Les MacGyver de l'Histoire - Ecole des Chartes
Mes chers camarades bien le bonjour !
Peut-être avez-vous déjà été épaté par la capacité de votre pharmacien à décrypter l'écriture si particulière de votre médecin.
Parce que moi oui...perso quand je lis le papier je suis pas foutu de dire quelle lettre correspond à quoi.
Alors imaginez un peu, quand, au début du XIXe siècle, on met la main sur une quantité astronomique de documents datant du Moyen âge
qu'il faut déchiffrer, comprendre, trier et archiver
Un chantier absolument titanesque mais très utile pour tout un tas de raisons, qu'on va détailler plus tard
Ce qui est sûr en tout cas, c'est que pour traiter ces documents il faut des gens qualifiés,
qui ont été formés à un haut niveau pour les étudier.
Et pour ça, on crée une école, l'école des Chartes qui est toujours dans la place en 2021 et qui fête même ses 200 ans !
Et pour tous ceux qui s'intéressent à l'Histoire de prêt ou de loin, ouvrez bien vos oreilles
parce que si quand j'étais plus jeune j'avais eu connaissance de cette école,
j'aurais tout fait pour y rentrer !
En 1789, la révolution éclate. On ne pas refaire ici l'Histoire de cet épisode
particulièrement important de l'Histoire française mais cela implique plusieurs choses dont
la confiscation des biens et des domaines de l'Église, de la couronne et d'une partie de la noblesse.
Par exemple, un château qui appartenait à un noble peut être confisqué par le nouvel État républicain à la tête du pays
Il devient alors un “bien national” et parfois il peut même être revendu
pour se faire de l'argent et renflouer les caisses de l'État.
Surtout que des sous, il en faut pour combler les trous dans les finances causés par la révolution
et préparer le pécule pour la guerre avec les autres puissances européennes. Parce que oui,
je vous rappelle que la révolution c'est bien beau, mais après faut assurer
quand tous les rois du coin vous tombent sur la figure pour remettre un pote sur le trône. Bref !
Avec ses confiscations, l'Etat met également la main sur tout un tas de documents
qui appartenaient à l'Eglise comme des documents administratifs, des bulles pontificales, des manuscrits, etc
Problème, si on devient propriétaire de ces archives, on prend tout le package,
c'est-à-dire que l'Etat doit pouvoir gérer ses archives sans l'aide de l'église
et donc avoir des gens compétents pour le faire.
Facile vous me direz ! On fait ça très bien aujourd'hui : trier les documents, les mettre dans des petites boîtes,
les ressortir quand il faut...Ouais...
Alors d'une part je ne suis pas sûr que ce soit aujourd'hui une chose si facile que ça
et d'autre part il faut bien avoir à l'esprit que la plupart de ces documents récupérés par l'Etat sont manuscrits
c'est-à-dire écrits à la main. Autant vous dire que si Jean-Paul a une belle écriture,
peut-être que son copain de chambré, Robert, écrivait comme un pied.
Et peut-être que le document de Robert avait plus de valeur, dans son texte et sa signification, que celui de Jean-Paul.
Vous voyez où je veux en venir ? Il faut pouvoir déchiffrer tout ça, et ça ne s'improvise pas !
D'autant plus que ces écrits sont parfois très anciens, dans des langues ou des dialectes
qu'on ne maîtrise plus forcément. Dans chaque département,
ça semble donc utile d'avoir une sorte de McGiver de l'archive qui puisse identifier, déchiffrer et retrouver un document dont on a besoin.
Et ça tombe bien, le contexte politique du début du XIXe siècle
va créer de bonnes conditions pour la création d'une école qui va pouvoir former ces gens là.
En 22 février 1821, Louis XVIII créé donc par ordonnance l'Ecole des Chartes.
Le but, pouvoir s'occuper à terme des archives et des manuscrits anciens
afin de transmettre le savoir mais aussi de le valoriser.
Sa première promotion est composée d'une douzaine d'élèves qui sont directement choisis
par le ministre de l'intérieur de l'époque afin d'entamer un cursus de deux ans
Et cerise sur le gâteau, ces étudiants sont payés pour les travaux qu'ils vont accomplir.
ça peut paraître ouf et pourtant c'est toujours le cas prêt de deux siècles plus tard
les étudiants de l'école des Chartes sont considérés comme des fonctionnaires
et donc, ils ont un salaire !
Le tableau peut sembler un peu trop parfait et à vrai dire, tout ne l'est pas car cette première promotion est un échec cuisant.
Le problème principal ? On a bien formé les gens mais il n'y a strictement aucun poste dédié derrière dans les institutions.
