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Arthur Bernède- Belphégor, 2-6 Une flamme qui meurt

2-6 Une flamme qui meurt

Une flamme qui meurt

Dans le grand salon de la maison d'Auteuil, Elsa Bergen et Maurice de Thouars, l'air grave, préoccupé, échangeaient quelques vagues propos, lorsqu'un valet de chambre annonça : – Le baron et la baronne Papillon !

La baronne ne donna pas le temps à Elsa Bergen de s'avancer vers elle… Elle se précipita dans le salon, clamant, avec des larmes dans la voix : – Alors, notre chère Simone ne va pas ?…

Le baron Papillon s'approchait à son tour, et, avec le regard vide de ceux qui sont pleins d'eux-mêmes et le ton déclamatoire de ces gens superficiels qui s'efforcent de masquer leur insensibilité de profonds égoïstes, il demanda : – Au moins, notre pauvre amie n'est pas en danger ? Mlle Bergen répliquait avec tristesse :

– Nous n'avons plus beaucoup d'espoir. – Que dit le médecin ?

– Simone n'a pas voulu le recevoir ! – Il fallait la forcer !

– C'eût été hâter ses derniers moments. À ces mots, Mme Papillon se laissa tomber sur un siège. Quant à son mari, tout en s'efforçant de donner à son masque pétri de prétention imbécile et creuse une expression de douloureuse surprise, il s'en fut vers Maurice de Thouars et lui serra la main avec une effusion exagérée : – Voyons, fit-il d'une voix caverneuse, que s'est-il passé ? Dissimulant avec peine l'énervement que lui causaient toutes ces visites, Maurice de Thouars répliquait : – Déjà, depuis quelque temps, la santé de notre chère Simone nous causait de grandes inquiétudes.

– N'abusait-elle pas de stupéfiants ? – Hélas ! oui… Mais ce qui l'a surtout frappée, c'est la visite de ce Fantôme. Au mot de Fantôme, la baronne eut un sursaut d'épouvante. – Le Fantôme ! s'écria-t-elle en projetant les bras en avant… Le Fantôme ! Ah ! ne m'en parlez pas ! Il me semble que je le vois sans cesse rôder autour de moi.

« J'avais eu l'idée de partir pour notre château de Courteuil, qui est situé entre Dreux et Mantes… « Il me semblait qu'à l'abri de ces hautes et épaisses murailles, derrière ces ponts-levis, nous eussions été plus en sécurité… « Mais le secrétaire de mon mari, M. Lüchner, m'en a dissuadée, prétendant que si le Fantôme était décidé à nous rendre visite, il pénétrerait tout aussi facilement dans notre château de Courteuil que dans notre hôtel de Paris… Alors, je suis restée ! Mais je suis à bout… Je n'en dors plus ! – Elle était déjà un peu détraquée, soufflait l'amateur de bibelots à l'oreille du beau Maxime… Mais, avec toutes ces histoires, je crains qu'elle ne devienne tout à fait folle… Tenez… écoutez-là. En effet, la baronne Papillon qui, à présent, ne semblait nullement jouer la comédie, continuait, tout en gesticulant :

– Ce Fantôme ! Je le vois partout… La nuit, le jour… dans mon salon, dans ma chambre à coucher, dans mon cabinet de toilette…

Et, proférant un cri de terreur, elle montra d'un doigt tremblant la porte qui venait de s'ouvrir : – Le voici ! clama-t-elle, épouvantée. C'est lui ! C'est lui ! – Mais non ! rectifiait Elsa Bergen, c'est Dominique. Les yeux écarquillés, la baronne contemplait, un peu calmée, le valet de chambre, qui venait d'apparaître et s'avançait, d'un pas cérémonieux, vers la demoiselle de compagnie à laquelle il dit : – Je viens rappeler à Mademoiselle que M. Chantecoq attend déjà depuis un quart d'heure dans le boudoir. – Chantecoq ! s'exclama la baronne Papillon. Chantecoq, le roi des détectives. Oh ! faites-le entrer ! Faites-le venir vite ! Je veux le voir… Je veux me placer sous sa protection…

– Dominique, faites entrer M. Chantecoq, ordonnait Mlle Bergen.

