#0 - La guerre vue par les Ukrainiens (1)
Salut à toutes et à tous, aujourd'hui on se retrouve pour un épisode spécial, vous avez entendu qu'il n'a pas de numéro. C'était Ingrid qui était censée faire cet épisode mais à cause des événements récents en Ukraine, on a décidé de changer notre planning éditorial. D'ailleurs, excusez-moi si le podcast est un peu moins fluide que d'habitude. Je n'ai pas eu le temps d'écrire de script. Je vais improviser parce que je voulais sortir cet épisode le plus vite possible. Je pense que le temps presse, comme on dit. Le temps presse, ça veut dire que quelque chose est urgent.
[00:00:50] Alors, normalement, chez InnerFrench, on essaye d'éviter les sujets d'actualité, parce qu'on n'est pas un média d'information. Nous, on traite plutôt des sujets de fond, des sujets structurels, en particulier ceux qui concernent la France, parce que je pense que je suis un peu plus légitime pour parler de ça et comme vous apprenez le français, je me dis que ce sont des sujets qui vous intéressent.
[00:01:19] Mais aujourd'hui, je suis obligé de faire une exception pour vous parler de ce qui se passe en Ukraine. Alors, certains vont me demander pourquoi je le fais alors que je n'ai pas parlé de l'Afghanistan, de la Syrie, du Yémen, de la Palestine ou encore de la Birmanie. Bien sûr, ces évènements sont importants et ils méritent aussi votre attention. Il se passe des choses graves dans ces pays. Mais je pense que ça n'est pas le rôle de ce podcast. D'ailleurs, j'ai encore du mal à me dire que ce podcast a un rôle. Au départ, je l'ai créé seulement pour vous aider à apprendre le français, c'était son but, sa vocation. Mais au fur et à mesure que l'audience grandissait, que vous étiez de plus en plus nombreux à l'écouter, j'ai commencé à me dire inconsciemment qu'il fallait que je traite des sujets plus importants. Des sujets plus importants par exemple que “faut-il se lever tôt ?”, un des premiers sujets que j'ai traités. Peut-être que j'ai tort, peut-être que vous préférez ces sujets plus légers. Mais voilà, je me suis dit que maintenant j'avais une sorte de responsabilité d'utiliser cette audience pour vous parler de sujets qui me tenaient à coeur et qui me semblaient mériter votre attention. Alors, à chaque fois j'essaye de le faire de la manière la plus honnête possible, mais comme vous le savez, je ne suis pas journaliste et en général je ne suis pas non plus un expert dans ces domaines, par rapport aux sujets dont je vous parle. InnerFrench, ce n'est pas, comme je le disais, un média généraliste comme RFI, que vous écoutez peut-être avec leur journal en français facile. Non, InnerFrench c'est un podcast fait par des profs de français passionnés qui vous parlent de sujets qui leur tiennent à coeur. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je vais vous parler de l'Ukraine.
[00:03:22] Vous avez été nombreux à nous écrire pour savoir si tout allait bien parce que vous savez qu'une partie de l'équipe vit en Pologne (Ania et moi), et qu'une guerre fait rage dans un pays voisin : l'Ukraine.
[00:03:38] Alors oui, en Pologne, tout va bien. Quand on marche dans les rues de Varsovie ou de Cracovie, c'est difficile d'imaginer qu'à quelques centaines de kilomètres, il y a d'autres villes, des villes ukrainiennes, qui sont en train d'être détruites par des bombardements. Bien sûr, quand on regarde d'un peu plus près, là on remarque que quelque chose est en train de se passer. Il y a des bus et des voitures remplies de personnes qui portent leurs valises et qui n'ont clairement pas l'air d'être des touristes : des femmes avec leurs enfants qui ont des visages tristes et fatigués. Et là évidemment, je fais référence aux réfugés… aux réfugiés, pardon, ukrainiens. Ils sont déjà plus d'un million à avoir fui la guerre, et environ 700 000 d'entre eux sont arrivés en Pologne.
[00:04:30] C'est cette proximité qui m'a poussé à faire cet épisode. Je sais que ce n'est peut-être pas juste vis-à-vis de tous les autres pays qui sont victimes de conflits tout aussi graves et dont je n'ai jamais parlé ici. Mais c'est comme ça, l'empathie n'a pas besoin d'être rationnelle.
