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Madame Bovary de Gustave Flaubert, Deuxième Partie, 8a

Deuxième Partie, 8a

I ls arrivèrent, en effet, ces fameux Comices ! Dès le matin de la solennité, tous les habitants, sur leurs portes, s'entretenaient des préparatifs ; on avait enguirlandé de lierres le fronton de la mairie ; une tente, dans un pré, était dressée pour le festin, et, au milieu de la Place, devant l'église, une espèce de bombarde devait signaler l'arrivée de M. le préfet et le nom des cultivateurs lauréats. La garde nationale de Buchy (il n'y en avait point à Yonville) était venue s'adjoindre au corps des pompiers, dont Binet était le capitaine. Il portait ce jour-là un col encore plus haut que de coutume ; et, sanglé dans sa tunique, il avait le buste si roide et immobile, que toute la partie vitale de sa personne semblait être descendue dans ses deux jambes, qui se levaient en cadence, à pas marqués, d'un seul mouvement. Comme une rivalité subsistait entre le percepteur et le colonel, l'un et l'autre, pour montrer leurs talents, faisaient à part manœuvrer leurs hommes. On voyait alternativement passer et repasser les épaulettes rouges et les plastrons noirs. Cela ne finissait pas et toujours [ 184 ] recommençait ! Jamais il n'y avait eu pareil déploiement de pompe ! Plusieurs bourgeois, dès la veille, avaient lavé leurs maisons ; des drapeaux tricolores pendaient aux fenêtres entrouvertes ; tous les cabarets étaient pleins ; et, par le beau temps qu'il faisait, les bonnets empesés, les croix d'or et les fichus de couleur paraissaient plus blancs que neige, miroitaient au soleil clair, et relevaient de leur bigarrure éparpillée la sombre monotonie des redingotes et des bourgerons bleus. Les fermières des environs retiraient, en descendant de cheval, la grosse épingle qui leur serrait autour du corps leur robe retroussée de peur des taches ; et les maris, au contraire, afin de ménager leurs chapeaux, gardaient par-dessus des mouchoirs de poche, dont ils tenaient un angle entre les dents. La foule arrivait dans la grande rue par les deux bouts du village.

Il s'en dégorgeait des ruelles, des allées, des maisons, et l'on entendait de temps à autre retomber le marteau des portes, derrière les bourgeoises en gants de fil, qui sortaient pour aller voir la fête. Ce que l'on admirait surtout, c'étaient deux longs ifs couverts de lampions qui flanquaient une estrade où s'allaient tenir les autorités ; et il y avait de plus, contre les quatre colonnes de la mairie, quatre manières de gaules, portant chacune un petit étendard de toile verdâtre, enrichi d'inscriptions en lettres d'or. On lisait sur l'un : « Au Commerce » ; sur l'autre : « À l'Agriculture » ; sur le troisième : « À l'Industrie » ; et sur le quatrième : « Aux Beaux-Arts » . Mais la jubilation qui épanouissait tous les visages paraissait assombrir Mme Lefrançois, l' [ 185 ] aubergiste.

Debout sur les marches de sa cuisine, elle murmurait dans son menton : — Quelle bêtise !

quelle bêtise avec leur baraque de toile ! Croient-ils que le préfet sera bien aise de dîner là-bas, sous une tente, comme un saltimbanque ? Ils appellent ces embarras-là, faire le bien du pays ! Ce n'était pas la peine, alors, d'aller chercher un gargotier à Neufchâtel ! Et pour qui ? pour des vachers ! des va-nu-pieds !… L'apothicaire passa.

Il portait un habit noir, un pantalon de nankin, des souliers de castor, et par extraordinaire un chapeau, – un chapeau bas de forme. — Serviteur !

dit-il ; excusez-moi, je suis pressé. Et comme la grosse veuve lui demanda où il allait :

— Cela vous semble drôle, n'est-ce pas ?

moi qui reste toujours plus confiné dans mon laboratoire que le rat du bonhomme dans son fromage. — Quel fromage ?

fit l'aubergiste. — Non, rien !

ce n'est rien ! reprit Homais. Je voulais vous exprimer seulement, madame Lefrançois, que je demeure d'habitude tout reclus chez moi. Aujourd'hui cependant, vu la circonstance, il faut bien que… — Ah !

vous allez là-bas ? dit-elle avec un air de dédain. — Oui, j'y vais, répliqua l'apothicaire étonné ; ne fais-je point partie de la commission consultative ?

La mère Lefrançois le considéra quelques minutes, et finit par répondre en souriant : [ 186 ] — C'est autre chose !

Mais qu'est-ce que la culture vous regarde ? vous vous y entendez donc ? — Certainement, je m'y entends, puisque je suis pharmacien, c'est-à-dire chimiste ! et la chimie, madame Lefrançois, ayant pour objet la connaissance de l'action réciproque et moléculaire de tous les corps de la nature, il s'ensuit que l'agriculture se trouve comprise dans son domaine ! Et, en effet, composition des engrais, fermentation des liquides, analyse des gaz et influence des miasmes, qu'est-ce que tout cela, je vous le demande, si ce n'est de la chimie pure et simple ? L'aubergiste ne répondit rien.

Homais continua : — Croyez-vous qu'il faille, pour être agronome, avoir soi-même labouré la terre ou engraissé des volailles ? Mais il faut connaître plutôt la constitution des substances dont il s'agit, les gisements géologiques, les actions atmosphériques, la qualité des terrains, des minéraux, des eaux, la densité des différents corps et leur capillarité ! que sais-je ? Et il faut posséder à fond tous ses principes d'hygiène, pour diriger, critiquer la construction des bâtiments, le régime des animaux, l'alimentation des domestiques ! il faut encore, madame Lefrançois, posséder la botanique ; pouvoir discerner les plantes, entendez-vous, quelles sont les salutaires d'avec les délétères, quelles les improductives et quelles les nutritives, s'il est bon de les arracher par-ci et de les ressemer par-là, de propager les unes, de détruire les autres ; bref, il faut se tenir au courant de la science par les brochures et papiers [ 187 ] publics, être toujours en haleine, afin d'indiquer les améliorations… L'aubergiste ne quittait point des yeux la porte du Café Français, et le pharmacien poursuivit : — Plût à Dieu que nos agriculteurs fussent des chimistes, ou que du moins ils écoutassent davantage les conseils de la science ! Ainsi, moi, j'ai dernièrement écrit un fort opuscule, un mémoire de plus de soixante et douze pages, intitulé : Du cidre, de sa fabrication et de ses effets ; suivi de quelques réflexions nouvelles à ce sujet, que j'ai envoyé à la Société agronomique de Rouen ; ce qui m'a même valu l'honneur d'être reçu parmi ses membres, section d'agriculture, classe de pomologie ; eh bien, si mon ouvrage avait été livré à la publicité… Mais l'apothicaire s'arrêta, tant Mme Lefrançois paraissait préoccupée.

— Voyez-les donc !

disait-elle, on n'y comprend rien ! une gargote semblable ! Et, avec des haussements d'épaules qui tiraient sur sa poitrine les mailles de son tricot, elle montrait des deux mains le cabaret de son rival, d'où sortaient alors des chansons. — Du reste, il n'en a pas pour longtemps, ajouta-t-elle ; avant huit jours, tout est fini.

Homais se recula de stupéfaction.

