Comment Macron bordélise la France et ses institutions
On ne veut pas utiliser le 49-3.
Vous avez bloqué la démocratie.
Le blocage, c'est vous.
Qu'il consulte les Français.
La meilleure façon de conjurer cette fracture, c'est le référendum.
La démocratie, ce n'est pas le pouvoir de la rue.
La crise sociale qui devient une crise politique,
le gouvernement qui recherche une légitimité parlementaire
et le comportement déjanté des forces de l'ordre dans les manifestations.
C'est le sommaire de ce numéro 18 de Pol'Express.
La semaine qui s'ouvre s'annonce passionnante.
Car tout peut arriver.
Le rejet par l'Assemblée du projet de loi sur les retraites,
le vote d'une motion de censure et la démission du gouvernement
ou bien la victoire définitive des tenants du départ à 64 ans.
Samedi, les sénateurs ont voté aux forceps le projet de loi du gouvernement.
C'est donc maintenant à une commission mixte paritaire,
7 députés, 7 sénateurs, qui va se prononcer.
Elle se réunira mercredi.
Sur les 14 parlementaires qui la composent,
5 sont acquis à l'exécutif et 4 à la droite.
La commission devrait donc parvenir à se mettre d'accord
sur une version proche du projet de loi initial.
Même si le débat a quelque chose d'absurde :
On a 7 personnes du Sénat, avec un texte qui a été voté.
Les 7 députés n'ont pas de mandat,
il n'y a jamais eu de vote à l'Assemblée nationale.
Ils vont faire quoi, la majorité présidentielle,
pour négocier l'article 2, par exemple, qui a été rejeté à l'Assemblée nationale ?
Ils n'ont pas de mandat.
Ils n'ont pas de mandat pour négocier l'article 7.
Ils n'ont pas de mandat pour négocier ce texte.
Jeudi matin, le texte de la CMP sera soumis au Sénat pour ratification
puis, l'après-midi, à l'Assemblée.
Officiellement, le gouvernement n'entend pas recourir à l'article 49-3
qui permet de faire adopter un texte sans vote
sauf si une motion de censure venait à le renverser,
ce qui n'est arrivé qu'une fois sous la Ve République, en 1962.
Dans le Journal du Dimanche,
Stéphane Séjourné, le patron de Renaissance, le parti présidentiel,
tient le même langage.
Et Gabriel Attal en a remis une couche, ce matin, sur France Inter.
On ne veut pas utiliser le 49-3.
On n'a pas envie, on ne se réveille pas le matin en se disant :
“Tiens on aimerait bien faire le 49-3”.
Et la deuxième chose, c'est qu'aujourd'hui on ne voit pas pourquoi il faudrait utiliser le 49-3.
Vous êtes confiant ?
Précisément parce que les LR du Sénat ont voté le texte.
Diable, le camp macroniste se montrerait-il beau joueur après avoir utilisé, au Sénat,
tous les artifices de la Constitution pour bâillonner l'opposition ?
Ce serait trop beau.
En réalité, le gouvernement redoute que l'agitation dans la rue se poursuive
si le projet de loi venait à être adopté sans que les députés se soient prononcés.
Quelle légitimité aurait alors ce texte ?
Sur la crise sociale viendrait se superposer une crise institutionnelle déjà présente.
Car le vote intervenu samedi soir au Sénat
est insuffisant pour conférer un semblant d'assentiment démocratique à la réforme.
Les sénateurs sont élus au suffrage indirect.
Et l'opinion est bien consciente que ce sont des artifices de procédure
qui ont permis ce résultat.
Vous avez, ensemble, gouvernement et majorité sénatoriale,
usé de toutes les procédures réglementaires et constitutionnelles possibles
et inimaginables pour accélérer les débats
en censurant l'opposition de la gauche sénatoriale.
Vous avez bloqué la démocratie.
Le blocage, c'est vous.
Le coup de force antidémocratique
avec le non vote de l'Assemblée nationale et le vote bloqué,
le vote forcé du Sénat,
rend illégitime cette réforme des retraites.
Quand 70 % des Français sont opposés à une réforme
et que la Constitution permet que celle-ci leur soit quand même imposée,
c'est que la Constitution est mauvaise.