On a donc un joli diplôme qui ne sert pas à grand-chose si ce n'est à montrer qu'on sait pas mal de trucs.
Mais en connaître un rayon, ça remplit pas l'assiette, faut bien le dire !
Bref, l'école est au point mort et il faut attendre 1829, 6 ans après la sortie de la première promotion,
pour qu'on ouvre l'école à tous ceux qui ont obtenu leur bac.
Et oui, l'épreuve du bac, ça existe depuis 1808,
même si évidemment ça n'était pas exactement la même chose qu'aujourd'hui.
En tout cas on accepte tout le monde mais une sélection se fait à l'issue de la première année,
au terme de laquelle quelques élèves sont sélectionnés sur concours
pour continuer un cursus de deux ans au coeur de la bibliothèque royale avec comme promesse d'avoir un poste
réservé au sein de l'administration dans des centres d'archives ou des bibliothèques.
A partir de 1829, on commence donc à voir de plus en plus de gens compétents
pour trier toutes les archives qui se sont entassés durant des siècles,
pour les organiser mais aussi pour étudier la langue, la littérature
et forcément valoriser cette histoire pour mettre en valeur, ça va de soi, le pouvoir.
Et pour ça on ne lésine pas du tout ! Ce qui fait la spécificité de l'école des Chartes depuis le début,
et ça continue encore aujourd'hui, c'est qu'on apprend ici plein de disciplines
qui dans des cursus plus conventionnels ne se rencontrent pas ou peu.
On va donc étudier la philologie, c'est à dire l'étude de l'histoire de la langue, mais aussi l'archéologie que vous connaissez,
l'Histoire du droit, la géographie historique, la diplomatique, autrement dit l'art de vérifier l'authenticité de certains documents
et bien évidemment la paléographie, qui permet de déchiffrer tant bien que mal ce qui est écrit sur les documents.
Et pour le coup, c'est pas aussi simple qu'il n'y paraît regardez !
Ici j'ai un fac-similé du 14e siècle, sur un texte du 13e siècle
De Saint Thomas d'Aquin. Un fac-similé est une reproduction
Sur lesquels les élèves peuvent travailler pour apprendre, et clairement...
Je comprend pas grand chose...
Je parviens à identifier certaines lettres
Quand j'essaye de lire, ça n'a strictement aucun sens même si je ne parle pas le latin couramment
Charabia indescriptible...
si vous avez compris quelque chose N'hésitez pas à le laisser en commentaires SVP
Parce que moi, je ne sais pas ! Je suis perdu, je crois que c'est un métier !
A partir de 1846, l'école des Chartes déménage aux archives du royaume, au sein de l'hôtel de Clisson.
Et c'est bien situé à Paris, et non dans la ville du Metal pour ceux qui se le demandent.
Désormais, chaque élève doit passer un concours pour rentrer dans le cursus et soutenir une thèse
sur un domaine de recherche très précis, qui donne alors un diplôme d'archiviste paléographe.
Dès cette époque, l'école devient une véritable fabrique d'historiens
qui peuvent trouver des postes un peu partout ! Avec un enseignement à la pointe de ce qui peut se faire,
elle produit de nombreux conservateurs et hauts fonctionnaires aujourd'hui encore.
Et c'est ça qui est hyper intéressant avec cette école et que j'avais envie de vous faire découvrir.
Parce qu'en 2021 elle fête ses 200 ans, c'est pas rien !
Mais quand j'entends qu'une institution fête ses 200 ans perso je ne sais pas vous
mais je suis autant impressionné par la longévité de son activité que je suis sceptique sur sa capacité à être à la pointe.
Les vieilles institutions, on a souvent tendance à dire qu'elles sont ancrées dans des traditions et que c'est compliqué d'y faire bouger les choses !
Et pourtant, c'est parce que l'école des Chartes a su s'adapter et ne pas louper les évolutions de la société,
notamment les innovations technologiques, qu'elle est aujourd'hui encore
considérée comme une des meilleures écoles d'Histoire du monde.
Déjà au XIXe siècle, l'école est par exemple à l'origine d'une technique pour fabriquer des fac-similés de qualité.
C'est-à-dire des copies de manuscrits qui vont permettre à d'autres de les étudier.
Et pour ça, ils utilisaient la gravure sur plaque métal. Au sein de l'école, on peut d'ailleurs voir une très belle collection
de fac-similés et de plaques métal avec une tablette de “brouillon” qui date du 19ème siècle, en cire.