Elle descendit ses trois marches, et, lui parlant à l'oreille : — Comment !

vous ne savez pas cela ? On va le saisir cette semaine. C'est Lheureux qui le fait vendre. Il l'a assassiné de billets. — Quelle épouvantable catastrophe !

s'écria l'apothicaire, qui avait toujours des expressions congruantes à toutes les circonstances imaginables. [ 188 ] L'hôtesse donc se mit à lui raconter cette histoire, qu'elle savait par Théodore, le domestique de M. Guillaumin, et, bien qu'elle exécrât Tellier, elle blâmait Lheureux. C'était un enjôleur, un rampant… — Ah !

tenez, dit-elle, le voilà sous les halles ; il salue Mme Bovary, qui a un chapeau vert. Elle est même au bras de M. Boulanger. — Mme Bovary !

fit Homais. Je m'empresse d'aller lui offrir mes hommages. Peut-être qu'elle sera bien aise d'avoir une place dans l'enceinte, sous le péristyle. Et, sans écouter la mère Lefrançois, qui le rappelait pour lui en conter plus long, le pharmacien s'éloigna d'un pas rapide, sourire aux lèvres et jarret tendu, distribuant de droite et de gauche quantité de salutations et emplissant beaucoup d'espace avec les grandes basques de son habit noir, qui flottaient au vent derrière lui. Rodolphe, l'ayant aperçu de loin, avait pris un train rapide ; mais Mme Bovary s'essouffla ; il se ralentit donc et lui dit en souriant, d'un ton brutal :

— C'est pour éviter ce gros homme : vous savez, l'apothicaire.

Elle lui donna un coup de coude.

— Qu'est-ce que cela signifie ?

se demanda-t-il. Et il la considéra du coin de l'œil, tout en continuant à marcher.

Son profil était si calme, que l'on n'y devinait rien.

Il se détachait en pleine lumière, dans l'ovale de sa capote qui avait des rubans pâles ressemblant à des feuilles de roseau. Ses yeux aux longs cils courbes regardaient devant elle, et, quoique [ 189 ] bien ouverts, ils semblaient un peu bridés par les pommettes, à cause du sang, qui battait doucement sous sa peau fine. Une couleur rose traversait la cloison de son nez. Elle inclinait la tête sur l'épaule, et l'on voyait entre ses lèvres le bout nacré de ses dents blanches. — Se moque-t-elle de moi ?

songeait Rodolphe. Ce geste d'Emma pourtant n'avait été qu'un avertissement ; car M. Lheureux les accompagnait, et il leur parlait de temps à autre, comme pour entrer en conversation : — Voici une journée superbe !

tout le monde est dehors ! les vents sont à l'est. Et Mme Bovary, non plus que Rodolphe, ne lui répondait guère, tandis qu'au moindre mouvement qu'ils faisaient, il se rapprochait en disant : « Plaît-il ? » et portait la main à son chapeau. Quand ils furent devant la maison du maréchal, au lieu de suivre la route jusqu'à la barrière, Rodolphe, brusquement, prit un sentier, entraînant Mme Bovary ; il cria : — Bonsoir, M. Lheureux !

au plaisir ! — Comme vous l'avez congédié !

dit-elle en riant. — Pourquoi, reprit-il, se laisser envahir par les autres ?

et, puisque, aujourd'hui, j'ai le bonheur d'être avec vous… Emma rougit.

Il n'acheva point sa phrase. Alors il parla du beau temps et du plaisir de marcher sur l'herbe. Quelques marguerites étaient repoussées. — Voici de gentilles pâquerettes, dit-il, et de quoi fournir bien des oracles à toutes les amoureuses du pays.

[ 190 ] Il ajouta : — Si j'en cueillais.

Qu'en pensez-vous ? — Est-ce que vous êtes amoureux ?

fit-elle en toussant un peu. — Eh !

eh ! qui sait ? répondit Rodolphe. Le pré commençait à se remplir, et les ménagères vous heurtaient avec leurs grands parapluies, leurs paniers et leurs bambins. Souvent, il fallait se déranger devant une longue file de campagnardes, servantes en bas bleus, à souliers plats, à bagues d'argent, et qui sentaient le lait, quand on passait près d'elles. Elles marchaient en se tenant par la main, et se répandaient ainsi sur toute la longueur de la prairie, depuis la ligne des trembles jusqu'à la tente du banquet. Mais c'était le moment de l'examen, et les cultivateurs, les uns après les autres, entraient dans une manière d'hippodrome que formait une longue corde portée sur des bâtons. Les bêtes étaient là, le nez tourné vers la ficelle, et alignant confusément leurs croupes inégales. Des porcs assoupis enfonçaient en terre leur groin ; des veaux beuglaient ; des brebis bêlaient ; les vaches, un jarret replié, étalaient leur ventre sur le gazon, et, ruminant lentement, clignaient leurs paupières lourdes, sous les moucherons qui bourdonnaient autour d'elles. Des charretiers, les bras nus, retenaient par le licou des étalons cabrés, qui hennissaient à pleins naseaux du côté des juments. Elles restaient paisibles, allongeant la tête et la crinière pendante, tandis que leurs poulains se reposaient à leur ombre, ou venaient les téter quelquefois ; et, sur la longue ondulation de tous ces corps tassés, [ 191 ] on voyait se lever au vent, comme un flot, quelque crinière blanche, ou bien saillir des cornes aiguës, et des têtes d'hommes qui couraient. À l'écart, en dehors des lices, cent pas plus loin, il y avait un grand taureau noir muselé, portant un cercle de fer à la narine, et qui ne bougeait pas plus qu'une bête de bronze. Un enfant en haillons le tenait par une corde. Cependant, entre les deux rangées, des messieurs s'avançaient d'un pas lourd, examinant chaque animal, puis se consultaient à voix basse. L'un d'eux, qui semblait plus considérable, prenait, tout en marchant, quelques notes sur un album. C'était le président du jury : M. Derozerays de la Panville. Sitôt qu'il reconnut Rodolphe, il s'avança vivement, et lui dit en souriant d'un air aimable : — Comment, monsieur Boulanger, vous nous abandonnez ?

Rodolphe protesta qu'il allait venir.

Mais quand le président eut disparu : — Ma foi, non, reprit-il, je n'irai pas ; votre compagnie vaut bien la sienne.

Et, tout en se moquant des comices, Rodolphe, pour circuler plus à l'aise, montrait au gendarme sa pancarte bleue, et même il s'arrêtait parfois devant quelque beau sujet, que Mme Bovary n'admirait guère. Il s'en aperçut, et alors se mit à faire des plaisanteries sur les dames d'Yonville, à propos de leur toilette ; puis il s'excusa lui-même du négligé de la sienne. Elle avait cette incohérence de choses communes et recherchées, où le vulgaire, d'habitude, croit entrevoir la révélation d'une existence excentrique, les désordres du [ 192 ] sentiment, les tyrannies de l'art, et toujours un certain mépris des conventions sociales, ce qui le séduit ou l'exaspère. Ainsi sa chemise de batiste à manchettes plissées bouffait au hasard du vent, dans l'ouverture de son gilet, qui était de coutil gris, et son pantalon à larges raies découvrait aux chevilles ses bottines de nankin, claquées de cuir verni. Elles étaient si vernies, que l'herbe s'y reflétait. Il foulait avec elles les crottins de cheval, une main dans la poche de sa veste et son chapeau de paille mis de côté. — D'ailleurs, ajouta-t-il, quand on habite la campagne…

— Tout est peine perdue, dit Emma.

— C'est vrai !

répliqua Rodolphe. Songer que pas un seul de ces braves gens n'est capable de comprendre même la tournure d'un habit ! Alors ils parlèrent de la médiocrité provinciale, des existences qu'elle étouffait, des illusions qui s'y perdaient.

— Aussi, disait Rodolphe, je m'enfonce dans une tristesse…

— Vous !

fit-elle avec étonnement. Mais je vous croyais très gai ? — Ah !

oui, d'apparence, parce qu'au milieu du monde je sais mettre sur mon visage un masque railleur ; et cependant que de fois, à la vue d'un cimetière, au clair de lune, je me suis demandé si je ne ferais pas mieux d'aller rejoindre ceux qui sont à dormir… — Oh !

