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Adolphe, Benjamin Constant, CHAPITRE III

CHAPITRE III

Je passai la nuit sans dormir. Il n'était plus question dans mon âme ni de calculs ni de projets ; je me sentais, de la meilleure foi du monde, véritablement amoureux. Ce n'était plus l'espoir du succès qui me faisait agir : le besoin de voir celle que j'aimais, de jouir de sa présence, me dominait exclusivement. Onze heures sonnèrent, je me rendis auprès d'Ellénore ; elle m'attendait. Elle voulut parler : je lui demandai de m'écouter. Je m'assis auprès d'elle, car je pouvais à peine me soutenir, et je continuai en ces termes, non sans être obligé de m'interrompre souvent : Je ne viens point réclamer contre la sentence que vous avez prononcée ; je ne viens point rétracter un aveu qui a pu vous offenser ; je le voudrais en vain. Cet amour que vous repoussez est indestructible : l'effort même que je fais dans ce moment pour vous parler avec un peu de calme est une preuve de la violence d'un sentiment qui vous blesse. Mais ce n'est plus pour vous en entretenir que je vous ai priée de m'entendre ; c'est au contraire pour vous demander de l'oublier, de me recevoir comme autrefois, d'écarter le souvenir d'un instant de délire, de ne pas me punir de ce que vous savez un secret que j'aurais dû renfermer au fond de mon âme. Vous connaissez ma situation, ce caractère qu'on dit bizarre et sauvage, ce cœur étranger à tous les intérêts du monde, solitaire au milieu des hommes, et qui souffre pourtant de l'isolement auquel il est condamné. Votre amitié me soutenait : sans cette amitié je ne puis vivre. J'ai pris l'habitude de vous voir ; vous avez laissé naître et se former cette douce habitude : qu'ai-je fait pour perdre cette unique consolation d'une existence si triste et si sombre ? Je suis horriblement malheureux ; je n'ai plus le courage de supporter un si long malheur ; je n'espère rien, je ne demande rien, je ne veux que vous voir ; mais je dois vous voir s'il faut que je vive. Ellénore gardait le silence. Que craignez-vous ? repris-je. Qu'est-ce que j'exige ? Ce que vous accordez à tous les indifférents. Est-ce le monde que vous redoutez ? Ce monde, absorbé dans ses frivolités solennelles, ne lira pas dans un cœur tel que le mien. Comment ne serais-je pas prudent ? n'y va-t-il pas de ma vie ? Ellénore, rendez-vous à ma prière : vous y trouverez quelque douceur. Il y aura pour vous quelque charme à être aimée ainsi, à me voir auprès de vous, occupé de vous seule, n'existant que pour vous, vous devant toutes les sensations de bonheur dont je suis encore susceptible, arraché par votre présence à la souffrance et au désespoir. Je poursuivis longtemps de la sorte, levant toutes les objections, retournant de mille manières tous les raisonnements qui plaidaient en ma faveur. J'étais si soumis, si résigné, je demandais si peu de chose, j'aurais été si malheureux d'un refus ! Ellénore fut émue. Elle m'imposa plusieurs conditions. Elle ne consentit à me recevoir que rarement, au milieu d'une société nombreuse, avec l'engagement que je ne lui parlerais jamais d'amour. Je promis ce qu'elle voulut. Nous étions contents tous les deux : moi, d'avoir reconquis le bien que j'avais été menacé de perdre ; Ellénore, de se trouver à la fois généreuse, sensible et prudente. Je profitai dès le lendemain de la permission que j'avais obtenue ; je continuai de même les jours suivants. Ellénore ne songea plus à la nécessité que mes visites fussent peu fréquentes : bientôt rien ne lui parut plus simple que de me voir tous les jours. Dix ans de fidélité avaient inspiré à M. de P* une confiance entière ; il laissait à Ellénore la plus grande liberté. Comme il avait eu à lutter contre l'opinion qui voulait exclure sa maîtresse du monde où il était appelé à vivre, il aimait à voir s'augmenter la société d'Ellénore ; sa maison remplie constatait à ses yeux son propre triomphe sur l'opinion. Lorsque j'arrivais, j'apercevais dans les regards d'Ellénore une expression de plaisir. Quand elle s'amusait dans la conversation, ses yeux se tournaient naturellement vers moi. L'on ne racontait rien d'intéressant qu'elle ne m'appelât pour l'entendre. Mais elle n'était jamais seule : des soirées entières se passaient sans que je pusse lui dire autre chose en particulier que quelques mots insignifiants ou interrompus. Je ne tardai pas à m'irriter de tant de contrainte. Je devins sombre, taciturne, inégal dans mon humeur, amer dans mes discours. Je me contenais à peine