Steven Spielberg et le Temple maudit : L'analyse de M. Bobine (2)
Dans ce second épisode,
la coriace Marion Ravenwood de L'arche perdue
cède sa place à la chanteuse de cabaret Willie Scott,
qui est quand même une sacrée tête à claques,
et du coup notre archéologue préféré à se comporte avec elle comme un bon gros mâle alpha.
L'ironie du destin voudra que l'actrice qui joue ce personnage punching-ball
devienne plus tard Madame Spielberg !
Cette théorie sur l'influence de Lucas est, il faut bien le dire, assez séduisante,
et il n'y a pas grand-chose qui vienne la contredire.
A part le fait que Steven Spielberg
ne me semble pas être le genre de réalisateur conciliant
qui laisse son film se faire vampiriser par la méchante humeur de son producteur.
Et puis surtout, il n'a absolument pas besoin de George Lucas
pour donner dans le « dark » total !
Commençons par la question de violence.
Dans Le Temple maudit, et contrairement aux autres volets,
on constate que celle-ci ne s'exerce pas que sur les méchants
mais aussi sur de pauvres gamins qui n'ont fait de mal à personne.
Et ça pour le coup, c'est pas du Lucas mais du Spielberg tout craché !
Malmener des gamins, c'est un truc assez récurrent chez lui,
même dans ses films les plus « grand public ».
Regardez un peu ce qui arrive aux jeunes héros de Jurassic Park !
Rappelons aussi que Spielberg est carrément
le plus grand tueur d'enfants de l'Histoire du cinéma.
On fait le compte si vous voulez.
Un.
Deux.
Trois.
Quatre.
Cinq.
Six.
Mais bien sûr... Elle s'est fait bouffer ouais !
Sept.
Huit.
Neuf, dix.
Bon, on s'arrête là peut-être…
Je ne rejette absolument pas le fait que les idées noires de Lucas aient pu infuser
voire infecter Le temple maudit.
Mais je pense que ça peut tout aussi bien s'appliquer à Spielberg …
pour peu qu'on n'ait pas peur de faire de psychologie de comptoir !
Si on replace le film dans son contexte,
on constate qu'il arrive à un moment bien particulier dans la vie de Spielberg.
Professionnellement, le mec est au top,
que ce soit comme réalisateur ou comme producteur.
Mais, à un niveau plus personnel, c'est une période assez noire pour lui.
Il y a d'abord la mort par overdose de son ami John Belushi
au début de l'année en 1982.
Et puis surtout, au cours de la même année,
n accident d'hélicoptère sur le plateau de La quatrième dimension,
coûte la vie au comédien Vic Morrow
ainsi qu'à deux enfants engagés pour faire de la figuration.
Le réalisateur John Landis est le premier sur le banc des accusés,
mais Spielberg, producteur du film, ne va pas sortir indemne de l'expérience,
que ce soit médiatiquement ou psychologiquement.
Dans une interview donnée au Los Angeles Times en avril 1983,
voilà comment il parle de l'événement.
“Cette année a été la plus intéressante de ma carrière.
J'ai connu le meilleur avec le succès de E.T.
et le pire avec le drame de La Quatrième dimension.
Ça a été un mélange de pure joie et de profond chagrin.
Cela m'a fait grandir.
'accident a jeté une ombre sur l'ensemble des 150 personnes
ui ont travaillé sur ce film.
Nous sommes toujours malades jusqu'au centre même de nos âmes.
Je ne connais personne que cela n'a pas affecté.
Est-ce que cela a affecté le ton d'Indiana Jones et le temple maudit ?
Perso, j'ai tendance à penser que oui.
Ce mélange de sentiments contradictoires dont parle Spielberg
pourrait bien être à l'origine de la nature double du film,
à la fois étrangement sombre et étonnamment léger.
Indiana Jones et le Temple maudit est un authentique rollercoaster.
Non seulement, l'action ne s'arrête pour ainsi dire jamais,
mais il alterne constamment les registres,
passant en permanence de l'effroi à la comédie pure, et inversement.
Et cela parfois au sein d'un seul et même plan !
