SHIN GODZILLA de Hideaki Anno et Shinji Higuchi : l'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile bonjour !
Aujourd'hui j'ai décidé de me faire plaisir
et de vous parler de mon monstre de cinéma favori :
Godzilla,
et surtout de sa dernière apparition en date
dans Shin Godzilla de Hideaki Anno et Shinji Higuchi sorti en 2016…
Mais malheureusement, pas en France.
Et oui, si le film est disponible un peu partout dans le monde en blu ray,
et malgré son carton atomique au Japon,
Shin Godzilla n'est sorti nul part chez nous.
C'est pourquoi, las d'attendre une édition blu ray française,
j'ai décidé d'éditer moi-même des sous-titres
dans la belle langue de Patrick Sébastien,
et je vous invite à les récupérer dans la description de cette vidéo.
S'il y a une chose pour laquelle Godzilla est imbattable
c'est bien pour la destruction…
Par contre, la reconstruction, vous vous en doutez bien,
c'est pas son truc.
Et pourtant, c'est bien de reconstruction dont il va être question aujourd'hui,
car dans Shin Godzilla,
le réalisateur Hideaki Anno va faire ce que personne n'avait osé faire
en 60 ans dans la franchise du roi des monstres :
tout raser pour tout reconstruire !
Après 60 ans d'histoire et une trentaine de films
dont deux remake américains,
la revivification d'un mythe aussi célèbre que celui de Godzilla
n'est pas une tâche aisée.
Car s'il s'agit de la franchise la plus longue au monde
(Désolé James Bond),
c'est aussi l'une des plus hétéroclite.
Ishiro Honda, le réalisateur du tout premier Godzilla
a lui-même abandonné le ton horrifique et dramatique
de son chef d'oeuvre de 1954
pour s'essayer à d'autres genres très différents.
Par exemple, la comédie d'aventure avec le troisième film de la franchise :
King Kong vs Godzilla.
Ou encore, la fantaisie poétique avec Mothra Vs Godzilla.
Mais aussi la science fiction à l'imagerie très pulp
avec Invasion of Astro-monster.
A vrai dire, on y trouve un peu de tout dans cette franchise.
Des films sérieux,
des nanards,
une parodie,
des extraterrestres,
encore des extraterrestres,
beaucoup d'extraterrestres...
du fantastique,
du drame socia
Et même du cinéma engagé des seventies
En une poignée de films,
le monstre terrifiant né des horreurs de la seconde guerre mondiale
deviendra même le héros d'une série de films pour enfants…
Franchement, vous imaginez qu'on fasse la même chose avec le xénomorphe d'Alien ?
Ouais… bon, oubliez ça.
Tiens, à propos d'Alien, ça :
ça ne vous rappelle rien ?
Et oui, la franchise Godzilla a souvent lorgnée du côté d'Hollywood
avec des clins d'oeils plus ou moins assumés comme ici :
là :
ou encore là :
ou là : (attention, c'est assez subtil)
etc… etc..
Jusqu'à l'inévitable moment où Hollywood a fini par s'intéresser
au monstre atomique nippon
avec plusieurs projets avortés,
puis avec le très mal aimé remake de 1998 par Roland Emmerich.
En effet, si en une trentaine d'années
Godzilla est devenu un monument national au Japon,
il est désormais une icône de la pop culture mondiale.
Mais même si les auteurs des films de la franchise
se sont permis pas mal de libertés avec le roi des monstres,
comme le faire voler,
en faire une star du catch
ou encore, lui coller deux marmots entre les pattes,
il y a malgré tout quelques règles immuables à respecter dans tout ce bazar.
Premièrement, Godzilla arrive toujours par la mer.
Bon, comme le Japon est une île, c'est un peu une évidence,
mais c'est un point sur lequel je vais revenir plus tard.
Ensuite, la signature la plus reconnaissable du roi des monstres, c'est son cri.
Celui-ci n'a quasiment pas bougé de toute la franchise,
y compris dans les remakes américains.
C'est bien simple, si Godzilla pousse un cri différent,
alors, ce n'est tout simplement pas lui, comme ici
ou Mechagodzilla a en fait usurpé l'identité du véritable Godzilla.
La posture du monstre atomique a également son importance
car ce dernier se tient debout.
On peut y voir une contrainte lié à l'utilisation de cascadeurs dans des costumes.
