Bordeaux : la ville la plus bourgeoise de France ? (1)
Salut !
Aujourd'hui, on continue notre tour des villes françaises avec Bordeaux.
Si vous avez pas vu les précédentes vidéos de cette série,
l'idée, c'est pas de faire une visite touristique,
mais de vous montrer la ville à travers les yeux des Français
en essayant de ne pas tomber dans les clichés.
Et vous allez voir que Bordeaux, c'est une ville qui les laisse pas indifférents.
À première vue, les Français adorent Bordeaux !
Selon certains sondages, c'est même leur ville préférée en France.
Par exemple, en 2020 Bordeaux était première du classement le Figaro
des villes de plus de 100 000 habitants où il fait bon vivre en famille,
à égalité avec Nantes.
Depuis 2014, elle est aussi en tête du palmarès
«Great Place To Work».
Selon ce sondage, en 2021
un Français sur quatre disait vouloir travailler à Bordeaux.
Mais il y a pas que les Français qui aiment Bordeaux.
Elle est aussi très appréciée à l'international.
Là aussi, je vais citer quelques sondages qui le prouve.
En 2017, le guide Lonely Planet et le Los Angeles Times
l'ont classée numéro 1 des villes à visiter dans le monde,
et en 2020, c'était la seule ville française finaliste du classement «New Cities».
Elle a été classée première dans la catégorie
« Intégration de la nature et de la biodiversité »
pour ses initiatives de protection contre le réchauffement climatique.
Ok mais alors pourquoi Bordeaux est-elle si populaire ?
Une des raisons les plus évidentes, c'est tout simplement sa beauté.
Alors, oui on dit souvent que la beauté est subjective,
mais apparemment Bordeaux fait l'unanimité.
La preuve, en 2007, tout son centre-ville a été classée
au patrimoine mondial de l'UNESCO.
C'était la 1ère fois qu'un si grand ensemble urbain obtenait cette distinction.
D'ailleurs en France, on surnomme Bordeaux «la belle endormie».
C'est pas forcément un surnom positif, mais je vous expliquerai ça plus tard.
Ce qui est frappant quand on visite Bordeaux,
c'est son harmonie et son architecture néoclassique.
On dit souvent que c'est un joyau, un bijou du néoclassicisme français.
Et ça, on le doit à un homme
Louis-Urbain Aubert, marquis de Tourny.
Au milieu du XVIIIe siècle, il était l'intendant de la région bordelaise
autrement dit le représentant du pouvoir royal
À l'époque, Bordeaux, c'était pas une référence en matière d'architecture.
C'était une ville riche grâce à son port,
mais elle était assez laide, elle était pas très belle.
Le marquis de Tourny a vu tout de suite qu'elle avait du potentiel
et contrairement à beaucoup de nobles à cette époque,
lui, c'était un gros bosseur.
Donc il s'est lancé dans des travaux d'urbanisme titanesques
qui ont complètement changé le visage de Bordeaux.
Il a modernisé les rues,
il a fait construire des places et des arcs de triomphe aux entrées de la ville.
Il a contraint les architectes à bien aligner et harmoniser les façades des bâtiments.
D'ailleurs, ces travaux ont coûté tellement cher
qu'il a dû en financé une partie de sa poche.
Bref, grâce à tous ces travaux,
Bordeaux est devenue une des plus belles villes du Royaume.
Pendant un temps on l'a même surnommée «la petite soeur de Versailles.»
Un siècle plus tard, c'est un autre jeune noble ambitieux
qui a remplacé le marquis de Tourny à la tête de la région bordelaise
le baron Haussmann.
Peut-être que vous avez déjà entendu parler de lui
parce qu'il a aussi redessiné Paris au XIXe siècle
et il a donné son nom à ce style architectural si particulier.
Mais avant de transformer la capitale il était préfet de Bordeaux
et il a beaucoup observé le travail de son prédécesseur,
le marquis de Tourny,
travail dont il s'est inspiré ensuite pour moderniser Paris.
Vous comprenez pourquoi il y a une certaine ressemblance
entre Paris et Bordeaux.
D'ailleurs, un autre surnom de Bordeaux, c'est «le petit Paris».
Mais pour être honnête,
dès qu'une ville française à deux ou trois immeubles haussmanniens,
on l'appelle «petit Paris».
On a cette fâcheuse tendance de tout comparer à la capitale.