Le valet de chambre se retira pour revenir quelques instants après avec le célèbre limier qui, en apercevant le couple plutôt ridicule que représentaient le collectionneur et son épouse, s'arrêta sur le seuil, en l'attitude d'un homme bien élevé qui redoute d'être indiscret. Mais Mlle Bergen, avec beaucoup d'affabilité, le présentait aux Papillon. Chantecoq s'inclina devant la baronne, serra la main que le baron lui tendait et adressa une amicale salutation à M. de Thouars qui lui répondit avec non moins de cordialité. Achevant de rompre la glace, la demoiselle de compagnie poursuivait :

– Le baron Papillon, qui est un grand amateur d'antiquités, est aussi le plus fin, le plus averti de tous nos collectionneurs parisiens. Mais Mme Papillon ne donna pas à la Scandinave le temps de continuer et elle s'écria : – Monsieur Chantecoq, vous allez bientôt arrêter le Fantôme… n'est-ce pas ? Chantecoq répondit en souriant :

– Je l'espère, madame. – Figurez-vous que je ne vis plus !

– Madame reprit le limier, je ne vois pas pourquoi le Fantôme s'attaquerait à vous plutôt qu'à une autre. – Nous possédons une telle quantité de belles choses…

– Évidemment ! reconnaissait le détective, c'est fort tentant pour un cambrioleur. Mais rassurez-vous, baronne…

« Les constatations que j'ai faites me permettent de vous affirmer que Belphégor – c'est ainsi que nous nommons le Fantôme – est un malfaiteur beaucoup trop habile et trop prudent pour continuer ses exploits, maintenant surtout qu'il a atteint l'objectif qu'il poursuivait. – C'est-à-dire ? – Le trésor des Valois.

– Le trésor des Valois ! s'exclamèrent simultanément Elsa Bergen, Maurice de Thouars et le ménage Papillon. – Parfaitement ! déclara le policier.

– Il y avait donc un trésor caché au Louvre ? interrogeait le baron.

– Oui… sous la statue de Belphégor.

– Et le Fantôme s'en est emparé ? – En un tournemain.

– Quand cela ?

– La nuit dernière.

– Décidément, s'écriait Mme Papillon, la police est bien mal faite à Paris. – On n'avait donc pas établi au Louvre, un service de surveillance ? observait Maurice de Thouars.

– Ah ! si, déclarait Chantecoq… L'inspecteur Ménardier se trouvait même dans la salle des Dieux barbares avec deux de ses meilleurs agents. – Et ils n'ont pu arrêter ce monstre ? – Cela leur eût été bien difficile.

– Pourquoi ?

– Ils étaient profondément endormis.

– J'espère bien qu'on va les révoquer ! scandait le collectionneur.

– Ce n'est pas leur faute… excusait Chantecoq. Belphégor leur avait fait, sans qu'ils s'en doutent, respirer des gaz somnifères. – Des gaz somnifères ! scandait Mme Papillon, en levant les bras au ciel.

Et, reprise de toute sa terreur, elle se mit à piailler :

– C'est effrayant ! C'est abominable ! Jamais on n'a vu une chose pareille ! – Ne criez pas aussi fort, madame ! intervenait Mlle Bergen… Simone pourrait entendre.

– Mais oui, tais-toi donc ! appuya le baron.

– Baronne, reprenait Chantecoq, vous ne m'avez pas donné le temps de terminer. J'avais à ajouter quelques mots qui, je l'espère, vont tout à fait vous rassurer. L'inspecteur Ménardier m'a assuré qu'il était sur la piste du bandit et que son arrestation n'était plus qu'une question d'heures. – Ah ! je respire ! fit Mme Papillon.

– Je crois qu'après cette bonne parole, conclut le collectionneur, nous n'avons plus qu'à nous retirer. – Oui, c'est cela, partons… acquiesçait la baronne… Au revoir, mademoiselle Bergen. Et en tête de linotte qu'elle était, Mme Papillon ajouta : – Cette pauvre Simone !… Vous lui direz mille choses aimables de notre part… Espérons que ce ne sera rien !

