Pourquoi il y a toujours des travaux sur les lignes de train ? (3)
s'y est installée, et la ville s'est développée pour devenir une importante plaque tournante du
transport de marchandises. Celui-ci a peu à peu diminué, pour disparaître dans les années 1980,
mais Juvisy reste en revanche un grand nœud du trafic de voyageur, notamment autour des RER C
et D : résultat, aujourd'hui encore, Juvisy se développe autour du ferroviaire, mais aussi du
bus et du tram, pour devenir l'un des points de passage les plus fréquentés d'Île-de-France.
De même, de nombreuses petites villes de villégiatures doivent leurs existences
au train et aux compagnies privées qui ont planifié leurs constructions. Des cités de
cheminots bourgeonnent le long du tracé des voies importantes. Les cheminots français
développent d'ailleurs une culture ouvrière bien particulière due à cette forme de ségrégation et
au caractère dynastique de leurs privilèges. Fait rigolo d'ailleurs : un commentateur a
relevé que le langage des cheminots français est, je cite, « constellé d'expressions fleuries
et imagées, qui datent de près de deux siècles. Même pour des mots très simples,
ils gardent de vieilles habitudes, préférant dire “une galerie” plutôt qu'un tunnel »,
« une rampe » plutôt qu'une montée », « une pente » plutôt qu'une descente », « négocier
une courbe » plutôt que « prendre un virage », ou « voyageurs » plutôt que « passagers »,
qui appartient au vocabulaire aérien. » Et toutes ces expressions employées par
les cheminots sont des expressions communément employées au Québec
et au Canada français par exemple ! Les années 1920 marquent l'apogée du
réseau de chemins de fer français avec le plus long développement linéaire et
le plus grand nombre de lignes en service. La troisième phase de développement du rail
français est marquée par la nationalisation des compagnies de chemins de fer. Mais on
peut légitimement se poser une question : pourquoi est ce qu'on nationalise ?
Dès la fin des années 1870, les compagnies de fer françaises subissent des difficultés de rendement.
On évoque en 1879 pour la première fois la possibilité de nationaliser le réseau. Vers
1910, la crise du rail s'enracine alors que l'économie française entre en récession. La
France produit moins et logiquement le rail français transporte moins de marchandises ;
pour ajouter des clous dans le cercueil, les salaires des cheminots étaient à l'époque
beaucoup plus élevés proportionnellement que ceux d'aujourd'hui. Les coûts d'exploitations étaient
donc très élevés. Résultat : les banquiers ne voulaient plus investir dans les compagnies
ferroviaires. Pour continuer de développer les infrastructures, la nationalisation demeurait donc
une option viable, mais pour ce faire il fallait indemniser les actionnaires privés. La véritable
volonté politique vient en 1936, avec l'arrivée au pouvoir du Front populaire. René Mayer,
l'homme d'affaires ayant présidé au statut d'Air France en 1932, organise le montage
financier permettant de payer les indemnisations et de la mise en place de la Société nationale
des chemins de fer : la célèbre SNCF ! Les premières années, les cheminots
ne se sont pas vraiment identifiés à la SNCF,
il faut attendre la guerre et la résistance pour que cette cristallisation opère. Durant
la Seconde Guerre mondiale, plusieurs cheminots français s'organisent ainsi
dans le mouvement Résistance-Fer. Mais le rail a aussi un côté sombre ;
le réseau de chemins de fer français contribue à l'efficacité de la déportation de milliers
de personnes. C'est notamment de la gare du Bourget, au nord de Paris, que partent les
trains en direction de l'Allemagne nazie. Les bombardements de la guerre causent des
dégâts étendus sur le réseau et la reconstruction s'accompagne d'une restructuration importante.
Dans les années 1960, la nouvelle planification industrielle envoie sur le littoral les usines.
Pour faire transiter les marchandises, on préfère les navires qui longent les côtes plutôt que le
rail. Au même moment, les mines de charbon du Nord et les aciéries de l'Est sont en perte de vitesse.