Né en 1958, dans un contexte de guerre civile,
le texte fondateur de la Ve République est aujourd'hui à bout de souffle.
Il se révèle incapable de dénouer la dispute citoyenne,
faute de refléter les rapports de force qui partagent le pays.
Mais on ne peut changer de République en 15 jours.
Dans le Journal du dimanche, Laurent Berger fustige le 49-3.
Il y voit une forme de “vice démocratique”.
Surtout, le leader de la CFDT propose une solution :
“La détermination qui s'exprime dans la rue est en train de se transformer en colère.
Pour sortir de cette impasse, pourquoi ne pas demander aux citoyens
ce qu'ils pensent du passage de 62 à 64 ans à travers un référendum ?”
Il rejoint ainsi Philippe Martinez, qui la veille,
invitait le chef de l'État à “consulter le peuple”.
Il a l'air sûr de lui, qu'il consulte les Français.
C'est la démocratie.
Et Olivier Faure, ce dimanche :
La meilleure façon de conjurer cette fracture, c'est le référendum.
C'est de renvoyer l'ultime décision au peuple français.
Et là nous verrons, effectivement,
si Emmanuel Macron a été élu pour cette réforme
ou s'il ne l'a pas été.
Mais Emmanuel Macron n'y est pas prêt.
Car un référendum sur les retraites
aurait toutes les chances de se transformer en référendum sur sa personne.
Le président de la République ne veut pas prendre le risque
de voir la contestation sociale devenir politique.
Fût-ce par une voie pacifique et démocratique.
Le mouvement des gilets jaunes l'a définitivement traumatisé sur ce point.
Voilà pourquoi il se tient éloigné du débat.
Je laisse les sénateurs travailler
et les sénatrices travailler avec le gouvernement
et ensuite il se trouve que le Parlement suivra les termes de notre Constitution
pour qu'un texte législatif puisse aller à son terme.
Ni plus, ni moins.
Emmanuel Macron a donc opté pour une voie médiane.
Pas de référendum, mais pas de 49-3 non plus.
Quitte à prendre le risque d'être battu.
De toute façon, si le projet passe, ce sera sa victoire.
Et s'il est rejeté, ce sera la faute de la Première ministre.
D'ailleurs dans les allées du pouvoir,
on répète déjà que la Première ministre n'est pas à la hauteur.
Si elle échoue, il y a de fortes chances qu'elle connaisse le sort qu'Édith Cresson.
Première femme nommée à Matignon en 1991,
cette socialiste resta moins d'un an à son poste.
Mais les promesses n'engagent que ceux qui y croient.
Et l'on sait qu'avec ce gouvernement,
ce qui est vrai dimanche ne le sera pas forcément jeudi.
Souvent Véran varie.
Je vous laisse la digérer, celle-là…
Envisageons donc l'hypothèse d'un revirement du gouvernement sur le 49-3.
Bruno Retailleau y est favorable.
Je lui donne pour partie raison
puisqu'un 49-3 c'est une procédure qui est brutale,
c'est une procédure qui ajoutera de la tension.
Mais la démocratie, je suis désolé, la démocratie c'est la Constitution,
c'est l'application de la Constitution.
Et je dis à monsieur Berger…
Mais la politique c'est tenir compte de l'état d'un pays et d'une opinion.
Et je dis à monsieur Berger que la démocratie ce n'est pas le pouvoir de la rue.
Pourquoi le patron des sénateurs LR se montre-t-il aussi rigide ?
Parce que le 49-3 aurait le grand mérite de cacher les divisions de son parti.
Quand on regarde les résultats du vote de samedi soir au Sénat,
on constate que sur les 145 sénateurs Républicains,
6 ont voté contre le projet de loi et 18 se sont abstenus.
Ce qui n'est vraiment pas glorieux pour Bruno Retailleau.
Et du côté des centristes,
20 sénateurs sur 57 se sont prononcés contre le texte ou se sont abstenus.
À l'Assemblée, c'est près de la moitié du groupe LR
qui pourrait s'abstenir ou ne pas voter le projet de loi.
Un recours à l'article 49-3 permettrait de cacher la poussière sous le tapis.
Les comptages sont toujours cruels.
Les oppositions peuvent-elles se retrouver sur une motion de censure unique ?