Mais si on a donné ce surnom à Bordeaux,
c'est pas seulement à cause de son architecture.
C'est aussi parce que beaucoup de Parisiens viennent s'y installer.
En 2017, il y a un événement qui a accéléré cette tendance,
c'est la construction de la ligne TGV, train à grande vitesse,
entre Paris et Bordeaux.
Grâce à cette nouvelle ligne, on peut faire Paris-Bordeaux en deux heures
donc ça a permis à certains Parisiens de déménager à Bordeaux
tout en continuant de travailler à Paris,
par exemple en étant en télétravail
et en y allant seulement un ou deux jours par semaine.
Mais la conséquence de cette évolution,
c'est que les prix de l'immobilier bordelais ont beaucoup augmenté.
D'autant plus que les Parisiens qui viennent s'y installer sont plutôt aisés,
ils ont de l'argent.
Résultat, aujourd'hui, Bordeaux est la cinquième ville la plus chère de France.
Et ça, évidemment, ça plaît pas aux Bordelais.
En province, on adore critiquer les Parisiens,
mais quand en plus ils font monter les prix des appartements et des maisons,
là, on les apprécie encore moins.
Donc après la construction de cette ligne TGV,
certains Bordelais se sont mis à faire des graffitis en écrivant
«Parisien, rentre chez toi»
un peu partout dans la ville.
Mais bon, j'ai entendu dire que la situation s'est un peu améliorée depuis,
que les Parisiens sont mieux accueillis aujourd'hui.
Mais je laisse les Bordelais confirmer ça ou non dans les commentaires.
Ce qui est intéressant, c'est que même avant l'arrivée des Parisiens,
Bordeaux avait déjà la réputation d'être une ville de «bourges».
et c'est péjoratif.
Apparemment, cette réputation remonte au XVIIIe siècle.
Je vous ai dit que Bordeaux était une ville riche à cette époque
grâce à son port et sa participation au commerce triangulaire,
autrement dit le commerce d'esclaves entre l'Europe, l'Afrique et les Etats- Unis.
Et oui à Bordeaux, on exportait pas que du vin.
Depuis cette époque et jusqu'à aujourd'hui
Bordeaux est resté une ville aisée.
Si on prend le revenu médian,
c'est la troisième grande ville la plus riche de France.
Mais quand on regarde de plus près,
c'est surtout dans les petites villes de la périphérie de Bordeaux,
les villes autour de Bordeaux,
qu'on trouve les plus forte concentration de richesses de la région,
notamment le Bouscat, Pessac et Mérignac.
Néanmoins, il faut pas croire que Bordeaux
est un eldorado de familles fortunées.
Le taux de pauvreté y est aussi plus élevé que la moyenne nationale.
Donc comme il y a plus de personnes aisées
et de personnes vivant dans la précarité,
mécaniquement, les inégalités sont plus élevées que dans le reste du pays
Justement, sur la scène politique bordelaise,
il y a deux hommes qui illustrent parfaitement ces inégalités :
Alain Juppé et Philippe Poutou.
Alain Juppé, c'est une des figures les plus connues de la droite française.
Il a été président du principal parti de droite plusieurs fois,
Premier ministre de 1995 à 1997,
puis ministre de la Défense et ministre des Affaires étrangères
quand Nicolas Sarkozy était président.
Mais les Bordelais le connaissent surtout parce qu'il a été
quatre fois maire de leur ville, de 1995 à 2004 puis de 2006 à 2019.
Et beaucoup considèrent que c'est lui qui a «réveillé la belle endormie».
Je vous ai dit que c'était un des surnoms de Bordeaux à cause de sa beauté,
mais aussi parce que dans les années 80 il se passait pas grand-chose là-bas,
c'était pas une ville très dynamique.
Quand Alain Juppé est arrivé, il a lancé des grands projets
comme la restauration de la cathédrale Saint-André,
la création de nouvelles lignes de tramway,
l'aménagement des quais au bord de la Garonne,
le fleuve qui traverse Bordeaux.
Bref, il a redonné un certain dynamisme à la ville,
mais il l'a aussi rendue beaucoup plus chère
en attirant les touristes et les Parisiens,
ce qui fait qu'il n'est pas forcément apprécié par tous les Bordelais.
Sur l'échiquier politique, Philippe Poutou est à l'opposé d'Alain Juppé !
Il représente le NPA, le Nouveau Parti anticapitaliste,
un parti d'extrême gauche.