Alors une tablette brouillon ça vous parle peut être pas mais si je vous explique comme ça marche
c'est tout bête mais c'est du génie
C'est une sorte de bloc de cire sur lequel
la personne chargée de tenir des listes de courses pour
faire des achats pour la cuisine du roi pouvait graver cette cire puis la faire fondre pour la réutiliser. Plutôt malin hein ?
Cette envie d'être toujours à la pointe et de tester de nouvelles technologies qui vont permettre de partager le savoir,
elle est toujours au cœur des objectifs de l'Ecole des Chartes et c'est pourquoi depuis plusieurs années
elle développe avec ses étudiants des projets absolument fous autour de ce qu'on appelle les humanités numériques :
c'est à dire des domaines de recherches qui mélangent à la fois des sciences humaines
comme l'Histoire ou la littérature avec...de l'informatique !
Et j'aimerai vous en présenter deux pour que vous puissiez voir
vraiment l'intérêt et le potentiel incroyable que ça peut avoir.
En 2021, l'école a par exemple développé une application mobile qui permet,
en scannant un document avec son téléphone, de pouvoir le dater à partir du filigrane qui se trouve dans sa feuille de papier.
C'est le projet “Filigranes” qui permet, par exemple, de dater un document du XIVe siècle en quelques secondes !
C'est déjà fou mais la réelle puissance d'une telle application est qu'en plus de ça, les algorithmes utilisés sont participatifs.
Pour être clair, chaque institution, chaque utilisateur de l'application,
peut scanner des documents qui se retrouvent ensuite dans des bases informatiques.
L'application se sert alors de cette base collaborative pour récupérer des informations, les traiter et apprendre de lui-même.
Résultat : on peut détecter beaucoup plus efficacement et avec beaucoup plus de précisions des informations sur des documents.
Là on est vraiment sur un truc qui perso me tient à cœur, c'est partager l'histoire au plus grand nombre
et aider la société dans son ensemble à avoir accès plus facilement à des ressources, c'est quand même génial !
Mais la mission de l'école, ça peut aussi être de pouvoir développer des outils pour perfectionner la recherche
t tenter d'apporter des réponses à des questions sur lesquelles les historiens se battent depuis pas mal de temps !
Un autre des projets développés récemment est celui de l'étude du style d'écriture d'un auteur
et notamment celui de Molière. Il y a quelques temps, une controverse a éclaté sur le fait que ce n'est pas Molière qui a écrit 100% de ses textes,
et que Corneille en serait à l'origine pour une bonne partie. Une théorie développée par un romancier français au début du XXe siècle
et qui a fait couler beaucoup d'encre au début des années 2000.
Il y a eu tout un tas d'articles et beaucoup de spécialistes se sont étripés sur cette question.
Alors oui, vous pouvez vous dire : en 2021 on s'en fou un peu de savoir qui l'a écrit, est ce que c'est vraiment important ?
La question est légitime. Mais pour le coup, se pencher sur cette questions, c'est étudier des documents
et tenter de les faire parler avec des méthodes qui pourraient bien servir pour tout un tas d'autres documents très précieux.
Un chercheur de l'école des Chartes, Jean-Baptiste Camps, accompagné de Florian Cafiero, chercheur au CNRS,
ont travaillé sur les études stylistiques des textes de Molière pour prouver qu'il avait bien écrit l'intégralité de ses textes.
Ils ont passé à la moulinette de l'informatique et de la statistique tout un tas de textes
avec plein de critères sur le vocabulaire, le style, et plein d'autres trucs que je ne vais pas détailler ici.
Résultat : il y a de très grandes chances que ces textes aient été exclusivement écrits par Molière lui-même ! Cool non ?
J'aimerai qu'on s'arrête deux secondes dans ce reportage pour parler de moi. Vous savez que j'adore ça, je suis Youtuber,
c'est un peu le fond de mon métier d'aimer parler de moi... Bref. Pour être plus sérieux,
si j'ai accepté de faire ce reportage sur l'Ecole des Chartes, c'est parce que sincèrement je trouve que la démarche de l'école est vraiment top.
Je veux pas vous la jouer caliméro mais vraiment j'aurai adoré faire une école comme ça plus jeune. Malheureusement, je ne savais pas que ça existait, et à l'époque
je me serais surement dit que ça n'aurait pas été accessible pour un gars comme quoi qui sortait d'un lycée à Montreuil dans le 93,
même si clairement, j'aurai eu tort. Et parce qu'aujourd'hui on dit trop souvent que faire des études autour de l'Histoire
C'est devenir à tous les coups prof, ce qui n'a absolument rien de déshonorable au passage
je me suis dis que vous seriez intéressé de voir qu'il peut y avoir d'autres débouchés possibles
à travers un cursus qui est quand même hyper riche et accessible à tous.
