Dépasser ses peurs, c'est oser être soi même | Paul-Henri de Le Rue | TEDxValenciennes (1)
Transcription: Caroline ERUIMY Relecteur: Claire Ghyselen
J'ai une émotion qui me fascine :
c'est la peur.
Comment transformer nos peurs en moteur plutôt qu'en freins ?
Pour moi, dépasser ses peurs, c'est oser être soi-même.
Être moi-même, c'est un peu ce que j'ai essayé de faire toute ma vie.
Je vais donc vous proposer trois clés.
Trois clés qui m'ont permis à moi, de vivre mes rêves de gosse.
Très jeune, j'ai compris de manière intuitive que pour être heureux,
pour être épanoui, je devais pouvoir dépasser mes peurs au quotidien.
À l'époque, j'avais deux peurs naturelles, après la mort.
L'une d'entre elles était le vertige.
Pour dépasser cette peur du vide, il a fallu que je commence par la base,
à l'âge de 6 ans.
J'ai d'abord appris à sauter depuis le rebord de la piscine.
Une fois que j'ai bien maîtrisé les techniques,
que j'ai été capable de faire de jolis sauts,
je me suis élancé sur le plongeoir de un mètre, puis de 3 mètres, puis de 5 mètres.
À 18 ans, je sautais de 23 mètres de haut dans les Gorges du Verdon.
À 20 ans, je sautais depuis 4 500 mètres de haut,
depuis la fenêtre d'un avion, en chute libre.
Et aujourd'hui, c'est un peu comme si je sautais depuis la Lune :
parce que la première de mes peurs, c'est la prise de parole en public.
(Applaudissements)
Merci beaucoup.
Mais pourtant, je suis là ici, devant vous,
un TEDx, 18 minutes, surtout, il ne faut pas les dépasser.
Je peux vous promettre que je vais les dépasser. (Il rit.)
Comme vous avez pu le lire, je suis un ancien athlète.
Je faisais du snowboardcross.
Le snowboardcross est une discipline toute bête.
C'est du snowboard.
Mais avec un mot en plus qui vient foutre le bordel : c'est le cross.
On est quatre ou six, sur le départ, en même temps,
ça dépend des formats de course.
Et il faudra arriver dans les premiers des huitièmes de finale jusqu'à la finale.
En fait, entre le départ et l'arrivée,
il y a une cinquantaine d'obstacles : des virages relevés, des bosses,
des ruptures de pente.
Comment est-ce que je me positionne face à chacun de ces obstacles ?
En gros, comment est-ce que je me positionne face à l'adversité ?
Est-ce que c'est 50 raisons de faire une petite faute ?
50 raisons de ne pas être performant ?
50 raisons de subir le tracé ?
50 raisons de me blesser, 50 raisons de me tuer ?
Ou au contraire, est-ce que ce n'est pas plutôt :
50 raisons de prendre du plaisir ?
50 raisons de m'accélérer ?
50 raisons de devenir performant, 50 raisons d'avoir une vision ?
50 raisons de s'inventer un nouveau rêve ?
50 raisons de vivre son rêve, tout simplement.
On est ici sur le départ des X Games en 2008.
Je suis sur le départ numéro 5, j'ai le dossard blanc.
Le starter dit : « Attention, 5 secondes » et ça peut s'ouvrir n'importe quand.
Et donc là, je suis dans le troupeau.
Je suis ni devant, ni derrière.
Du coup, je décide de laisser de la marge aux adversaires pour ne pas être gêné.
Il faut que j'emmagasine de la vitesse.
Et là, j'arrive sur la phase de plat, je suis à l'aspiration,
et petit pas après petit pas, je vais passer de la 5e place à la 3e place.
Je suis en position de chasseur.
Devant moi Graham Watanabe l'Américain,
c'est l'actuel leader mondial, c'est l'homme à battre,
c'est ma bête noire.
Et quoi qu'il arrive, j'ai un objectif, c'est de me faire Graham Watanabe.
Et donc je suis dans l'action.
On est à 3 000m d'altitude à Aspen aux États-Unis.
C'est une course très physique, mais en même temps, il faut être fin.
La difficulté de notre sport, c'est qu'il faut être fidèle à sa stratégie
et à l'écoute de la conjoncture.
La stratégie, c'est être sur la ligne la plus rapide du début jusqu'à la fin.
