CHANT DU CYGNE (LE) 2009-03-31
« Rachida Dati, le chant du cygne ». C'est l'un des titres qu'on trouve à la une de Libération ce matin ; un titre un peu étonnant, d'ailleurs, dont on peut interroger la pertinence. Mais ce n'est qu'un titre, et même une accroche pour inciter les lecteurs à lire l'article correspondant, dans les pages intérieures du journal, où l'expression n'est d'ailleurs pas reprise. Pourquoi étonnant, ce titre ? Parce que l'expression « chant du cygne » évoque en général une dernière manifestation, une dernière production d'un artiste, d'un personnage public, ou même par extension de toute autre personne. Et on dit que c'est ce qu'ils ont fait de plus beau, de plus réussi, qui s'exprime ainsi comme un dernier chant avant leur mort, ou avant leur retraite définitive. C'est bien cela qui étonne à propos de Rachida Dati. On sait qu'elle est ministre de la Justice et que, sur pression du gouvernement, elle va bientôt se consacrer aux élections européennes, dont elle sera probablement tête de liste pour l'UMP, le parti du gouvernement français. Elle va donc abandonner sa position de ministre. On a interprété ce changement de position comme une défaite, un camouflet, un désaveu qui lui est infligé par l'Élysée. Mais un échec n'est pas une sortie définitive, ni une mort politique. Ce peut être uniquement une étape, un changement ou même une traversée du désert, c'est-à-dire une période difficile où l'on se sent oublié, sans reconnaissance, sans responsabilité. Alors pourquoi « chant du cygne » pour Rachida Dati ? Probablement pour souligner le fait que, durant ces dernières semaines à la chancellerie, la ministre multiplie les apparitions, fait parler d'elle, et tente d'être très présente dans la presse pour compenser cette absence à venir. Mais bien souvent, l'expression « chant du cygne » a un écho un peu différent. On l'employait au départ pour un poète, ou de façon générale pour un artiste. L'expression désigne sa dernière œuvre et sous-entend que, comme il a conscience qu'il n'y en aura plus après, il donne le meilleur de lui-même, et on a là sa plus belle réussite, comme une grâce qui peut s'exprimer car la mort est là qui rôde. Ça donne bien sûr un caractère plus pathétique et plus lyrique, plus touchant, au chant qui s'élève alors. On peut aussi se demander pourquoi l'image a recours au cygne. Le cygne est parfois l'image du poète. Et pourquoi parle-t-on parle d'un chant, alors que le cygne ne chante pas ? Le mot « chant » fait penser à la poésie. On dit bien en français « chanter les louanges de quelqu'un ». Et en latin, le verbe cano veut à la fois dire chanter et déclamer un poème.
Mais le plus intéressant est de voir pourquoi c'est un cygne qu'on évoque, ce volatile qui ne fait que quelques couacs improbables. C'est en fait un animal de légende, qui devient cygne au prix d'une métamorphose. C'est le vilain petit canard qui devient le plus beau des oiseaux. Et on imagine donc une deuxième transformation symbolique au crépuscule de son existence.
Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/