Et oui, parce que cette école, on peut y entrer de deux manières. Il y a d'un côté les étudiants en masters,
qui dépendent de l'université avec le même prix qu'une inscription ailleurs dans une autre fac.
Et de l'autre il y a la formation de l'école, les élèves, qui eux sont admis sur concours et qui deviennent des fonctionnaires
qui sont payés pour faire des recherches et passer leur diplôme en même temps.
Alors attention, ça ne veut pas dire que tout le monde peut le faire parce que le concours est quand même costaud
et qu'il faut bien bosser avant pour avoir une chance d'y rentrer mais c'est gratuit et il y a même 30% d'élèves qui sont
boursier au sein de l'établissement ce qui est suffisamment rare pour être souligné
Et ce cursus, on peut le suivre dans un lieu d'exception avec des conditions de travail vraiment incroyables.
Il y a quelques années encore, l'école était située à la Sorbonne, mais depuis 2015, c'est un bâtiment Art Déco
juste en face de la Bibliothèque nationale de France qui l'accueille. Un lieu absolument magnifique
La bibliothèque de l'École, elle, est juste en face, bien abritée dans le quadrilatère Richelieu,
bâtiment appartenant à la BnF avec une aile réservée à la bibliothèque des chartes
La collection de livres à disposition est absolument colossale, ils sont en libre accès
et les étudiants peuvent aller fouiller dans des vieux livres, tout seuls. Ce qui là aussi est suffisamment rare pour être souligné
Bien évidemment il y a tout de même quelques ouvrages sous clés car trop fragiles et trop précieux pour être manipulés
mais ils restent accessibles sur demande. Au centre de l'impressionnante tour de la bibliothèque,
on y trouve par exemple un grand coffre qui renferme des gravures de plusieurs centaines d'années
Sur les murs de la pièce, on peut apercevoir le papier peint d'origine, d'une couleur rose
qui a été redécouvert il y a quelques années lors des travaux de restaurations.
Un rose qu'on appelle le “rose Labrouste”, du nom de l'architecte de la bibliothèque”. Non seulement on étudie l'Histoire mais
on la vit aussi dans un bâtiment qui est profondément lié à l'archive et aux livres
D'ailleurs les étudiants et les professeurs de l'école s'impliquent dans cette histoire de l'école et dans le hall principal
on peut voir un lustre un peu particulier recouvert d'inscriptions paléographiques
qui ont été réalisées par le prof de paléographie de l'école des chartes lui-même.
Pour résumer, l'école des Chartes c'est vraiment une école ouverte, je crois que c'est le mot qui revient le plus
quand je réfléchis à ce que j'ai pu apprendre durant la réalisation de ce reportage.
C'est une école qui vit avec son temps, qui n'hésite pas à aborder l'histoire avec la presse, le cinéma,
les jeux vidéo, l'informatique qui sait innover avec de nouvelles techniques,
qui est reconnue internationalement aussi : l'école a un partenariat avec l'université de Wuhan en Chine,
ils en ont développé en Afrique notamment au Sénégal et en Egypte, ils ont tout un réseau d'échange avec l'Europe !
Bref, une fois que tu es dans l'école, les taux de réussite sont très élevés et ça peut déboucher sur
sur un poste de conservateur de bibliothèque, de musée, de monuments ou autre, un poste de chercheur, d'enseignant, d'archiviste
ou encore de responsable de projets informatiques dans le patrimonial. C'est une école qui est exigeante mais
qui vous le rend bien en vous offrant pas mal d'opportunités. Pour info il y a 150 élèves et étudiants par an, 95% de ces derniers trouvent un job en sortant
et en plus de ses activités, l'école sort une trentaine d'ouvrages par an
ce qui est franchement un bon rythme d'édition. Et puis encore une fois, c'est accessible à tous et ça, c'est chouette !
Si vous voulez plus d'informations sur comment rentrer à l'école ou sur le Bicentenaire de l'école,
puisqu'il va y avoir plein d'événements organisés tout au long de l'année, je vous mets tout ça en description !
Merci à tous d'avoir suivi cet épisode, merci à l'école des Chartes pour m'avoir fait confiance,
c'est aussi une preuve d'ouverture de leur part qu'une institution aussi prestigieuse fasse appel à un vidéaste comme moi,
un peu comme le musée du Louvre l'avait fait en 2015 !
A très vite sur Nota Bene pour de nouveaux reportages. Ciao !