La conjoncture, c'est les cinq bourrins qui sont autour de moi
et qui veulent ma peau.
Je suis dans un environnement qui change toujours.
Mais là, je passe petit à petit à la première place.
Ce que je vous ai pas dit, c'est que....
autant j'adore être un chasseur, mais dès que je suis chassé,
je perds mes moyens.
Des pensées parasites commencent à arriver,
d'autant que je commence à avoir mal aux jambes.
Là, je fais une petite faute, pas grand-chose,
mais je vais passer de la 1e à la 5e place.
Je suis dans l'action,
je me dis que quoi qu'il arrive il faut que je ne lâche rien.
Je vais pas baisser les bras,
je n'ai pas passé l'arrivée et je vais encore me battre.
Le maillot jaune, il est devant moi, et je vais me le faire quoi qu'il arrive.
Je reste concentré, je respire, je respire.
Le dernier saut : 40m de long 8m de haut.
Mon adversaire va se faire déséquilibrer par le vent,
je vais passer la ligne d'arrivée en premier.
(Applaudissements)
Merci beaucoup.
Vous savez pourquoi je me tape la tête ?
Parce qu'il y a un an, sur cette course, j'étais en finale,
j'avais gagné les qualifications,
j'ai chuté lourdement sur la tête et je ressors d'une hémorragie cérébrale.
En gros, sur cette course, j'avais 50 raisons d'avoir peur.
50 raisons de ne pas y aller.
Et pourtant, j'ai affronté la mort ce jour-là.
Et j'ai gagné mon pari.
(Applaudissements)
Merci.
Nous sommes en février 92.
Je suis avec mes quatre frères et soeurs devant la télé.
C'est les JO d'Albertville.
Si vous vous en rappelez, c'était immanquable à l'époque.
Et donc, il était 8 heures moins 2.
Chez nous, on a une règle : à 8 heures, quand notre mère rentre du boulot,
si on n'a pas mis le couvert, on est mort.
Et Xavier me dit ce jour-là: « Polo, t'as une minute 30 pour mettre le couvert
et t'iras aux Jeux Olympiques. »
Et donc, moi j'adore les défis, je mets le couvert en moins d'une minute 30.
Je vais aux Jeux Olympiques, lui aussi.
Le lendemain, il me dit : « Polo, 45 secondes et tu seras médaillé olympique. »
Chanmé ! OK.
Mais, J'avais anticipé son défi parce que je le connais
et j'ai beau être jeune, en amont, j'avais déjà rempli la carafe d'eau,
j'avais rapproché le pain, mis les verres et couverts sur les assiettes.
J'ai mis le couvert en moins de 45 secondes.
Et je suis devenu médaillé olympique.
Et pas lui.
(Rires) (Applaudissements)
Merci.
Est-ce que vous savez pourquoi il a les boules encore aujourd'hui ?
Parce qu'il a jamais mis le couvert en moins de 45 secondes.
(Rires)
C'est ma pensée magique.
La pensée magique, c'est mon premier outil, ma première clé.
La pensée magique, c'est celle qui vous conditionne,
c'est celle qui vous porte,
qui vous permet de toujours vous rappeler qui vous êtes.
Petit pas après petit pas, je grandis.
Je suis en finale de mon premier championnat du monde junior.
Je suis 2e juste avant le dernier saut.
On arrive avec de la vitesse et au lieu d'amortir le saut,
tellement heureux d'être vice-champion du monde junior,
je mets une impulsion, j'attrape ma planche,
je fais une figure.
J'avais le « style ».
C'est ce qu'on disait à l'époque.
J'avais trop la classe.
Je me rappelle avoir regardé mon ombre en l'air.
Pas de bol, j'ai réceptionné trop loin je pose les fesses
et je passe la ligne d'arrivée 3e.
Bon, troisième, c'est pas grave.
J'ai ma planche, j'attends pour monter sur le podium.
Et personne ne m'appelle.
Un journaliste vient et me dit :
« Non Polo, en fait tu n'es pas 3e t'es 4e, t'étais 5 cm derrière le 3e. »
Et là... pouf, gros sentiment de désarroi,
d'injustice, de colère, de tristesse, il y avait tout.
Et en fait, vous savez ce qu'il s'est passé ?
Juste avant cette bosse, j'étais heureux, j'étais dans la joie.
Mais je n'ai pas pu identifier cette émotion de manière assez fine
et je n'ai pas été capable de la maîtriser.