A côté de ça, il y a le personnage de Demi-Lune,
dont la vie est régulièrement mise en danger tout le long du film.
On sait que c'est Spielberg qui a insisté
pour affubler Indiana Jones d'un sidekick haut comme trois pommes.
En choisissant pour l'incarner un enfant d'origine vietnamienne,
comme les deux jeunes victimes du tournage de La quatrième dimension,
on peut se demander si le cinéaste ne chercherait pas à exorciser quelque chose.
Bon, si je ne vous ai pas perdu en chemin,
vous serez peut-être d'accord avec moi pour dire que Le temple maudit est probablement
le plus « spielbergien » des Indiana Jones.
Mais alors dans ce cas, pourquoi, bordel de cul de canard,
Spielberg cherche-t-il toutes les excuses du monde pour en nier la paternité ?!?
Une première explication serait de dire
que les artistes ne sont forcément les personnes les mieux placées pour juger leur œuvre.
Alors autant Steven peut avoir de sacrés goûts de chiotte sur les films de ses copains…
…autant il me semble être vachement lucide dans son rapport à son propre travail.
La biographie de John Belushi par Bob Woodward nous apprend par exemple
que, sur le plateau de 1941, Spielberg était en plein doute quant à la réussite du film.
Il arpentait régulièrement les lieux en se répétant à lui-même
« quand on prend autant de plaisir sur un tournage,
c'est qu'il y a quelque chose qui cloche ».
Comme il l'avait prédit, sa première comédie va se transformer en désastre financier
et reste, quarante après, un de ses films les plus mal aimés.
Suite à cet échec, Spielberg va s'efforcer de mieux contrôler ses films,
mais aussi son image.
Avec L'arche perdue et surtout avec E.T.,
il réussit à laisser derrière lui cette réputation
de vilain garnement qui aime casser ses jouets.
Dans le sillage de son méga-succès,
on voit bien qu'il cherche à prendre ses distances
avec tout ce qui pourrait compromettre cette image de doux rêveur
si bien résumée par le logo de sa boîte de production.
Les exemples sont légions.
Il valide l'écriture d'une suite de E.T.
mais stoppe tout quand le traitement de Nocturnal Fears lui revient,
où Elliott et ses copains sont kidnappés et torturés par de méchants aliens.
Tout le monde s'accorde à dire qu'il a co-réalisé le film d'épouvante Poltergeist…
sauf lui, qui soutient mordicus que c'est bien un film de Tobe Hooper.
Il coupe tous les ponts avec son copain John Landis
pour ne pas être éclaboussé par le scandale de La quatrième dimension
et décide de changer d'histoire pour son propre segment.
A la place du sombre The Monsters Are Due on Maple Street,
il préfère adapter le léger Kick the Can
et livre le truc le plus cucul la praline de sa carrière.
l supplie Joe Dante de virer de Gremlins
la scène où Phoebe Cates raconte la mort horrible de son père.
Heureusement sans succès.
Enfin, il achète les droits de La liste de Schindler...
et essaie de convaincre tous ses copains d'Hollywood de le réaliser à sa place.
A en croire ce qu'il dit, Spielberg s'est bien éclaté sur tournage du Temple maudit
La présence de Kate Capshaw n'y est d'ailleurs sans doute pas étrangère.
Du coup, il n'est pas impossible qu'il ait quelque peu baissé sa garde sur ce film
et laissé ses noires pulsions remonter à la surface, comme à l'époque de 1941.
Tout le monde semble avoir découvert très tardivement
que le film n'était peut-être tout à fait celui qui était envisagé au départ.
Harrison Ford a l'air de trouver que c'est pas plus mal comme ça.
Mais bon, Harrison Ford, c'est clairement le genre de mec qui n'en a plus rien à péter
comme en atteste sa fin de carrière.
Steven Spielberg, en revanche, et contrairement à ce qu'on pourrait croire,
est un authentique anxieux, toujours en proie en doute.
En découvrant les réactions plus ou moins négatives face à la noirceur du Temple maudit,
l a probablement pensé qu'il venait d'accoucher d'un nouveau monstre
et rompu ce pacte tacite qu'il avait scellé depuis plusieurs films avec les spectateurs.
