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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (5)

Livre 1 - La Vie Publique (5)

Bernadette, sans perdre de vue l'Apparition, retourna vers ses compagnes.

Elle observa que, tout en la suivant elle-même des yeux, la Vierge reposa longuement et avec bienveillance son regard sur Antoinette Peyret, celle des deux qui n'était point mariée et qui faisait partie de la Congrégation des Enfants de Marie.

Elle leur répéta ce qui venait de se passer.

— Elle te regarde en ce moment, dit la Voyante à Antoinette.

Celle-ci fut toute saisie de cette parole; et, depuis lors, elle vit de ce souvenir.

— Demande-lui, dirent-elles, si cela la contrarie que, durant cette Quinzaine, nous t'accompagnions ici tous les jours.

Bernadette s'adressa à l'Apparition.

— Elles peuvent revenir avec vous, répondit la Vierge, elles et d'autres encore. Je désire y voir du monde.

En prononçant ces mots, Elle disparut, laissant après elle cette clarté lumineuse dont Elle était environnée et qui s'évanouit peu à peu.

Cette fois-là, comme les autres, l'enfant remarqua un détail qui semblait comme la loi de cette auréole dont la Vierge était constamment entourée.

— Quand l'Apparition se montre à moi, disait-elle en son langage, je vois la Lumière tout d'abord et ensuite la « Dame » ; quand la Vision cesse, c'est la « Dame » qui disparaît la première et la Lumière en second lieu.

De retour à Lourdes, Bernadette instruisit ses parents de la promesse qu'elle avait faite à la « Dame » mystérieuse et des quinze jours consécutifs pendant lesquels elle devait se rendre à la Grotte. De leur côté, Antoinette et Mrae Millet racontèrent ce qui s'était passé, la merveilleuse transfiguration de l'enfant durant l'extase, les paroles de l'Apparition, l'invitation de revenir pendant la Quinzaine.

Le bruit de ces étranges choses se propagea aussitôt de toutes parts, et, franchissant bien vite les couches populaires, jeta, soit dans un sens, soit dans un autre, la plus profonde agitation dans la société de ce pays. Ce jeudi, 18 février 1858, était précisément jour de marché à Lourdes. Il y avait comme à l'ordinaire beaucoup de monde; de sorte que, le soir même, la nouvelle des visions, vraies ou fausses, de Bernadette se répandit dans la montagne et dans les vallées, à Bagnères, à Tarbes, à Cauterets, à Saint-Pé, à Nay, dans toutes les directions du département et dans les villes du Béarn les plus rapprochées. Dès le lendemain, une centaine de personnes se trouvaient déjà à la Grotte lorsque Bernadette y arriva. Le surlendemain, il y en avait quatre ou cinq cents. On en comptait plusieurs milliers le dimanche matin.

Que voyait-on cependant? Qu'entendait-on sous ces roches sauvages? Rien, absolument rien, sinon une pauvre enfant en prière, qui disait voir et qui disait entendre. Plus petite en apparence était la cause, plus inexplicable humainement était l'effet.

Il fallait, prétendaient les croyants, ou que le reflet d'en haut fût réellement visible sur cette enfant, ou que le souffle de Dieu, qui agite les coeurs comme il veut, eût passé sur ces multitudes. Spiritus ubi vult spirat.

Un courant électrique, une irrésistible puissance à laquelle nul ne pouvait se soustraire semblaient avoir soulevé cette population à la parole d'une ignorante bergère. Dans les chantiers, dans les ateliers, dans l'intérieur des familles, dans les réunions, parmi les laïques et parmi le clergé, chez les pauvres et chez les riches, au cercle, dans les cafés, dans les auberges, sur les places, dans les rues, le soir, le matin, en particulier, en public, on ne s'entretenait que de cela. Qu'on fût sympathique, qu'on fût hostile, qu'on ne fût ni l'un ni l'autre, mais seulement curieux ou inquiet de la vérité, il n'était personne dans le pays dont ces événements singuliers ne fussent en ce moment la plus violente, j'allais dire l'unique préoccupation.

L'instinct populaire n'attendait pas que l'Apparition se fût nommée pour la reconnaître. — C'est sans doute la sainte Vierge, disait-on de tous côtés dans la multitude.

