×

Mes naudojame slapukus, kad padėtume pagerinti LingQ. Apsilankę avetainėje Jūs sutinkate su mūsų cookie policy.


image

Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (11)

Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (11)

Entre onze heures et midi elle demanda à être levée. On la plaça dans un fauteuil. Elle s'aperçut alors de l'heure, au son de la cloche; et, dans ce sentiment de charité et d'oubli d'elle-même qui était une de ses vertus et de ses grâces, elle s'excusa auprès de ses compagnes demeurées à ses côtés, de retarder ainsi pour elles le repas du jour.

Vers une heure, l'aumônier fut encore appelé. De nouveau elle désira recevoir l'absolution. De nouveau on lut les prières des agonisants, qu'elle suivit avec la même attention et ferveur.

Elle eut ensuite un long intervalle de calme. Un peu avant trois heures, elle exprima le désir que les nombreuses Soeurs qui se tenaient dans sa chambre descendissent, selon la coutume, à la Chapelle, pour y réciter les litanies du Saint-Sacrement.

Les deux soeurs infirmières restèrent.

Presque aussitôt cependant elle parut envahie par d'intolérables souffrances. Et comprenant sans doute qu'allait se rompre le dernier fil de la vie, elle voulut s'unir, d'un amour indissoluble à la Divine agonie de Celui qui mourut pour nous tous.

De sa main défaillante elle saisit alors le Crucifix qu'elle avait sur son coeur; et, le portant à ses lèvres, elle baisa amoureusement et lentement, en s'y reprenant à deux fois, les cinq plaies du Sauveur Jésus.

En cet instant la mère Marie-Nathalie, Assistante, qui était à la chapelle, se sentit intérieurement pressée de retourner en hâte près de la malade. La mourante tend les bras vers elle; et, toujours craintive d'avoir manqué en quelque chose durant les treize années de sa vie religieuse, elle prononce une fois encore, devant sa Supérieure, cette parole d'humilité:

Pardonnez-moi et priez pour moi!

La mère Marie-Nathalie et les deux infirmières se prosternent et prient. Bernardette à voix basse s'associe à leurs invocations.

Elle s'était unie aux souffrances du Seigneur Jésus.

Donc, à trois heures, voici que passe sur son visage l'indicible expression de la douleur délaissée et de l'ultime abandonnement. Eli! Eli! lamma sabbacthani! Elle lève les yeux au ciel, étend les bras croix et jette un grand cri en disant:

— Mon Dieu!...

Un involontaire frémissement, un frisson de respect et de terreur, le souvenir de la suprême plainte du Dieu crucifié, fait tressaillir les Filles du Ciel qui priaient à genoux et soutenaient les bras de l'agonisante, toujours étendus en la forme sacrée de la Croix.

Stabat mater. La Mère de douleur qui se trouvait à la scène du Golgotha était là aussi, invisible et présente, assistant à l'agonie de cette enfant qu'elle aimait et à qui Elle avait promis le bonheur, non dans ce monde, mais dans l'autre. Et Bernadette lui parla:

Sa voix se fit entendre, claire et accentuée, et elle répéta:

— Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi, pauvre pécheresse... Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi, pauvre pécheresse!

Le souvenir et la responsabilité des grâces reçues l'avaient sans cesse effrayée durant toute sa vie. Elle fut humble jusqu'à la fin.

Sentant toute vie défaillir en elle et croyant que sa prière, que son amour, que son élan, n'étaient point assez puissants par eux-mêmes, elle tourna son regard suppliant vers la soeur Nathalie et murmura faiblement:

— Aidez-moi.

Et l'Assistante agenouillée lui donna le secours qu'elle demandait : une invocation fervente à la Mère de Dieu.

Tout n'était point encore consommé. D'un geste expressif, car le souffle était si éteint qu'on n'entendait plus la voix, elle a dit:

— J'ai soif.

On lui a présenté à boire. Et, avant de toucher à la tasse qu'on lui offrait, elle a fait, ramassant toutes ses forces, un grand signe de Croix, — ce solennel signe de Croix que plus de vingt ans auparavant la Très Sainte et Immaculée Vierge Marie avait fait devant elle, la première fois qu'Elle lui apparut à la Grotte de Lourdes.

Elle a bu quelques gouttes. On lui a essuyé les lèvres.

Et ensuite, penchant la tête, elle a rendu le dernier soupir.

