Leçon 45 - Pensez vacances III
(Mireille téléphone à son oncle Guillaume.)
Mireille: Allô, Tonton Guillaume? Devine ce qui m'arrive!
Guillaume: Tu te maries?
Mireille: Mais non! C'est une bonne nouvelle! C'est bien mieux que ça!
Guillaume: Alors, je ne vois pas.
Mireille: Je viens de gagner 40.000F à la Loterie nationale!
Guillaume: Sans blague! Mais c'est formidable, ça, hein! Te voilà riche! Écoute, il faut fêter ça!
(Et Tonton Guillaume invite Mireille à prendre le thé à la Grande Cascade.)
Guillaume: Quatre heures, ça te va? Bon, alors, parfait. Je passe te prendre?
Mireille: Non, non, je me débrouillerai.
Guillaume: Tu es sûre? Bon! Eh bien, alors, à quatre heures. D'accord; à tout à l'heure. Au revoir!
(À quatre heures, Mireille arrive au salon de thé de la Grande Cascade.)
Guillaume: Alors, comme ça, tu as gagné 40.000F? Qu'est-ce que tu vas en faire?
Mireille: Ben, je me le demande. Tante Georgette voudrait que je lui donne de l'argent pour son cimetière de chiens.
Guillaume: Ah, ça, c'est bien elle! C'est Georgette tout craché! C'est vrai! Il y a des millions de gosses qui meurent de faim partout dans le monde, et tout ce qui l'intéresse, c'est d'assurer une sépulture décente aux toutous défunts! Quel vieux chameau, cette Georgette!
Mireille: Oh, tu n'es pas gentil, Tonton, là! Tante Paulette a une autre idée. Elle dit que je devrais lui acheter sa vieille bagnole.
Guillaume: Oh, là, méfie-toi! C'est une très belle voiture, mais, tu sais, elle n'a pas roulé depuis l'exode de 1940. Et puis, une voiture, moi, je peux toujours t'en prêter une! Tu n'as pas besoin de t'acheter une voiture! Avec l'assurance, l'essence, les réparations. Il vaut mieux que tu te serves de celle de ton vieux tonton!
Mireille: Philippe me conseille d'acheter des actions à la Bourse.
Guillaume: Aïe! Attention! La Bourse baisse, en ce moment. Ce n'est peut-être pas un bon investissement. Moi, je te conseillerais plutôt de faire quelques bons gueuletons avec des copains. Hein? Tu pourrais essayer tous les restaurants à trois étoiles de Paris. Tu garderais les menus; ça te ferait des souvenirs pour tes vieux jours. Les bons souvenirs, c'est encore la valeur la plus sûre.
Mireille: Ouais, mais tu sais bien qu'il faut que je fasse attention à mon foie!
Guillaume: Poh, poh, poh! Encore une invention de ta mère, ça! Tu n'as pas le foie plus malade que les cinquante-cinq millions d'autres Français. Et puis tu n'auras qu'à faire une cure d'eau de Vichy!
Mireille: Mais non! Tu sais très bien que depuis Pétain, Papa ne veut plus entendre parler de Vichy à la maison!
Guillaume: Eh bien, il te reste encore Vittel, Evian, Badoit, Vals, et Volvic.
Mireille: Non, de toute façon, je dois dire que l'idée de dépenser 300 ou 400F pour un repas, je trouve ça presque immoral. Non, tu sais, je crois que je vais plutôt faire un voyage en France avec mon copain américain—tu sais, Robert. D'ailleurs, l'argent est un peu à lui; c'est lui qui a payé le billet.
(Robert, au rayon des vêtements pour hommes.)
Le vendeur: On s'occupe de vous?
Robert: Non. Je voudrais un blouson, ou une veste de sport, peut- être. Quelque chose que je puisse mettre en ville, et aussi pour faire du camping.
Le vendeur: Vous tenez à une couleur particulière?