Néanmoins, cette posture lui confère une certaine majesté
qui sied plus à un demi dieu qu'à un simple animal mutant.
Par exemple, les possibilités d'animation offertes par les CGI
ont permis à Emmerich de s'affranchir de la démarche anthropomorphique de Godzilla
pour en faire une créature plus rapide, plus mobile
et plus réaliste dans son remake de 1998.
Mais ce faisant,
il trahissait l'une des caractéristiques les plus importantes du dinosaure atomique
pour n'en faire qu'un simple animal un peu paumé qui bouffe du thon.
D'ailleurs, si le design de la créature est souvent différent d'un film à l'autre,
la forme générale reste à peu près la même,
sauf chez Roland Emmerich…
Il y a aussi un point très important à respecter :
Godzilla est quasiment indestructible
et ne peut pas être vaincu par des armes conventionnelles…
Sauf chez Roland Emmerich.
Enfin, le roi des monstre est doté d'une arme terriblement puissante,
son souffle atomique…
Sauf encore une fois chez Roland Emmerich.
Et n'allez pas croire qu'on peut fouler du pied ces règles sans en payer le prix.
Par exemple, malgré un score pas foufou
mais pas non plus déshonorant au box office mondial,
le Godzilla de Roland Emmerich a été vécu comme une trahison
par les fans du monstre atomique,
mais aussi par la Toho qui produit et distribue les films japonais de la franchise.
Ne méritant plus son statut de Dieu,
la créature d'Emmerich perdra même le préfixe “god”,
pour être rebaptisée “Zilla” dans le canon officiel
Si je vous raconte tout ça, c'est pour que vous compreniez bien quel était le défi
que devaient relever HHideaki Anno et Shinji Higuchi
quand ils sont arrivés sur la franchise, en 2015.
Résumons.
Il s'agit donc de relancer la franchise la plus importante du cinéma japonais
en respectant scrupuleusement le monstre tel qu'il est dépeint dans le tout premier Godzilla,
un film qui a lancé un genre à lui tout seul : le kaiju eiga, ou le film de monstre géant.
Il faut également trouver un angle original dans une franchise longue de 60 ans
qui est partie dans toutes les directions.
Enfin, il faut passer après le remake hollywoodien à 160 millions de patates
et son Godzilla à la pointe des dernières technologies,
avec une enveloppe équivalente à seulement 15 millions de dollars.
Heureusement, Hideaki Anno n'en est pas à son premier rodéo avec les monstre géants.
Si son nom ne vous dit rien,
vous connaissez très certainement l'une de ses plus célèbre création
Et oui, Anno est le papa de la série puis des films animés Neon Genesis Evangelion
dans lesquelles l'humanité lutte contre des créatures quasi divines
à grand renforts de robots géants.
Son ami Shinji Higuchi est quant à lui,
un des meilleurs superviseur des effets spéciaux au Japon
et à mis ses talents à contribution en réalisant notamment deux adaptations live
du manga L'Attaque des Titans.
Anno et Higuchi n'en sont pas à leur première collaboration
puisqu'ils ont travaillés ensemble sur Evangelion,
puis sur un court métrage pour le studio Ghibli mettant en scène
l'apparition du dieu-guerrier de Nausica dans le Tokyo contemporain.
Un court-métrage qui montre déjà la capacité du duo à tirer le meilleur
des méthodes traditionnelles du Kaiju Eiga,
et notamment de l'utilisation de maquettes.
Sur Shin Godzilla,
Hideaki Anno occupe les postes de scénariste et réalisateur
tandis que Shinji Higuchi s'occupe de réaliser les séquences à effets spéciaux,
c'est pourquoi je vais partir du principe que Anno est la tête pensante du duo.
Alors loin de moi l'idée de dénigrer l'impressionnant travail de Shinji Higuchi
qui tire parti du moindre centime d'un budget riquiqui
pour nous offrir des scènes très graphiques et spectaculaire
malgré les limitations technologiques.
Mais ce qui va surtout m'intéresser ici,
ce sont les choix radicaux de Anno pour relancer la franchise Godzilla.
Ce dernier aurait très bien pu se contenter de faire un énième film-hommage
à l'icône qu'est devenue le monstre atomique.