Devant l'autorité, si minime en elle-même, d'une petite fille de treize à quatorze ans, prétendant voir et entendre ce que nul autour d'elle ne voyait ni n'entendait, les philosophes de la contrée, nourris à la prose puissante des journaux, avaient beau jeu contre la Superstition.

— Cette enfant n'a pas même l'âge de prêter serment; on l'écouterait à peine devant un tribunal, déposant sur un fait insignifiant : et on veut la croire quand il s'agit d'un événement impossible, d'une Apparition?... N'est-il pas absolument clair que c'est une comédie, ourdie, dans quelque intérèt d'argent, par la famille ou par le parti-prêtre? Il suffit de deux bons yeux pour percer à jour cette misérable intrigue. Le premier venu d'entre nous n'en aurait pas pour dix minutes.

Quelques-uns de ceux qui parlaient de la sort voulurent connaitre Bernadette, l'interroger, assister à ses extases. Les réponses de l'enfant furent simples, naturelles, sans aucune contradiction, failes avec un accent de vérité auquel il était impossible de se méprendre, et qui portait dans les esprits les plus prévenus la conviction de son entière sincérité. Après avoir vu ses extases, ceux qui avaient applaudi, à Paris, les grandes actrices de notre temps, déclarèrent que l'art ne pouvait aller jusque-là. L'hypothèse d'une comédie ne tint pas vingt-quatre heures devant l'évidence.

Les savants, qui avaient laissé d'abord les philosophes trancher la question, prirent alors le haut du pavé.

— Nous connaissons parfaitement cet état, déclarèrent-ils. Rien n'est plus naturel. Cette petite fille est sincère dans ses réponses, parfaitement sincère; mais elle est hallucinée : elle s'imagine voir et ne voit pas; elle s'imagine entendre et n'entend pas. Quant à ses extases, également sincères de sa part, elles ne relèvent ni de la comédie ni de l'art, qui seraient impuissants à produire de tels résultats; elles relèvent de la Médecine. La fille Soubirous est atteinte d'une maladie : elle est cataleptique. Un dérangement du cerveau, compliqué d'un trouble musculaire et nerveux, voilà toute l'explication des phénomènes dont le populaire fait tant de bruit. Rien n'est plus simple.

La petite feuille hebdomadaire de la localité, le Lavedan, journal avancé qui paraissait habituellement en retard, différa son tirage d'un jour ou de deux pour parler de cet événement, et, dans un article aussi hostile qu'il sut le faire, il résuma les hautes considérations de philosophie et de médecine élaborées par les fortes têtes de l'endroit. A cette date, c'est-à-dire vers le vendredi soir ou le samedi, le thème de la comédie était déjà abandonné devant la clarté des faits, et Messieurs de la Libre Pensée n'y revinrent plus, comme on peut le constater par tous les journaux d'alors.

Conformément à la tradition universelle de la Haute Critique en matière de religion, le bon rédacteur du Lavedancommençait par calomnier un peu et par insinuer que Bernadette et ses compagnes étaient des voleuses:

« Trois enfants en bas âge étaient allées ramasser des branches d'arbres, débris d'une coupe faite aux portes de la ville. Ces filles, se voyant surprises par le propriétaire, s'enfuirent à toutes jambes dans l'une des grottes qui avoisinent le chemin de la forêt de Lourdes. »

C'est toujours de cette façon que la Libre Pensée a écrit l'histoire. Après cette loyale action, qui témoignait clairement de son bon vouloir et de son admirable équité, le rédacteur du Lavedan faisait, sans d'excessives inexactitudes, le récit des faits mêmes qui se passaient aux Roches Massabielle. Ils étaient trop notoires, ils avaient trop de témoins pour être niés.

