LE MONDE DE NEMO d'Andrew Stanton : l'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile, bonjour !
Si je vous dis que le film qui nous intéresse aujourd'hui est une production Pixar,
qu'il parvient à mettre en images une flopée de concepts et théories psychologiques complexes
et que celles-ci traduisent l'évolution de son protagoniste au fil du récit,
vous risquez de penser spontanément au Vice Versa de Pete Docter.
Et pourtant, douze ans plus tôt,
un autre chef-d'œuvre du studio à la lampe s'était déjà essayé
à l'exploration du cerveau de ses personnages,
doublant l'épopée d'un père à la recherche de son fils
d'une subtile lecture psychanalytique.
Vous l'avez compris, c'est l'heure de parler du Monde de Nemo.
Concrètement, que raconte le film ?
Et bien c'est l'histoire de Marin,
lun père parti à la recherche de Némo, son fils,
après qu'un plongeur l'ait ramené chez lui pour l'offrir à sa nièce.
Or, Némo est le seul survivant d'une lignée d'œufs,
victime d'un barracuda qui dévora également sa mère.
À la suite de ce drame, Némo s'est retrouvé avec une nageoire atrophiée
et Marin est désormais terrifié par le grand large.
Et c'est à partir de là que le long-métrage va prendre une dimension inattendue :
celle de mettre en scène plusieurs concepts liés au cerveau humain
et faisant toujours écho au parcours intérieur de ses héros.
Un parcours qui se fera bien sûr par le biais de rencontres avec d'autres personnages
ou d'obstacles à surmonter,
mais transcendée par les spécificités de l'animation,
seule à même de donner vie à cet imposant monde aquatique.
Le premier concept mis en scène fait suite à l'accident inaugural.
Marin est en effet victime du syndrome de stress post-traumatique :
il tente à tout prix d'éviter les situations qui pourraient lui évoquer le drame,
refuse de laisser son fils sans surveillance
ou de le laisser approcher la grande falaise.
La grande falaise ?
Il les emmène à la grande falaise ? Vous êtes complétement cinglés !
Faites-les frire tout de suite pendant que vous y êtes ! Avec des pommes vapeur !
C'est à la suite de cette séquence que Marin rencontrera un premier obstacle.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser,
il ne s'agit pas de Bruce le requin mais de Dory.
C'est la rencontre qui constituera le fil rouge du récit,
puisque c'est en partie d'elle dont dépendra l'évolution de Marin.
À cet instant du film,
Marin va devoir cohabiter avec un personnage atypique,
qui risque de le ralentir dans sa progression
dans la mesure où Dory souffre d'amnésie.
C'est dans sa capacité à accepter sa différence que se jouera l'avancement de sa quête.
C'est donc à ce moment-là que le duo rencontrera Bruce et sa bande,
dont la particularité est d'être un groupe de requins souhaitant changer leur nature
pour ne plus manger de poissons et les accepter parmi eux.
Je suis un gentil requin,
pas une machine à tuer,
si je veux arriver à changer cette image,
je dois d'abord me changer moi-même.
Les poissons sont nos amis on y touche plus !
La séquence fait directement écho au parcours de Marin
et à la difficulté d'accepter ce qui ne lui ressemble pas,
comme le traduira le brutal revirement de Bruce
et son envie de becter du poisson clown.
Intervention !!!
Notez au passage que la séquence prend place
au milieu d'un champ de mines flottantes ressemblant assez clairement à des neurones,
tels qu'on les schématise couramment.
L'une des deux propriétés du neurone est d'ailleurs l'excitabilité,
autrement dit la capacité de convertir les stimulations en impulsions nerveuses,
ce que l'on peut assimiler à ces mines explosant au moindre contact.
Une fois cette étape franchie,
Marin et Dory feront face à un poisson-pêcheur.
Celui-ci a la particularité d'avoir une antenne lumineuse
lui permettant d'attirer ses proies.
C'est ainsi que le duo sera attiré dans les abysses,
dans une séquence qui dira une nouvelle fois
beaucoup de choses de ses protagonistes.
Tout d'abord, Dory va prendre Marin pour sa conscience.
Un gag qui fonctionne en tant que tel
mais qui a aussi le mérite de lier thématiquement les personnages.
