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Michel De Montaigne – Essais (Livre Premier), Sur les prophéties

Sur les prophéties

1. À propos des oracles, il est certain que bien avant la venue de Jésus-Christ, ils avaient commencé à tomber en désuétude : Cicéron se demandait déjà quelle était la cause de leur déclin. Voici ses propres mots : « d'où vient qu'on ne rend plus d'oracles de cette sorte à Delphes, non seulement de nos jours, mais depuis longtemps, en sorte qu'il n'y a rien d'aussi méprisé ? » [Cicéron, De divinatione , II, 157]

2. Qu'il s'agisse des prédictions tirées de l'anatomie des bêtes lors des sacrifices, (prédictions qui selon Platon ont déterminé en partie l'arrangement naturel des organes internes) [48], ou tirées du trépignement des poulets, du vol des oiseaux, (nous croyons que certains oiseaux sont nés pour servir l'art des augures[49], ou encore de la foudre, des tourbillons des rivières, les haruspices voient beaucoup de choses, les augures en prévoient beaucoup, beaucoup d'événements sont annoncés par les oracles, beaucoup par les devins, beaucoup par les songes, beaucoup par les prodiges[50] ou d'autres sortes de prédictions encore, sur lesquelles l'antiquité fondait la plupart de ses projets, tant publics que privés – notre religion les a abolies. 3. Il nous reste pourtant encore quelques moyens de divination par les astres, les esprits, les formes du corps, les songes, et ailleurs – exemple remarquable de la folle curiosité de notre nature, qui passe son temps à se préoccuper des choses futures, comme si elle n'avait pas assez à faire avec les présentes ! Pourquoi as-tu voulu, maître de l'Olympe, ajouter cette angoisse aux maux des mortels,

qu'ils connaissent leurs malheurs futurs par de cruels présages ? Que ton dessein conçu les frappe à l'improviste ! Que leur âme soit aveugle à leurs destins futurs !

Qu'ils puissent espérer au milieu de leurs craintes ! [Lucain, La Pharsale , II, 4,5, 6,14 et 19]

« Il n'y a aucun intérêt à connaître l'avenir. C'est en effet une misère de se tourmenter sans profit. [Cicéron, De natura deorum , XII, 6]

Mais l'autorité de la divination est désormais bien moindre. 4. Voilà pourquoi l'exemple de François Marquis de Saluces[51] m'a semblé remarquable. Lieutenant du Roi François 1er dans son armée d'Italie, infiniment favorisé par notre cour, et obligé du Roi pour le marquisat lui-même, qui avait été confisqué à son frère, alors qu'aucune occasion de faire cela ne se présentait, et que son affection même le lui interdisait, il fut terriblement épouvanté (cela est avéré), par les belles prédictions qu'on faisait alors courir de tous côtés à l'avantage de l'Empereur Charles-Quint, et à notre détriment (au point qu'en Italie, où ces folles prophéties avaient trouvé un large écho, une grande somme d'argent fut mise au change en raison de notre prétendue ruine prochaine). Tellement épouvanté, donc, qu'après s'être souvent plaint auprès de ses proches des malheurs qu'il voyait inévitablement se préparer pour la couronne de France et pour les amis qu'il y avait, il fit volte-face et changea de parti. Ce fut pourtant à son grand dommage, quelque constellation qu'il y eût alors dans le ciel… 5. Mais il se conduisit en homme tiraillé entre des passions opposées, car, ayant en son pouvoir des villes et des forces, l'armée ennemie sous les ordres d'Antoine de Leve étant à trois pas de lui, et que nous n'avions aucun soupçon de son revirement, il eût pu nous faire bien plus de mal qu'il ne nous en fit. Car sa trahison ne nous fit perdre aucun homme ni autre ville que Fossano – et encore, après l'avoir longtemps disputée. C'est par prévoyance qu'un dieu Cache dans l'ombre l'avenir ; Et qu'il se rit de ce mortel Qui s'affole plus que de raison. Il est maître de lui, celui

Qui dit du jour « je l'ai vécu ! Qu'importe que demain, le Père Emplisse le ciel d'un orage Ou nous offre un pur soleil !