« Nous ne raconterons pas », ajoutait-il, « les mille versions qui ont été faites à ce sujet; nous dirons seulement que la jeune fille va chaque matin prier à l'entrée de la Grotte, un cierge à la main, escortée de plus de cinq cents personnes. Là, on la voit passer du plus grand recueillement à un doux sourire et retomber ensuite dans un état extatique des plus prononcés. Des larmes s'échappent de ses yeux immobiles, qui restent constamment fixés sur l'endroit de la Grotte où elle croit voir la sainte Vierge. — Nous tiendrons nos lecteurs au courant de cette aventure, qui trouve chaque jour de nouveaux adeptes. »

De comédie, de jonglerie, pas un mot. On sentait que, de ce côté, tout s'écroulait au premier entretien avec l'enfant, au premier regard jeté sur Bernadette en extase, sur les larmes qui par moments inondaient ses joues. L'excellent rédacteur, pour mieux faire croire qu'elle était malade, affectait de la plaindre. Il ne parlait d'elle qu'en la nommant avec une douce commisération: « la pauvre visionnaire. » « Tout », disait-il en terminant son article, « fait supposer que cette jeune fille est « atteinte de catalepsie. »

« L'hallucination, la catalepsie » étaient les deux grands mots des savants de Lourdes. — « Sachez bien », répétaient-ils souvent, « qu'il n'y a pas de Surnaturel, que la Science en a fait pleine justice. La Science explique tout, la Science seule est certaine. Elle compare, elle juge, elle ne connaît que les faits. Le Surnaturel était bon dans ces siècles d'ignorance où le monde était abruti dans la superstition, où l'on ne savait pas observer; mais maintenant nous le défions de se produire : nous sommes là. Voilà bien la stupidité du peuple! Parce qu'une petite fille est malade; parce que, dans sa fièvre, elle a des lubies, tous ces imbéciles crient au miracle. Il faut que la bêtise humaine dépasse toute mesure, pour voir une Apparition dans ce qui ne parait pas, et une Voix dans ce que personne n'entend. Que la prétendue Apparition arrête le soleil comme Josué; qu'elle frappe le rocher comme Moïse et qu'elle en fasse jaillir de l'eau; qu'elle guérisse des incurables; que, d'une façon quelconque, elle commande à la Nature : alors, nous croirons. Mais qui ne sait que de pareilles dérogations aux lois physiques n'arrivent jamais et ne sont jamais arrivées? »

Tels étaient, en ces termes ou en d'autres, les propos qui s'échangeaient du matin au soir, entre les sagaces intelligences qui représentaient il Lourdes la Médecine et la Philosophie.

La plupart de ces penseurs avaient assez vu Bernadette pour constater qu'elle ne jouait pas la comédie. Cela suffisait à leur esprit d'examen. De ce qu'elle était manifestement de bonne foi, ils concluaient qu'elle ne pouvait être que folle ou cataleptique. La possibilité de toute autre explication n'était pas même admise par leur ferme génie. Quand on leur proposait d'étudier le fait, d'examiner encore l'enfant, d'aller ou de retourner à la Crotte, de suivre dans tous louis détails ces surprenants phénomènes, ils haussaient les épaules, riaient philosophiquement et disaient: « Nous savons tout cela par coeur. Ces crises sont connues. Avant un mois cette enfant sera complétement folle et probablement paralysée. »

Quelques-uns pourtant ne raisonnaient pas tout à fait ainsi.

« De tels phénomènes sont rares », répondait nettement à ses confrères l'un des médecins les plus distingués de la ville, M. le docteur Dozous, « et, pour mon compte, je ne manquerai pas cette occasion de les analyser avec soin. Les partisans du Surnaturel les jettent trop souvent à la face de la Médecine pour que je ne sois pas curieux, puisque les voilà aujourd'hui à la portée de mes yeux, de les étudier attentivement et de vider à fond, de visu et par expérience, cette célèbre question. »

M. Dufo, avocat, et plusieurs membres du barreau; M. Pougat, président du tribunal; un grand nombre d'autres, résolurent de se livrer, pendant les quinze jours annoncés à l'avance, aux plus scrupuleuses observations, et de se trouver, autant que possible, aux premières places. A mesure que la chose prenait des proportions plus considérables, le nombre des observateurs augmentait.

