Macron, 49-3 : le coup d'État permanent (1)
Sur le fondement de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution,
j'engage la responsabilité de mon gouvernement.
Cette réforme n'aura jamais la légitimité du Parlement.
Le boulet de la nation c'est Macron.
Nous avons tout fait, jusqu'à la dernière seconde,
pour faire en sorte qu'on puisse voter.
Au fond, c'est un tête-à-tête d'Emmanuel Macron avec lui-même.
Je ne dissimule pas qu'il y avait des positions,
dans un groupe guidé par la liberté, qui étaient différentes.
Notre groupe déposera dans les prochaines heures
une motion de censure transpartisane.
J'ai été très choquée.
Le coup de force institutionnel d'Emmanuel Macron et d'Élisabeth Borne.
C'est le sommaire de ce numéro 33 du Bourbon de Serge
Le gouvernement a donc eu recours à l'article 49-3
pour faire passer sa réforme des retraites.
C'est la 11e fois qu'Élisabeth Borne, qui voulait incarner le dialogue,
use de cet artifice constitutionnel.
Et comme un clin d'oeil de l'histoire,
c'est la 100e fois que cet article est utilisé depuis la naissance de la Ve République.
La parole est à madame la Première ministre.
(Huées)
Messieurs les députés, aujourd'hui, sur le texte du Parlement,
l'incertitude plane à quelques voix près.
On ne peut pas prendre le risque de voir 175 heures de débat parlementaire s'effondrer.
On ne peut pas prendre le risque de voir le compromis,
bâti par les deux assemblées, écarté.
On ne peut pas faire de pari sur l'avenir de nos retraites.
Cette réforme est nécessaire.
Aussi, parce que je suis attachée à notre modèle social,
et parce que je crois dans la démocratie parlementaire,
c'est sur votre réforme, sur le texte du Parlement,
fruit d'un compromis entre les deux assemblées,
que je suis prête à engager ma responsabilité.
Aussi, sur le fondement de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution,
j'engage la responsabilité de mon gouvernement sur l'ensemble du projet de loi
de financement rectificatif de la Sécurité sociale pour 2023.
Hier soir, sur TF1, la Première ministre se disait choquée.
J'ai été très choquée.
Quand vous avez des hurlements, des chants, du côté des députés de la Nupes,
des députés du Rassemblement national, qui tapent sur leurs pupitres,
des cris où on ne s'entend même pas parler.
Je rappelle que le Parlement, l'Assemblée nationale,
c'est le lieu où on débat.
Élisabeth Borne a-t-elle vraiment compris ce qu'elle venait de provoquer.
On peut en douter au regard de cette réaction lunaire.
Le gouvernement a eu peur.
Peur d'être battu à la régulière.
Il a eu la trouille de la démocratie.
La motion de rejet préalable que s'apprêtait à présenter
le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT)
avait de grandes chances d'être votée avec trois à cinq voix de majorité.
La France insoumise ne s'y est d'ailleurs pas trompée.
Une seule motion de rejet peut être examinée en séance.
Le tirage au sort avait initialement désigné celle des insoumis.
Le groupe de Mathilde Panot a préféré retirer sa motion
estimant que celle de LIOT, groupe plus consensuel dans l'hémicycle,
avait davantage de chances de passer.
Autrement dit, dans cette dernière hypothèse,
le projet de loi n'aurait pas été discuté et la réforme s'arrêtait là.
Ce recours au 49-3 est donc un formidable aveu de faiblesse.
Le président de la République et sa Première ministre
n'ont pas de majorité à l'Assemblée nationale.
Et pourtant l'exécutif se comporte encore comme s'il disposait d'une majorité absolue.
On savait que la macronie avait perdu pied dans le pays,
mais on voit qu'elle a même perdu pied à l'Assemblée.
Et que le souci dans tout ça, on le sait, ce n'est pas Borne,
elle appartient au passé,
maintenant le souci, le boulet de la nation c'est Macron.
C'est lui qui a fait de cette réforme, comme un jusqu'au boutiste,
comme un extrémiste, un marqueur de son autorité.
Je veux dire qu'il entraîne le pays droit dans le mur,
il met le pays, il met la démocratie en danger.
Il est évident que c'est la décision aujourd'hui d'un seul homme.
