CHAPITRE VIII – EXPLORATIONS (3)
Je voyais, au lieu de cela, une réelle aristocratie, armée d'une science parfaite et menant à sa conclusion logique le système industriel d'aujourd'hui. Son triomphe n'avait pas été simplement un triomphe sur la nature, mais un triomphe à la fois sur la nature et sur l'homme. Ceci, je dois vous en avertir, était ma théorie du moment. Je n'avais aucun cicérone convenable dans ce modèle d'Utopie. Mon explication peut être absolument fausse, je crois qu'elle est encore la plus plausible ; mais, même avec cette supposition, la civilisation équilibrée, qui avait été enfin atteinte, devait avoir depuis longtemps dépassé son zénith, et s'être avancée fort loin vers son déclin. La sécurité trop parfaite des habitants du monde supérieur les avait amenés insensiblement à la dégénérescence, à un amoindrissement général de stature, de force et d'intelligence. Cela, je pouvais le constater déjà d'une façon suffisamment claire, sans pouvoir soupçonner encore ce qui était arrivé aux habitants du monde inférieur ; mais d'après ce que j'avais vu des Morlocks – car, à propos, c'était le nom qu'on donnait à ces créatures – je pouvais m'imaginer que les modifications du type humain étaient encore plus profondes que parmi les Éloïs, la belle race que je connaissais déjà.
« Alors vinrent des doutes importuns. Pourquoi les Morlocks avaient-ils pris la Machine ? Car j'étais sûr que c'étaient eux qui l'avaient prise. Et pourquoi, si les Éloïs étaient les maîtres, ne pouvaient-ils pas me faire rendre ma Machine ? Pourquoi avaient-ils une telle peur des ténèbres ? J'essayai, comme je l'ai dit, de questionner Weena sur ce monde inférieur, mais là encore je fus désappointé. Tout d'abord elle ne voulut pas comprendre mes questions, puis elle refusa d'y répondre. Elle frissonnait comme si le sujet eût été insupportable. Et lorsque je la pressai peut-être un peu rudement, elle fondit en larmes. Ce furent les seules larmes, avec les miennes, que j'aie vues dans cet âge heureux. Je cessai, en les voyant, de l'ennuyer à propos des Morlocks, et m'occupai seulement à bannir des yeux de Weena ces signes d'un héritage humain. Et bientôt elle sourit et battit des mains tandis que solennellement je craquais une allumette.