Et tout aussitôt, aux célestes portiques, le Choeur des Anges et des Élus a sans doute répété ces divines paroles, que le Choeur des prêtres de l'Église militante murmurait dès le matin sur la terre au seuil de tous les Tabernacles : « Le Seigneur a ouvert les portes du Ciel, et l'humaine créature s'est assise au banquet des Anges... Venez, les bénis de mon Père, recevoir le Royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde. »

Les Religieuses ont fermé les paupières de leur Soeur endormie, et l'ont une dernière fois revêtue de son saint habit.

Docile après la mort comme de son vivant, ce corps obéissant se prêtait il tous ces soins empressés. Mais il est arrivé une chose étrange.

Tandis que l'une des paupières à peine abaissée demeurait fermée pour jamais, la paupière de l'autre oeil a refusé de se clore et, malgré tous les efforts et toutes les persistances, s'est toujours à demi rouverte d'elle-même, laissant voir dans la prunelle comme les vagues reflets d'une mystérieuse vie. C'était l'oeil qui avait été touché le premier par la céleste Vision, c'était l'oeil qui était tourné du côté de l'Apparition bienheureuse lorsqu'Elle se manifesta, le 11 février 1858, aux regards de Bernadette ravie.

L'aspect de cet oeil à demi ouvert n'est point suffisamment sensible dans les photographies, d'ailleurs très bien réussies, de soeur Marie-Bernard sur son lit de mort qui ont été faites par Mme Lorans, photographe à Nevers. Est-ce l'effet de quelque faux jeu de lumière et d'ombre? Est-ce par suite de quelque fâcheuse retouche? Nous ne savons. Mais nous regrettons que ce détail particulier ne soit point net et apparent dans la photographie comme il l'était dans la réalité.

Quelques instants après, la ville de Nevers était en émoi. On eût dit qu'un coup de canon avait porté la nouvelle aux mille foyers de la cité... On s'abordait et l'on disait : « La Sainte vient de mourir! »

Et pourtant presque personne ne l'avait vue de ses yeux, cette pauvre Religieuse qui avait fui les enthousiasmes humains pour aller s'ensevelir dans la retraite profonde et le silence de la vie cachée. Mais Nevers avait conscience du trésor qu'il possédait. Nevers savait qu'elle était là, cachant sa gloire dans une humble cellule, l'enfant de bénédiction à laquelle avait parlé la Mère de Dieu et dont le nom remplissait la terre...

Et dès le lendemain jeudi, les fidèles se pressaient aux portes de Saint-Gildard. Elles s'ouvrirent, et les multitudes entrèrent dans la chapelle du couvent. Dans son cercueil découvert et tout drapé de blancs linceuls, Bernadette dormant du suprême sommeil, apparut à leurs regards.

Était-ce la tombe d'une mortelle? Était-ce le berceau d'une enfant ou d'un ange? Était-ce le trône d'une céleste Reine au milieu de son peuple à genoux, ou le lit virginal de la fiancée, reposant invisiblement sur le coeur de l'Époux divin?

Ainsi s'interrogeaient toutes les âmes, tandis que pleuraient tous les yeux.

Les mains jointes, tenant le Crucifix béni que le Saint-Père lui avait envoyé, — la tête doucement inclinée sur l'oreiller et couronnée de blanches roses, — les pieds recouverts de fleurs, — au centre de quatre grands cierges qui brillaient comme quatre étoiles, — entourée de ses compagnes, les Religieuses de Nevers, prosternées et priant, — notre soeur Bernadette sommeillait dans la paix et reposait dans la gloire.

Tous les charmes enfantins de son innocente jeunesse avaient traversé, sans se flétrir ou se faner la pieuse existence du cloître, et, survivant à la mort, se retrouvaient sur ce front endormi!

Bien loin d'être altérés par les horreurs du trépas, ses traits, naturellement si délicats et si fins, avaient revêtu au contraire une beauté nouvelle et une grâce plus qu'humaine. Son visage pàle et suave, son visage, qui semblait visité par un songe radieux, était véritablement angélique et donnait comme un pressentiment de ce que seront là-haut les Êlus transfigurés.

Eh quoi! la séparation qui se fait, entre l'esprit qui s'envole au ciel et l'immobile dépouille qui demeure ici-bas, n'était-elle donc point complète et absolue? Et l'âme, admise déjà sans doute aux éternelles joies, trouvait-elle moyen de faire rayonner sur ce corps inanimé qui fut son compagnon terrestre quelque image et quelque reflet de sa propre félicité?... Mystère insondable.