La tendance est aussi à l'électrification, ce qui favorise certaines lignes au détriment des
autres. Paris, pour sa part, se peuple de plus en plus, de même que sa banlieue, ce qui n'est
pas sans inquiéter le pouvoir qui essaie de reprendre la main sur le développement urbain,
en indiquant quels secteurs urbaniser en priorité. Petit à petit, certaines grandes
industries quittent le cœur de la région, emportant avec elle des voyageurs potentiels.
Bref, l'usage du train pour transporter les marchandises est en perte de vitesse.
Et ce n'est pas fini ! Dès les années 1950,
l'émergence du camion redessine l'industrie du transport de fret. Contrairement au train,
le camion est un moyen flexible de transport de marchandises pour des industries décentrées
du réseau. Un camionneur peut très bien se rendre de porte en porte et aussi offrir une
souplesse dans son cahier de livraison. Là où le train ne peut se déplacer que sur son
rail ! Jules le camionneur incarne parfaitement le petit entrepreneur typique de l'après-guerre.
Dans les années 1960 se met en place une culture autour de l'automobile alors que la
voiture symbolise la liberté individuelle et la modernité. L'opinion publique et les politiques
favorisent le développement des routes et des autoroutes. Des quartiers peuplés de pavillons
se collent aux bretelles d'accès de ces grands cordons autoroutiers. De la banlieue bourgeoise,
on passe à la banlieue pavillonnaire où résident des employés qui rentrent chez
eux le soir pour y dormir. Ce développement se fait d'abord dans l'ouest de l'agglomération
parisienne puis s'étend au Nord et au Sud-Est. Si le train dessinait le paysage urbain,
c'est donc désormais la voiture qui le fait. Mais le rail n'a pas dit son dernier mot, loin de là !
Les périphéries industrielles se métamorphosent à la fois en cité
dortoir et en couloir de transit vers des zones encore plus éloignées du centre de la capitale.
De 1969 au début des années 2000, le programme RER et les autoroutes constituent le principal
outil d'urbanisme sur le plan des transports. Les autorités transforment les anciennes lignes
de fret marchand d'Île-de-France en mass transit ; c'est la mise en place du Réseau express régional,
le RER, un réseau développé afin de faciliter les mouvements entre Paris
et les banlieues et qui a pour but de relier entre eux les différentes gares.
En 1960, les autorités politiques lancent la construction d'une première ligne ferroviaire qui
traverse Paris d'est en ouest. La Régie autonome des transports parisiens, la RATP, est responsable
du projet et exploite la nouvelle ligne. La SNCF cède alors à RATP deux lignes vénérables, la ligne
de Paris à Saint-Germain-en-Laye à l'ouest et la ligne de Vincennes à l'est. La construction
de 260 kilomètres de lignes est prévue au départ. Certaines lignes du RER sont donc
en service depuis plus de 50 ans. Mais malgré ces différents types et âges du RER, ce réseau ferré
particulier devient très vite engorgé compte tenu du fait que les lignes n'ont pas originellement
été tracées pour le transport de passagers. Et clairement, il y a beaucoup plus de monde
qui habitent dans les banlieues aujourd'hui qu'à l'époque où elles ont été construites ! Et
si l'automobile va bon train jusqu'au choc pétrolier des années 1970, ce moment là,
le rail redevient sur le devant la scène comme LA solution à la crise énergétique
et au transport en masse des travailleurs. Les années 1980 voient le développement
d'un tout autre type de réseau : le train à grande vitesse, plus connu sous le nom du TGV.
L'État français fait alors le choix de développer les liaisons entre Paris et un nombre limité de
villes régionales comme Lyon, Marseille, Lille, Renne, Bordeaux et bien d'autres. Mais ce choix a
un coût. En privilégiant certaines lignes longues distances pour les convertir à la grande vitesse,
certaines villes de moyenne ou de petite taille perdent leur desserte et se retrouvent isolées.