C'est le cas par exemple du reboot de 1985
qui pousse un peu loin la déférence envers Godzilla,
notamment avec la chanson du générique de fin
Mais Anno va plutôt opter pour quelque chose qui n'a plus été fait dans la franchise
depuis le film original d'Ishiro Honda :
faire peur avec Godzilla.
En effet, si ce dernier est considéré comme le roi des monstres,
c'est plus sa majesté que sa monstruosité qui a été cultivée
tout au long de la franchise.
A mesure qu'il assied sa suprématie sur les autres monstres
à grand coup de tatanes dans la poire,
Godzilla troque peu à peu son look de chimère atomique
pour devenir une sorte de dinosaure géant.
Le seul à avoir tenté de proposer un Godzilla plus monstrueux,
c'est Shusuke Kaneko
qui est également le réalisateur de l'indispensable trilogie Gamera
Dans Godzilla, Mothra and King Ghidorah: Giant Monsters All-Out Attack
(qu'on va plutôt appeler GMK parce que ce titre est ridiculement long)
Godzilla est à nouveau une évocation directe des horreurs de la seconde guerre mondiale
puisqu'il porte en lui les âmes des soldats morts dans le Pacifique.
Son design est bien plus agressif qu'à l'accoutumée
et son regard vide est glaçant.
Néanmoins, on est quand même très loin du ton horrifique du premier film
et GMK bifurque assez vite vers une grosse baston de monstres
certes, très bien fichues, mais somme toute assez classique...
Et oui, le problème, c'est que de nos jours,
c'est un peu compliqué de faire peur avec le monstre atomique,
surtout quand on passe après ce gros bordel qu'est Godzilla Final Wars.
C'est pourquoi Hideaki Anno va choisir de repartir de zéro.
Alors vous vous doutez bien qu'en une trentaine de films,
Anno n'est pas le premier à avoir eu l'idée de rebooter la franchise.
Mais le poids culturel du Godzilla de 1954 est tel
que tous les tentatives de reboot sont en fait,
des suites plus ou moins directes du chef d'oeuvre d'Ishiro Honda,
y compris le remake américain de Gareth Edwards
qui situe la première apparition de Godzilla en 1954
Tous, sauf Shin Godzilla,
dans lequel l'humanité est confrontée pour la toute première fois au monstre atomique.
Et sauf le remake de Roland Emmerich évidemment…
De plus,
l'époque se prête assez bien à l'émergence d'un Godzilla plus terrifiant
et moins porté sur la gaudriole.
En effet,
si en 1954 le tout premier Godzilla sortait 9 ans
après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki,
en 2016,
Shin Godzilla sort seulement 5 ans
après la pire catastrophe nucléaire du 21ème siècle :
l'accident de la centrale de Fukushima.
A l'instar d'Ishiro Honda,
Hideaki Anno va directement s'inspirer de cette catastrophe
pour rendre son Godzilla le plus traumatisant possible.
Par exemple, l'arrivée de la créature rappelle
les images des débris charriés par la vague destructrice du tsunami
et le héros, Rando Yaguchi, est inspiré de Masao Yoshida,
le directeur de la centrale de Fukushima qui a désobéit
qui a désobéit aux ordres de la TEPCO et du premier ministre
en décidant d'utiliser de l'eau de mer pour refroidir les réacteurs,
évitant ainsi une catastrophe encore plus grande.
Expurgeant au maximum son récit,
Anno se concentre d'ailleurs principalement sur la gestion de la crise
liée à l'apparition d'une créature géante dans les rues de Tokyo,
dressant au passage, un portrait peu flatteur des institutions japonaises…
À l'image, le réalisateur utilise d'innombrables cartons
pour nommer les protagonistes et leur fonctions,
ainsi que les nombreux lieux dans lesquels sont prises les décisions
visant à contenir la menace de Godzilla.
S'il en découle d'abord une impression de réalisme presque documentaire
qui était déjà présente dans le Godzilla de 1954,
on est très vite submergé par la complexité des institutions japonaises
et les incessants allers-retours entre les différents étages
de l'immeuble du gouvernement japonais
n'est pas sans rappeler une certaine satire de la bureaucratie bien de chez nous.
Le ton caustique de Anno se traduit également par le montage.
Ainsi, il n'hésite pas à ralentir le rythme quand les protagonistes fait du surplace
à inverser certains mouvements de caméra
quand le gouvernement fait du rétropédalage,
ou même à carrément assimiler
le premier ministre par intérim à un plat de nouilles…