Cette joie s'est transformée en euphorie,
et l'euphorie a engendré un comportement destructeur.
En gros, au lieu de regarder l'objectif,
d'être pleinement dans ce que j'avais à faire,
pour atteindre mon résultat,
eh bien, j'ai préféré me regarder le nombril.
En rentrant chez moi, je croise mon cousin Nicolas
qui a 8 ans de plus que moi, le philosophe de la famille.
Il me dit : « Polo, baisse pas les bras,
tu sais très bien que l'échec fait partie de la construction.
Ce n'est pas moi qui vais te l'apprendre. »
Et donc, il me cite Oscar Wilde :
« Dans la vie, il faut toujours viser la Lune
car même en cas d'échec, tu atterriras dans les étoiles. »
OK, très bien, donc, ça veut dire quoi ?
« Ben, c'est évident Polo.
Fixe-toi des objectifs extrêmement hauts
et tant que tu es dans des comportements constructifs,
même si tu n'atteins pas ni ton objectif ni la Lune,
tu iras peut-être encore plus loin. »
Moi, ce n'est pas vraiment ce que j'ai compris.
Ce que j'ai compris : pour atteindre la Lune, il faut viser les étoiles.
Donc, vise le plus haut possible, et tu auras fait des choses incroyables.
Donc mon rêve, c'est quoi ?
C'est d'être snowboarder professionnel.
Et pour être snowboarder professionnel,
je me convaincs qu'il faut que je sois champion olympique.
Pour atteindre la Lune, il faut viser les étoiles.
C'est la pensée motivante qui m'a habité tout au long de ma carrière sportive,
qui m'a tiré, tellement souvent.
Petit pas après petit pas, j'arrive en finale des Jeux Olympiques.
À trois minutes du départ,
je vais voir mes adversaires, je les prends dans mes bras
et je leur dis : « Putain, les mecs, on vit notre rêve.
Savourons cet instant. »
On part dans la course, le départ est lancé.
Je suis tout à gauche.
Je ne suis pas habituellement un super starter.
Et donc, là je pars, je me dis : « Oh mon dieu c'est la finale ! »
et j'amortis mal ce premier saut.
Du coup, je perds une vitesse, c'est très stratégique.
Je sens l'Espagnol Jordi Font qui est 4e me revenir dessus.
Jordi a toujours des trajectoires intérieures.
Et moi je me dis : « OK, d'abord tu vas déstabiliser Jordi
en l'obligeant à aller à l'extérieur, et ensuite tu te feras les autres. »
Manque de bol, je l'ai tellement déstabilisé
qu'il est monté sur ma planche, on est tombés tous les deux.
Heureusement pour moi, je me relève devant lui et je termine 3e.
Je termine médaillé olympique.
Cette médaille va changer beaucoup de choses pour moi.
Et elle va surtout changer une chose :
le regard de la totalité de mon entourage proche ou lointain.
Les gens ne me voient plus pareil.
Je passe de l'outsider au seul médaillé olympique du snowboard français.
Quatre ans plus tard, j'arrive donc sur ces nouveaux Jeux Olympiques de Vancouver
en 2010 avec un nouveau statut et avec une nouvelle peur.
Je n'ai pas été capable d'identifier cette peur qui était centrale.
C'était la peur de perdre mon statut de médaillé olympique,
qui revient à la peur de ne plus exister.
Je ne l'ai pas regardée dans les yeux, je ne l'ai pas maîtrisée.
C'est comme ça que je suis passé de la 3e place à la 25e place.
Après une énorme remise en question,
un gros travail sur mes faiblesses tant sur le plan physique que technique,
je remonte les marches les unes après les autres.
J'arrive en 2014, je fais à nouveau partie du top 10 mondial.
Et manque de bol, 35 jours avant les Jeux Olympiques, c'est l'accident.
C'est la conjoncture qui vient me frapper de plein fouet.
Donc je suis dans l'action, tout va bien, je suis dossard jaune.
Et un Italien vient toucher ma planche encore une fois sur le sommet de la bosse
et je tombe de trois mètres de haut sur la tête, sur le plat, sur la glace.
En gros, je suis dans l'action je me dis : « Ouh merde, pas bon. »
Je ferme les yeux, j'ouvre les yeux
et j'entends un « bip bip » derrière moi.
J'ai des menottes et des tuyaux partout
et le neurochirurgien qui vient me voir.