Robert: Non, pas vraiment. Ça m'est un peu égal. Bleu foncé, peut-être? Et surtout quelque chose qui ne soit pas trop salissant.
Le vendeur: Vous faites quelle taille?
Robert: Ma foi, je ne sais pas.
Le vendeur: Voyons. Permettez, je vais prendre votre tour de poitrine. 124. Tenez, celui-ci devrait vous aller. C'est votre taille.
Robert: Ce n'est pas vraiment bleu foncé!
Le vendeur: C'est le seul que nous ayons dans votre taille. Nous n'avons plus de bleu. Celui-ci est jaune et blanc.
Robert: C'est ce qu'il me semblait, oui.
Le vendeur: Tenez, essayez-le donc. Il vous va comme un gant! C'est exactement ce qu'il vous faut.
Robert: Je n'aime toujours pas la couleur. Enfin, avec ça, je ne passerai pas inaperçu. On me verra de loin! Si je me perds, on me retrouvera facilement. Je voudrais aussi un pantalon.
Le vendeur: Vous devez faire 88 comme tour de taille. Ah, non, 83. Tenez, voilà un très beau pantalon en velours côtelé. La couleur irait très bien avec votre blouson . . . non! Tenez, voilà un article en tergal; c'est très beau comme tissu, ça tient très bien le pli. C'est—c'est à la fois, comment dirais-je? Eh bien, je dirais tout simplement: sport et habillé. Vous voulez l'essayer?
Robert: Non, ça a l'air d'aller. Je le prends.
Le vendeur: Vous n'avez pas besoin de chemises? C'est très bien pour le voyage. Ça se lave très facilement; ça sèche en quelques minutes.
Robert: Non, merci.
Le vendeur: Des slips?
Robert: Mais je ne porte pas de slips!
Le vendeur: Des caleçons, alors?
Robert: Je ne porte plus de caleçons non plus.
Le vendeur: Mais alors, qu'est-ce que vous portez? Vous ne portez rien en-dessous?
Robert: Mais si, je porte ces espèces de petits caleçons très courts.
Le vendeur: C'est bien ce que je disais, des slips!
Robert: Ah! Mais je croyais que les slips, c'était pour les dames!
Le vendeur: Ah, oui, nous en avons aussi pour les dames, mais alors avec de la dentelle. C'est plus féminin.
Robert: Non, merci. Avec ou sans dentelle, j'ai tout ce qu'il me faut.
(En sortant du magasin, Robert aperçoit un taxi qui semble l'attendre. Il y monte, et donne l'adresse du Home Latin.)
Robert: Au Home Latin, Rue du Sommerard, s'il vous plaît.
(Le taxi démarre aussitôt, et fonce à travers la circulation parisienne avec une rapidité et une maladresse inquiétantes.
Il avance par bonds désordonnés. C'est une succession d'accélérations courtes et d'accélérations plus longues. Intrigué et vaguement inquiet, Robert cherche la cause de ce phénomène. Il remarque que c'est bien le pied du chauffeur qui imprime des secousses irrégulières à l'accélérateur. Ce pied est chaussé d'une chaussure noire au-dessus de laquelle apparaît une chaussette rouge. En regardant mieux, Robert s'aperçoit qu'il s'agit, en fait, de l'extrémité d'un caleçon long en laine rouge.
Intrigué et inquiet, Robert l'est encore plus quand il voit, dans le rétroviseur, que le chauffeur cligne d'un oeil, puis de l'autre, en parfaite synchronisation avec les coups d'accélérateur. Tout à coup, Robert s'aperçoit qu'ils sont en train de passer devant la gare Saint-Lazare.)
Robert: Mais où allez-vous comme ça? Je vous ai dit “rue du Sommerard”! C'est à l'opposé!
(Le chauffeur ne répond pas, mais donne un formidable coup d'accélérateur. Robert, en garçon prudent, profite de l'intervalle entre deux accélérations pour sauter en marche du taxi. Celui-ci s'éloigne en faisant du morse avec ses clignotants.)