« Au revoir, monsieur de Thouars ; monsieur Chantecoq, tous mes compliments.

Et la demi-toquée s'en fut avec son mari qui, après avoir pris congé de tous, la rejoignait dans l'antichambre, en grommelant des paroles inintelligibles qui n'étaient pas certes des éloges à l'adresse de la compagne de sa vie. Mlle Bergen soupira :

– Deux grotesques !… Elle surtout est insupportable.

Chantecoq reprenait :

– J'ai bien vu qu'elle vous agaçait et j'ai cherché à vous en débarrasser. – Et vous y avez réussi, monsieur Chantecoq !… Tous mes meilleurs remerciements.

– Je me doutais bien, déclarait Maurice de Thouars, que cette histoire de trésor des Valois n'était qu'une fantaisie de votre imagination. – Pas du tout ! protestait le roi des détectives ; elle est parfaitement authentique.

– Et l'inspecteur Ménardier vous a affirmé qu'il était sur la piste du coupable ? – Il m'a même donné rendez-vous, cet après-midi, vers cinq heures à la préfecture de police pour me donner son nom. – Et vous irez ? interrogeait la demoiselle de compagnie.

– Certainement !

– En ce cas, posait M. de Thouars, vous renoncez à votre enquête ?

– Non, puisque je suis ici.

– J'avoue que je ne comprends pas. – C'est pourtant bien simple, mon cher monsieur, reprenait le détective. Ménardier prétend qu'il tient Belphégor, ou tout au moins qu'il va le tenir. Or, je suis convaincu qu'il suit une route différente de la mienne et qu'il est sur le point de commettre une grave erreur. Donc, je continue !

« Voilà pourquoi, concluait Chantecoq, j'aurais voulu demander quelques renseignements à Mlle Desroches. – Hélas ! répliquait la Scandinave, elle ne vous entendrait même pas. Mais je pourrai, peut-être, vous répondre pour elle. Simone n'a guère de secrets pour moi. – Puisqu'il en est ainsi, mademoiselle, reprenait le grand limier, je n'hésite pas à vous poser tout de suite une question d'une importance capitale. « Les lettres dérobées à Mlle Desroches sont-elles de nature à compromettre leur signataire ?

Mlle Bergen réfléchit un instant. Puis, elle fit :

– Soupçonneriez-vous Jacques Bellegarde d'être… D'un geste bref, énergique, Chantecoq l'arrêta. Puis il répliqua sur un ton catégorique :

– Je n'ai pas de soupçons, je cherche. Gravement, Chantecoq poursuivait :

– Vous comprenez maintenant pourquoi j'attache un si grand prix à votre réponse. – Monsieur Chantecoq, reprenait la demoiselle de compagnie, je ne voudrais pas un seul instant que vous vous figuriez que je cherche à me venger d'un homme qui a si cruellement fait souffrir ma pauvre amie. Je suis, en effet, très au-dessus d'un pareil sentiment. Silencieux, Maurice de Thouars approuvait de la tête les paroles de la Scandinave, qui poursuivait :

– Mais je dois reconnaître, dans l'intérêt de la vérité, que ces lettres, dont Simone m'en avait fait lire quelques-unes, renferment certains passages qui peuvent être gênants pour celui qui les avait écrits. Elle allait continuer, mais Juliette, la femme de chambre, accourait… bouleversée, et clamant d'une voix tremblante : – Venez vite ! Mademoiselle est au plus mal !

Elsa Bergen s'élança vers la porte et disparut. Maurice de Thouars se disposait à la suivre ; se retournant vers Chantecoq, il lui dit :

– Excusez-nous, monsieur !

Le détective, tout en s'inclinant légèrement, répondit : – C'est moi au contraire, qui vous demande pardon… j'ignorais que Mlle Desroches fût aussi gravement atteinte. – Elle est perdue ! murmura M. de Thouars.