Et vos amis ? dit-elle. Vous n'y pensez pas. — Mes amis ?

lesquels donc ? en ai-je ? Qui s'inquiète de moi ? [ 193 ] Et il accompagna ces derniers mots d'une sorte de sifflement entre ses lèvres. Mais ils furent obligés de s'écarter l'un de l'autre, à cause d'un grand échafaudage de chaises qu'un homme portait derrière eux. Il en était si surchargé, que l'on apercevait seulement la pointe de ses sabots, avec le bout de ses deux bras, écartés droit. C'était Lestiboudois, le fossoyeur, qui charriait dans la multitude les chaises de l'église. Plein d'imagination pour tout ce qui concernait ses intérêts, il avait découvert ce moyen de tirer parti des comices ; et son idée lui réussissait, car il ne savait plus auquel, entendre. En effet, les villageois, qui avaient chaud, se disputaient ces sièges dont la paille sentait l'encens, et s'appuyaient contre leurs gros dossiers salis par la cire des cierges, avec une certaine vénération. Mme Bovary reprit le bras de Rodolphe ; il continua comme se parlant à lui-même :

— Oui !

tant de choses m'ont manqué ! toujours seul ! Ah !

si j'avais eu un but dans la vie, si j'eusse rencontré une affection, si j'avais trouvé quelqu'un… Oh ! comme j'aurais dépensé toute l'énergie dont je suis capable, j'aurais surmonté tout, brisé tout ! — Il me semble pourtant, dit Emma, que vous n'êtes guère à plaindre.

— Ah !

vous trouvez ? fit Rodolphe. — Car enfin…, reprit-elle, vous êtes libre.

Elle hésita :

— Riche.

— Ne vous moquez pas de moi, répondit-il.

Et elle jurait qu'elle ne se moquait pas, quand [ 194 ] un coup de canon retentit ; aussitôt, on se poussa, pêle-mêle, vers le village.

C'était une fausse alerte.

M. le préfet n'arrivait pas ; et les membres du jury se trouvaient fort embarrassés, ne sachant s'il fallait commencer la séance ou bien attendre encore. Enfin, au fond de la Place, parut un grand landau de louage, traîné par deux chevaux maigres, que fouettait à tour de bras un cocher en chapeau blanc. Binet n'eut que le temps de crier : « Aux armes ! » et le colonel de l'imiter. On courut vers les faisceaux. On se précipita. Quelques-uns même oublièrent leur col. Mais l'équipage préfectoral sembla deviner cet embarras, et les deux rosses accouplées, se dandinant sur leur chaînette, arrivèrent au petit trot devant le péristyle de la mairie, juste au moment où la garde nationale et les pompiers s'y déployaient, tambour battant, et marquant le pas. — Balancez !

cria Binet. — Halte !

cria le colonel. Par file à gauche ! Et, après, un port d'armes où le cliquetis des capucines, se déroulant, sonna comme un chaudron de cuivre qui dégringole les escaliers, tous les fusils retombèrent. Alors on vit descendre du carrosse un monsieur vêtu d'un habit court à broderie d'argent, chauve sur le front, portant toupet à l'occiput, ayant le teint blafard et l'apparence des plus bénignes. Ses deux yeux, fort gros et couverts de paupières épaisses, se fermaient à demi pour considérer la multitude, en même temps qu'il levait son nez pointu et faisait sourire sa bouche rentrée. Il reconnut le maire à son écharpe, et lui exposa [ 195 ] que M. le préfet n'avait pu venir. Il était, lui, un conseiller de préfecture ; puis il ajouta quelques excuses. Tuvache y répondit par des civilités, l'autre s'avoua confus ; et ils restaient ainsi, face à face, et leurs fronts se touchant presque, avec les membres du jury tout alentour, le conseil municipal, les notables, la garde nationale et la foule. M. le Conseiller, appuyant contre sa poitrine son petit tricorne noir, réitérait ses salutations, tandis que Tuvache, courbé comme un arc, souriait aussi, bégayait, cherchait ses phrases, protestait de son dévouement à la monarchie, et de l'honneur que l'on faisait à Yonville. Hippolyte, le garçon de l'auberge, vint prendre par la bride les chevaux du cocher, et tout en boitant de son pied bot, il les conduisit sous le porche du Lion d'or, où beaucoup de paysans s'amassèrent à regarder la voiture. Le tambour battit, l'obusier tonna, et les messieurs à la file montèrent s'asseoir sur l'estrade, dans les fauteuils en utrecht rouge qu'avait prêtés Mme Tuvache. Tous ces gens-là se ressemblaient.

Leurs molles figures blondes, un peu hâlées par le soleil, avaient la couleur du cidre doux, et leurs favoris bouffants s'échappaient de grands cols roides, que maintenaient des cravates blanches à rosette bien étalée. Tous les gilets étaient de velours à châle ; toutes les montres portaient au bout d'un long ruban quelque cachet ovale en cornaline ; et l'on appuyait ses deux mains sur ses deux cuisses, en écartant avec soin la fourche du pantalon, dont le drap non décati reluisait plus brillamment que le cuir des fortes bottes. [ 196 ] Les dames de la société se tenaient derrière, sous le vestibule, entre les colonnes, tandis que le commun de la foule était en face, debout, ou bien assis sur des chaises. En effet, Lestiboudois avait apporté là toutes celles qu'il avait déménagées de la prairie, et même il courait à chaque minute en chercher d'autres dans l'église, et causait un tel encombrement par son commerce, que l'on avait grand-peine à parvenir jusqu'au petit escalier de l'estrade. — Moi, je trouve, dit M. Lheureux (s'adressant au pharmacien, qui passait pour gagner sa place), que l'on aurait dû planter là deux mâts vénitiens : avec quelque chose d'un peu sévère et de riche comme nouveautés, c'eût été d'un fort joli coup d'œil. — Certes, répondit Homais.

Mais, que voulez-vous ! c'est le maire qui a tout pris sous son bonnet. Il n'a pas grand goût, ce pauvre Tuvache, et il est même complètement dénué de ce qui s'appelle le génie des arts. Cependant Rodolphe, avec madame Bovary, était monté au premier étage de la mairie, dans la salle des délibérations, et, comme elle était vide, il avait déclaré que l'on y serait bien pour jouir du spectacle plus à son aise. Il prit trois tabourets autour de la table ovale, sous le buste du monarque, et, les ayant approchés de l'une des fenêtres, ils s'assirent l'un près de l'autre. Il y eut une agitation sur l'estrade, de longs chuchotements, des pourparlers. Enfin, M. le Conseiller se leva. On savait maintenant qu'il s'appelait Lieuvain, et l'on se répétait son nom de l'un à l'autre, dans la foule. Quand il eut donc [ 197 ] collationné quelques feuilles et appliqué dessus son œil pour y mieux voir, il commença : « Messieurs,

« Qu'il me soit permis d'abord (avant de vous entretenir de l'objet de cette réunion d'aujourd'hui, et ce sentiment, j'en suis sûr, sera partagé par vous tous), qu'il me soit permis, dis-je de rendre justice à l'administration supérieure ; au gouvernement, au monarque, messieurs, à notre souverain, à ce roi bien-aimé à qui aucune branche de la prospérité publique ou particulière n'est indifférente, et qui dirige à la fois d'une main si ferme et si sage le char de l'État parmi les périls incessants d'une mer orageuse, sachant d'ailleurs faire respecter la paix comme la guerre, l'industrie, le commerce, l'agriculture et les beaux-arts. — Je devrais, dit Rodolphe, me reculer un peu.

— Pourquoi ?

dit Emma.

Mais, à ce moment, la voix du Conseiller s'éleva d'un ton extraordinaire.

