M. Bobine et le HFR
Adeptes de la grande toile, bonjour !
A l'occasion de la sortie du dernier film de Ang Lee :
Un jour dans la vie de Billy Lynn
ont la particularité est d'avoir été tourné en 120 images par secondes,
j'avais envie de faire un petit épisode informel
sur une nouvelle technologie assez controversée en ce moment :
le HFR.
Alors oui, on va causer technique
mais attendez tout de même un peu avant de vous barrer
pour aller voir des vidéos de chats dans un onglet voisin,
je vais bien sûr vous expliquer tout ça.
On va commencer par un petit point technique pour se mettre en jambe.
Vous le savez tous, le cinéma, ce sont des images fixes
qui en défilant donne l'illusion du mouvement
grâce à la magie de la persistance rétinienne.
La vitesse de défilement de ces images s'appelle le frame rate,
il s'agit tout bêtement du nombre d'images par secondes.
A l'époque du cinéma muet,
les caméras étaient actionnées avec une manivelle
donc le framerate variait entre 16 et 24 images par secondes
selon la vigueur de l'opérateur.
Mais à l'arrivée du cinéma parlant,
il fallait bien trouver un framerate fixe.
En effet, sur la pellicule, il n'y a pas que les images,
il y a aussi la piste son
et si vous vous amusez à varier votre framerate,
votre son va commencer à partir en cacahuètes.
Vous en conviendrez, un film entier comme ça, c'est pas possible
on devient fou en moins d'un quart d'heure
donc il a fallu normaliser.
Pour l'anecdote,
Thomas Edison préconisait un framerate de 46 images par secondes
parce que selon lui, un framerate inférieur fatiguerait les yeux.
Et ouais mais le problème, c'est qu'un framerate plus élevé,
ça veut dire plus de pellicule, et la pelloche, ça coûte cher !
Il a donc été décidé de fixer la norme à 24 images secondes au cinéma,
c'est à dire le framerate minimum
pour que la persistance rétinienne puisse fonctionner correctement.
A l'heure du numérique, cette limitation n'a plus lieu d'être
puisque la pellicule a quasiment disparue de la circulation.
Mais après tout, on a regardé des films en 24fps toute notre vie
alors pourquoi changer ?
Et bien parce que comme tous les choix motivés par des raisons plus économiques qu'artistiques,
le 24 fps pose quelques petits problèmes.
Par exemple, vous savez cet effet de saccades
quand la caméra fait un panoramique un peu trop rapide ?
Et bien ce petit désagrément a un nom :
l'effet judder ou le strobbing, au choix.
Il y a aussi le motion blur, ou le flou de bougé.
Une exemple : quand vous essayez de prendre votre chat en photo
mais que ce con d'animal s'est mis en tête de courir partout dans l'appartement,
et bien sur votre photo, vous avez une tache floue au lieu de cet assisté
qui vous sert d'animal de compagnie.
Et bien au cinéma c'est pareil.
Si vous filmez une action rapide et que l'obturateur de votre caméra est grand ouvert,
vous risquez d'avoir ce flou de bougé sur toutes vos images
surtout si vous filmez comme Paul Greengrass...
Alors évidemment,
on peut atténuer cet effet en diminuant l'angle de l'obturateur de la caméra,
et ainsi obtenir cet effet d'image saccadée qu'on retrouve souvent dans les scènes de batailles
Enfin, si le 24 fps est tout juste suffisant pour une projection en 2D,
ça devient carrément limite quand on passe à la 3D,
et surtout à la 3D active.
Le HFR (c'est à dire le high frame rate)
permet de capter un plus grand nombre d'images par secondes.
Dans le cas du Hobbit de Peter Jackson,
la cadence est le double de la norme actuelle,
c'est à dire 48 images par secondes.
En gros, fini l'effet de strobbing,
le motion blur est grandement atténué et donc l'image est bien plus précise.
En pratique, un réalisateur peut se permettre des mouvements de caméra très dynamiques
sans pour autant perdre en lisibilité.
Tenez, si ça se trouve, en tournant en HFR,
Paul Greengrass pourrait même faire des films vaguement lisibles…
Ouais bon c'est vrai que c'est chaud mais vous comprenez le principe.
Quant à la 3D, le confort est désormais total.