Un seul homme qui est à l'Élysée
et qui croit qu'à lui tout seul il peut faire joujou avec le pays.
Eh bien là, on vient lui dire “non”.
Quelle légitimité a donc cette réforme ?
Elle n'aura jamais été votée par les députés.
Ni en première lecture, ni hier.
Le 49-3 est peut-être constitutionnel,
mais pour une réforme aussi importante,
le minimum est que les parlementaires puissent voter,
que nous puissions faire usage de notre droit de vote.
Aujourd'hui, même ça ils nous le retirent.
Cette réforme n'aura jamais la légitimité du Parlement
et elle n'a pas l'approbation des Français.
Elle est vouée à être retirée.
Même dans les rangs du bloc macroniste, on regrette de n'avoir pu voter.
Comme Philippe Vigier, député MoDem
qui a participé à la commission mixte paritaire.
Comme vous le savez, c'est une prérogative de l'exécutif.
Nous avons tout fait, jusqu'à la dernière seconde,
pour faire en sorte qu'on puisse voter
parce que moi j'aurais aimé, une fois de plus,
qu'il y ait ce débat, projet contre projet,
dans les explications de vote.
C'est ainsi.
C'est la vie parlementaire.
C'est une déception ?
Pour moi c'est une déception.
Mais vous savez, dans la vie on en connaît d'autres.
Seul le Sénat s'est prononcé sur le texte.
Et encore est-ce au terme d'un vote bloqué.
Après qu'on a convoqué tous les articles de la Constitution et du règlement
permettant de museler l'opposition.
C'est un coup de force institutionnel.
Même si la légalité a été respectée.
En son temps, François Mitterrand avait qualifié la Ve République
de coup d'État permanent.
C'était dans un livre publié en 1964.
Nous y sommes. C'est le triomphe du Bonapartisme sur le parlementarisme.
L'écrasement du Sénat et de la République romaine par César.
Emmanuel Macron est seul.
Seul contre l'opinion, seul contre le mouvement social, seul contre les syndicats.
Il semble qu'il s'aperçoive qu'il n'a pas la majorité parmi les syndicats,
qu'il n'a pas de majorité dans le pays,
qu'il n'en a probablement pas non plus dans l'hémicycle.
Au fond, c'est un tête-à-tête d'Emmanuel Macron avec lui-même.
Il doit cesser de brutaliser le pays,
cesser de faire passer son égo avant la cohésion du pays.
Il faut qu'il retire cette réforme qui est profondément rejetée.
Quant à Élisabeth Borne, la question de son maintien à Matignon est désormais posée.
Elle avait promis de construire une majorité
autour de la réforme la plus importante de ce quinquennat.
Elle a échoué.
Avec ses onze recours à l'article 49-3 depuis sa nomination,
elle arrive juste derrière le recordman de la spécialité :
Michel Rocard qui a utilisé à 28 reprises ce funeste article lorsqu'il était à Matignon.
Ce 49-3 marque encore l'échec de la droite.
Éric Ciotti et Olivier Marleix, le président du parti et celui du groupe,
ne sont pas parvenus à aligner les députés LR derrière le gouvernement.
Près de la moitié du groupe refusait de jouer la roue de secours du macronisme.
Ce vote était possible.
Après, c'est le choix du gouvernement.
Le groupe Les Républicains portait une majorité en faveur de la réforme,
certes modeste, mais une majorité,
même si je ne dissimule pas qu'il y avait des positions,
dans un groupe guidé par la liberté, qui étaient différentes.
J'ai personnellement pris mes responsabilités,
le bureau politique des Républicains a pris ses responsabilités
en souhaitant l'adoption de cette réforme.
Cette réforme sera désormais vraisemblablement adoptée dans le cadre du 49-3.
Nous venons de décider en réunion de groupe
que nous nous associerons à aucune motion de censure
et que nous ne voterions aucune motion de censure.
La situation de crise dans le pays ne supporterait pas
que l'on porte aujourd'hui un coup fatal à notre démocratie
et à nos institutions.
Éric Ciotti s'avance beaucoup.
Plusieurs députés de LR sont prêts à voter une motion de censure
pourvu que celle-ci ne soit pas signée, ni par les insoumis,
ni par le Rassemblement national.
C'est sur ce scénario que travaille le groupe LIOT.