Il déclamait : « Le temps n'est plus, messieurs, où la discorde civile ensanglantait nos places publiques, où le propriétaire, le négociant, l'ouvrier lui-même, en s'endormant le soir d'un sommeil paisible, tremblaient de se voir réveillés tout à coup au bruit des tocsins incendiaires, où les maximes les plus subversives sapaient audacieusement les bases… » — C'est qu'on pourrait, reprit Rodolphe, m'apercevoir d'en bas ; puis j'en aurais pour quinze [ 198 ] jours à donner des excuses, et, avec ma mauvaise réputation…

— Oh !

vous vous calomniez, dit Emma. — Non, non, elle est exécrable, je vous jure.

« Mais, Messieurs, poursuivait le Conseiller, que si, écartant de mon souvenir ces sombres tableaux, je reporte mes yeux sur la situation actuelle de notre belle patrie : qu'y vois-je ? Partout fleurissent le commerce et les arts ; partout des voies nouvelles de communication, comme autant d'artères nouvelles dans le corps de l'État, y établissent des rapports nouveaux ; nos grands centres manufacturiers ont repris leur activité ; la religion, plus affermie, sourit à tous les cœurs ; nos ports sont pleins, la confiance renaît, et enfin la France respire !… » — Du reste, ajouta Rodolphe, peut-être, au point de vue du monde, a-t-on raison ?

— Comment cela ?

fit-elle. — Eh quoi !

dit-il, ne savez-vous pas qu'il y a des âmes sans cesse tourmentées ? Il leur faut tour à tour le rêve et l'action, les passions les plus pures, les jouissances les plus furieuses, et l'on se jette ainsi dans toutes sortes de fantaisies, de folies.

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Deuxième Partie, 8a Zweiter Teil, 8a Part Two, 8a Seconda parte, 8a Segunda parte, 8a

I ls arrivèrent, en effet, ces fameux Comices ! There came, indeed, these famous Comices! Dès le matin de la solennité, tous les habitants, sur leurs portes, s’entretenaient des préparatifs ; on avait enguirlandé de lierres le fronton de la mairie ; une tente, dans un pré, était dressée pour le festin, et, au milieu de la Place, devant l’église, une espèce de bombarde devait signaler l’arrivée de M. le préfet et le nom des cultivateurs lauréats. |||||||||||||||||garlanded||ivy||front|||||||||||||||||||||||||||||||||||||| From the morning of the solemnity, all the inhabitants, on their doors, were talking about preparations; the pediment of the town hall had been garlanded with ivy; a tent, in a meadow, was erected for the feast, and, in the middle of the Place, in front of the church, a sort of bombard was to signal the arrival of the prefect and the names of the winning cultivators. La garde nationale de Buchy (il n’y en avait point à Yonville) était venue s’adjoindre au corps des pompiers, dont Binet était le capitaine. Buchy's National Guard (there was none at Yonville) had joined the fire brigade, of which Binet was the captain. Il portait ce jour-là un col encore plus haut que de coutume ; et, sanglé dans sa tunique, il avait le buste si roide et immobile, que toute la partie vitale de sa personne semblait être descendue dans ses deux jambes, qui se levaient en cadence, à pas marqués, d’un seul mouvement. ||||||||||||||strapped||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Comme une rivalité subsistait entre le percepteur et le colonel, l’un et l’autre, pour montrer leurs talents, faisaient à part manœuvrer leurs hommes. As a rivalry subsisted between the collector and the colonel, both of them, to show their talents, had their men maneuver apart. On voyait alternativement passer et repasser les épaulettes rouges et les plastrons noirs. Cela ne finissait pas et toujours It never ended and always [ 184 ] recommençait ! Jamais il n’y avait eu pareil déploiement de pompe ! Never had there been such a pump deployment! Plusieurs bourgeois, dès la veille, avaient lavé leurs maisons ; des drapeaux tricolores pendaient aux fenêtres entrouvertes ; tous les cabarets étaient pleins ; et, par le beau temps qu’il faisait, les bonnets empesés, les croix d’or et les fichus de couleur paraissaient plus blancs que neige, miroitaient au soleil clair, et relevaient de leur bigarrure éparpillée la sombre monotonie des redingotes et des bourgerons bleus. ||||||||||||||||||||||||||||||soaked||||||||||||||||||||||variegation|||||||||bourgeois| Several bourgeois, from the day before, had washed their houses; tricolor flags hung from the ajar windows; all the cabarets were full; and, in the fine weather, the starched hats, the golden crosses and the colored scarves appeared whiter than snow, shimmered in the clear sun, and raised from their scattered variegation the somber monotony of frock coats and bourgerons blue. Les fermières des environs retiraient, en descendant de cheval, la grosse épingle qui leur serrait autour du corps leur robe retroussée de peur des taches ; et les maris, au contraire, afin de ménager leurs chapeaux, gardaient par-dessus des mouchoirs de poche, dont ils tenaient un angle entre les dents. The local farmers removed, when they got off their horse, the big pin which tightened their body around their upturned dress for fear of stains; and the husbands, on the contrary, in order to spare their hats, kept over handkerchiefs, of which they held an angle between their teeth. La foule arrivait dans la grande rue par les deux bouts du village.

Il s’en dégorgeait des ruelles, des allées, des maisons, et l’on entendait de temps à autre retomber le marteau des portes, derrière les bourgeoises en gants de fil, qui sortaient pour aller voir la fête. It was engorged with alleys, alleys, houses, and we heard from time to time drop the hammer of the doors, behind the bourgeois in gloves of thread, who came out to go to see the party. Ce que l’on admirait surtout, c’étaient deux longs ifs couverts de lampions qui flanquaient une estrade où s’allaient tenir les autorités ; et il y avait de plus, contre les quatre colonnes de la mairie, quatre manières de gaules, portant chacune un petit étendard de toile verdâtre, enrichi d’inscriptions en lettres d’or. ||||||||yews|||lanterns||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| What we admired above all were two long yews covered with lanterns which flanked a platform where the authorities were going to stand; and there were moreover, against the four columns of the town hall, four ways of sapling, each carrying a small standard of greenish cloth, enriched with inscriptions in letters of gold. On lisait sur l’un : « Au Commerce » ; sur l’autre : « À l’Agriculture » ; sur le troisième : « À l’Industrie » ; et sur le quatrième : « Aux Beaux-Arts » . One read on one: "Au Commerce"; on the other: "To Agriculture"; on the third: "To Industry"; and on the fourth: "Aux Beaux-Arts". Mais la jubilation qui épanouissait tous les visages paraissait assombrir Mme Lefrançois, l' [ 185 ] aubergiste.

Debout sur les marches de sa cuisine, elle murmurait dans son menton : Standing on the steps of her kitchen, she murmured in her chin: — Quelle bêtise !

quelle bêtise avec leur baraque de toile ! what stupidity with their canvas hut! Croient-ils que le préfet sera bien aise de dîner là-bas, sous une tente, comme un saltimbanque ? ||||||||||||||||| Acrobat Do they believe that the prefect will be happy to dine there, in a tent, like a acrobat? Ils appellent ces embarras-là, faire le bien du pays ! They call these embarrassments, do good for the country! Ce n’était pas la peine, alors, d’aller chercher un gargotier à Neufchâtel ! |||||||||gargot|| There was no need, then, to go and get a gargotier in Neufchâtel! Et pour qui ? pour des vachers ! des va-nu-pieds !… barefoot!… L’apothicaire passa.

