Leçon 35 - Résidences IV
(Jeudi soir. On est toujours à table chez les Belleau.)
Mireille: Ah, ça, on peut dire qu'on y a travaillé, sur cette maison de Dreux! Ah, là, là! C'est sans doute pour ça que je m'y suis tellement attachée.
(On sonne de nouveau. Tout le monde s'arrête de manger et de parler. Marie-Laure va ouvrir.)
Mme Belleau: Je me demande ce que ça peut bien être.
(Marie-Laure revient.)
Mme Belleau: Alors, qu'est-ce que c'était?
Marie-Laure: Le frère de la bonne soeur de tout à l'heure.
Mme Belleau: Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
Marie-Laure: Ben, oui! Il avait la même moustache qu'elle!
M. Belleau: Et qu'est-ce qu'il voulait?
Marie-Laure: Il m'a demandé si je n'avais pas une grande soeur qui avait l'air d'une actrice de cinéma.
Mireille: Et qu'est-ce que tu as dit?
Marie-Laure: Ben, cette question! Je lui ai dit que non, bien sûr!
Mireille: Mais quel culot! C'était peut-être la chance de ma vie de faire du cinéma! Maintenant, c'est raté. . . . Enfin.
Mme Belleau: C'est vraiment bizarre.
Mireille: C'est vrai, j'ai longtemps voulu être actrice. Je rêvais d'aller à Hollywood, jouer l'Inconnue de l'Orient-Express. Voyager, descendre dans des palaces. Maintenant, je ne sais pas. C'est fou ce que je me suis attachée à notre maison de campagne. Quand j'étais petite, je trouvais ridicule ce désir de beaucoup de Français d'avoir une petite maison à eux, le genre “Mon rêve,” “Mon repos.” Eh bien, maintenant, en vieillissant, je commence à comprendre. Avoir une petite maison bien à soi, même si elle est très modeste.
Robert: Je vois! “Une chaumière et un coeur.”
Mireille: Notre maison n'est vraiment pas une chaumière! D'abord, le toit n'est pas en chaume, mais en tuiles.
Hubert: Oh, de la tuile? Vous ne préférez pas l'ardoise? Moi, je trouve ça tellement plus distingué!
M. Belleau: Ah, l'ardoise, c'est très joli, mais c'est plus cher!
Robert: Et puis, ça doit être joliment lourd!
Hubert: Oh, c'est moins lourd que la tuile, mais évidemment ce serait trop lourd pour vos maisons en bois!
Robert: Pourquoi dites-vous “nos” maisons en bois? Vous n'avez pas de maisons en bois, en France?
M. Belleau: Non, très peu. Quelques chalets en montagne, mais à part ça, on construit en dur: en pierre, en brique, en blocs de ciment. En France, on aime ce qui dure.
Robert: Votre maison de campagne est en dur?
Mireille: Bien sûr! C'est de la belle pierre du pays! Les murs ont au moins deux ou trois cents ans, et j'espère qu'ils seront encore debout pour mes arrière-petits-enfants!
Marie-Laure: Tu ne peux pas avoir d'arrière-petits-enfants!
Mireille: Et pourquoi ça?
Marie-Laure: Tu es trop jeune, tu n'es même pas mariée!
Robert: J'ai lu dans Le Monde qu'il y avait plus de 300,000 étudiants à Paris. Où est-ce qu'ils habitent?
Mme Belleau: Eh bien, ça dépend. Ceux qui ont la chance d'avoir leurs parents à Paris, comme Mireille, habitent en général chez eux, bien sûr.
Robert: Et les étrangers?
Hubert: Certains habitent à la Cité Universitaire. La plupart des pays étrangers ont une maison à la Cité. D'autres habitent à l'hôtel, ou bien louent une chambre chez des particuliers.
Mireille: Il y en a qui habitent dans des familles. Ils ont leur chambre, leur cabinet de toilette; ils prennent leurs repas avec la famille, un seul repas ou pension complète.
Robert: Je croyais que les familles françaises étaient très fermées?
Mme Belleau: C'est assez vrai, dans un sens. Mais il y a des gens qui prennent des étrangers chez eux parce qu'ils ont un appartement trop grand pour eux, qu'ils ont besoin d'argent: des dames veuves, des retraités. Il y a aussi des gens qui veulent donner des amis étrangers à leurs enfants.
Robert: La famille Belleau n'aurait pas l'intention de recevoir des étrangers, par hasard?
Mme Belleau: Oh, vous savez, nous n'avons pas un grand appartement! Nous n'avons que sept pièces, en comptant la cuisine et la salle de bains. Je ne suis ni veuve, ni retraitée, et Mireille n'a pas besoin qu'on lui trouve des amis étrangers: elle les collectionne! En un an de fac, elle a réussi à connaître un Canadien, une Chilienne, une Algérienne, un Israélien, une Syrienne, un Tunisien, un Egyptien, une Italienne, une Japonaise, une Danoise, trois Anglais, une Allemande, deux Américains, un Roumain . . .
M. Belleau: Un Hongrois, un Turc, une Grecque, un Espagnol, une Russe, et un Suisse.
Mireille: Et tu oublies, un Suédois!