En effet, en tant que conscience, Marin aide Dory à avancer,
la met littéralement en lumière
afin de lui permettre de lire les inscriptions du masque.
Le duo est désormais lié dans l'action
et les événements mettent en valeur les bienfaits de leur première collaboration.
La quête de Marin peut se poursuivre,
tandis que Dory voit sa mémoire se renforcer.
- qu'est-ce qui était écrit sur le masque ? - P. Sherman 42 Wallaby way Sydney
Je me rappelle ce qui est écrit !
D'habitude j'oublie tout tout de suite mais là je me souviens très bien !
Cette soudaine amélioration de l'état de Dory a un nom :
c'est la facilitation sociale,
phénomène découvert par le psychologue Norman Triplett
et selon lequel la présence d'autrui a un effet bénéfique
sur les performances d'un individu.
Et oui :
l'amnésie de Dory constitue non seulement un formidable running-gag,
vecteur évident de rebondissements et de ruptures de ton,
mais elle en dit aussi beaucoup d'elle à des moments-clés du récit.
Elle se souviendra ainsi toujours de l'adresse du dentiste lorsque Marin sera à ses côtés,
et l'oubliera quand il l'abandonnera.
P. Sherman... 42... euh...
40...
...2...
ça va me revenir j'en suis sûr c'est là quelque part...
Il suffit que je te regarde pour que...
... ça revienne.
Il suffit que je te regarde dans les yeux et je me sens...
Je me sens chez...
Ce qui nous mène aux deux nouvelles épreuves successives des deux comparses.
Dans un premier temps,
c'est un banc de poissons-lunes argentés qui freinera leur épopée.
Par son extrême coordination
et le fait de parler d'une seule voix,
le groupe n'évoque rien de moins que le concept de désindividualisation.
Comme son nom l'indique,
la désindividualisation traduit la mise à l'écart de la conscience individuelle
par le fait de se sentir affilié à un groupe.
Le groupe est ainsi le thème-clé des deux nouvelles rencontres de Marin,
lui qui est incapable de faire confiance à Dory
pour l'aider dans ses recherches.
C'est tout naturellement au milieu d'un banc de méduses qu'il apprendra l'entraide.
des méduses qui, comme le champ de mines flottantes,
prennent la forme d'une armée de neurones.
Quand soudain débarque Samy Nacéri !
Pas en personne bien sûr mais dans la peau de Crush,
tortue de mer à qui il prête sa voix dans la version française.
Cette rencontre est un moment-clé du récit.
C'est la seule fois où Marin rencontrera son négatif symbolique,
le film mettant alors en parallèle les notions de parents permissifs,
incarnés par Crush,
et l'autoritarisme parental qui a mené Némo à se rebeller précédemment.
Puisqu'il a désormais appris à faire confiance en quelqu'un de différent,
Marin écoute volontiers Crush lui expliquer sa conception de l'éducation
et surtout, de la vie.
Au secours !
Calmos, vieux.
Voyons-voir comment le petit se débrouille quand il navigue en solo.
Faire de Crush une tortue extrêmement décontractée fait sens
compte tenu de son environnement :
un courant, celui de la vie probablement,
sur lequel il se laisse glisser,
affrontant les remous à bras-le-corps et témoignant d'un lâcher-prise absolu.
Le lâcher-prise dont il était déjà question dans notre épisode consacré à The Impossible,
c'est littéralement laisser derrière soi ce à quoi on s'accrochait.
Pour avancer, Marin devra donc abandonner sa peur de l'inconnu,
qui se manifestait notamment par sa peur du grand large.
Un lâcher-prise qui devra passer à la pratique dans le ventre d'une baleine.
Oui, comme Jonas !
Dans la Bible, ce dernier est avalé par un grand poisson
pendant trois jours et trois nuits, avant d'être recraché.
Le sens de cet événement est à prendre dans la symbolique du passage entre deux mondes,
deux états de conscience ;
de la mort initiatique à la renaissance spirituelle.
Elle dit qu'il faut lâcher prise et accepter notre sort.
Tout se passera très bien.
Mais qu'est-ce que tu en sais ?
Comment est-c que tu peux savoir qu'il nous arrivera rien Dory ?
Mais je ne sais pas !