Il portait un habit noir, un pantalon de nankin, des souliers de castor, et par extraordinaire un chapeau, – un chapeau bas de forme. He wore a black coat, nanking pants, beaver shoes, and by extraordinary means a hat - a low hat. — Serviteur ! - Servant!

dit-il ; excusez-moi, je suis pressé. he said; excuse me, I'm in a hurry. Et comme la grosse veuve lui demanda où il allait :

— Cela vous semble drôle, n’est-ce pas ?

moi qui reste toujours plus confiné dans mon laboratoire que le rat du bonhomme dans son fromage. I who always remain more confined in my laboratory than the rat of the snowman in his cheese. — Quel fromage ?

fit l’aubergiste. — Non, rien !

ce n’est rien ! reprit Homais. Je voulais vous exprimer seulement, madame Lefrançois, que je demeure d’habitude tout reclus chez moi. Aujourd’hui cependant, vu la circonstance, il faut bien que… Today, however, given the circumstances, it is necessary that ... — Ah !

vous allez là-bas ? dit-elle avec un air de dédain. — Oui, j’y vais, répliqua l’apothicaire étonné ; ne fais-je point partie de la commission consultative ?

La mère Lefrançois le considéra quelques minutes, et finit par répondre en souriant : [ 186 ] — C’est autre chose ! Mother Lefrançois considered him for a few minutes, and finally replied with a smile: [186] - It's something else!

Mais qu’est-ce que la culture vous regarde ? But what is culture looking at you? vous vous y entendez donc ? Do you get along there? — Certainement, je m’y entends, puisque je suis pharmacien, c’est-à-dire chimiste ! et la chimie, madame Lefrançois, ayant pour objet la connaissance de l’action réciproque et moléculaire de tous les corps de la nature, il s’ensuit que l’agriculture se trouve comprise dans son domaine ! and chemistry, Madame Lefrançois, having as its object the knowledge of the reciprocal and molecular action of all the bodies of nature, it follows that agriculture is included in its domain! Et, en effet, composition des engrais, fermentation des liquides, analyse des gaz et influence des miasmes, qu’est-ce que tout cela, je vous le demande, si ce n’est de la chimie pure et simple ? |||||fertilizers|||||||||||||||||||||||||||| L’aubergiste ne répondit rien.

Homais continua : — Croyez-vous qu’il faille, pour être agronome, avoir soi-même labouré la terre ou engraissé des volailles ? - Do you think it is necessary, to be an agronomist, to have yourself plowed the land or fattened poultry? Mais il faut connaître plutôt la constitution des substances dont il s’agit, les gisements géologiques, les actions atmosphériques, la qualité des terrains, des minéraux, des eaux, la densité des différents corps et leur capillarité ! |||||||||||||deposits|||||||||||||||||||| But it is rather necessary to know the constitution of the substances in question, the geological deposits, the atmospheric actions, the quality of the grounds, minerals, waters, the density of the different bodies and their capillarity! que sais-je ? what do i know Et il faut posséder à fond tous ses principes d’hygiène, pour diriger, critiquer la construction des bâtiments, le régime des animaux, l’alimentation des domestiques ! And you have to have all your hygiene principles in order to direct and criticize the construction of buildings, the diet of animals, the food of servants! il faut encore, madame Lefrançois, posséder la botanique ; pouvoir discerner les plantes, entendez-vous, quelles sont les salutaires d’avec les délétères, quelles les improductives et quelles les nutritives, s’il est bon de les arracher par-ci et de les ressemer par-là, de propager les unes, de détruire les autres ; bref, il faut se tenir au courant de la science par les brochures et papiers [ 187 ] publics, être toujours en haleine, afin d’indiquer les améliorations… ||||||||||||||||||||deleterious||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| it is still necessary, Madame Lefrançois, to possess botany; to be able to discern the plants, do you understand, which are beneficial with deleterious, which are unproductive and which are nutritious, if it is good to uproot them here and to sow them there, to propagate some , to destroy others; in short, we must keep abreast of science through public brochures and papers [187], always be in suspense, in order to indicate improvements… L’aubergiste ne quittait point des yeux la porte du Café Français, et le pharmacien poursuivit : — Plût à Dieu que nos agriculteurs fussent des chimistes, ou que du moins ils écoutassent davantage les conseils de la science ! - Would to God that our farmers were chemists, or at least that they listened more to the advice of science! Ainsi, moi, j’ai dernièrement écrit un fort opuscule, un mémoire de plus de soixante et douze pages, intitulé : Du cidre, de sa fabrication et de ses effets ; suivi de quelques réflexions nouvelles à ce sujet, que j’ai envoyé à la Société agronomique de Rouen ; ce qui m’a même valu l’honneur d’être reçu parmi ses membres, section d’agriculture, classe de pomologie ; eh bien, si mon ouvrage avait été livré à la publicité… |||||||opus||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| So, I recently wrote a strong pamphlet, a memoir of more than seventy-two pages, entitled: Cider, its manufacture and its effects; followed by some new reflections on this subject, which I sent to the Agronomic Society of Rouen; which even earned me the honor of being received among its members, section of agriculture, class of pomology; well, if my work had been delivered to publicity ... Mais l’apothicaire s’arrêta, tant Mme Lefrançois paraissait préoccupée.

— Voyez-les donc !

disait-elle, on n’y comprend rien ! une gargote semblable ! |greasy spoon| a similar tavern! Et, avec des haussements d’épaules qui tiraient sur sa poitrine les mailles de son tricot, elle montrait des deux mains le cabaret de son rival, d’où sortaient alors des chansons. And, with shrugs of the shoulders which pulled the knitwear of her knit on her chest, she showed with both hands the cabaret of her rival, from which songs then came out. — Du reste, il n’en a pas pour longtemps, ajouta-t-elle ; avant huit jours, tout est fini. "Besides, it won't be long," she added; before eight days, it's all over.

Homais se recula de stupéfaction.

Elle descendit ses trois marches, et, lui parlant à l’oreille : — Comment !

vous ne savez pas cela ? On va le saisir cette semaine. C’est Lheureux qui le fait vendre. It is Lheureux who makes it sell. Il l’a assassiné de billets. He murdered him with tickets. — Quelle épouvantable catastrophe !

s’écria l’apothicaire, qui avait toujours des expressions congruantes à toutes les circonstances imaginables. [ 188 ] L’hôtesse donc se mit à lui raconter cette histoire, qu’elle savait par Théodore, le domestique de M. Guillaumin, et, bien qu’elle exécrât Tellier, elle blâmait Lheureux. [188] The hostess therefore began to tell her this story, which she knew from Theodore, Mr. Guillaumin's servant, and, although she hated Tellier, she blamed Lheureux. C’était un enjôleur, un rampant… ||scoffer|| — Ah !

tenez, dit-elle, le voilà sous les halles ; il salue Mme Bovary, qui a un chapeau vert. Elle est même au bras de M. Boulanger. — Mme Bovary !

fit Homais. Je m’empresse d’aller lui offrir mes hommages. I hasten to go and offer him my tributes. Peut-être qu’elle sera bien aise d’avoir une place dans l’enceinte, sous le péristyle. Maybe she will be very happy to have a place in the enclosure, under the peristyle. Et, sans écouter la mère Lefrançois, qui le rappelait pour lui en conter plus long, le pharmacien s’éloigna d’un pas rapide, sourire aux lèvres et jarret tendu, distribuant de droite et de gauche quantité de salutations et emplissant beaucoup d’espace avec les grandes basques de son habit noir, qui flottaient au vent derrière lui. |||||||||||||||||||||||||hamstring|||||||||||||||||||||||||||| And, without listening to Mother Lefrançois, who called him back to tell him more, the pharmacist walked away quickly, smirk and taut hock, distributing lots of greetings from right and left and filling up with lots of space with the large basques of his black coat, which floated in the wind behind him. Rodolphe, l’ayant aperçu de loin, avait pris un train rapide ; mais Mme Bovary s’essouffla ; il se ralentit donc et lui dit en souriant, d’un ton brutal : Rodolphe, having seen him from afar, had taken a fast train; but Madame Bovary ran out of steam; he therefore slows down and says to her, in a brutal tone:

— C’est pour éviter ce gros homme : vous savez, l’apothicaire.