[Horace, Odes , III, XXIX, 29-32 et 40-44]

L'esprit, satisfait du présent, Ne craint pas l'avenir. [Horace, Odes , II, XVI, 25]

6. Et ceux qui croient le mot que voici, ont tort, au contraire :

Ils argumentent ainsi : s'il y a divination, il y a des dieux, et s'il y a des dieux, il y a divination. Beaucoup plus sagement, Pacuvius écrit, lui :

Car ceux qui comprennent le langage des oiseaux,

ceux qu'un foie renseigne plus que leur raison, mieux vaut les écouter que les croire.

7. Cet art de divination qu'on a tant vanté chez les Toscans[52], voici comment il naquit : un laboureur ouvrant profondément la terre de son coutre, en vit surgir Tagès, demi-dieu au visage enfantin, mais sage comme un vieillard. Et chacun d'accourir… Ses paroles et sa science, qui contenaient les principes et les moyens de cet art, furent recueillis et conservés pendant des siècles. Voilà une naissance à l'image de ce qui s'en suivit… 8. J'aimerais mieux régler mes affaires en jouant aux dés que par ces balivernes. Il est vrai que dans tous les États on a toujours accordé un rôle important au hasard. Platon, dans l'organisation politique qu'il imagine à son gré[53], lui attribue la décision dans plusieurs domaines importants : il veut, entre autres choses, que les mariages se fassent par tirage au sort entre les « bons ». Et il donne tellement d'importance à ce choix par le sort que les enfants qui en naissent doivent être élevés dans le pays, tandis que ceux qui naissent des « mauvais » en seront chassés. Mais toutefois, si l'un de ces bannis venait par hasard à prouver en grandissant qu'on peut attendre quelque chose de lui, on pourra le faire revenir. Et à l'inverse, on pourra aussi exiler celui d'entre les élus qui décevrait, par son adolescence, les espoirs mis en lui. 9. J'en vois qui étudient et annotent leurs Almanachs, et nous en allèguent l'autorité pour tout ce qui se passe. Mais à dire tant de choses, il faut bien que s'y trouvent des vérités et des mensonges… Quel est celui qui, tirant toute la journée, n'atteindrait pas le but, parfois ? [Cicéron, De divinatione , II, 59]

Ce n'est pas parce qu'il leur arrive de tomber juste que mon estime pour eux en est renforcée. 10. Il y aurait plus de certitude dans ce qu'ils disent s'ils avaient pour règle de mentir toujours. D'autant que personne ne tient registre de leurs erreurs, parce qu'elles sont ordinaires et innombrables. Et pourtant on fait valoir leurs divinations parce qu'elles sont rares, difficiles à croire, et étonnantes. Comme Diagoras, surnommé « l'Athée », se trouvait dans l'île de Samothrace, celui qui lui montrait dans le Temple la quantité d'ex-voto et de portraits donnés par ceux qui avaient échappé au naufrage, lui dit alors : « Eh bien ! Vous qui pensez que les Dieux se désintéressent des choses humaines, que dites-vous de tant d'hommes sauvés par leur entremise ? » À quoi Diagoras répondit : « mais ceux qui sont morts noyés et qui sont bien plus nombreux, on ne les a pas peints. 11. Cicéron dit que parmi tous les philosophes qui ont admis l'existence des Dieux, seul Xénophane de Collophon a essayé de déraciner toute sorte de divination. Il n'est donc guère étonnant que l'on ait pu voir certains de nos esprits princiers faire cas de ces sottises, et à leur détriment d'ailleurs. 12. Je voudrais bien avoir vu de mes propres yeux les deux merveilles que voici : la première est le livre de Joachim, abbé de Calabre, qui prédisait tous les Papes futurs, avec leurs noms et leurs traits. La deuxième est celui de Léon l'Empereur[54] qui prédisait les Empereurs et les Patriarche de la Grèce. Mais ce que j'ai vu de mes propres yeux, par contre, c'est que dans les troubles de la société, les hommes, frappés de stupeur par ce qui leur arrive, recherchent dans le ciel, comme dans toutes les superstitions, les causes et les signes annonciateurs de leurs misères. 13. Et ils y parviennent curieusement si bien, de nos jours, qu'ils ont fini par me persuader qu'il y a là un jeu pour les esprits subtils et oisifs, et que ceux qui sont habitués à cet art qui consiste à manipuler et dévoiler le sens des textes seraient bien capables, dans n'importe lequel, de trouver à la fin ce qu'ils y cherchent. Mais ils y ont beau jeu, car à ce langage obscur, ambigu et fantastique des textes prophétiques, leurs auteurs ne donnent aucun sens clair, afin que la postérité puisse lui appliquer celui qui lui conviendra.