[00:04:50] Alors, je ne vais pas vous faire une analyse de cet évènement. Il existe déjà des centaines d'articles et de vidéos qui le font très bien. Si vous n'êtes vraiment pas familier avec ce sujet, il y a une vidéo du YouTuber Hugo Décrypte qui explique bien le contexte géopolitique et les enjeux, donc je vous invite à la regarder avant d'écouter la suite de cet épisode. Je vais mettre le lien d'ailleurs sur la page de l'épisode, sur InnerFrench.com.
[00:05:21] Nous, l'avantage qu'on a chez innerFrench, c'est qu'on a des auditeurs dans le monde entier. Et évidemment, dans cette communauté, il y a des Ukrainiens et des Ukrainiennes. Donc je me suis dit que le plus intéressant de les écouter eux, de les laisser raconter la guerre comme ils la vivent.
[00:05:41] J'ai pu interviewer ou échanger des emails avec une quinzaine d'entre eux. Et j'ai appris beaucoup plus de choses en les écoutant qu'avec tous les articles que j'avais lus avant. Donc je les remercie de m'avoir accordé du temps, et j'espère que leurs témoignages vous permettront de mieux comprendre l'urgence et la gravité de la situation.
[00:06:19] Hugo : Dans la nuit du 23 au 24 février, l'armée russe a lancé une offensive contre l'Ukraine en bombardant des aéroports et des infrastructures militaires, et en envoyant des troupes au sol.
On va écouter Lana nous raconter comment elle a vécu le début de cette invasion. Lana a 25 ans, elle habite à Odessa et avec son copain, elle a une agence qui crée des identités sonores pour des marques et des jeux vidéo.
[00:06:48] Lana : Et puis à 5 heures du mat', je me suis réveillée à cause des sons d'explosion. Et tu sais, c'est le genre de son, quand tu les entends, et tu comprends ce qu'il se passe. Tu comprends que… Pardon. Je vais pas pleurer pour toutes les journées… Pardon…
[00:07:20] Hugo : Pas de problème.
[00:07:23] Lana : Et donc, tu les entends, et tu comprends que c'est déjà, ça y est, c'est la guerre.
[00:07:27] Hugo : Je pense qu'en entendant Lana, on se rend compte du choc qu'on doit ressentir quand on est réveillé par le bruit des bombes. Moi, je n'ai jamais entendu de bombe exploser. Je ne suis pas sûr que je comprendrais immédiatement de quoi il s'agit. Mais pour Lana et ses compatriotes, ce matin du 24 février, il n'y avait pas de doute possible. Ça faisait déjà plusieurs semaines que Vladimir Poutine les menaçait, qu'il menaçait d'attaquer l'Ukraine. C'est ce que nous rappelle Olga, une musicienne et prof de français de 33 ans.
[00:08:00] Olga : On attendait tous que quelque chose allait nous arriver. Mais on ne pouvait jamais croire que ce serait comme ça, que ce serait comme ça : en même temps, dans tous les coins de l'Ukraine, en même temps partout, dans la nuit, à 5 heures du matin. Donc on pensait que quelque chose allait nous arriver, mais nous avons tous dit que de toute façon ça va peut-être de nouveau commencer à l'est et puis peut-être… puis là on verra, etc. Mais en fait non, c'était 5 heures du matin, ça a commencé partout en même temps. Les bombes ont commencé juste à tomber à Kyiv et partout.
[00:08:41] Hugo : Donc Olga nous dit que même si les Ukrainiens s'attendaient à une attaque, ils ont été surpris par son ampleur. Ils ne s'attendaient pas à ce que l'armée russe attaque leur territoire dans toutes les directions. Mais ce n'est pas juste l'ampleur de l'attaque qui les a surpris. Tous les Ukrainiens à qui j'ai parlé m'ont dit à quel point cette situation leur semblait irréelle.