Elle lui donna un coup de coude. She nudged him.

— Qu’est-ce que cela signifie ?

se demanda-t-il. Et il la considéra du coin de l’œil, tout en continuant à marcher.

Son profil était si calme, que l’on n’y devinait rien.

Il se détachait en pleine lumière, dans l’ovale de sa capote qui avait des rubans pâles ressemblant à des feuilles de roseau. |||||||||||||||||||||reed Ses yeux aux longs cils courbes regardaient devant elle, et, quoique [ 189 ] bien ouverts, ils semblaient un peu bridés par les pommettes, à cause du sang, qui battait doucement sous sa peau fine. Une couleur rose traversait la cloison de son nez. Elle inclinait la tête sur l’épaule, et l’on voyait entre ses lèvres le bout nacré de ses dents blanches. ||||||||||||||pearly|||| She tilted her head on the shoulder, and you could see between her lips the pearly end of her white teeth. — Se moque-t-elle de moi ? - Is she making fun of me?

songeait Rodolphe. Ce geste d’Emma pourtant n’avait été qu’un avertissement ; car M. Lheureux les accompagnait, et il leur parlait de temps à autre, comme pour entrer en conversation : — Voici une journée superbe !

tout le monde est dehors ! les vents sont à l’est. Et Mme Bovary, non plus que Rodolphe, ne lui répondait guère, tandis qu’au moindre mouvement qu’ils faisaient, il se rapprochait en disant : « Plaît-il ? » et portait la main à son chapeau. Quand ils furent devant la maison du maréchal, au lieu de suivre la route jusqu’à la barrière, Rodolphe, brusquement, prit un sentier, entraînant Mme Bovary ; il cria : When they were in front of the marshal's house, instead of following the road to the barrier, Rodolphe, suddenly, took a path, leading Madame Bovary; He shouted : — Bonsoir, M. Lheureux !

au plaisir ! — Comme vous l’avez congédié ! |||fired - How you fired him!

dit-elle en riant. — Pourquoi, reprit-il, se laisser envahir par les autres ? - Why, he went on, let yourself be overrun by others?

et, puisque, aujourd’hui, j’ai le bonheur d’être avec vous… Emma rougit.

Il n’acheva point sa phrase. Alors il parla du beau temps et du plaisir de marcher sur l’herbe. Quelques marguerites étaient repoussées. — Voici de gentilles pâquerettes, dit-il, et de quoi fournir bien des oracles à toutes les amoureuses du pays. |||daisies||||||||||||||| "Here are some sweet daisies," he said, "and enough to provide many oracles for all lovers of the country."

[ 190 ] Il ajouta : — Si j’en cueillais.

Qu’en pensez-vous ? — Est-ce que vous êtes amoureux ?

fit-elle en toussant un peu. — Eh !

eh ! qui sait ? répondit Rodolphe. Le pré commençait à se remplir, et les ménagères vous heurtaient avec leurs grands parapluies, leurs paniers et leurs bambins. Souvent, il fallait se déranger devant une longue file de campagnardes, servantes en bas bleus, à souliers plats, à bagues d’argent, et qui sentaient le lait, quand on passait près d’elles. Often, you had to be in front of a long line of country girls, maids in blue stockings, flat shoes, silver rings, and who smelled of milk, when you passed by them. Elles marchaient en se tenant par la main, et se répandaient ainsi sur toute la longueur de la prairie, depuis la ligne des trembles jusqu’à la tente du banquet. They walked holding hands, and thus spread over the entire length of the meadow, from the line of aspens to the banquet tent. Mais c’était le moment de l’examen, et les cultivateurs, les uns après les autres, entraient dans une manière d’hippodrome que formait une longue corde portée sur des bâtons. But it was time for the exam, and the cultivators, one after the other, entered a racetrack that formed a long rope carried on sticks. Les bêtes étaient là, le nez tourné vers la ficelle, et alignant confusément leurs croupes inégales. ||||||||||||||haunches| The animals were there, their noses turned towards the string, and confusedly lining up their uneven rumps. Des porcs assoupis enfonçaient en terre leur groin ; des veaux beuglaient ; des brebis bêlaient ; les vaches, un jarret replié, étalaient leur ventre sur le gazon, et, ruminant lentement, clignaient leurs paupières lourdes, sous les moucherons qui bourdonnaient autour d’elles. |||||||snout||||||||||||||||||||||||||||||| Sleeping pigs buried their snouts in the ground; calves were bellowed; sheep were bleating; the cows, a folded hock, spread their belly on the lawn, and, slowly ruminating, blinked their heavy eyelids, under the gnats buzzing around them. Des charretiers, les bras nus, retenaient par le licou des étalons cabrés, qui hennissaient à pleins naseaux du côté des juments. ||||||||halter||stallions|reared|||||||||mares Elles restaient paisibles, allongeant la tête et la crinière pendante, tandis que leurs poulains se reposaient à leur ombre, ou venaient les téter quelquefois ; et, sur la longue ondulation de tous ces corps tassés, [ 191 ] on voyait se lever au vent, comme un flot, quelque crinière blanche, ou bien saillir des cornes aiguës, et des têtes d’hommes qui couraient. |||||||||||||foals|||||||||nurse||||||||||||||||||||||||||||||||||| They remained peaceful, lengthening their heads and hanging manes, while their foals rested in their shade, or came to suckle them sometimes; and, on the long undulation of all these packed bodies, [191] we saw rising in the wind, like a wave, some white mane, or protruding sharp horns, and the heads of men running. À l’écart, en dehors des lices, cent pas plus loin, il y avait un grand taureau noir muselé, portant un cercle de fer à la narine, et qui ne bougeait pas plus qu’une bête de bronze. Away, outside the lists, a hundred paces further, there was a large black bull muzzled, carrying an iron circle with his nostril, and who did not move more than a bronze beast. Un enfant en haillons le tenait par une corde. Cependant, entre les deux rangées, des messieurs s’avançaient d’un pas lourd, examinant chaque animal, puis se consultaient à voix basse. L’un d’eux, qui semblait plus considérable, prenait, tout en marchant, quelques notes sur un album. One of them, who seemed more considerable, was taking, while walking, some notes on an album. C’était le président du jury : M. Derozerays de la Panville. Sitôt qu’il reconnut Rodolphe, il s’avança vivement, et lui dit en souriant d’un air aimable : — Comment, monsieur Boulanger, vous nous abandonnez ?

Rodolphe protesta qu’il allait venir.

Mais quand le président eut disparu : — Ma foi, non, reprit-il, je n’irai pas ; votre compagnie vaut bien la sienne.

Et, tout en se moquant des comices, Rodolphe, pour circuler plus à l’aise, montrait au gendarme sa pancarte bleue, et même il s’arrêtait parfois devant quelque beau sujet, que Mme Bovary n’admirait guère. |||||||||||||||||sign||||||||||||||| And, while mocking the votes, Rodolphe, to move more at ease, showed the gendarme his blue sign, and even he sometimes stopped in front of some beautiful subject, which Madame Bovary hardly admired. Il s’en aperçut, et alors se mit à faire des plaisanteries sur les dames d’Yonville, à propos de leur toilette ; puis il s’excusa lui-même du négligé de la sienne. He noticed it, and then began to make jokes about the ladies of Yonville, about their toilet; then he apologized for neglecting his own. Elle avait cette incohérence de choses communes et recherchées, où le vulgaire, d’habitude, croit entrevoir la révélation d’une existence excentrique, les désordres du [ 192 ] sentiment, les tyrannies de l’art, et toujours un certain mépris des conventions sociales, ce qui le séduit ou l’exaspère. She had this incoherence of common and sought-after things, where the vulgar, usually believe to glimpse the revelation of an eccentric existence, the disorders of sentiment, the tyrannies of art, and always a certain disregard for conventions social, which seduces or infuriates him. Ainsi sa chemise de batiste à manchettes plissées bouffait au hasard du vent, dans l’ouverture de son gilet, qui était de coutil gris, et son pantalon à larges raies découvrait aux chevilles ses bottines de nankin, claquées de cuir verni. |||||||||||||||||||||cotton|||||||stripes||||||||||| Elles étaient si vernies, que l’herbe s’y reflétait. Il foulait avec elles les crottins de cheval, une main dans la poche de sa veste et son chapeau de paille mis de côté. |||||manure|||||||||||||||||| — D’ailleurs, ajouta-t-il, quand on habite la campagne…

— Tout est peine perdue, dit Emma. "It's all lost," said Emma.

