Les mérovingiens : les premiers rois du Moyen Âge ! (2)
la valeur de l'animal et les frais de poursuite.” On peut avoir des exemples concernant les chiens,
les taureaux, les abeilles ou encore les cerfs. On y réglemente aussi les vols de céréales,
de fruits et de légumes. On y apprend également que les esclaves étaient protégés :
Article I : “Quiconque aura enlevé un esclave,
mâle ou femme, et sera convaincu de ce crime, sera condamné à payer 1400 deniers,
ou 35 sous d'or, outre la valeur de l'esclave et les frais de poursuite”.
La somme de l'amende varie en fonction des savoir-faire de l'esclave. Le montant sera
par exemple plus élevé pour celui qui travaille à la mise en forme des métaux,
qui est un métier important dans les sociétés du haut Moyen ge.
Et attention, il est très coûteux de s'en prendre à quelqu'un placé sous la protection du roi :
Article V : “Si la jeune fille enlevée avait été placé sous la protection spéciale du roi,
le ravisseur sera obligé de payer, à titre de Fred, 2500 deniers, ou 62 sous d'or et demi.”
Je le précise, un Fred sans ce cas là, c'est une somme que l'on doit,
pas un présentateur de C'est par Sorcier. Alors je vous disais que cette loi salique
était importante pour l'affirmation de l'identité des francs. Et ça se confirme clairement par
certains articles qui s'appliquent aux francs et d'autres aux gallo-romains.
L'Article II nous dit : “Si un romain a dévalisé un Franc,
il sera condamné à payer 2500 deniers, ou 62 sous d'or et demi.”
L'Article III rajoute : “Si un Franc a dévalisé un Romain,
il sera condamné à payer 1200 deniers, ou 30 sous d'or.”
On voit tout de suite à qui va la préférence de Clovis.Chez les Francs de l'époque mérovingienne,
en bon peuple guerrier, on se définit donc par son affiliation ethnique et on
s'impose avec les armes qui accompagnent l'individu jusque dans sa sépulture.
Il y a toutefois une petite différence géographique. Au sud de la Loire,
les pratiques d'inhumation sont encore fortement romanisées : les sépultures ont livré très peu
d'armement pour cette période, au contraire des nécropoles situées au nord de la Loire.
Les épées ont sans doute pris une place centrale dans certains rituels,
qu'on connaît mal, faute de sources. Par exemple, le roi franc a une garde privée,
la trustis, formée des antrustions. Ces guerriers ont prêté serment devant
témoins auprès du roi dans un rite qui les mettait en scène avec leur épée.
C'est en tout cas ce que nous dit un texte du VIIe siècle, même si on ignore le déroulement
effectif de ce rituel de fidélité. Ca nous fait une belle jambe donc...
Des chercheurs ont proposé l'hypothèse que durant ce rite, le roi remettait à
ses antrustions un anneau qu'ils faisaient ensuite fixer à leur pommeau d'épée par un
forgeron. Un des textes juridiques mérovingiens les plus connus est le formulaire de Marculf et
il ne fait aucune mention de cette pratique, les chercheurs s'appuient sur les épées dotées
de pommeaux à anneaux qui ont été mises au jour en Gaule, dans les îles britanniques,
en Scandinavie, ou encore en Allemagne. Ces anneaux pourraient exprimer le statut
privilégié des guerriers du roi, mais également les gens d'armes des seigneurs,
en symbolisant leurs faits d'armes et en les distinguant des autres dans ces
sociétés où la compétition pour la puissance est extrêmement important.
C'est à l'épée que ces anneaux seraient fixés, en tant que symboles de la puissance du guerrier.
Certains ont également avancé que cet anneau avait un but fonctionnel (comme
accrocher un élément), ou encore des vertus magiques pour les propriétaires des objets.
On a donc affaire à des Francs organisés, assez loin de l'image chaotique qu'on a pu en avoir.
Leur système de représentation social est bien rodé, et leur a permis de s'imposer
peu à peu en tant que peuple unifié en Gaule. Un autre aspect important de l'organisation
sociale des francs est l'organisation de la famille. Cette famille laïque se
définit par des liens et des groupements, qui ne sont pas seulement régis par les liens de
sang. Il existe des liens générationnels au sens large qui intègrent beaux-frères,
belles-sœurs, les adoptions, les enfants des épouses, des concubines...
Bref c'est assez large et c'est important de le souligner. Le lien social définissant la parenté,
les amitiés et les fidélités, il est essentiel durant le haut Moyen
ge puisqu'il assure le pouvoir, la sécurité des groupes et surtout celle des individus.
Le mariage est un outil stratégique pour les élites, afin de se rapprocher
d'un autre groupe familial, voire d'un autre groupe ethnique. Clovis épouse par
exemple une princesse burgonde, Clothilde, et s'assure ainsi une alliance avec sa famille.
Et plus une famille possède de richesses, plus elle est puissante. Une compétition
féroce entre les élites vise donc à acquérir de nouvelles richesses, à les accumuler voir à en
donner. Et pour obtenir de nouvelles richesses, on peut en fabriquer, en recevoir par des dons,
en prélever sur son peuple voir aller les chercher directement chez le voisin.
Lorsque deux partis s'unissent, des stratégies sont mises en place et on
observe l'importance des biens précieux et de la forte mobilité des élites sur le territoire,
avec qui ces objets vont voyager. Et tout ça nous a permis de mieux comprendre les pratiques
qui consistaient à déposer ces richesses dans les sépultures. Et oui, car nous ne pouvons pas faire
un tour d'horizon de l'époque mérovingienne sans aborder la question des funérailles.
