Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban d'Alfonso Cuarón : l'analyse de M. bobine (1)
Adeptes de la Grande Toile, bonjour !
Aujourd'hui nous allons causer de la franchise ciné la plus juteuse des années 2000,
puisqu'avec ses 8 films,
elle a rapporté autant que les trois Spider-Man,
les trois Seigneur des anneaux et la prélogie Star Wars réunis !
Je veux bien sûr parler de la saga Harry Potter.
Bon, comme on n'a pas 3 heures devant nous,
on va surtout se concentrer sur le troisième volet, sorti en salles en 2004.
Un épisode généralement considéré comme le meilleur par les cinéphiles,
mais pas forcément par le public cible.
Ce qui représente mine de rien un beau paquet de monde !
Du coup, on va essayer de remettre un peu d'ordre dans tout ça.
Pour commencer, une petite confession s'impose.
Je suis un fan indécrottable d'Harry Potter.
Et je serais bien infoutu de vous dire quel est mon volet préféré (ou le plus faible)
tant ils forment tous pour moi un ensemble d'une cohérence absolue.
Bon, quand je vous dis ça, je parle évidemment des livres de J.K. Rowling !
Parce que, pour ce qui est de l'adaptation ciné,
il faut bien dire que c'est un sacré foutoir !
Si la vitrine est restée sensiblement la même, avec un seul remplacement de comédien...
…du côté de l'arrière-boutique, le turn-over est assez impressionnant.
Les 8 films Harry Potter, ce sont donc 4 réalisateurs,
mais aussi 2 scénaristes, 3 costumières,
5 compositeurs, 5 monteurs et 6 chefs-opérateurs !
Objet très décousu,
le Harry Potter Cinematic Universe, ou « HPCU »
se révèle en même temps assez propice à l'analyse,
puisqu'on peut facilement mesurer l'apport des uns et des autres à la franchise.
Tiens bah comme par exemple Alfonso Cuarón,
réalisateur d'un seul et unique épisode : Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban.
Avant de nous intéresser à son travail,
il convient de dire deux mots sur les conditions de son arrivée sur la saga.
Comme vous le savez sûrement,
les deux premiers volets ont été confiés aux mains de l'américain Chris Columbus.
Si la Warner a retenu sa candidature, ce n'est pas vraiment pour sa créativité galopante,
mais parce qu'il était habitué aux tournages avec des enfants
et aux divertissements familiaux calibrés pour les fêtes de fin d'année.
Bref, Columbus est un « safe choice », comme disent nos amis américains.
L'école des sorciers ayant frôlé la barre du milliard de dollars de recettes,
le studio ne voit à priori aucune objection à ce que Columbus joue les prolongations.
Mais, après avoir passé deux ans en Angleterre loin de sa famille,
et alors que La chambre des secrets n'est pas encore sorti en salles,
le réalisateur décide de passer la main sur le troisième volet.
Pour lui succéder,
le studio dresse une liste de cinéastes… dont Alfonso Cuarón ne fait absolument pas partie !
En pole-position, nous retrouvons le mexicain Guillermo Del Toro
qui vient de prouver avec le doublé Blade 2 / L'échine du diable
qu'il est à l'aise dans tous les registres du fantastique.
Lancé dans le projet Hellboy, Del Toro décline l'offre
mais souffle aux producteurs le nom de son compatriote et ami Alfonso Cuarón.
Le CV de celui-ci cadre assez bien avec la réalisation d'un Harry Potter.
Il a déjà donné dans l'adaptation de classique de la littérature anglaise.
Et, surtout, il a réalisé pour la Warner, un joli conte pour enfants :
La petite princesse.
Toutefois, c'est l'intervention de J.K. Rowling qui va valoir à Cuarón d'être engagé.
En effet, elle est tombée sous le charme de son dernier film en date : Y Tu Mamá También,
un road-movie chaud comme la braise tourné au Mexique.
Deux ans plus tôt, la romancière avait déjà tenté d'imposer, en vain,
Terry Gilliam sur L'école des sorciers.
En position de force suite au triomphe absolu du film,
elle revient à la charge avec son nouveau poulain…
et obtient cette fois gain de cause.
La nomination d'Alfonso Cuarón déclenche un léger vent de panique chez les Pottermaniaques.
En tout cas chez ceux qui ont eu la curiosité de mater Y Tu Mamá También.