Et il ajouta avec un accent de grande douleur :

– Ce n'est plus qu'une flamme qui meurt ! Et tandis qu'une flamme de colère s'allumait dans ses yeux, il scanda haineusement : – Ce Bellegarde est un grand coupable.

Et accompagnant Chantecoq jusque dans le vestibule, où le valet de chambre s'apprêtait à ouvrir la porte, M. de Thouars escalada à grandes enjambées les marches de l'escalier qui conduisait au premier étage. Lorsqu'il pénétra dans la chambre de Simone, Elsa Bergen, Juliette et une infirmière s'efforçaient de maintenir dans son lit la malheureuse jeune femme. En proie à un délire effrayant, les yeux révulsés, le visage décomposé, elle s'écriait, en agitant les bras : – Le Fantôme ! Je le vois ! Il est là ! Il est là !…

Échappant, en un suprême effort, à celles qui s'efforçaient de la calmer, d'un bond, elle sauta à bas de son lit et courut vers la fenêtre, comme si elle voulait se jeter dans le jardin. Mlle Bergen et l'infirmière, qui l'avaient rejointe, la maîtrisèrent assez facilement et déposèrent sur une chaise longue Simone qui, brisée par ce dernier sursaut, ne manifestait plus aucune énergie, et demeura prostrée, anéantie, les yeux clos. Maurice de Thouars s'était précipité sur un flacon de sels placé sur la table de nuit… et le passait à l'infirmière, qui faisait immédiatement respirer le révulsif à Simone. Au bout d'un instant, elle se ranima un peu et murmura d'une voix très faible, mais où subsistait encore l'écho d'un indicible déchirement : – Jacques ! Jacques !

Et tout en serrant nerveusement la main d'Elsa Bergen, elle ajouta, haletante, épuisée. – Vous lui direz que je lui pardonne !

Sa tête retomba en avant… Elle venait de perdre connaissance.

Ce fut en vain que la demoiselle de compagnie essaya de la ranimer.

Et d'une voix brisée, Maurice de Thouars dit à la femme de chambre, consternée : – Juliette, il était temps ; allez chercher un prêtre… car c'est l'agonie qui commence !

2-6 Une flamme qui meurt 2-6 A dying flame

Une flamme qui meurt

Dans le grand salon de la maison d'Auteuil, Elsa Bergen et Maurice de Thouars, l'air grave, préoccupé, échangeaient quelques vagues propos, lorsqu'un valet de chambre annonça : – Le baron et la baronne Papillon !

La baronne ne donna pas le temps à Elsa Bergen de s'avancer vers elle… Elle se précipita dans le salon, clamant, avec des larmes dans la voix : – Alors, notre chère Simone ne va pas ?…

Le baron Papillon s'approchait à son tour, et, avec le regard vide de ceux qui sont pleins d'eux-mêmes et le ton déclamatoire de ces gens superficiels qui s'efforcent de masquer leur insensibilité de profonds égoïstes, il demanda : – Au moins, notre pauvre amie n'est pas en danger ? Mlle Bergen répliquait avec tristesse :

– Nous n'avons plus beaucoup d'espoir. – Que dit le médecin ?

– Simone n'a pas voulu le recevoir ! – Il fallait la forcer !

– C'eût été hâter ses derniers moments. À ces mots, Mme Papillon se laissa tomber sur un siège. Quant à son mari, tout en s'efforçant de donner à son masque pétri de prétention imbécile et creuse une expression de douloureuse surprise, il s'en fut vers Maurice de Thouars et lui serra la main avec une effusion exagérée : – Voyons, fit-il d'une voix caverneuse, que s'est-il passé ? Dissimulant avec peine l'énervement que lui causaient toutes ces visites, Maurice de Thouars répliquait : – Déjà, depuis quelque temps, la santé de notre chère Simone nous causait de grandes inquiétudes.

– N'abusait-elle pas de stupéfiants ? – Hélas ! oui… Mais ce qui l'a surtout frappée, c'est la visite de ce Fantôme. Au mot de Fantôme, la baronne eut un sursaut d'épouvante. – Le Fantôme ! s'écria-t-elle en projetant les bras en avant… Le Fantôme ! Ah ! ne m'en parlez pas ! Il me semble que je le vois sans cesse rôder autour de moi.