14. Le démon de Socrate était peut-être une sorte d'impulsion de la volonté, qui lui venait sans le secours de la parole. En un esprit bien épuré comme le sien, et préparé par le continuel exercice de la sagesse et de la vertu, il est vraisemblable que ces avertissements, quoique prématurés et confus, de par leur importance, aient toujours mérité d'être suivis. Chacun de nous a ressenti en lui ces sortes d'agitations dues à une pensée qui le traverse, de façon aussi véhémente que fortuite. À moi de leur donner alors quelque autorité, moi qui en donne si peu à la sagesse.

15. J'ai éprouvé de semblables mouvements, peu raisonnés, mais faits de persuasion ou de dissuasion violentes, si fréquents chez Socrate dit-on, par lesquels je me suis laissé emporter si utilement et avec tant de succès que l'on pourrait les considérer comme ayant quelque chose à voir avec l'inspiration divine.

Sur les prophéties On prophecies Sobre as profecias Kehanetler üzerine

1. À propos des oracles, il est certain que bien avant la venue de Jésus-Christ, ils avaient commencé à tomber en désuétude : Cicéron se demandait déjà quelle était la cause de leur déclin. On the subject of oracles, it's certain that long before the coming of Jesus Christ, they had begun to fall into disuse: Cicero was already wondering what was the cause of their decline. Voici ses propres mots : «  d'où vient qu'on ne rend plus d'oracles de cette sorte à Delphes, non seulement de nos jours, mais depuis longtemps, en sorte qu'il n'y a rien d'aussi méprisé ? Here are his own words: "Why is it that oracles of this kind are no longer given at Delphi, not only today, but for a long time, so that there is nothing so despised? »  [Cicéron,  De divinatione , II, 157]

2. Qu'il s'agisse des prédictions tirées de l'anatomie des bêtes lors des sacrifices, (prédictions qui selon Platon ont déterminé en partie l'arrangement naturel des organes internes) [48], ou tirées du trépignement des poulets, du vol des oiseaux, (nous croyons que certains oiseaux sont nés pour servir l'art des augures[49], ou encore de la foudre, des tourbillons des rivières, les haruspices voient beaucoup de choses, les augures en prévoient beaucoup, beaucoup d'événements sont annoncés par les oracles, beaucoup par les devins, beaucoup par les songes, beaucoup par les prodiges[50] ou d'autres sortes de prédictions encore, sur lesquelles l'antiquité fondait la plupart de ses projets, tant publics que privés – notre religion les a abolies. Whether we're talking about predictions drawn from the anatomy of beasts during sacrifices (predictions which, according to Plato, have partly determined the natural arrangement of internal organs) [48], or drawn from the trepidation of chickens, the flight of birds (we believe that certain birds are born to serve the art of augurs[49], or from lightning, or the whirlpools of rivers, haruspices see many things, augurs foresee many things, many events are foretold by oracles, many by soothsayers, many by dreams, many by prodigies[50] and many other kinds of predictions on which antiquity based most of its projects, both public and private - our religion has abolished them. 3. Il nous reste pourtant encore quelques moyens de divination par les astres, les esprits, les formes du corps, les songes, et ailleurs – exemple remarquable de la folle curiosité de notre nature, qui passe son temps à se préoccuper des choses futures, comme si elle n'avait pas assez à faire avec les présentes ! Yet we still have some means of divination through the stars, spirits, body shapes, dreams, and elsewhere - a remarkable example of the mad curiosity of our nature, which spends its time worrying about future things, as if it didn't have enough to do with the present! Pourquoi as-tu voulu, maître de l'Olympe, ajouter cette angoisse aux maux des mortels,