Il faut dire que le TGV a bien plus d'atouts en manche que les transports franciliens :
bien des élus locaux de grandes villes se battent pour essayer de faire s'arrêter le TGV chez eux,
car cela pourrait permettre à leur ville de se développer de façon impressionnante
par rapport à ses voisines… et attirer des succès électoraux. Une liaison TGV efficace,
c'est en effet un contact facile avec la capitale, et la possibilité d'attirer beaucoup plus aisément
cadres et sièges d'entreprises désirant quitter la région parisienne : la gentrification de villes
comme Nantes ou Rennes en témoignent, tandis que beaucoup de villes moyennes du centre de la
France, comme Limoges et Montluçon, pâtissent du développement des lignes à grande vitesse
qui les contournent et n'en font plus des points de passage aussi intéressants. Le TGV,
à double tranchant, est donc un enjeu politique important, qui a pu trop souvent faire oublier
les transports du quotidien en Île-de-France, aux usagers par ailleurs souvent plus modestes…
Les années 1990 et 2000 sont marquées par la montée des préoccupations écologiques. Le
transport par rail est perçu comme une solution à la pollution engendrée par les pots d'échappement
des voitures ou des turbines des avions. Vous le voyez bien à travers cette vidéo,
les enjeux du rails sont extrêmement importants et pour être très clair : il n'y a pas de solution
miracle malheureusement ! La transformation du chemin de fer français va prendre un bon bout
de temps. Le réseau a pris presque deux siècles à se construire ; autant vous dire que les travaux
pour moderniser ce réseau ne se réaliseront certainement pas d'un claquement de doigt !
Il va falloir moderniser les voies, éliminer certaines lignes et en construire de nouvelles.
Le raccordement du rail à différents modes de transport comme le tramway,
l'automobile électrique ou le transport actif comme le vélo ou la marche va nécessiter de
redessiner le modèle des gares. On peut entendre parfois “Oui mais c'était plus rapide à l'époque
de construire ce réseau ! Aujourd'hui ça s'étale sur des années !”. C'est vrai, mais avant,
les travaux préparatoires étaient inexistants, il n'y avait pas de Télécom, pas d'EDF,
rien qui venait entraver la construction rapide et sans soucis de nouvelles voies. Il n'y avait
donc pas besoin de travaux préparatoires pour éviter de faire tomber un immeuble
par mégarde sur le chemin ou de priver tout un quartier d'électricité ! S'y ajoutent aussi la
présence d'infrastructures routières de plus en plus denses, qu'il s'agit de ne pas perturber,
de même que la circulation ferroviaire déjà existante, que des travaux pourraient interrompre.
Ajoutez à ça le fait que la circulation permanente de trains génère d'importantes nuisances pour les
riverains et vous comprenez pourquoi, aujourd'hui, les chantiers nécessitent une longue étude en
amont pour prévenir tous ces risques, et ça, pour la moindre petite modification sur le réseau !
Dans une région si dense, le réseau de transports en commun ne peut malheureusement pas contenter
tout le monde. Il faut l'entretenir et le maintenir pour garantir sa robustesse,
et le développer pour répondre aux besoins du territoire. En gros : désengorger les transports
existants, faciliter la transition de la voiture vers les trains, désenclaver les territoires sans
transport et faciliter les trajets de banlieue à banlieue pour éviter le passage dans Paris.
Facile vous direz ! Ou pas...on est malheureusement pas dans un jeu de
gestion et c'est un poil plus compliqué ! Au total c'est environ 1000 chantiers par
an qu'il faut réaliser en tenant compte de tout un tas de paramètres et de l'impact sur les voyageurs
du quotidien, mais aussi sur les voyageurs longue distance. Et pour faire les travaux, il faut
trouver les bons créneaux. Le jour il y a les RER, le weekend les TGV. Il reste donc la nuit,
quand il n'y a pas de trains de fret.
Conséquence rigolote mais pas tant que ça pour les équipes, cela nécessite de mettre
en place et replier le chantier tous les jours ce qui limite mécaniquement
la durée des travaux. C'est pourquoi, pour certaines opérations, les lignes sont coupées
le temps d'un weekend ou durant les vacances. C'est souvent le cas pour les grands projets de
développement comme le Grand Paris Express, un réseau de 4 nouvelles lignes, relié par ses 68
gares aux 2 réseaux existants (SNCF et RATP).
L'enjeu est absolument colossal quand on y pense. On aurait pu choisir,
comme d'autres capitales, comme Berlin ou Madrid, de superposer les réseaux
et de les faire vivre indépendamment. Mais le choix qui a été fait en France,