Au vu de certaines scènes,
ils se demandent clairement quelle mouche a pu piquer Rowling et la Warner.
Nan parce okay, y a deux garçons et une fille qui font des trucs secrets dans une chambre,
mais on est quand même très loin du monde magique d'Harry Potter…
N'empêche que le père Cuarón a la confiance du studio.
Plus une enveloppe confortable de 130 millions de dollars.
Et près de deux ans de production pour les dépenser.
Bref, un vrai boulevard dont le réalisateur va profiter pour tout changer en fait !
De la même manière que ses héros laissent tomber l'uniforme
pour arborer un look un peu plus débraillé,
Cuarón va s'éloigner du ton très sage et propret posé par prédécesseur.
Rien que la première scène suffit à s'en rendre compte.
Perso, je suis pas sûr que Chris Columbus aurait osé ouvrir son film
sur ce qui ressemble clairement à une métaphore de la masturbation !
En termes de mise en scène pure, le contraste est assez saisissant.
Difficile de faire plus académique et fonctionnel que L'école des sorciers.
Si vous observez bien le travail de la caméra,
vous constaterez qu'elle est la plupart du temps fixée à un trépied
ou à des rails de travelling bien droits.
Il faut attendre les scènes à effets spéciaux pour qu'elle se libère de ses entraves
et qu'on sorte de l'équation un plan = une valeur de cadre.
Columbus se décoincera un peu dans La chambre des secrets,
notamment avec ces amples travellings avant qui évoquent les mouvements reptiliens du Basilic.
Reste qu'on on a toujours affaire à un livre d'images certes joli à regarder
mais un poil désincarné.
Alfonso Cuarón, lui, a voulu sa mise en scène aussi alerte et organique que possible.
On ne s'étonnera pas de voir, dans une scène de transition,
la caméra suivre le vol d'un oiseau
tant elle en reprend toutes les caractéristiques :
gracieuse, aérienne et perpétuellement en mouvement.
Elle est même tellement libre et insaisissable qu'une fois dans le monde magique,
elle parvient régulièrement à s'affranchir des limites physiques
Le cinéaste mexicain virevolte avec aisance d'un style à l'autre.
Un coup, on retrouve le naturalisme de Y Tu Mamá También.
Un coup, on se croirait carrément chez Spielberg.
Les plans-séquences s'enchaînent tout au long du film, très différents les uns des autres.
Certains, proprement étourdissants,
annoncent les tours de force techniques des Fils de l'homme et de Gravity.
D'autres sont tellement discrets qu'il faut bien plusieurs visionnages
pour se rendre compte qu'il n'y a pas de coupe !
Bref, là où Chris Columbus est en pilotage automatique,
Cuarón se lâche, il s'amuse, il expérimente,
et fait… du cinéma quoi.
D'ailleurs, ce n'est sûrement pas un hasard
s'il ponctue son film d'ouvertures et de fermetures à l'iris,
qui renvoient immédiatement à l'âge héroïque du muet.
Pour marquer encore plus sa différence avec son prédécesseur,
Alfonso Cuarón n'hésite pas à jeter à la poubelle quelques éléments graphiques
instaurés depuis le début de la franchise.
Bon, passons sur le cas Dumbledore dicté par des circonstances extérieures.
Mais regardez un peu le ravalement de façade qu'il a fait subir au professeur Flitwick,
toujours campé par Warwick « Leprechaun » Davis.
Ou encore la Grosse Dame qui garde l'entrée du dortoir de Gryffondor.
De même, le Saule Cogneur et la cabane de Hagrid,
qui étaient situés jusque là à proximité du château de Poudlard,
ont été déplacés dans un terrain accidenté au beau milieu de la lande écossaise.
La fidélité au texte de J.K. Rowling ne semble pas non plus une priorité pour Cuarón.
Il transforme ainsi les Détraqueurs en créatures volantes
et colle des têtes réduites un peu partout !
l imagine des décors jamais mentionnés dans les livres,
comme ce pont couvert ou ce cercle mégalithique.
Et tant qu'à faire,
il encourage le scénariste Steve Kloves à écrire des scènes inédites.
C'est le cas de ce vol galvanisant à dos d'Hippogriffe,
de cette promenade dans la nature avec le professeur Lupin ,
ou encore de cette escapade nocturne dans les couloirs de Poudlard.