« J'avais eu l'idée de partir pour notre château de Courteuil, qui est situé entre Dreux et Mantes… « Il me semblait qu'à l'abri de ces hautes et épaisses murailles, derrière ces ponts-levis, nous eussions été plus en sécurité… « Mais le secrétaire de mon mari, M. Lüchner, m'en a dissuadée, prétendant que si le Fantôme était décidé à nous rendre visite, il pénétrerait tout aussi facilement dans notre château de Courteuil que dans notre hôtel de Paris… Alors, je suis restée ! Mais je suis à bout… Je n'en dors plus ! – Elle était déjà un peu détraquée, soufflait l'amateur de bibelots à l'oreille du beau Maxime… Mais, avec toutes ces histoires, je crains qu'elle ne devienne tout à fait folle… Tenez… écoutez-là. En effet, la baronne Papillon qui, à présent, ne semblait nullement jouer la comédie, continuait, tout en gesticulant :

– Ce Fantôme ! Je le vois partout… La nuit, le jour… dans mon salon, dans ma chambre à coucher, dans mon cabinet de toilette…

Et, proférant un cri de terreur, elle montra d'un doigt tremblant la porte qui venait de s'ouvrir : – Le voici ! clama-t-elle, épouvantée. C'est lui ! C'est lui ! – Mais non ! rectifiait Elsa Bergen, c'est Dominique. Les yeux écarquillés, la baronne contemplait, un peu calmée, le valet de chambre, qui venait d'apparaître et s'avançait, d'un pas cérémonieux, vers la demoiselle de compagnie à laquelle il dit : – Je viens rappeler à Mademoiselle que M. Chantecoq attend déjà depuis un quart d'heure dans le boudoir. – Chantecoq ! s'exclama la baronne Papillon. Chantecoq, le roi des détectives. Oh ! faites-le entrer ! Faites-le venir vite ! Je veux le voir… Je veux me placer sous sa protection…

– Dominique, faites entrer M. Chantecoq, ordonnait Mlle Bergen.

Le valet de chambre se retira pour revenir quelques instants après avec le célèbre limier qui, en apercevant le couple plutôt ridicule que représentaient le collectionneur et son épouse, s'arrêta sur le seuil, en l'attitude d'un homme bien élevé qui redoute d'être indiscret. Mais Mlle Bergen, avec beaucoup d'affabilité, le présentait aux Papillon. Chantecoq s'inclina devant la baronne, serra la main que le baron lui tendait et adressa une amicale salutation à M. de Thouars qui lui répondit avec non moins de cordialité. Achevant de rompre la glace, la demoiselle de compagnie poursuivait :

– Le baron Papillon, qui est un grand amateur d'antiquités, est aussi le plus fin, le plus averti de tous nos collectionneurs parisiens. Mais Mme Papillon ne donna pas à la Scandinave le temps de continuer et elle s'écria : – Monsieur Chantecoq, vous allez bientôt arrêter le Fantôme… n'est-ce pas ? Chantecoq répondit en souriant :

– Je l'espère, madame. – Figurez-vous que je ne vis plus !

– Madame reprit le limier, je ne vois pas pourquoi le Fantôme s'attaquerait à vous plutôt qu'à une autre. – Nous possédons une telle quantité de belles choses…

– Évidemment ! reconnaissait le détective, c'est fort tentant pour un cambrioleur. Mais rassurez-vous, baronne…

« Les constatations que j'ai faites me permettent de vous affirmer que Belphégor – c'est ainsi que nous nommons le Fantôme – est un malfaiteur beaucoup trop habile et trop prudent pour continuer ses exploits, maintenant surtout qu'il a atteint l'objectif qu'il poursuivait. – C'est-à-dire ? – Le trésor des Valois.

– Le trésor des Valois ! s'exclamèrent simultanément Elsa Bergen, Maurice de Thouars et le ménage Papillon. – Parfaitement ! déclara le policier.

– Il y avait donc un trésor caché au Louvre ? interrogeait le baron.