Nous dénonçons l'utilisation du 49-3
qui démontre la surdité du gouvernement, incapable de construire des compromis.
En conséquence, nous demandons le retrait immédiat de la réforme des retraites
et la démission du gouvernement.
Sans réponse rapide du président de la République,
notre groupe déposera dans les prochaines heures
une motion de censure transpartisane.
A nouveau, afin de favoriser à nouveau le succès de cette motion,
le groupe LFI a décidé, hier soir de retirer sa propre motion.
Il y a donc un trou de souris par lequel la démocratie pourrait se faufiler.
Du côté du Rassemblement national,
Marine Le Pen appelle à la démission d'Élisabeth Borne
et met le président de la République au défi de dissoudre l'Assemblée nationale.
Nous allons déposer une motion de censure.
Nous voterons l'ensemble des motions de censure déposées.
Je pense que madame Borne aurait dû terminer son laïus
en disant qu'elle partait.
Bien sûr, elle aurait dû, évidemment, présenter sa démission
car il s'agit là d'un constat d'échec majeur.
Mais pas seulement pour elle, soyons justes et soyons honnêtes :
c'est un constat d'échec majeur pour Emmanuel Macron.
Moi je suis pour la dissolution.
Il n'y a aucun problème.
Chiche ! Qu'on aille au peuple.
Moi je n'ai pas peur du peuple, c'est à lui de décider.
Oui, je crois que la confiance que les Français nous portent
peut être supérieure lors d'une nouvelle élection, encore,
à ce qui a été exprimé par eux lors des élections législatives de 2022.
La perspective d'une dissolution
n'effraie pas davantage le Premier secrétaire du Parti socialiste.
Moi je n'ai pas peur de la dissolution.
Je considère que quand on n'arrive pas à trouver une solution,
et s'il veut à un moment recourir au peuple, qui est le seul souverain dans ce pays,
il peut le faire.
S'il veut dissoudre demain matin, qu'il le fasse
et on verra bien qui a raison et qui a tort.
Et on verra bien ce que les Français lui disent.
Mais pour Olivier Faure, il existe un moyen encore plus simple de dénouer la crise.
J'appelle au retrait de ce projet de loi.
Si le président ne veut pas prendre le risque d'un embrasement général,
eh bien il doit maintenant retirer cette réforme.
Il doit comprendre que, à la fois cette réforme en elle-même
et l'usage du 49-3 pour la faire passer,
est une violence qui est insupportable pour les Français.
Et donc il prend un risque, celui d'une fracture dans ce pays,
il prend le risque aussi de dérive, que je ne veux pas qualifier à ce stade.
En 2006, Jacques Chirac en butte à une forte opposition de la jeunesse et des salariés
avait retiré la loi sur le Contrat première embauche.
Onze jours après son adoption à l'Assemblée.
À l'époque, ses adversaires avaient dénoncé une reculade.
Rendons cette justice à Jacques Chirac,
ce président opportuniste avait montré ce jour-là qu'il pouvait être, parfois, un homme d'État.
Entre l'affirmation de son pouvoir et la paix civile, il avait choisi la seconde.
Emmanuel Macron fera-t-il preuve de la même sagesse ?
On peut en douter.
Au moment des Gilets jaunes l'homme a montré qu'il préférait la force à la raison.
Quoi qu'il en soit, si le président pense clore la séquence de la réforme des retraites
avec le 49-3, il se trompe.
La guerre sociale va se poursuivre.
Rien n'est fini.
Et à ceux qui, au pouvoir aujourd'hui, sèment le chaos dans ce pays,
nous répondrons évidemment par la censure.
Mais nous emploierons tous les moyens à notre disposition
pour continuer cette lutte que mènent des millions de gens dans le pays.
Loin de se fissurer, l'intersyndicale appelle à une nouvelle manifestation jeudi prochain.
Hier soir, place de la Concorde
plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées spontanément.
Comme un peu partout en France.
Avec souvent, des affrontements à l'issue des cortèges.
Emmanuel Macron s'est enfermé dans une impasse.
Il avait moins à perdre en laissant voter une motion de rejet
qu'en engageant la responsabilité du gouvernement.
Car les Français voulaient un vote.
Cette frustration va s'enkyster.
Et le ressentiment, immense, est en train de se transformer en crise de régime.