À l'initiative du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires,
de discrètes négociations se sont engagées avec les frondeurs de LR et la Nupes.
Du côté du Rassemblement national,
on est partant pour toutes les motions de censure.
Il faudra peut-être se mettre d'accord avec toutes les oppositions
pour déposer la motion de censure peut-être la plus consensuelle possible.
Transpartisane ?
Moi je vais vous dire :
je n'ai aucune difficulté à ce que le Rassemblement national
vote des motions de censure qui ne viennent pas forcément de nos bancs.
Au RN, on caresse un rêve récurrent.
Celui d'une dissolution de l'Assemblée
qui permettrait aux lepénistes de revenir encore plus nombreux dans l'hémicycle.
Une motion de censure votée par une partie des LR, la Nupes et le RN
pourrait inciter le président de la République à renvoyer les députés devant les électeurs.
C'est du moins l'analyse que l'ont fait dans l'entourage de Marine Le Pen.
Quelle que soit l'issue de cette semaine cruciale,
elle laissera des traces indélébiles dans l'opinion.
Car celle-ci est maintenant convaincue que la réforme des retraites est une injustice.
En France, plus qu'ailleurs, c'est quelque chose qui ne se pardonne pas.
Le gouvernement parie sur le pourrissement de la mobilisation sociale.
Mais il semble qu'il tente également de pourrir les manifestations.
On en avait déjà eu un aperçu mardi 7 mars à Paris
avec des charges répétées des forces de l'ordre
contre des manifestants en train de se disperser place d'Italie.
Samedi, à Paris, la manifestation était une nouvelle fois précédée
par une nébuleuse d'éléments cherchant à en découdre avec la police.
Le scénario est connu.
On incendie une poubelle, on casse une vitrine.
Les forces de l'ordre interviennent et se font caillasser.
Les perturbateurs s'enfuient comme une volée de moineaux.
Mais le comportement des forces de l'ordre, loin de rétablir le calme,
a rajouté du désordre au désordre.
Pour le dire autrement, les black blocs ont servi de prétexte commode
à des unités de police pour casser du manifestant.
D'abord à Bastille où un cordon de CRS a longuement barré le passage au cortège syndical
en faisant monter la tension inutilement.
Avenue Daumesnil, ensuite.
Une compagnie d'intervention charge sans ménagement l'avant cortège.
Il ne s'agit pas d'interpeller des éléments violents,
mais bien de tabasser tout le monde.
Une punition collective.
À preuve ces individus laissés au sol, à moitié assommés.
S'ils ne sont pas embarqués,
c'est donc qu'il n'y avait pas de raison légitime de faire usage de la force.
Même les journalistes ont eu droit à leur ration.
C'est la presse ! C'est la presse !
“Ta gueule” répond ce sympathique fonctionnaire en braquant son LBD dans notre direction.
Enchanté, moi c'est Faubert.
Que dire encore de ce manifestant piétiné
avant d'être abandonné par la compagnie d'intervention qui se replie.
Quelques instants plus tard, c'est un énième feu de poubelle,
une centaine de mètres en amont du cortège,
qui sert d'alibi au matraquage en règle du premier rang de la manifestation.
La même compagnie d'intervention entreprend ensuite
de bloquer la progression du cortège syndical.
Mauvaise idée. La foule enfonce le cordon de police, soudain moins téméraire.
Quelques incidents mineurs émailleront encore la manifestation jusqu'à la dispersion,
place de la Nation.
Ce choix d'aller systématiquement au contact des éléments violents,
sans considération pour les autres manifestants, aggrave les situations.
Il se soldera tôt ou tard par un drame.
À croire que c'est ce que recherche le préfet Laurent Nuñez,
qui se montre en cela fidèle au déplorable préfet Lallement.
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Attention, petit changement dans l'agenda de la semaine.
Jeudi étant une journée où tout peut basculer,
le Bourbon de Serge sera exceptionnellement déplacé au vendredi.
N'ayez crainte, le Bourbon, c'est comme le pot-au-feu.
C'est meilleur le lendemain.
En revanche, jeudi soir, nous mettrons en ligne un short Youtube
pour réagir à chaud depuis l'Assemblée.
Donc je récapitule : à jeudi pour un short
et à vendredi pour un Bourbon, sinon rien.