– Oui… sous la statue de Belphégor.

– Et le Fantôme s'en est emparé ? – En un tournemain.

– Quand cela ?

– La nuit dernière.

– Décidément, s'écriait Mme Papillon, la police est bien mal faite à Paris. – On n'avait donc pas établi au Louvre, un service de surveillance ? observait Maurice de Thouars.

– Ah ! si, déclarait Chantecoq… L'inspecteur Ménardier se trouvait même dans la salle des Dieux barbares avec deux de ses meilleurs agents. – Et ils n'ont pu arrêter ce monstre ? – Cela leur eût été bien difficile.

– Pourquoi ?

– Ils étaient profondément endormis.

– J'espère bien qu'on va les révoquer ! scandait le collectionneur.

– Ce n'est pas leur faute… excusait Chantecoq. Belphégor leur avait fait, sans qu'ils s'en doutent, respirer des gaz somnifères. – Des gaz somnifères ! scandait Mme Papillon, en levant les bras au ciel.

Et, reprise de toute sa terreur, elle se mit à piailler :

– C'est effrayant ! C'est abominable ! Jamais on n'a vu une chose pareille ! – Ne criez pas aussi fort, madame ! intervenait Mlle Bergen… Simone pourrait entendre.

– Mais oui, tais-toi donc ! appuya le baron.

– Baronne, reprenait Chantecoq, vous ne m'avez pas donné le temps de terminer. J'avais à ajouter quelques mots qui, je l'espère, vont tout à fait vous rassurer. L'inspecteur Ménardier m'a assuré qu'il était sur la piste du bandit et que son arrestation n'était plus qu'une question d'heures. – Ah ! je respire ! fit Mme Papillon.

– Je crois qu'après cette bonne parole, conclut le collectionneur, nous n'avons plus qu'à nous retirer. – Oui, c'est cela, partons… acquiesçait la baronne… Au revoir, mademoiselle Bergen. Et en tête de linotte qu'elle était, Mme Papillon ajouta : – Cette pauvre Simone !… Vous lui direz mille choses aimables de notre part… Espérons que ce ne sera rien !

« Au revoir, monsieur de Thouars ; monsieur Chantecoq, tous mes compliments.

Et la demi-toquée s'en fut avec son mari qui, après avoir pris congé de tous, la rejoignait dans l'antichambre, en grommelant des paroles inintelligibles qui n'étaient pas certes des éloges à l'adresse de la compagne de sa vie. Mlle Bergen soupira :

– Deux grotesques !… Elle surtout est insupportable.

Chantecoq reprenait :

– J'ai bien vu qu'elle vous agaçait et j'ai cherché à vous en débarrasser. – Et vous y avez réussi, monsieur Chantecoq !… Tous mes meilleurs remerciements.

– Je me doutais bien, déclarait Maurice de Thouars, que cette histoire de trésor des Valois n'était qu'une fantaisie de votre imagination. – Pas du tout ! protestait le roi des détectives ; elle est parfaitement authentique.

– Et l'inspecteur Ménardier vous a affirmé qu'il était sur la piste du coupable ? – Il m'a même donné rendez-vous, cet après-midi, vers cinq heures à la préfecture de police pour me donner son nom. – Et vous irez ? interrogeait la demoiselle de compagnie.

– Certainement !

– En ce cas, posait M. de Thouars, vous renoncez à votre enquête ?

– Non, puisque je suis ici.

– J'avoue que je ne comprends pas. – C'est pourtant bien simple, mon cher monsieur, reprenait le détective. Ménardier prétend qu'il tient Belphégor, ou tout au moins qu'il va le tenir. Or, je suis convaincu qu'il suit une route différente de la mienne et qu'il est sur le point de commettre une grave erreur. Donc, je continue !

« Voilà pourquoi, concluait Chantecoq, j'aurais voulu demander quelques renseignements à Mlle Desroches. – Hélas ! répliquait la Scandinave, elle ne vous entendrait même pas. Mais je pourrai, peut-être, vous répondre pour elle. Simone n'a guère de secrets pour moi. – Puisqu'il en est ainsi, mademoiselle, reprenait le grand limier, je n'hésite pas à vous poser tout de suite une question d'une importance capitale. « Les lettres dérobées à Mlle Desroches sont-elles de nature à compromettre leur signataire ?