Il a été candidat aux élections présidentielles de 2012 et 2017,
et il se présente à nouveau cette année.
Il est connu pour son franc-parler, il ne fait pas de langue de bois.
«Faire de la langue de bois» c'est une expression qu'on utilise souvent
pour parler des politiciens.
Philippe Poutou il ne fait pas de langue de bois.
En 2020, il a été élu conseiller municipal à Bordeaux,
autrement dit à l'assemblée qui prend les décisions importantes pour la ville,
et il a déclaré :
Donc son élection prouve que, malgré le cliché,
les Bordelais ne sont pas tous des bourges.
Mais cette réputation bourgeoise, elle est aussi liée à la spécialité locale bordelaise.
Oui parce que le vin de Bordeaux, c'est un vin assez cher.
Certains grands crus bordelais comme le Pomerol ou le Château Margaux
se vendent à plusieurs milliers d'euros.
Mais le truc intéressant que j'ai découvert en préparant cette vidéo,
c'est que le vin de Bordeaux doit une grande partie de son succès aux Anglais !
Bien sûr, ça fait très longtemps qu'on produit du vin à Bordeaux,
au moins depuis la fin du 1er siècle après Jésus-Christ,
quand la France était sous domination romaine.
Les conditions pour cultiver le raisin étaient déjà idéales à l'époque
donc il y avait quelques vignobles autour de Bordeaux.
Un vignoble, vous avez compris, c'est
Mais c'est vraiment à partir du XIIe siècle
que le vin de Bordeaux a commencé à se faire connaître,
quand l'Aquitaine, la région de Bordeaux,
est devenue une province anglaise
après le mariage d'Aliénor d'Aquitaine
et du nouveau roi d'Angleterre Henri Plantagenêt.
Les Bordelais se sont mis à exporter massivement leurs vins vers l'Angleterre.
On estime qu'environ 85% de la production de vins bordelais
était destinée à l'exportation,
ce qui a permis de le faire connaître dans toute l'Europe.
Mais c'est pas tout !
Les Anglais ont aussi favorisé les vignerons bordelais
en créant « le privilège de Bordeaux ».
C'était une loi qui interdisait de vendre à Bordeaux d'autres vins
que ceux produits localement avant le 25 décembre.
Et comme le vin ne se conservait pas longtemps à cette époque,
les producteurs bordelais avaient de facto un monopole garanti par la loi.
Ça leur a donné un énorme avantage face aux autres vins du sud-ouest,
d'autant plus que Bordeaux a conservé ce privilège
quand elle est repassée sous l'autorité du roi de France
et jusqu'au milieu du XVIIIe siècle.
Autrement dit, ça fait plus de cinq siècles avec ce privilège.
Donc grâce à cette loi et au commerce triangulaire,
Bordeaux s'est beaucoup enrichie pendant cette période.
Mais tous les vins de Bordeaux ne sont pas des grands crus.
On trouve aussi des bouteilles qui coûtent une dizaine d'euros environ.
Donc derrière le terme «Bordeaux», il existe des vins très différents.
Malheureusement pour les vignerons bordelais,
depuis une dizaine d'années, leurs vins ont moins la cote auprès des Français.
Le vin de Bordeaux ne fait plus autant rêver qu'avant
peut-être parce qu'on en a trop bu et que maintenant il est un peu démodé.
Mais aussi parce qu'il subit la concurrence d'autres régions
qui proposent de très bons vins à des prix plus abordables.
Par contre, il y a une autre grande spécialité bordelaise
que les Français adorent toujours autant : le cannelé.
C'est un petit gâteau mou, parfumé au rhum et à la vanille
avec une croûte caramélisée.
C'est un gâteau délicieux, mais il a une histoire assez sombre
Là encore, c'est lié au commerce triangulaire.
Au XVIème siècle,
les Européens échangeaient des produits bon marché en Afrique
contre des esclaves qu'ils vendaient ensuite en Amérique
pour acheter des produits locaux : du café, du cacao, du rhum et de la canne à sucre.
Comme Bordeaux était un des principaux ports français
pour le commerce triangulaire
c'était facile d'acheter du sucre et du rhum pour faire des cannelés.
Le nom « canelé », il fait référence à la forme de ce gâteau
parce qu'en architecture, une cannelure,
c'est une forme en creux à l'intérieur d'un objet,