qu'ils connaissent leurs malheurs futurs par de cruels présages ? that they know their future misfortunes by cruel omens? Que ton dessein conçu les frappe à l'improviste ! Let your conceived design strike them unawares! Que leur âme soit aveugle à leurs destins futurs !

Qu'ils puissent espérer au milieu de leurs craintes ! Let them hope in the midst of their fears! [Lucain,  La Pharsale , II, 4,5, 6,14 et 19]

« Il n'y a aucun intérêt à connaître l'avenir. "There's no point in knowing the future. C'est en effet une misère de se tourmenter sans profit. [Cicéron,  De natura deorum , XII, 6]

Mais l'autorité de la divination est désormais bien moindre. But the authority of divination is now much less. 4. Voilà pourquoi l'exemple de François Marquis de Saluces[51] m'a semblé remarquable. This is why I found the example of François Marquis de Saluces[51] so remarkable. Lieutenant du Roi François 1er dans son armée d'Italie, infiniment favorisé par notre cour, et obligé du Roi pour le marquisat lui-même, qui avait été confisqué à son frère, alors qu'aucune occasion de faire cela ne se présentait, et que son affection même le lui interdisait, il fut terriblement épouvanté (cela est avéré), par les belles prédictions qu'on faisait alors courir de tous côtés à l'avantage de l'Empereur Charles-Quint, et à notre détriment (au point qu'en Italie, où ces folles prophéties avaient trouvé un large écho, une grande somme d'argent fut mise au change en raison de notre prétendue ruine prochaine). Lieutenant to King François 1er in his Italian army, infinitely favored by our court, and obliged by the King for the marquisate itself, which had been confiscated from his brother, when no opportunity to do so presented itself, and when his very affection forbade it, he was terribly appalled (this has been confirmed), by the fine predictions then being made on all sides to the advantage of Emperor Charles V, and to our detriment (so much so that in Italy, where these mad prophecies had found a wide echo, a large sum of money was exchanged for our alleged imminent ruin). Tellement épouvanté, donc, qu'après s'être souvent plaint auprès de ses proches des malheurs qu'il voyait inévitablement se préparer pour la couronne de France et pour les amis qu'il y avait, il fit volte-face et changea de parti. So frightened, therefore, that after complaining often to those closest to him about the misfortunes he saw inevitably brewing for the crown of France and for the friends he had there, he did an about-face and changed sides. Ce fut pourtant à son grand dommage, quelque constellation qu'il y eût alors dans le ciel… But it was to his great shame, whatever constellation there was in the sky at the time... 5. Mais il se conduisit en homme tiraillé entre des passions opposées, car, ayant en son pouvoir des villes et des forces, l'armée ennemie sous les ordres d'Antoine de Leve étant à trois pas de lui, et que nous n'avions aucun soupçon de son revirement, il eût pu nous faire bien plus de mal qu'il ne nous en fit. But he behaved like a man torn between opposing passions, for, having in his power cities and forces, the enemy army under Antoine de Leve being three paces from him, and us having no suspicion of his reversal, he could have done us far more harm than he did us. Car sa trahison ne nous fit perdre aucun homme ni autre ville que Fossano – et encore, après l'avoir longtemps disputée. For his betrayal cost us no man and no town other than Fossano - and even then, only after a long struggle. C'est par prévoyance qu'un dieu Cache dans l'ombre l'avenir ; Et qu'il se rit de ce mortel And laughs at this mortal Qui s'affole plus que de raison. Who panics more than reason. Il est maître de lui, celui