D'où ses nombreuses tentatives par la suite
pour nous faire croire qu'il s'agit d'un truc mineur dont il est à peine responsable
ce qui ressemble à du rétropédalage.
Après Indiana Jones et le temple maudit,
Spielberg va délaisser temporairement le pur divertissement
pour s'essayer au cinéma « adulte » avec La couleur pourpre et Empire du Soleil.
Là, il n'aura pas de problème à y aller à fond question noirceur
puisqu'il a la bonne excuse du « film historique ».
Mais, après ça, sa tentative de renouer avec un cinéma plus gentillet
va donner lieu à la période la plus faible de sa carrière.
Le grand tournant de la carrière de Spielberg, pour moi,
c'est La liste de Schindler en 1993.
Là, le mec réussit le triplé gagnant qui va définitivement le réconcilier avec lui-même.
D'abord, c'est un film éminemment personnel.
Il l'a porté en lui pendant plus de 10 ans
il a obtenu toute latitude auprès de Universal pour le faire à sa façon
(bon, à la seule condition qu'il réalise Jurassic Park juste avant).
A sa sortie, c'est un vrai succès public,
ce qui n'était pas vraiment gagné vu le sujet et la durée.
Enfin, c'est un triomphe critique,
qui vaut à Spielberg de recevoir les oscars du meilleur film et du meilleur réalisateur
après une looooongue série d'actes manqués.
Après Schindler,
même s'il continue de dire occasionnellement du mal du Temple maudit
par habitude, je suppose,
Spielberg semble chercher à repousser plus loin cette « limite »
avec laquelle il n'a jamais cessé de jouer (ou de se battre, c'est selon).
On le voit dès Le Monde perdu
où il laisse de nouveau éclater son sadisme dans le cadre d'un blockbuster d'été.
Ce qui constitue un des rares intérêts du film, si vous voulez mon avis.
Par la suite, il reviendra régulièrement explorer les « heures les plus sombres de l'Histoire »
et se montrera de plus en plus à l'aise pour montrer des trucs hardcore.
Bon, on ne trouve peut-être pas chez lui la fascination pour la violence
d'un Tarantino ou d'un Mel Gibson.
Mais ne me dites pas que ce mec ne sait pas parfaitement s'y prendre
pour filmer une mise à mort bien douloureuse…
Surtout,
je pense que sans La liste de Schindler il n'aurait jamais osé réaliser
ce qui est sûrement LE blockbuster le plus oppressant
et le plus désespéré de l'Histoire du cinéma :
La guerre des Mondes.
Cette acceptation tardive par Spielberg de son « côté obscur » est joliment synthétisée
dans Le bon gros Géant.
Un film nettement moins anecdotique qu'il en a l'air
puisqu'il permet au réalisateur de livrer un très touchant autoportrait.
Ben oui, difficile de ne pas reconnaître Spielberg
derrière ce personnage de doux géant qui s'emmêle avec les mots
quand on sait qu'il a été diagnostiqué dyslexique en 2007.
Surtout,
le BGG nous est montré comme une sorte d'alchimiste,
attrape et transforme les rêves pour pouvoir les souffler à la ronde,
et tout particulièrement aux enfants.
Mais on le voit aussi capable, quand il le veut vraiment,
de donner vie aux pires cauchemars
Franchement, quelle meilleure définition peut-on donner de de Steven Spielberg ?
Lui qui, depuis près d'un demi-siècle,
a produit parmi es plus belles images du cinéma
Mais également certaines des plus perturbantes
Comme Le Bon gros Géant et bien d'autres,
Indiana Jones et le temple maudit est donc un film de Steven Spielberg
qui parle, mine de rien, de Steven Spielberg.
C'est sûrement parce qu'il a ce talent très particulier
que le réalisateur s'est toujours refusé jusqu'ici
à l'exercice du commentaire audio.
Qui sait, peut-être s'y mettra-t-il un jour
Et, espérons-le, peut-être réalisera-t-il à cette occasion
qu'Indiana Jones et le temple maudit, loin d'être son pire film,
est en réalité un de ses meilleurs !