Concrètement, le Marin qui sortira de la baleine, après avoir littéralement lâché prise
sera différent de celui qui y est rentré.
Le Marin du début du film ne voulait croire en personne
et avait peur de l'inconnu.
le nouveau Marin est courageux et altruiste,
fuyant son égocentrisme en même temps qu'il fuit les mouettes.
Cela ne vous aura d'ailleurs pas échappé :
le seul mot que celles-ci sont capables de prononcer c'est évidemment
à moi ?
Plutôt pas mal pour un film pour enfants, non ?
Et encore,
il ne s'agit là que des principaux concepts abordés par l'équipe d'Andrew Stanton.
On vous laisse détecter les plus discrets, tels que la théorie de l'apprentissage social,
l'effet du témoin, la phobie, le stress,
ou la théorie dite du « travail versus infériorité ».
Et pourtant, Le monde de Némo ne s'arrête pas là,
n'hésitant pas à pousser sa démarche toujours plus loin.
Par exemple, aviez-vous remarqué que Marin et Dory agissent
comme le font les deux hémisphères de notre cerveau ?
Et oui, l'hémisphère gauche raisonne de manière séquentielle et analytique,
logique, point par point :
c'est le cas de Marin qui ne peut s'empêcher d'être pragmatique
et d'anticiper les éventuels dangers.
A contrario,
l'hémisphère droit a une approche plus globale,
gère les nouveautés et l'apprentissage,
à l'image d'une Dory pour le moins spontanée et qui se base sur son intuition
C'est en collaborant que le duo parviendra à évoluer et à avancer,
tels deux hémisphères reliés entre eux,
l'un recevant des informations sensorielles
qui vont commander les réponses motrices de la moitié opposée du corps.
Et puisque l'on parle de lien, ceux qui nous suivent régulièrement auront noté
qu'on a déjà parlé de cette séparation du cerveau
dans notre épisode consacré à Avatar de James Cameron.
Comme quoi, les grands esprits se rencontrent.
il est également inévitable d'évoquer les parcours respectifs de Marin et Némo.
Vous aurez peut-être noté que le film adopte le point de vue de Némo
après chaque épreuve que le père aura réussi à surmonter.
Nous vous parlions tout à l'heure de la première propriété du neurone,
à savoir l'excitabilité.
Sa deuxième propriété est la conductivité,
cette capacité à transmettre les impulsions nerveuses.
Andrew Stanton relie ainsi les péripéties du père et du fils par un raccord mouvement
ou par un fondu enchaîné,
rappelant deux neurones reliés entre eux par une synapse,
ce point de contact transmettant le signal nerveux d'un neurone à un autre.
Une analogie qui va jusqu'au bout de sa logique
puisque chaque événement vécu par le père trouve son écho dans les aventures du fiston,
comme si l'expérience du premier était transmise au second :
Par exemple, après que Marin ait fait face aux requins,
Némo devra lui aussi changer sa nature pour se sortir d'une situation problématique.
Alors que l'union symbolique entre Marin et Dory se fera
dans les profondeurs de l'océan,
l'intégration de Némo au groupe de poissons de l'aquarium
se fera au sommet d'une montagne.
Tandis que Marin se pose en conscience de Dory,
Némo, lui, se trouvera un mentor.
Il fera ensuite lui aussi l'expérience de l'entraide,
après que son père ait pu sauver Dory des méduses.
Lorsque Crush apprend à Marin que les enfants savent
quand le bon moment est venu de se prendre en mains,
Némo se chargera de sa mission seul,
devant les yeux tétanisés des adultes.
Finalement, c'est avec l'aide de Dory et de Némo,
en se connectant aussi bien à l'hémisphère droit qu'en s'aidant de ses neurones,
que Marin parviendra une dernière fois à ses fins.
Désormais complet,
Marin est redevenu poisson-clown et fait suffisamment confiance aux autres
pour ne pas avoir à leur expliquer la logique de ses blagues.
À chacun alors de s'amuser à trouver d'autres jeux de miroirs qui parsèment le film,
ses liaisons nerveuses liées les unes aux autres,
ces analogies visuelles ou ces moitiés qui, assemblées, formeront un tout.
Car Le monde de Némo est aussi une histoire d'êtres incomplets,
qui portent un handicap et qui cherchent à le surmonter,