Qui dit du jour « je l'ai vécu ! Who says of the day "I lived it! Qu'importe que demain, le Père Emplisse le ciel d'un orage Ou nous offre un pur soleil !

[Horace,  Odes , III, XXIX, 29-32 et 40-44]

L'esprit, satisfait du présent, Ne craint pas l'avenir. [Horace,  Odes , II, XVI, 25]

6. Et ceux qui croient le mot que voici, ont tort, au contraire : And those who believe the word here, are wrong, on the contrary:

Ils argumentent ainsi : s'il y a divination, il y a des dieux, et s'il y a des dieux, il y a divination. They argue: if there is divination, there are gods, and if there are gods, there is divination. Beaucoup plus sagement, Pacuvius écrit, lui :

Car ceux qui comprennent le langage des oiseaux, For those who understand the language of birds,

ceux qu'un foie renseigne plus que leur raison, those whose liver informs them more than their reason, mieux vaut les écouter que les croire.

7. Cet art de divination qu'on a tant vanté chez les Toscans[52], voici comment il naquit : un laboureur ouvrant profondément la terre de son coutre, en vit surgir Tagès, demi-dieu au visage enfantin, mais sage comme un vieillard. This art of divination, so highly praised by the Tuscans[52], is how it came into being: a ploughman opened up the soil of his coulter and out popped Tagès, a half-god with a childlike face, but as wise as an old man. Et chacun d'accourir… Ses paroles et sa science, qui contenaient les principes et les moyens de cet art, furent recueillis et conservés pendant des siècles. His words and his science, which contained the principles and means of this art, were collected and preserved for centuries. Voilà une naissance à l'image de ce qui s'en suivit… A birth in the image of what followed... 8. J'aimerais mieux régler mes affaires en jouant aux dés que par ces balivernes. I'd rather settle my affairs with a game of dice than with this nonsense. Il est vrai que dans tous les États on a toujours accordé un rôle important au hasard. It's true that in all states, chance has always played an important role. Platon, dans l'organisation politique qu'il imagine à son gré[53], lui attribue la décision dans plusieurs domaines importants : il veut, entre autres choses, que les mariages se fassent par tirage au sort entre les « bons ». Plato, in the political organization he imagined[53], attributed decisions in several important areas to him: among other things, he wanted marriages to be made by drawing lots between the "good" ones. Et il donne tellement d'importance à ce choix par le sort que les enfants qui en naissent doivent être élevés dans le pays, tandis que ceux qui naissent des « mauvais » en seront chassés. And he gives such importance to this choice by fate that the children born to them must be raised in the country, while those born to the "bad" ones will be driven out. Mais toutefois, si l'un de ces bannis venait par hasard à prouver en grandissant qu'on peut attendre quelque chose de lui, on pourra le faire revenir. Et à l'inverse, on pourra aussi exiler celui d'entre les élus qui décevrait, par son adolescence, les espoirs mis en lui. 9. J'en vois qui étudient et annotent leurs Almanachs, et nous en allèguent l'autorité pour tout ce qui se passe. I see some of them studying and annotating their Almanacs, and alleging their authority for everything that happens. Mais à dire tant de choses, il faut bien que s'y trouvent des vérités et des mensonges… Quel est celui qui, tirant toute la journée, n'atteindrait pas le but, parfois ? Who can shoot all day and still not hit the target? [Cicéron,  De divinatione , II, 59]