Quelques médecins, quelques Socrates autochthones, quelques philosophes locaux se prétendant Voltairiens pour faire croire qu'ils avaient lu Voltaire, se roidissaient seuls contre leur propre curiosité et tenaient à honneur de ne pas figurer dans la foule stupide qui chaque jour allait grossissant. Comme cela arrive à peu près constamment, ces fanatiques du Libre Examen avaient pour principe de ne pas examiner du tout. Pour eux, aucun fait n'était digne d'attention, qui dérangeait les dogmes inflexibles qu'ils avaient appris dans le Credo de leur journal. Du haut de leur infaillible sagesse, sur la porte de leur boutique, à la devanture du café, aux fenêtres du cercle, ces esprits de premier ordre voyaient passer, avec un dédain transcendant, les innombrables flots humains que je ne sais quel courant vertigineux emportait vers la Grotte.


Livre 1 - La Vie Publique (5) Buch 1 - Das öffentliche Leben (5) Book 1 - Public Life (5)

Bernadette, sans perdre de vue l'Apparition, retourna vers ses compagnes.

Elle observa que, tout en la suivant elle-même des yeux, la Vierge reposa longuement et avec bienveillance son regard sur Antoinette Peyret, celle des deux qui n'était point mariée et qui faisait partie de la Congrégation des Enfants de Marie.

Elle leur répéta ce qui venait de se passer.

— Elle te regarde en ce moment, dit la Voyante à Antoinette.

Celle-ci fut toute saisie de cette parole; et, depuis lors, elle vit de ce souvenir.

— Demande-lui, dirent-elles, si cela la contrarie que, durant cette Quinzaine, nous t'accompagnions ici tous les jours.

Bernadette s'adressa à l'Apparition.

— Elles peuvent revenir avec vous, répondit la Vierge, elles et d'autres encore. Je désire y voir du monde.

En prononçant ces mots, Elle disparut, laissant après elle cette clarté lumineuse dont Elle était environnée et qui s'évanouit peu à peu.

Cette fois-là, comme les autres, l'enfant remarqua un détail qui semblait comme la loi de cette auréole dont la Vierge était constamment entourée.

— Quand l'Apparition se montre à moi, disait-elle en son langage, je vois la Lumière tout d'abord et ensuite la « Dame » ; quand la Vision cesse, c'est la « Dame » qui disparaît la première et la Lumière en second lieu.

De retour à Lourdes, Bernadette instruisit ses parents de la promesse qu'elle avait faite à la « Dame » mystérieuse et des quinze jours consécutifs pendant lesquels elle devait se rendre à la Grotte. De leur côté, Antoinette et Mrae Millet racontèrent ce qui s'était passé, la merveilleuse transfiguration de l'enfant durant l'extase, les paroles de l'Apparition, l'invitation de revenir pendant la Quinzaine.

Le bruit de ces étranges choses se propagea aussitôt de toutes parts, et, franchissant bien vite les couches populaires, jeta, soit dans un sens, soit dans un autre, la plus profonde agitation dans la société de ce pays. Ce jeudi, 18 février 1858, était précisément jour de marché à Lourdes. Il y avait comme à l'ordinaire beaucoup de monde; de sorte que, le soir même, la nouvelle des visions, vraies ou fausses, de Bernadette se répandit dans la montagne et dans les vallées, à Bagnères, à Tarbes, à Cauterets, à Saint-Pé, à Nay, dans toutes les directions du département et dans les villes du Béarn les plus rapprochées. Dès le lendemain, une centaine de personnes se trouvaient déjà à la Grotte lorsque Bernadette y arriva. Le surlendemain, il y en avait quatre ou cinq cents. On en comptait plusieurs milliers le dimanche matin.

Que voyait-on cependant? Qu'entendait-on sous ces roches sauvages? Rien, absolument rien, sinon une pauvre enfant en prière, qui disait voir et qui disait entendre. Plus petite en apparence était la cause, plus inexplicable humainement était l'effet.

Il fallait, prétendaient les croyants, ou que le reflet d'en haut fût réellement visible sur cette enfant, ou que le souffle de Dieu, qui agite les coeurs comme il veut, eût passé sur ces multitudes. __Spiritus ubi vult spirat.__

Un courant électrique, une irrésistible puissance à laquelle nul ne pouvait se soustraire semblaient avoir soulevé cette population à la parole d'une ignorante bergère. Dans les chantiers, dans les ateliers, dans l'intérieur des familles, dans les réunions, parmi les laïques et parmi le clergé, chez les pauvres et chez les riches, au cercle, dans les cafés, dans les auberges, sur les places, dans les rues, le soir, le matin, en particulier, en public, on ne s'entretenait que de cela. Qu'on fût sympathique, qu'on fût hostile, qu'on ne fût ni l'un ni l'autre, mais seulement curieux ou inquiet de la vérité, il n'était personne dans le pays dont ces événements singuliers ne fussent en ce moment la plus violente, j'allais dire l'unique préoccupation.