— C’est vrai !

répliqua Rodolphe. Songer que pas un seul de ces braves gens n’est capable de comprendre même la tournure d’un habit ! To think that not one of these good people is capable of understanding even the turn of a coat! Alors ils parlèrent de la médiocrité provinciale, des existences qu’elle étouffait, des illusions qui s’y perdaient.

— Aussi, disait Rodolphe, je m’enfonce dans une tristesse…

— Vous !

fit-elle avec étonnement. Mais je vous croyais très gai ? — Ah !

oui, d’apparence, parce qu’au milieu du monde je sais mettre sur mon visage un masque railleur ; et cependant que de fois, à la vue d’un cimetière, au clair de lune, je me suis demandé si je ne ferais pas mieux d’aller rejoindre ceux qui sont à dormir… |||||||||||||||scoffing||||||||||||||||||||||||||||||| — Oh !

Et vos amis ? dit-elle. Vous n’y pensez pas. — Mes amis ?

lesquels donc ? en ai-je ? Qui s’inquiète de moi ? [ 193 ] Et il accompagna ces derniers mots d’une sorte de sifflement entre ses lèvres. Mais ils furent obligés de s’écarter l’un de l’autre, à cause d’un grand échafaudage de chaises qu’un homme portait derrière eux. Il en était si surchargé, que l’on apercevait seulement la pointe de ses sabots, avec le bout de ses deux bras, écartés droit. He was so overloaded with it, that only the tips of his hooves could be seen, with the tips of his two arms spread out straight. C’était Lestiboudois, le fossoyeur, qui charriait dans la multitude les chaises de l’église. Plein d’imagination pour tout ce qui concernait ses intérêts, il avait découvert ce moyen de tirer parti des comices ; et son idée lui réussissait, car il ne savait plus auquel, entendre. Full of imagination for everything that concerned his interests, he had discovered this way of taking advantage of the elections; and his idea worked for him, because he no longer knew which one to hear. En effet, les villageois, qui avaient chaud, se disputaient ces sièges dont la paille sentait l’encens, et s’appuyaient contre leurs gros dossiers salis par la cire des cierges, avec une certaine vénération. ||||||||||||||||||||||soiled||||||||| In fact, the villagers, who were hot, fought over these seats, the straw of which smelled of incense, and leaned against their large files soiled by the wax of the candles, with a certain veneration. Mme Bovary reprit le bras de Rodolphe ; il continua comme se parlant à lui-même : Madame Bovary resumed Rodolphe's arm; he went on as if speaking to himself:

— Oui !

tant de choses m’ont manqué ! toujours seul ! Ah !

si j’avais eu un but dans la vie, si j’eusse rencontré une affection, si j’avais trouvé quelqu’un… Oh ! comme j’aurais dépensé toute l’énergie dont je suis capable, j’aurais surmonté tout, brisé tout ! how I would have spent all the energy of which I am capable, I would have overcome everything, broken everything! — Il me semble pourtant, dit Emma, que vous n’êtes guère à plaindre. "It seems to me, however," said Emma, "that you have little to complain about."

— Ah !

vous trouvez ? fit Rodolphe. — Car enfin…, reprit-elle, vous êtes libre.

Elle hésita :

— Riche.

— Ne vous moquez pas de moi, répondit-il.

Et elle jurait qu’elle ne se moquait pas, quand [ 194 ] un coup de canon retentit ; aussitôt, on se poussa, pêle-mêle, vers le village.

C’était une fausse alerte.

M. le préfet n’arrivait pas ; et les membres du jury se trouvaient fort embarrassés, ne sachant s’il fallait commencer la séance ou bien attendre encore. Enfin, au fond de la Place, parut un grand landau de louage, traîné par deux chevaux maigres, que fouettait à tour de bras un cocher en chapeau blanc. |||||||||car|||||||||||||||||| Finally, at the end of the Place, there appeared a large pram for hire, dragged by two skinny horses, which a coachman in a white hat whipped. Binet n’eut que le temps de crier : « Aux armes ! » et le colonel de l’imiter. And the colonel to imitate him. On courut vers les faisceaux. ||||beams On se précipita. Quelques-uns même oublièrent leur col. Some even forgot their collar. Mais l’équipage préfectoral sembla deviner cet embarras, et les deux rosses accouplées, se dandinant sur leur chaînette, arrivèrent au petit trot devant le péristyle de la mairie, juste au moment où la garde nationale et les pompiers s’y déployaient, tambour battant, et marquant le pas. |||||||||||coupled||||||||||||||||||||||||||||||||| But the prefectural crew seemed to guess this embarrassment, and the two coupled males, waddling on their chain, arrived at a small trot in front of the peristyle of the town hall, just when the National Guard and the firefighters were deploying there, beating drum , and marking time. — Balancez !

cria Binet. — Halte !

cria le colonel. Par file à gauche ! Et, après, un port d’armes où le cliquetis des capucines, se déroulant, sonna comme un chaudron de cuivre qui dégringole les escaliers, tous les fusils retombèrent. |||||||||||||||cauldron||||tumbles|||||| And afterwards, a port of arms where the rattling of the nasturtiums, taking place, sounded like a copper cauldron tumbling down the stairs, all the rifles fell. Alors on vit descendre du carrosse un monsieur vêtu d’un habit court à broderie d’argent, chauve sur le front, portant toupet à l’occiput, ayant le teint blafard et l’apparence des plus bénignes. ||||||||||||||||||||||the occiput||||||||| Then we saw a gentleman come down from the coach, dressed in a short coat with silver embroidery, bald on his forehead, wearing a toupee at the occiput, with a pallid complexion and the appearance of the most benign. Ses deux yeux, fort gros et couverts de paupières épaisses, se fermaient à demi pour considérer la multitude, en même temps qu’il levait son nez pointu et faisait sourire sa bouche rentrée. Il reconnut le maire à son écharpe, et lui exposa [ 195 ] que M. le préfet n’avait pu venir. He recognized the mayor by his scarf, and told him [195] that the prefect had been unable to come. Il était, lui, un conseiller de préfecture ; puis il ajouta quelques excuses. He was a prefecture councilor; then he added some excuses. Tuvache y répondit par des civilités, l’autre s’avoua confus ; et ils restaient ainsi, face à face, et leurs fronts se touchant presque, avec les membres du jury tout alentour, le conseil municipal, les notables, la garde nationale et la foule. Tuvache answered with civilities, the other confessed confused; and they remained thus, face to face, and their foreheads almost touching, with the members of the jury all around, the municipal council, the notables, the national guard and the crowd. M. le Conseiller, appuyant contre sa poitrine son petit tricorne noir, réitérait ses salutations, tandis que Tuvache, courbé comme un arc, souriait aussi, bégayait, cherchait ses phrases, protestait de son dévouement à la monarchie, et de l’honneur que l’on faisait à Yonville. |||||||||tricorn|||||||||||||||||||||||||||||||| Hippolyte, le garçon de l’auberge, vint prendre par la bride les chevaux du cocher, et tout en boitant de son pied bot, il les conduisit sous le porche du Lion d’or, où beaucoup de paysans s’amassèrent à regarder la voiture. Le tambour battit, l’obusier tonna, et les messieurs à la file montèrent s’asseoir sur l’estrade, dans les fauteuils en utrecht rouge qu’avait prêtés Mme Tuvache. |||the howitzer||||||||||||||||||||| The drum beat, the howitzer thundered, and the gentlemen in line went up to sit on the platform, in the red utrecht chairs that Madame Tuvache had loaned. Tous ces gens-là se ressemblaient. All these people looked alike.

