08m. La Reine des Neiges. Chapitre 7 : 2ème partie.
Quand ils arrivèrent à l'arbuste aux fruits rouges, ils virent le renne qui les attendait.
Il était accompagné d'un renne femelle dont les pis étaient pleins de lait.
Les deux enfants burent de ce lait et se trouvèrent tout réchauffés. Alors, comme Gerda et le petit Peters n'avaient plus besoin des anges, ceux-ci prirent congé d'eux en leur disant qu'ils se reverraient un jour au ciel, et ils disparurent en laissant l'air tiède et parfumé.
Gerda remonta sur son renne et Peters sur l'autre, et les deux animaux se mirent à galoper jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés à la chaumière de la Finnoise, où ils se réchauffèrent tout à fait et où Gerda, qui était nu-pieds, ses souliers rouges ayant été usés à la recherche de Peters, retrouva ses bottines et ses gants de poils.
C'était là qu'était resté le petit traîneau de Peters.
Les deux rennes s'y attelèrent, les deux enfants s'y assirent, se rapprochant et se tenant chaud l'un l'autre.
La Finnoise les couvrit d'une peau d'ours blanc, et les deux rennes s'élancèrent dans la direction de la hutte de la Laponne. Pendant leur absence, la bonne femme leur avait fait des pelisses de renard bleu, dont ils avaient grand besoin car les vêtements des deux enfants n'avaient guère moins souffert que les souliers rouges de la petite Gerda.
Ils ne prirent que le temps de manger un morceau et de revêtir leurs pelisses, et partirent en remerciant de tout leur cœur la bonne femme.
Trois jours après, ils étaient à la frontière des Neiges ; là commençaient à ramper les premières mousses et les premiers lichens.
Là les rennes les quittèrent.
La séparation fut triste, on pleura beaucoup de part et d'autre, mais les rennes n'osaient point se hasarder dans un autre pays que le leur.
Celui qui avait du lait aurait bien été plus loin, mais celui qui avait été prisonnier retint sa compagne en lui disant ce qu'il avait souffert pendant sa captivité. Les deux enfants furent forcés d'abandonner le traîneau du petit Peters et s'en allèrent se tenant par la main.
Peu à peu aux mousses et aux lichens succédèrent des bruyères et des rhododendrons, puis aux bruyères et aux rhododendrons des buissons épineux, puis aux buissons épineux de maigres sapins tout rabougris, puis de beaux sapins, puis des chênes verts, puis enfin ils entendirent chanter les petits oiseaux, ils trouvèrent les premières fleurs, enfin ils aperçurent une grande forêt de hêtres et de marronniers. De cette forêt sortit, sur un magnifique cheval que Gerda reconnut aussitôt pour un des deux chevaux qui avaient été attelés à son carrosse doré, une belle jeune fille coiffée d'un bonnet écarlate et portant deux pistolets à sa ceinture.
C'était la fille des voleurs.
Gerda la reconnut et elle reconnut Gerda, toutes deux coururent l'une à l'autre et s'embrassèrent tendrement.
La fière amazone s'était ennuyée de la vie qu'elle menait au château de la forêt.
Elle avait pris une grosse somme en or au château des voleurs, en avait bourré ses poches, avait tiré un des deux chevaux donnés par la princesse à Gerda, avait sauté sur son dos et était partie. Ce fut une grande joie pour les deux jeunes filles.
– Et qu'est-ce que ce petit garçon ?
demanda la fille des voleurs en montrant Peters. Gerda lui dit que c'était le petit compagnon qu'elle cherchait avec tant d'anxiété, quand elle avait été arrêtée par les voleurs.
Alors, se tournant vers le petit Peters :
– Tu es un rude voyageur, lui dit-elle, et je voudrais bien savoir si tu mérites réellement que l'on aille te chercher au bout du monde.
Gerda lui frappa doucement sur la joue, et s'informa du prince et de la princesse.
– Ils voyagent à l'étranger, répondit la fille des voleurs.
– Et les corneilles ?
demanda Gerda. – La corneille sauvage est morte d'indigestion, de sorte que la corneille apprivoisée est veuve.
Elle porte un crêpe à la patte gauche, et se lamente horriblement. C'est tout ce que je sais. Maintenant, raconte-moi à ton tour ce qui est arrivé, et comment tu as retrouvé ton fugitif. Gerda et le petit Peters lui racontèrent tout.
– Bon !
dit-elle, tout est pour le mieux ; retournez à la grande ville, et si j'y passe jamais, j'irai vous faire une petite visite. Et les ayant embrassés tous deux sans mettre pied à terre, elle mit son cheval au galop et disparut.
Peters et Gerda se remirent en route, s'en allant la main dans la main, et, après avoir traversé des pays couverts de verdure et de fleurs qui leur firent oublier cette affreuse Laponie, tant vantée par les Russes, ils entendirent le son des cloches et finirent par reconnaître à l'horizon la grande ville où ils étaient nés.
Le petit Peters reconnut encore la porte par laquelle il était sorti, les rues par lesquelles il avait passé, et enfin, ils se retrouvèrent au seuil des deux maisons.
Ils montèrent l'escalier de la maison de Gerda et entrèrent dans la chambre de la grand-mère.
Tout était encore à la même place. L'horloge faisait tic tac et marquait l'heure ; seulement, en arrivant en face de la glace, ils s'aperçurent que Peters était devenu un beau jeune homme et Gerda une belle jeune fille. Les roses fleurissaient toujours dans leurs caisses, et près de la fenêtre on voyait encore les petites chaises d'enfants. Peters et Gerda s'y assirent.
Ils avaient oublié le passé comme on oublie un mauvais rêve, et il leur semblait n'avoir jamais quitté la maison. En ce moment, la vieille grand-mère rentra de la messe, tenant son livre d'images à la main.
Elle salua le beau jeune homme et la belle jeune fille, et comme elle ne les reconnaissait pas, tant ils étaient changés, elle leur demanda leur nom. Alors ils chantèrent tous deux le cantique qu'autrefois elle leur avait appris :
Les roses déjà se fanent et meurent ;
Nous verrons bientôt le petit Jésus.
La vieille grand-mère poussa un cri de joie ; dans le beau jeune garçon et dans la belle jeune fille elle avait reconnu Peters et Gerda.
Un mois après, les cloches, dont ils avaient reconnu le son bien avant qu'ils vissent la ville, sonnaient pour leur mariage.
Dix mois après, les mêmes cloches sonnaient pour le baptême de deux jolis petits jumeaux, dont l'un s'appela Peters, comme son père, et l'autre Gerda, comme sa mère.
{ D'après Andersen : La Reine des Neiges, 1844.