Durant toute la journée du jeudi, durant celle du vendredi, durant toute la matinée du samedi, jusqu'au moment de la Messe et de l'Absoute, le corps de la Voyante demeura exposé.

Comment décrire les foules émues qui se pressaient et se succédaient. Non seulement tout Nevers assiégeait Saint-Gildard; mais dès le second jour, la nouvelle s'étant répandue, les trains et les voitures amenaient des pèlerins accourus des campagnes environnantes et des villes voisines. Toutes les classes, toutes les professions, tous les âges, les hommes, les femmes, les enfants, les magistrats, les ouvriers, les officiers de l'armée, les soldats, les religieuses, les prêtres, les Soeurs et les Mères de toutes les Congrégations de la ville, les élèves des Séminaires et des écoles catholiques s'acheminant sur deux rangs, composaient les flots de ce fleuve de vénération qui passait devant l'enfant de Notre-Dame de Lourdes et qui se renouvelait sans cesse.

Chacun tenait à ce qu'on fit toucher quelque objet lui appartenant, chapelets, images, médailles, livre d'église, à la sainte dépouille, comme si ce simple contact devait en faire un souvenir à jamais béni et une relique sacrée. Depuis le lever jusqu'au coucher du soleil de ces longues journées quatre Religieuses, quelquefois six, suffisaient à peine à ce pieux labeur. Il fallait, avant de pouvoir approcher, attendre au moins une demi-heure. Mais nul ne se lassait. Tous demeuraient là debout, recueillis et priant. Sur de mâles visages coulaient de saintes larmes.

On n'était point encore au soir du premier jour que divers magasins de la cité étaient entièrement dépossédés de tous les chapelets, médailles, images, statuettes.

Et les foules de ce pèlerinage, en arrivant à Saint-Gildard, conjuraient alors les bonnes Soeurs de Nevers de leur vendre à prix d'or quelques objets de religieux caractère, pouvant être touchés par le corps vénéré.

— Nous ne voulons rien vendre, mes amis, répondaient-elles. Mais nous sommes heureuses de donner.

Et elles se dépouillèrent ainsi de tout ce dont il leur fut possible de disposer.


Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (11)

Entre onze heures et midi elle demanda à être levée. On la plaça dans un fauteuil. Elle s'aperçut alors de l'heure, au son de la cloche; et, dans ce sentiment de charité et d'oubli d'elle-même qui était une de ses vertus et de ses grâces, elle s'excusa auprès de ses compagnes demeurées à ses côtés, de retarder ainsi pour elles le repas du jour.

Vers une heure, l'aumônier fut encore appelé. De nouveau elle désira recevoir l'absolution. De nouveau on lut les prières des agonisants, qu'elle suivit avec la même attention et ferveur.

Elle eut ensuite un long intervalle de calme. Un peu avant trois heures, elle exprima le désir que les nombreuses Soeurs qui se tenaient dans sa chambre descendissent, selon la coutume, à la Chapelle, pour y réciter les litanies du Saint-Sacrement.

Les deux soeurs infirmières restèrent.

Presque aussitôt cependant elle parut envahie par d'intolérables souffrances. Et comprenant sans doute qu'allait se rompre le dernier fil de la vie, elle voulut s'unir, d'un amour indissoluble à la Divine agonie de Celui qui mourut pour nous tous.

De sa main défaillante elle saisit alors le Crucifix qu'elle avait sur son coeur; et, le portant à ses lèvres, elle baisa amoureusement et lentement, en s'y reprenant à deux fois, les cinq plaies du Sauveur Jésus.

En cet instant la mère Marie-Nathalie, Assistante, qui était à la chapelle, se sentit intérieurement pressée de retourner en hâte près de la malade. La mourante tend les bras vers elle; et, toujours craintive d'avoir manqué en quelque chose durant les treize années de sa vie religieuse, elle prononce une fois encore, devant sa Supérieure, cette parole d'humilité:

Pardonnez-moi et priez pour moi!

La mère Marie-Nathalie et les deux infirmières se prosternent et prient. Bernardette à voix basse s'associe à leurs invocations.

Elle s'était unie aux souffrances du Seigneur Jésus.