L'instinct populaire n'attendait pas que l'Apparition se fût nommée pour la reconnaître. — C'est sans doute la sainte Vierge, disait-on de tous côtés dans la multitude.

Devant l'autorité, si minime en elle-même, d'une petite fille de treize à quatorze ans, prétendant voir et entendre ce que nul autour d'elle ne voyait ni n'entendait, les philosophes de la contrée, nourris à la prose puissante des journaux, avaient beau jeu contre la Superstition. Angesichts der an sich schon geringen Autorität eines dreizehn- bis vierzehnjährigen Mädchens, das vorgab, zu sehen und zu hören, was niemand um sie herum sah oder hörte, hatten die Philosophen der Gegend, die mit der mächtigen Prosa der Zeitungen gefüttert wurden, leichtes Spiel gegen den Aberglauben.

— Cette enfant n'a pas même l'âge de prêter serment; on l'écouterait à peine devant un tribunal, déposant sur un fait insignifiant : et on veut la croire quand il s'agit d'un événement impossible, d'une Apparition?... - Dieses Kind ist noch nicht einmal alt genug, um einen Eid zu schwören; man würde ihm kaum vor Gericht zuhören, wenn es über eine unbedeutende Tatsache aussagt, und man will ihm glauben, wenn es um ein unmögliches Ereignis geht, um eine Erscheinung? N'est-il pas absolument clair que c'est une comédie, ourdie, dans quelque intérèt d'argent, par la famille ou par le parti-prêtre? Il suffit de deux bons yeux pour percer à jour cette misérable intrigue. Le premier venu d'entre nous n'en aurait pas pour dix minutes.

Quelques-uns de ceux qui parlaient de la sort voulurent connaitre Bernadette, l'interroger, assister à ses extases. Les réponses de l'enfant furent simples, naturelles, sans aucune contradiction, failes avec un accent de vérité auquel il était impossible de se méprendre, et qui portait dans les esprits les plus prévenus la conviction de son entière sincérité. Die Antworten des Kindes waren einfach, natürlich, ohne jeden Widerspruch, fail mit einem Akzent der Wahrheit, den man nicht missverstehen konnte und der selbst in den ahnungslosesten Köpfen die Überzeugung von seiner vollen Aufrichtigkeit trug. Après avoir vu ses extases, ceux qui avaient applaudi, à Paris, les grandes actrices de notre temps, déclarèrent que l'art ne pouvait aller jusque-là. Nachdem sie ihre Ekstasen gesehen hatten, erklärten diejenigen, die in Paris den großen Schauspielerinnen unserer Zeit applaudiert hatten, dass die Kunst nicht so weit gehen könne. L'hypothèse d'une comédie ne tint pas vingt-quatre heures devant l'évidence. Die Vermutung, dass es sich um eine Komödie handelte, hielt sich keine vierundzwanzig Stunden angesichts der Beweise.

Les savants, qui avaient laissé d'abord les philosophes trancher la question, prirent alors le haut du pavé. Die Gelehrten, die die Frage zunächst den Philosophen überlassen hatten, übernahmen nun die Führung.

— Nous connaissons parfaitement cet état, déclarèrent-ils. Rien n'est plus naturel. Cette petite fille est sincère dans ses réponses, parfaitement sincère; mais elle est hallucinée : elle s'imagine voir et ne voit pas; elle s'imagine entendre et n'entend pas. Quant à ses extases, également sincères de sa part, elles ne relèvent ni de la comédie ni de l'art, qui seraient impuissants à produire de tels résultats; elles relèvent de la Médecine. Was seine Ekstasen betrifft, die ebenfalls aufrichtig sind, so sind sie weder eine Sache der Komödie noch der Kunst, die solche Ergebnisse nicht hervorbringen können, sondern eine Sache der Medizin. La fille Soubirous est atteinte d'une maladie : elle est cataleptique. Un dérangement du cerveau, compliqué d'un trouble musculaire et nerveux, voilà toute l'explication des phénomènes dont le populaire fait tant de bruit. Rien n'est plus simple.