Mlle Bergen réfléchit un instant. Puis, elle fit :

– Soupçonneriez-vous Jacques Bellegarde d'être… D'un geste bref, énergique, Chantecoq l'arrêta. Puis il répliqua sur un ton catégorique :

– Je n'ai pas de soupçons, je cherche. Gravement, Chantecoq poursuivait :

– Vous comprenez maintenant pourquoi j'attache un si grand prix à votre réponse. – Monsieur Chantecoq, reprenait la demoiselle de compagnie, je ne voudrais pas un seul instant que vous vous figuriez que je cherche à me venger d'un homme qui a si cruellement fait souffrir ma pauvre amie. Je suis, en effet, très au-dessus d'un pareil sentiment. Silencieux, Maurice de Thouars approuvait de la tête les paroles de la Scandinave, qui poursuivait :

– Mais je dois reconnaître, dans l'intérêt de la vérité, que ces lettres, dont Simone m'en avait fait lire quelques-unes, renferment certains passages qui peuvent être gênants pour celui qui les avait écrits. Elle allait continuer, mais Juliette, la femme de chambre, accourait… bouleversée, et clamant d'une voix tremblante : – Venez vite ! Mademoiselle est au plus mal !

Elsa Bergen s'élança vers la porte et disparut. Maurice de Thouars se disposait à la suivre ; se retournant vers Chantecoq, il lui dit :

– Excusez-nous, monsieur !

Le détective, tout en s'inclinant légèrement, répondit : – C'est moi au contraire, qui vous demande pardon… j'ignorais que Mlle Desroches fût aussi gravement atteinte. – Elle est perdue ! murmura M. de Thouars.

Et il ajouta avec un accent de grande douleur :

– Ce n'est plus qu'une flamme qui meurt ! Et tandis qu'une flamme de colère s'allumait dans ses yeux, il scanda haineusement : – Ce Bellegarde est un grand coupable.

Et accompagnant Chantecoq jusque dans le vestibule, où le valet de chambre s'apprêtait à ouvrir la porte, M. de Thouars escalada à grandes enjambées les marches de l'escalier qui conduisait au premier étage. Lorsqu'il pénétra dans la chambre de Simone, Elsa Bergen, Juliette et une infirmière s'efforçaient de maintenir dans son lit la malheureuse jeune femme. En proie à un délire effrayant, les yeux révulsés, le visage décomposé, elle s'écriait, en agitant les bras : – Le Fantôme ! Je le vois ! Il est là ! Il est là !…

Échappant, en un suprême effort, à celles qui s'efforçaient de la calmer, d'un bond, elle sauta à bas de son lit et courut vers la fenêtre, comme si elle voulait se jeter dans le jardin. Mlle Bergen et l'infirmière, qui l'avaient rejointe, la maîtrisèrent assez facilement et déposèrent sur une chaise longue Simone qui, brisée par ce dernier sursaut, ne manifestait plus aucune énergie, et demeura prostrée, anéantie, les yeux clos. Maurice de Thouars s'était précipité sur un flacon de sels placé sur la table de nuit… et le passait à l'infirmière, qui faisait immédiatement respirer le révulsif à Simone. Au bout d'un instant, elle se ranima un peu et murmura d'une voix très faible, mais où subsistait encore l'écho d'un indicible déchirement : – Jacques ! Jacques !

Et tout en serrant nerveusement la main d'Elsa Bergen, elle ajouta, haletante, épuisée. – Vous lui direz que je lui pardonne !

Sa tête retomba en avant… Elle venait de perdre connaissance.

Ce fut en vain que la demoiselle de compagnie essaya de la ranimer.

Et d'une voix brisée, Maurice de Thouars dit à la femme de chambre, consternée : – Juliette, il était temps ; allez chercher un prêtre… car c'est l'agonie qui commence !