[00:09:04] Daria : quand je dis que je me suis réveillée à cause des bombardements, je ne le croyais même pas parce que j'avais beaucoup de rêves comme ça. Oui, quand je dormais, que « ça commence ! Ça commence ! ». Puisque j'habite à côté de l'aéroport, il y a beaucoup d'avions qui volent à côté, il y a le son spécifique et chaque fois je me disais : « ça commence ! Ça commence ! ». Mais c'était pas vrai, c'était juste les avions. Mais cette situation stressante et tendue, elle était je pense depuis deux ou trois mois. Mais bien sûr que chaque Ukrainien se disait : « mais bon ça va aller, nous sommes dans le monde civilisé, ce n'est pas possible qu'un pays voisin peut attaquer l'autre violemment, ce n'est pas possible. Mais du coup c'était vrai. Et donc, on s'y attendait, on peut dire, mais bien sûr que personne ne pouvait y croire vraiment parce qu'au 21e siècle, à l'époque d'Internet et d'Elon Musk qui lance, je sais pas, qui invente des nouvelles technologies, que quelqu'un peut agir de manière si barbare. Ouais, c'était difficile d'y croire.
[00:10:21] Hugo : Là, on vient d'entendre Daria, elle a 25 ans. Avant la guerre, elle habitait à Kyiv mais elle a dû se réfugier dans l'ouest du pays au début du conflit. Comme elle, beaucoup d'Ukrainiens ont encore du mal à comprendre comment un tel évènement a pu se produire au XXIème siècle, dans un pays indépendant qui est aux portes de l'Union européenne.
[00:10:44] Je ne peux pas me mettre à la place des Ukrainiens, mais je vous avoue que pour moi aussi, cette invasion semble irréelle. J'ai passé des vacances en Ukraine il y a six ans, je suis allé à Kyiv et Odessa. C'était après les évènements de Maïdan, mais les gens vivaient comme dans d'autres grandes villes européennes. Donc quand je vois ces scènes de guerre dans les rues dans lesquelles je me suis promené avec des amis il y a seulement quelques années, ça me semble à la fois proche et irréel.
Une fois le choc de l'invasion passé, les Ukrainiens ont dû rapidement réagir. Comme Daria, beaucoup de ceux qui vivaient dans la capitale ont décidé de partir pour échapper aux bombardements. C'est aussi ce qu'a fait Olga.
[00:11:28] Olga : Et maintenant, je suis, bah je peux dire que je suis réfugiée, dans mon pays, parce que là où j'habitais il y a huit jours, c'est une banlieue de Kyiv qui s'appelle Irpin, et là hier matin j'ai vu dans les nouvelles que ma maison était détruite, en fait, par les avions.
[00:11:49] Hugo : Juste avant de parler à Olga, j'avais vu les images des immeubles bombardés à Irpin. Pour moi, c'était des images de bâtiments détruits comme on en voit assez souvent aux informations, mais pour elle, c'était sa maison. Mettez-vous à la place d'Olga une seconde. Vous allumez la télévision le matin pour regarder les informations, et vous voyez des images de votre appartement qui a été détruit par des bombes. Évidemment, on est content d'y avoir échappé, mais je n'imagine pas ce qu'on doit ressentir à ce moment-là.
Bien sûr, tous les Ukrainiens ne sont pas partis de Kyiv. Il y en a qui n'ont pas de voitures, et il est très difficile de trouver un billet de train ou de car pour quitter les grandes villes. Alors, comment vivent les gens qui sont encore là-bas ? C'est ce que va nous raconter Nicolas, un jeune lycéen de 17 ans.
[00:12:39] Nicolas : Parce que maintenant dans les grandes villes de l'Ukraine, les civils sont forcés de vivre dans les sous-sols, sans électricité ni eau.
[00:12:51] Hugo : Vous avez sûrement vu ces images des stations de métro de Kyiv qui ont été transformées en abri anti-bombes. Un abri, c'est un endroit pour se protéger. D'ailleurs, il existe le verbe «s'abriter», se protéger de quelque chose. Quand il pleut, on s'abrite pour éviter la pluie. Depuis le 24 février, les Ukrainiens s'abritent pour se protéger des bombes. Ils vivent dans le métro, dans les caves ou les sous-sol de leurs immeubles. Et comme le dit Daria, il y a même des femmes enceintes qui doivent accoucher dans ces conditions.
[00:13:25] Daria : Il y a des gens qui passent un jour, deux jours, trois jours par la suite dans la cave. Il y a des femmes qui accouchent dans les sous-sols, dans les abris.