La petite feuille hebdomadaire de la localité, le __Lavedan__, journal avancé qui paraissait habituellement en retard, différa son tirage d'un jour ou de deux pour parler de cet événement, et, dans un article aussi hostile qu'il sut le faire, il résuma les hautes considérations de philosophie et de médecine élaborées par les fortes têtes de l'endroit. A cette date, c'est-à-dire vers le vendredi soir ou le samedi, le thème de la comédie était déjà abandonné devant la clarté des faits, et Messieurs de la Libre Pensée n'y revinrent plus, comme on peut le constater par tous les journaux d'alors. Zu diesem Zeitpunkt, d. h. gegen Freitagabend oder Samstag, war das Thema der Komödie angesichts der Klarheit der Tatsachen bereits aufgegeben worden, und die Herren des Freidenkertums kamen nicht mehr darauf zurück, wie man aus allen damaligen Zeitungen ersehen kann.

Conformément à la tradition universelle de la Haute Critique en matière de religion, le bon rédacteur du __Lavedan\__commençait par calomnier un peu et par insinuer que Bernadette et ses compagnes étaient des voleuses:

« Trois enfants en bas âge étaient allées ramasser des branches d'arbres, débris d'une coupe faite aux portes de la ville. Ces filles, __se voyant surprises par le propriétaire__, s'enfuirent à toutes jambes dans l'une des grottes qui avoisinent le chemin de la forêt de Lourdes. Diese Mädchen sahen sich von dem Besitzer überrascht und flohen Hals über Kopf in eine der Höhlen, die an den Waldweg nach Lourdes grenzen. »

C'est toujours de cette façon que la Libre Pensée a écrit l'histoire. Après cette loyale action, qui témoignait clairement de son bon vouloir et de son admirable équité, le rédacteur du __Lavedan__ faisait, sans d'excessives inexactitudes, le récit des faits mêmes qui se passaient aux Roches Massabielle. Nach dieser loyalen Handlung, die deutlich von seinem guten Willen und seiner bewundernswerten Fairness zeugte, berichtete der Redakteur des Lavedan ohne übermäßige Ungenauigkeiten von den Ereignissen in den Roches Massabielle. Ils étaient trop notoires, ils avaient trop de témoins pour être niés.

« Nous ne raconterons pas », ajoutait-il, « les mille versions qui ont été faites à ce sujet; nous dirons seulement que la jeune fille va chaque matin prier à l'entrée de la Grotte, un cierge à la main, escortée de plus de cinq cents personnes. Là, on la voit passer du plus grand recueillement à un doux sourire et retomber ensuite dans un état extatique des plus prononcés. Des larmes s'échappent de ses yeux immobiles, qui restent constamment fixés sur l'endroit de la Grotte où elle croit voir la sainte Vierge. — Nous tiendrons nos lecteurs au courant de cette aventure, qui trouve chaque jour de nouveaux adeptes. »

De comédie, de jonglerie, pas un mot. On sentait que, de ce côté, tout s'écroulait au premier entretien avec l'enfant, au premier regard jeté sur Bernadette en extase, sur les larmes qui par moments inondaient ses joues. Man spürte, dass auf dieser Seite alles zusammenbrach, beim ersten Gespräch mit dem Kind, beim ersten Blick auf Bernadette in Ekstase, bei den Tränen, die zeitweise ihre Wangen überfluteten. L'excellent rédacteur, pour mieux faire croire qu'elle était malade, affectait de la plaindre. Der ausgezeichnete Redakteur tat so, als würde sie ihm leidtun, um den Eindruck zu erwecken, dass sie krank war. Il ne parlait d'elle qu'en la nommant avec une douce commisération: « la pauvre visionnaire. » « Tout », disait-il en terminant son article, « fait supposer que cette jeune fille est « atteinte de catalepsie. »