Donc, à trois heures, voici que passe sur son visage l'indicible expression de la douleur délaissée et de l'ultime abandonnement. __Eli! Eli! lamma sabbacthani!__ Elle lève les yeux au ciel, étend les bras croix et jette un grand cri en disant:

— Mon Dieu!...

Un involontaire frémissement, un frisson de respect et de terreur, le souvenir de la suprême plainte du Dieu crucifié, fait tressaillir les Filles du Ciel qui priaient à genoux et soutenaient les bras de l'agonisante, toujours étendus en la forme sacrée de la Croix.

__Stabat mater__. La Mère de douleur qui se trouvait à la scène du Golgotha était là aussi, invisible et présente, assistant à l'agonie de cette enfant qu'elle aimait et à qui Elle avait promis le bonheur, non dans ce monde, mais dans l'autre. Et Bernadette lui parla:

Sa voix se fit entendre, claire et accentuée, et elle répéta:

— Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi, __pauvre pécheresse__... Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi, __pauvre pécheresse!__

Le souvenir et la responsabilité des grâces reçues l'avaient sans cesse effrayée durant toute sa vie. Elle fut humble jusqu'à la fin.

Sentant toute vie défaillir en elle et croyant que sa prière, que son amour, que son élan, n'étaient point assez puissants par eux-mêmes, elle tourna son regard suppliant vers la soeur Nathalie et murmura faiblement:

— Aidez-moi.

Et l'Assistante agenouillée lui donna le secours qu'elle demandait : une invocation fervente à la Mère de Dieu.

Tout n'était point encore consommé. D'un geste expressif, car le souffle était si éteint qu'on n'entendait plus la voix, elle a dit:

— J'ai soif.

On lui a présenté à boire. Et, avant de toucher à la tasse qu'on lui offrait, elle a fait, ramassant toutes ses forces, un grand signe de Croix, — ce solennel signe de Croix que plus de vingt ans auparavant la Très Sainte et Immaculée Vierge Marie avait fait devant elle, la première fois qu'Elle lui apparut à la Grotte de Lourdes.

Elle a bu quelques gouttes. On lui a essuyé les lèvres.

Et ensuite, penchant la tête, elle a rendu le dernier soupir.

Et tout aussitôt, aux célestes portiques, le Choeur des Anges et des Élus a sans doute répété ces divines paroles, que le Choeur des prêtres de l'Église militante murmurait dès le matin sur la terre au seuil de tous les Tabernacles : « Le Seigneur a ouvert les portes du Ciel, et l'humaine créature s'est assise au banquet des Anges... Venez, les bénis de mon Père, recevoir le Royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde. »

Les Religieuses ont fermé les paupières de leur Soeur endormie, et l'ont une dernière fois revêtue de son saint habit.

Docile après la mort comme de son vivant, ce corps obéissant se prêtait il tous ces soins empressés. Mais il est arrivé une chose étrange.

Tandis que l'une des paupières à peine abaissée demeurait fermée pour jamais, la paupière de l'autre oeil a refusé de se clore et, malgré tous les efforts et toutes les persistances, s'est toujours à demi rouverte d'elle-même, laissant voir dans la prunelle comme les vagues reflets d'une mystérieuse vie. C'était l'oeil qui avait été touché le premier par la céleste Vision, c'était l'oeil qui était tourné du côté de l'Apparition bienheureuse lorsqu'Elle se manifesta, le 11 février 1858, aux regards de Bernadette ravie.

L'aspect de cet oeil à demi ouvert n'est point suffisamment sensible dans les photographies, d'ailleurs très bien réussies, de soeur Marie-Bernard sur son lit de mort qui ont été faites par Mme Lorans, photographe à Nevers. Est-ce l'effet de quelque faux jeu de lumière et d'ombre? Est-ce par suite de quelque fâcheuse retouche? Nous ne savons. Mais nous regrettons que ce détail particulier ne soit point net et apparent dans la photographie comme il l'était dans la réalité.

Quelques instants après, la ville de Nevers était en émoi. On eût dit qu'un coup de canon avait porté la nouvelle aux mille foyers de la cité... On s'abordait et l'on disait : « La Sainte vient de mourir! »

Et pourtant presque personne ne l'avait vue de ses yeux, cette pauvre Religieuse qui avait fui les enthousiasmes humains pour aller s'ensevelir dans la retraite profonde et le silence de la vie cachée. Mais Nevers avait conscience du trésor qu'il possédait. Nevers savait qu'elle était là, cachant sa gloire dans une humble cellule, l'enfant de bénédiction à laquelle avait parlé la Mère de Dieu et dont le nom remplissait la terre...