Jusqu'au XXe siècle, les seuls vestiges de cette période que l'on arrivait à
identifier étaient les sépultures. L'habitat passait inaperçu pour diverses raisons,
dont le fait qu'il était assez dispersé sur le territoire et qu'il s'agissait la
plupart du temps de structures en matériaux périssables comme du bois, de la terre etc.
Des traces qui peuvent passer totalement inaperçues quand
on cherche seulement des structures en pierre !
Les « mérovingiens » (mais vous l'avez compris maintenant, on parle plutôt des francs ou juste
de la période du haut Moyen ge), sont connus essentiellement pour les trésors d'orfèvrerie
que l'on a retrouvé dans leurs sépultures. On a longtemps cru qu'ils inhumaient leurs morts
dans leurs plus beaux habits, accompagnés des objets auxquels ils tenaient le plus.
La recherche récente en archéologie prouve que les funérailles étaient au contraire
une véritable mise en scène du mort, destinée évidemment en premier lieu à ce que la famille
puisse débuter son deuil. Mais maintenant nous savons également que les funérailles
étaient un lieu de rencontre, un lieu où l'on pouvait afficher sa richesse,
son statut social voire son métier et ce pourquoi on était reconnu dans la communauté.
Et oui, la manipulation de la mémoire, du mythe familial,
ça fait parti de l'arsenal que peuvent déployer les élites pour affirmer leur
pouvoir. On cultive le souvenir et on efface ce que l'on veut faire tomber dans l'oubli.
Et bien évidemment, on a compris que certains objets transmis, comme des épées par exemple
pouvaient cristalliser le souvenir. On transmet, on arrange ou on réinvente l'histoire de ces
objets en créant une généalogie, quasi mythique, avec une figure du passé,
parfois très ancienne, peut-être un peu floue ou en évoquant seulement les anciens,
pour justifier sa position ou en revendiquer une. Car les objets, comme d'ailleurs les sépultures
et les lieux, sont des sources potentielles d'informations sur la famille qui les possédait.
Je parlais de ce concept dans l'épisode sur les épées légendaires justement,
c'est exactement la même chose ! Pour montrer que tu es un beau gosse qui pèse dans le game,
rien ne vaut de montrer l'épée de grand papy qui a démonté un
bataillon entier en la faisant tournoyer au dessus de sa tête.
En revanche, on a longtemps cru que les objets pouvaient nous renseigner
sur l'identité ethnique des défunts. Mais on se rend vite compte qu'entre les alliances,
les mariages ou encore les rituels de fidélité, les objets pouvaient circuler et se retrouver
loin de leur lieu de création. Lorsque les objets sont découverts dans des tombes,
on peut donc plutôt les voir comme une sorte de fiche d'identification que les défunts,
ou la famille du défunt, voulaient que l'on trouve. Peu importe si cette identité et
toutes les valeurs qui en découlent sont vraies ou pas, on est là face à une auto-représentation.
Un peu comme si moi, Benjamin Brillaud, je me faisais enterrer avec des bagouzes en or
aux doigts, un veston en soie et des chéquiers qui débordent des poches pour me faire passer
pour un type qui avait beaucoup d'argent et de pouvoir durant mon vivant... Alors
que tout le monde sait que j'aime porter des sweats à capuche hein, mais dans l'hypothèse
où des gens se pencheraient sur ma tombe, ça peut donner plus de crédit à ma famille ou
au souvenir que je veux laisser de moi. Si c'est l'image que je veux transmettre bien
sûr..ce qui n'est pas le cas...perso je me ferai enterrer avec un gros pc et un triple screen.
Alors bien évidemment, faut pas tout surinterpréter non plus,
un enterrement reste un enterrement et un objet laissé dans une tombe peut très bien l'être
pour des raisons sentimentales et pas pour des raisons symboliques de propagande post-mortem !
Durant le haut Moyen ge, les sociétés se sont donc structurées grâce à des groupements d'individus
dont le pouvoir reposait essentiellement sur la possession de la terre et les charges publiques.
A cette période, on n'avait pas une royauté telle que celle de l'époque moderne, où tout repose sur
le roi qui protège en retour tout le monde, en s'inscrivant dans une hiérarchie verticale assez
stricte. Non, même si le roi est l'autorité, les aristocrates ont des pouvoirs sur les
terres et les hommes. Ici, les liens horizontaux entre les individus structurent les sociétés,
d'où l'importance des contrats d'alliance, des échanges et de la compétition entre les
groupes à n'importe quelle occasion. Car les plus riches propriétaires, les aristocrates,
étaient appelés au palais par le roi et s'y voyaient confier des missions de justice,
d'administration et de prélèvements fiscaux. Ce palais, l'endroit qui fait donc le lien
entre l'autorité du roi et les aristocrates, va devenir sous les mérovingiens une place
politique centrale. On comprend donc pourquoi rapidement le “ trône” du maire du palais devient
une fonction très convoitée, puisqu'elle assure un pouvoir important à son occupant
qui devient de fait le major domus, le n°1 de la maison. C'est d'ailleurs grâce à cette fonction
qu'une nouvelle dynastie va peu à peu s'imposer, vous les avez reconnu : ce sont les pippinides.
Et voilà les amis. Certes on a pas autant de sources écrites sur le Haut Moyen ge que sur le
reste de la période médiévale, mais vous voyez, en creusant un peu les sources à disposition,
notamment grâce à l'archéologie, on en apprend quand même un peu !
J'espère que cet épisode sur les mérovingiens vous aura plu, n'hésitez pas le partager si
c'est le cas, ça fait vraiment plaisir ! Merci à Julie Renou, docteure spécialisé sur le Haut
Moyen ge et plus particulièrement sur la question du mobilier métallique, pour la préparation de
cette émission. On se retrouve très vite pour de nouvelles aventures sur Nota Bene, ciao !