« L'hallucination, la catalepsie » étaient les deux grands mots des savants de Lourdes. — « Sachez bien », répétaient-ils souvent, « qu'il n'y a pas de Surnaturel, que la Science en a fait pleine justice. La Science explique tout, la Science seule est certaine. Elle compare, elle juge, elle ne connaît que les faits. Le Surnaturel était bon dans ces siècles d'ignorance où le monde était abruti dans la superstition, où l'on ne savait pas observer; mais maintenant nous le défions de se produire : nous sommes là. Das Übernatürliche war gut in jenen Jahrhunderten der Unwissenheit, in denen die Welt durch Aberglauben verblödet war und die Menschen nicht beobachten konnten, aber jetzt fordern wir es heraus: Wir sind hier. Voilà bien la stupidité du peuple! Parce qu'une petite fille est malade; parce que, dans sa fièvre, elle a des lubies, tous ces imbéciles crient au miracle. Il faut que la bêtise humaine dépasse toute mesure, pour voir une Apparition dans ce qui ne parait pas, et une Voix dans ce que personne n'entend. Que la prétendue Apparition arrête le soleil comme Josué; qu'elle frappe le rocher comme Moïse et qu'elle en fasse jaillir de l'eau; qu'elle guérisse des incurables; que, d'une façon quelconque, elle commande à la Nature : alors, nous croirons. Mais qui ne sait que de pareilles dérogations aux lois physiques n'arrivent jamais et ne sont jamais arrivées? »

Tels étaient, en ces termes ou en d'autres, les propos qui s'échangeaient du matin au soir, entre les sagaces intelligences qui représentaient il Lourdes la Médecine et la Philosophie.

La plupart de ces penseurs avaient assez vu Bernadette pour constater qu'elle ne jouait pas la comédie. Cela suffisait à leur esprit d'examen. De ce qu'elle était manifestement de bonne foi, ils concluaient qu'elle ne pouvait être que folle ou cataleptique. La possibilité de toute autre explication n'était pas même admise par leur ferme génie. Quand on leur proposait d'étudier le fait, d'examiner encore l'enfant, d'aller ou de retourner à la Crotte, de suivre dans tous louis détails ces surprenants phénomènes, ils haussaient les épaules, riaient philosophiquement et disaient: « Nous savons tout cela par coeur. Ces crises sont connues. Avant un mois cette enfant sera complétement folle et probablement paralysée. »

Quelques-uns pourtant ne raisonnaient pas tout à fait ainsi.

« De tels phénomènes sont rares », répondait nettement à ses confrères l'un des médecins les plus distingués de la ville, M. le docteur Dozous, « et, pour mon compte, je ne manquerai pas cette occasion de les analyser avec soin. Les partisans du Surnaturel les jettent trop souvent à la face de la Médecine pour que je ne sois pas curieux, puisque les voilà aujourd'hui à la portée de mes yeux, de les étudier attentivement et de vider à fond, __de visu__ et par expérience, cette célèbre question. »

M. Dufo, avocat, et plusieurs membres du barreau; M. Pougat, président du tribunal; un grand nombre d'autres, résolurent de se livrer, pendant les quinze jours annoncés à l'avance, aux plus scrupuleuses observations, et de se trouver, autant que possible, aux premières places. A mesure que la chose prenait des proportions plus considérables, le nombre des observateurs augmentait.

Quelques médecins, quelques Socrates autochthones, quelques philosophes locaux se prétendant Voltairiens pour faire croire qu'ils avaient lu Voltaire, se roidissaient seuls contre leur propre curiosité et tenaient à honneur de ne pas figurer dans la foule stupide qui chaque jour allait grossissant. Comme cela arrive à peu près constamment, ces fanatiques du Libre Examen avaient pour principe de ne pas examiner du tout. Pour eux, aucun fait n'était digne d'attention, qui dérangeait les dogmes inflexibles qu'ils avaient appris dans le Credo de leur journal. Du haut de leur infaillible sagesse, sur la porte de leur boutique, à la devanture du café, aux fenêtres du cercle, ces esprits de premier ordre voyaient passer, avec un dédain transcendant, les innombrables flots humains que je ne sais quel courant vertigineux emportait vers la Grotte.