Et dès le lendemain jeudi, les fidèles se pressaient aux portes de Saint-Gildard. Elles s'ouvrirent, et les multitudes entrèrent dans la chapelle du couvent. Dans son cercueil découvert et tout drapé de blancs linceuls, Bernadette dormant du suprême sommeil, apparut à leurs regards.

Était-ce la tombe d'une mortelle? Était-ce le berceau d'une enfant ou d'un ange? Était-ce le trône d'une céleste Reine au milieu de son peuple à genoux, ou le lit virginal de la fiancée, reposant invisiblement sur le coeur de l'Époux divin?

Ainsi s'interrogeaient toutes les âmes, tandis que pleuraient tous les yeux.

Les mains jointes, tenant le Crucifix béni que le Saint-Père lui avait envoyé, — la tête doucement inclinée sur l'oreiller et couronnée de blanches roses, — les pieds recouverts de fleurs, — au centre de quatre grands cierges qui brillaient comme quatre étoiles, — entourée de ses compagnes, les Religieuses de Nevers, prosternées et priant, — notre soeur Bernadette sommeillait dans la paix et reposait dans la gloire.

Tous les charmes enfantins de son innocente jeunesse avaient traversé, sans se flétrir ou se faner la pieuse existence du cloître, et, survivant à la mort, se retrouvaient sur ce front endormi!

Bien loin d'être altérés par les horreurs du trépas, ses traits, naturellement si délicats et si fins, avaient revêtu au contraire une beauté nouvelle et une grâce plus qu'humaine. Son visage pàle et suave, son visage, qui semblait visité par un songe radieux, était véritablement angélique et donnait comme un pressentiment de ce que seront là-haut les Êlus transfigurés.

Eh quoi! la séparation qui se fait, entre l'esprit qui s'envole au ciel et l'immobile dépouille qui demeure ici-bas, n'était-elle donc point complète et absolue? Et l'âme, admise déjà sans doute aux éternelles joies, trouvait-elle moyen de faire rayonner sur ce corps inanimé qui fut son compagnon terrestre quelque image et quelque reflet de sa propre félicité?... Mystère insondable.

Durant toute la journée du jeudi, durant celle du vendredi, durant toute la matinée du samedi, jusqu'au moment de la Messe et de l'Absoute, le corps de la Voyante demeura exposé.

Comment décrire les foules émues qui se pressaient et se succédaient. Non seulement tout Nevers assiégeait Saint-Gildard; mais dès le second jour, la nouvelle s'étant répandue, les trains et les voitures amenaient des pèlerins accourus des campagnes environnantes et des villes voisines. Toutes les classes, toutes les professions, tous les âges, les hommes, les femmes, les enfants, les magistrats, les ouvriers, les officiers de l'armée, les soldats, les religieuses, les prêtres, les Soeurs et les Mères de toutes les Congrégations de la ville, les élèves des Séminaires et des écoles catholiques s'acheminant sur deux rangs, composaient les flots de ce fleuve de vénération qui passait devant l'enfant de Notre-Dame de Lourdes et qui se renouvelait sans cesse.

Chacun tenait à ce qu'on fit toucher quelque objet lui appartenant, chapelets, images, médailles, livre d'église, à la sainte dépouille, comme si ce simple contact devait en faire un souvenir à jamais béni et une relique sacrée. Depuis le lever jusqu'au coucher du soleil de ces longues journées quatre Religieuses, quelquefois six, suffisaient à peine à ce pieux labeur. Il fallait, avant de pouvoir approcher, attendre au moins une demi-heure. Mais nul ne se lassait. Tous demeuraient là debout, recueillis et priant. Sur de mâles visages coulaient de saintes larmes.

On n'était point encore au soir du premier jour que divers magasins de la cité étaient entièrement dépossédés de tous les chapelets, médailles, images, statuettes.

Et les foules de ce pèlerinage, en arrivant à Saint-Gildard, conjuraient alors les bonnes Soeurs de Nevers de leur vendre à prix d'or quelques objets de religieux caractère, pouvant être touchés par le corps vénéré.

— Nous ne voulons rien vendre, mes amis, répondaient-elles. Mais nous sommes heureuses de donner.

Et elles se dépouillèrent ainsi de tout ce dont il leur fut possible de disposer.