Parallèlement, Cuarón n'hésite pas à raccourcir des passages cruciaux du livre.
Ainsi, la longue scène d'explication dans la Cabane Hurlante,
qui occupe tout un chapitre du roman et revient sur trente ans de backstory,
se réduit dans le film à quelques minutes qui vont droit au but.
Du coup,
les non-lecteurs ne sauront jamais comment Sirius Black s'est évadé de la terrible prison Azkaban.
Ni pourquoi le Patronus de Harry prendre la forme d'un cerf.
Et ils feront très difficilement le lien avec la Carte du Maraudeur qu'il récupère au milieu du film.
Malgré les efforts d'Alfonso Cuarón pour faire du foreshadowing
par le biais de sa seule mise en scène
Il faut bien avouer que l'intrigue en béton du livre, digne d'Agatha Christie,
perd quelques plumes dans sa traduction à l'écran.
Mais bon, ce n'est pas grand chose en comparaison du film suivant
où Steve Kloves va tailler dans le bouquin à la tronçonneuse.
Tiens, puisqu'on parle de La coupe de feu,
saviez-vous qu'il avait nettement mieux marché au box-office que Le prisonnier d'Azkaban ?
Jetez donc un œil à ce tableau fait maison
qui montre les recettes mondiales des 8 Harry Potter (et en dollar ajusté, s'il vous plaît !).
On constate que le film d'Alfonso Cuarón perd pas loin de 200 millions de dollars
par rapport à La chambre de secrets
et signe un des scores les plus faibles de la saga.
Par contre, La coupe de feu réussit à remonter la pente de moitié
et se classe dans le haut du tableau.
Le même phénomène de yo-yo se reproduit à l'échelle des box-offices français et américains.
J'ai tendance à penser que, parmi ces spectateurs égarés puis revenus au bercail,
il y a un bon paquet de Pottermaniaques
qui ont été décontenancés par les choix visuels et narratifs d'Alfonso Cuarón.
Bon je me trompe peut-être hein. Mais, en tout cas,
il ne faut fouiller très loin sur le net pour tomber sur des articles
qui considèrent Le prisonnier d'Azkaban (le film) comme une trahison complète de l'oeuvre de Rowling.
Or, il se trouve que je pense très exactement l'inverse.
Et le moment est venu de dire pourquoi.
L'un des principaux reproches adressés au film de Cuarón concerne
le traitement expéditif de la fameuse scène de la Cabane Hurlante.
Alors, déjà on pourrait rétorquer que le réalisateur a bien fait
de nous épargner un tunnel de dialogues d'une demi-heure.
Surtout quand on voit comment une autre scène d'exposition donne lieu
au passage le plus empoté et artificiel du film.
Mais surtout, ce que je remarque dans cette scène,
c'est que le réalisateur se débarrasse vite fait bien fait des passages
où Harry Potter est relégué au second plan.
Par contre, tous les moments où il est pro-actif ou confronté à des choix moraux répondent bien présents.
Il semblerait que, toute tragique qu'elle soit,
l'histoire de Lunard, Queudver, Patmol et Cornedrue n'intéresse pas vraiment Alfonso Cuarón.
Pour lui, le cœur du film, c'est Harry Potter.
Et le parcours émotionnel qu'il effectue au cours de cette troisième année à Poudlard
riche en changements.
Pour ceux qui n'en ont jamais entendu parler,
le précédent film du réalisateur, Y Tu Mamá También
dressait le portrait de deux jeunes branleurs qui,
au cours d'un voyage initiatique à travers le Mexique,
faisaient leur entrée dans l'âge adulte.
Du coup, on peut raisonnablement supposer que Cuarón a vu dans Le prisonner d'Azkaban
l'occasion d'aborder une autre période mouvementée de l'existence :
les tout débuts de l'adolescence.
Si vous êtes un lecteur un tout petit peu attentif,
vous avez sûrement remarqué que le troisième livre se déroule l'année des 13 ans de Harry Potter.
Autrement dit, le moment où il devient littéralement un teenager.
Un ado quoi.
La mélancolie, le doute, la honte, l'euphorie, le spleen, la compassion,
les sentiments d'injustice et de trahison…
Le prisonnier d'Azkaban explore méthodiquement toute la palette d'émotions nouvelles,
complexes et contradictoires qui font leur apparition à la puberté.