Leurs molles figures blondes, un peu hâlées par le soleil, avaient la couleur du cidre doux, et leurs favoris bouffants s’échappaient de grands cols roides, que maintenaient des cravates blanches à rosette bien étalée. Their soft blond faces, a little tanned by the sun, had the color of sweet cider, and their puffed favorites escaped from large stiff collars, which were maintained by white ties with a well spread rosette. Tous les gilets étaient de velours à châle ; toutes les montres portaient au bout d’un long ruban quelque cachet ovale en cornaline ; et l’on appuyait ses deux mains sur ses deux cuisses, en écartant avec soin la fourche du pantalon, dont le drap non décati reluisait plus brillamment que le cuir des fortes bottes. |||||||||||||||||||||carnelian||||||||||||||||fork|||||||decayed||||||||| All the vests were of velvet with shawl; all the watches bore at the end of a long ribbon some oval carnelian seal; and you rested your two hands on your two thighs, carefully spreading the fork of the pants, the undisturbed cloth shining more brilliantly than the leather of strong boots. [ 196 ] Les dames de la société se tenaient derrière, sous le vestibule, entre les colonnes, tandis que le commun de la foule était en face, debout, ou bien assis sur des chaises. En effet, Lestiboudois avait apporté là toutes celles qu’il avait déménagées de la prairie, et même il courait à chaque minute en chercher d’autres dans l’église, et causait un tel encombrement par son commerce, que l’on avait grand-peine à parvenir jusqu’au petit escalier de l’estrade. Indeed, Lestiboudois had brought there all those he had moved from the meadow, and even he ran every minute to look for others in the church, and caused such congestion by his trade, that one had great - hardly reach the small staircase of the platform. — Moi, je trouve, dit M. Lheureux (s’adressant au pharmacien, qui passait pour gagner sa place), que l’on aurait dû planter là deux mâts vénitiens : avec quelque chose d’un peu sévère et de riche comme nouveautés, c’eût été d’un fort joli coup d’œil. - I think, said Mr. Lheureux (addressing the pharmacist, who was passing to earn his place), that we should have planted two Venetian masts there: with something a little harsh and rich as new , that would have been a very nice look. — Certes, répondit Homais.

Mais, que voulez-vous ! But, what do you want! c’est le maire qui a tout pris sous son bonnet. it was the mayor who took everything under his cap. Il n’a pas grand goût, ce pauvre Tuvache, et il est même complètement dénué de ce qui s’appelle le génie des arts. Cependant Rodolphe, avec madame Bovary, était monté au premier étage de la mairie, dans la salle des délibérations, et, comme elle était vide, il avait déclaré que l’on y serait bien pour jouir du spectacle plus à son aise. However Rodolphe, with Madame Bovary, had gone up to the first floor of the town hall, in the deliberations room, and, as it was empty, he had declared that it would be good to enjoy the spectacle more at ease. Il prit trois tabourets autour de la table ovale, sous le buste du monarque, et, les ayant approchés de l’une des fenêtres, ils s’assirent l’un près de l’autre. He took three stools around the oval table, under the bust of the monarch, and, having approached them from one of the windows, they sat down close to each other. Il y eut une agitation sur l’estrade, de longs chuchotements, des pourparlers. There was a commotion on the platform, long whispers, talks. Enfin, M. le Conseiller se leva. On savait maintenant qu’il s’appelait Lieuvain, et l’on se répétait son nom de l’un à l’autre, dans la foule. Quand il eut donc [ 197 ] collationné quelques feuilles et appliqué dessus son œil pour y mieux voir, il commença : ||||collated||||||||||||| When he had therefore [197] collated a few leaves and applied it to his eye to see better, he began: « Messieurs,

« Qu’il me soit permis d’abord (avant de vous entretenir de l’objet de cette réunion d’aujourd’hui, et ce sentiment, j’en suis sûr, sera partagé par vous tous), qu’il me soit permis, dis-je de rendre justice à l’administration supérieure ; au gouvernement, au monarque, messieurs, à notre souverain, à ce roi bien-aimé à qui aucune branche de la prospérité publique ou particulière n’est indifférente, et qui dirige à la fois d’une main si ferme et si sage le char de l’État parmi les périls incessants d’une mer orageuse, sachant d’ailleurs faire respecter la paix comme la guerre, l’industrie, le commerce, l’agriculture et les beaux-arts. — Je devrais, dit Rodolphe, me reculer un peu. "I should," said Rodolphe, "step back a little.

— Pourquoi ?

dit Emma.

Mais, à ce moment, la voix du Conseiller s’éleva d’un ton extraordinaire.

Il déclamait : « Le temps n’est plus, messieurs, où la discorde civile ensanglantait nos places publiques, où le propriétaire, le négociant, l’ouvrier lui-même, en s’endormant le soir d’un sommeil paisible, tremblaient de se voir réveillés tout à coup au bruit des tocsins incendiaires, où les maximes les plus subversives sapaient audacieusement les bases… » |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||tocsins||||||||||| "The time is no longer, gentlemen, when civil discord bloodied our public places, where the owner, the merchant, the worker himself, falling asleep in the evening in a peaceful sleep, trembled at seeing themselves awakened suddenly at the sound of incendiary tocsins, where the most subversive maxims audaciously undermined the bases… ” — C’est qu’on pourrait, reprit Rodolphe, m’apercevoir d’en bas ; puis j’en aurais pour quinze [ 198 ] jours à donner des excuses, et, avec ma mauvaise réputation… "You could," replied Rodolphe, "see me from below; then I would have fifteen [198] days to apologize, and, with my bad reputation ...

— Oh !

vous vous calomniez, dit Emma. you slander yourself, said Emma. — Non, non, elle est exécrable, je vous jure. - No, no, it's awful, I swear.

« Mais, Messieurs, poursuivait le Conseiller, que si, écartant de mon souvenir ces sombres tableaux, je reporte mes yeux sur la situation actuelle de notre belle patrie : qu’y vois-je ? "But, Gentlemen," continued the Counselor, "if if, putting aside these somber pictures, I look back at the present situation of our beautiful country: what do I see there?" Partout fleurissent le commerce et les arts ; partout des voies nouvelles de communication, comme autant d’artères nouvelles dans le corps de l’État, y établissent des rapports nouveaux ; nos grands centres manufacturiers ont repris leur activité ; la religion, plus affermie, sourit à tous les cœurs ; nos ports sont pleins, la confiance renaît, et enfin la France respire !… » — Du reste, ajouta Rodolphe, peut-être, au point de vue du monde, a-t-on raison ? "Besides," added Rodolphe, "perhaps, from the point of view of the world, are we right?"

— Comment cela ?

fit-elle. — Eh quoi !

dit-il, ne savez-vous pas qu’il y a des âmes sans cesse tourmentées ? Il leur faut tour à tour le rêve et l’action, les passions les plus pures, les jouissances les plus furieuses, et l’on se jette ainsi dans toutes sortes de fantaisies, de folies. They need in turn dream and action, the purest passions, the most furious pleasures, and so we throw ourselves into all kinds of fantasies, follies.