Ce n'est pas parce qu'il leur arrive de tomber juste que mon estime pour eux en est renforcée. Just because they happen to get it right doesn't mean I think more highly of them. 10. Il y aurait plus de certitude dans ce qu'ils disent s'ils avaient pour règle de mentir toujours. There would be more certainty in what they say if they made it a rule to always lie. D'autant que personne ne tient registre de leurs erreurs, parce qu'elles sont ordinaires et innombrables. Especially since no one keeps track of their mistakes, because they are so commonplace and so numerous. Et pourtant on fait valoir leurs divinations parce qu'elles sont rares, difficiles à croire, et étonnantes. And yet their divinations are valued because they are rare, hard to believe, and astonishing. Comme Diagoras, surnommé « l'Athée », se trouvait dans l'île de Samothrace, celui qui lui montrait dans le Temple la quantité d'ex-voto et de portraits donnés par ceux qui avaient échappé au naufrage, lui dit alors : « Eh bien ! As Diagoras, nicknamed "the Atheist", was on the island of Samothrace, the man who showed him in the Temple the quantity of ex-votos and portraits donated by those who had escaped the shipwreck, then said to him: "Well! Vous qui pensez que les Dieux se désintéressent des choses humaines, que dites-vous de tant d'hommes sauvés par leur entremise ? » À quoi Diagoras répondit : « mais ceux qui sont morts noyés et qui sont bien plus nombreux, on ne les a pas peints. 11. Cicéron dit que parmi tous les philosophes qui ont admis l'existence des Dieux, seul Xénophane de Collophon a essayé de déraciner toute sorte de divination. Il n'est donc guère étonnant que l'on ait pu voir certains de nos esprits princiers faire cas de ces sottises, et à leur détriment d'ailleurs. 12. Je voudrais bien avoir vu de mes propres yeux les deux merveilles que voici : la première est le livre de Joachim, abbé de Calabre, qui prédisait tous les Papes futurs, avec leurs noms et leurs traits. La deuxième est celui de Léon l'Empereur[54] qui prédisait les Empereurs et les Patriarche de la Grèce. Mais ce que j'ai vu de mes propres yeux, par contre, c'est que dans les troubles de la société, les hommes, frappés de stupeur par ce qui leur arrive, recherchent dans le ciel, comme dans toutes les superstitions, les causes et les signes annonciateurs de leurs misères. 13. Et ils y parviennent curieusement si bien, de nos jours, qu'ils ont fini par me persuader qu'il y a là un jeu pour les esprits subtils et oisifs, et que ceux qui sont habitués à cet art qui consiste à manipuler et dévoiler le sens des textes seraient bien capables, dans n'importe lequel, de trouver à la fin ce qu'ils y cherchent. Mais ils y ont beau jeu, car à ce langage obscur, ambigu et fantastique des textes prophétiques, leurs auteurs ne donnent aucun sens clair, afin que la postérité puisse lui appliquer celui qui lui conviendra.

14. Le démon de Socrate était peut-être une sorte d'impulsion de la volonté, qui lui venait sans le secours de la parole. En un esprit bien épuré comme le sien, et préparé par le continuel exercice de la sagesse et de la vertu, il est vraisemblable que ces avertissements, quoique prématurés et confus, de par leur importance, aient toujours mérité d'être suivis. Chacun de nous a ressenti en lui ces sortes d'agitations dues à une pensée qui le traverse, de façon aussi véhémente que fortuite. À moi de leur donner alors quelque autorité, moi qui en donne si peu à la sagesse.

15. J'ai éprouvé de semblables mouvements, peu raisonnés, mais faits de persuasion ou de dissuasion violentes, si fréquents chez Socrate dit-on, par lesquels je me suis laissé emporter si utilement et avec tant de succès que l'on pourrait les considérer comme ayant quelque chose à voir avec l'inspiration divine.