'arrière, ils trouvaient les guichets pour
l'achat des billets et les salles d'attente : une pour les premières classes et une pour les autres.
Faudrait pas que la populace se mélange à la haute non plus hein !
A cette époque, la gare du Nord compte seulement deux voies : l'une pour les trains entrants et
l'autre pour les trains sortants. Près d'un an après son ouverture, les voies sont déjà saturées.
La Compagnie hésite un temps entre construire de nouvelles lignes et de nouveaux bâtiments
ou tout simplement... reconstruire la gare : et c'est la seconde option qui est retenue !
En 1860, la gare du Nord est démontée et réaménagée ; sa façade est démontée pierre par
pierre puis remontée ailleurs. On lui ajoute une horloge et on l'élève d'un étage, c'est l'actuelle
façade de la gare de Lille-Flandres à Lille ! Oui, ils l'ont carrément changé de ville !
Le baron de Rothschild, propriétaire de la Compagnie de chemin de fer du Nord, choisit
l'architecte français d'origine allemande Jacques Ignace Hittorf pour conduire les travaux de
réaménagement. Mais rappelez-vous, le rail, avant de véhiculer les passagers, véhicule le pouvoir.
Les gares parisiennes sont donc conçues comme des monuments à la gloire de la solidité financière
des compagnies, des banques et du pouvoir de l'État sur son territoire. Rien de moins !
Les travaux commencent en mai 1861 et se terminent en décembre 1865. Le bâtiment est agrandi et on
ravale totalement la façade. Hittorff dessine un nouveau bâtiment en forme de « U » auquel
est adjoint une façade monumentale de style classique dont le pavillon central évoque un arc
de triomphe à trois arcs ; ornée de vingt-trois statues représentant les principales villes de
destination, la devanture donne sur les grandes percées urbaines du baron Haussmann. Derrière
cette façade on trouve un grand hangar industriel avec ses colonnes de fonte conçu pour composer
avec le volume gigantesque de la gare ; le nombre de voies passe de deux à huit ; une
moitié est affectée aux services des banlieues, l'autre moitié est réservée aux entrées et aux
sorties en provenance des Grandes Lignes. Développer le transport en Île-de-France,
ça se passe plutôt bien, mais il reste un problème. Le passage d'une gare à l'autre,
d'un réseau à l'autre, ne se fait pas facilement dans un Paris qui n'a pas encore été désencombré
par les travaux du baron Haussmann. Traverser la ville en calèche,