Néanmoins, l'un des principaux reproche qui a été fait au premier film sorti en HFR,
c'est que l'image semblait avoir un rendu vidéo,
ou même télénovela comme l'explique Douglas Trumbull dans le magazine BITS consacré à l'immersion
Donc finalement, le défaut du HFR n'est pas technique,
c'est juste que ça nous rappelle l'image vidéo,
et c'est vrai que c'est un peu chiant, mais au fond,
cette gêne n'est qu'un problème de perception et de convention
parce que sur le papier,
le HFR est en tous points supérieur à la norme actuelle.
Par exemple, personne ne se plaint qu'un jeu vidéo tourne en 60 images par secondes,
c'est même plutôt l'inverse.
Comme le disait le philosophe Alain dans son article “problème de la perception”
paru en 1900 dans Revue de Métaphysique et de Morale :
[...]tous les sens sont capables de nous tromper,
d'où il est raisonnable de conclure
que la plus grande partie des perceptions qui paraissent immédiates sont en réalité
le résultat d'une éducation dont la mémoire n'a pas gardé les traces,
et qu'avant d'apprendre à penser, nous avons dû apprendre à percevoir.
Nous avons en effet regardé des films en 24fps toute notre vie
et les défauts de ce framerate tout pourri sont désormais pour nous synonyme de cinéma.
En somme, nous avons été éduqués ainsi.
Au point qu'à notre époque, même la technologie à ses doudous,
par exemple le retour à la pellicule ou aux maquettes,
ou le fait que l'on salue les tournage à l'ancienne,
et oui, comme ce fut le cas pour notre “chouchou” Mad Max Fury Road.
Et ce n'est pas forcément mieux du côté de la critique
comme en témoigne cet article de Daniel Serceau
sur le procès des Cahiers du cinéma et de Cinéthique
fait à “l'impression de réalité” durant les années 70.
Ces derniers réduisent ainsi le cinéma à une simple captation du réel
qui se rend idéologiquement complice du monde qu'il reproduit.
En niant que le cinéma est une construction composée d'innombrables conventions
et d'un long apprentissage passif pour assimiler ses évolutions,
et en n'en faisant qu'une simple “reproduction de la réalité”,
les édiles du cinéma balaient la dimension technique du 7ème art
pour ne s'intéresser qu'au sens qu'il véhicule.
En gros, ils se fiche bien de savoir quels sont les mécanismes qui permettent
la reproduction de l'illusion d'une réalité
et ne s'intéressent qu'à ce que le film raconte.
Il ne faut donc pas s'étonner que les spectateurs préfèrent rester en terrain connu
plutôt que de faire l'effort de bousculer leurs habitudes.
Ne vous méprenez pas.
Notre but ici n'est pas de vous convaincre à tout prix
que tous les films se doivent désormais d'être tournés en HFR.
Et puis comme la télévision va s'y mettre pour les compétitions sportives
ça finira un jour ou l'autre par revenir au cinéma.
Ce que je veux vous faire comprendre,
c'est qu'on n'est qu'aux premières expérimentations de ce procédé.
Il n'y a pour le moment que 4 films tournés en HFR et à mon sens,
c'est beaucoup trop peu pour se faire une opinion définitive
sur le potentiel de ce nouveau framerate.
Tenez, vous croyez que le premier film sonore était déjà en Dolby surround ?
Et bien non, il a fallu du temps pour développer les micros,
équiper les salles et proposer enfin une expérience sonore acceptable.
Pour le HFR,
nous n'avons eu pour le moment que l'approche de Peter Jackson,
mais James Cameron souhaitait, aux dernières nouvelles,
expérimenter un framerate variable sur les suites d'Avatar :
c'est à dire, augmenter le nombre d'images par secondes
pendant les scènes les plus spectaculaires
et revenir au framerate classique pour les scènes de dialogues.
Quant à Douglas Trumbull
qui a déjà développé un système de projection à 60 images secondes appelé le Showscan,
il semble avoir résolu le problème de l'effet “télénovela”
avec son système baptisé MAGI.
quant à la vision de Ang Lee, qui lui propose carrément un film à 120 images par secondes,
nous n'aurons malheureusement pas la possibilité
de juger de la pertinence de sa proposition
puisque le film ne sera diffusé qu'en 2D à 24 images par secondes
et ce dans seulement 30 salles en France...
Pour que cette technologie soit enfin acceptée,
il faudrait que plusieurs réalisateurs puissent tenter l'aventure,
que la critique fasse son travail de vulgarisation et de défrichage
et enfin, que le public accepte la nouveauté
même si celle-ci semble gênante de prime abord.
Et vous l'aurez compris, c'est pas gagné...
à moins d'un miracle...