lorsqu'un autre que moi s'entretenait à part avec Ellénore ; j'interrompais brusquement ces entretiens. Il m'importait peu qu'on pût s'en offenser, et je n'étais pas toujours arrêté par la crainte de la compromettre. Elle se plaignit à moi de ce changement. Que voulez-vous ? lui dis-je avec impatience : vous croyez sans doute avoir fait beaucoup pour moi ; je suis forcé de vous dire que vous vous trompez. Je ne conçois rien à votre nouvelle manière d'être. Autrefois vous viviez retirée ; vous fuyiez une société fatigante ; vous évitiez ces éternelles conversations qui se prolongent précisément parce qu'elles ne devraient jamais commencer. Aujourd'hui votre porte est ouverte à la terre entière. On dirait qu'en vous demandant de me recevoir, j'ai obtenu pour tout l'univers la même faveur que pour moi. Je vous l'avoue, en vous voyant jadis si prudente, je ne m'attendais pas à vous trouver si frivole. Je démêlai dans les traits d'Ellénore une impression de mécontentement et de tristesse. Chère Ellénore, lui dis-je en me radoucissant tout à coup, ne mérité-je donc pas d'être distingué des mille importuns qui vous assiègent ? l'amitié n'a-t-elle pas ses secrets ? n'est-elle pas ombrageuse et timide au milieu du bruit et de la foule ? Ellénore craignait, en se montrant inflexible, de voir se renouveler des imprudences qui l'alarmaient pour elle et pour moi. L'idée de rompre n'approchait plus de son cœur : elle consentit à me recevoir quelquefois seule. Alors se modifièrent rapidement les règles sévères qu'elle m'avait prescrites. Elle me permit de lui peindre mon amour ; elle se familiarisa par degrés avec ce langage : bientôt elle m'avoua qu'elle m'aimait. Je passai quelques heures à ses pieds, me proclamant le plus heureux des hommes, lui prodiguant mille assurances de tendresse, de dévouement et de respect éternel. Elle me raconta ce qu'elle avait souffert en essayant de s'éloigner de moi ; que de fois elle avait espéré que je la découvrirais malgré ses efforts ; comment le moindre bruit qui frappait ses oreilles lui paraissait annoncer mon arrivée ; quel trouble, quelle joie, quelle crainte, elle avait ressentis en me revoyant ; par quelle défiance d'elle-même, pour concilier le penchant de son cœur avec la prudence, elle s'était livrée aux distractions du monde, et avait recherché la foule qu'elle fuyait auparavant. Je lui faisais répéter les plus petits détails, et cette histoire de quelques semaines nous semblait être celle d'une vie entière. L'amour supplée aux longs souvenirs, par une sorte de magie. Toutes les autres affections ont besoin du passé : l'amour crée, comme par enchantement, un passé dont il nous entoure. Il nous donne, pour ainsi dire, la conscience d'avoir vécu, durant des années, avec un être qui naguère nous était presque étranger. L'amour n'est qu'un point lumineux, et néanmoins il semble s'emparer du temps. Il y a peu de jours qu'il n'existait pas, bientôt il n'existera plus ; mais, tant qu'il existe, il répand sa clarté sur l'époque qui l'a précédé, comme sur celle qui doit le suivre. Ce calme pourtant dura peu. Ellénore était d'autant plus en garde contre sa faiblesse, qu'elle était poursuivie du souvenir de ses fautes : et mon imagination, mes désirs, une théorie de fatuité dont je ne m'apercevais pas moi-même, se révoltaient contre un tel amour. Toujours timide, souvent irrité, je me plaignais, je m'emportais, j'accablais Ellénore de reproches. Plus d'une fois elle forma le projet de briser un lien qui ne répandait sur sa vie que de l'inquiétude et du trouble ; plus d'une fois je l'apaisai par mes supplications, mes désaveux et mes pleurs. Ellénore, lui écrivais-je un jour, vous ne savez pas tout ce que je souffre. Près de vous, loin de vous, je suis également malheureux. Pendant les heures qui nous séparent, j'erre au hasard, courbé sous le fardeau d'une existence que je ne sais comment supporter. La société m'importune, la solitude m'accable. Ces indifférents qui m'observent, qui ne connaissent rien de ce qui m'occupe, qui me regardent avec une curiosité sans intérêt, avec un étonnement sans pitié, ces hommes qui osent me parler d'autre chose que de vous, portent dans mon sein une douleur mortelle. Je les fuis ; mais, seul, je cherche en vain un air qui pénètre dans ma poitrine oppressée. Je me précipite sur cette terre qui devrait s'entrouvrir pour m'engloutir à jamais ; je pose ma tête sur la pierre froide qui devrait calmer la fièvre ardente qui me dévore. Je me traîne vers cette colline d'où l'on aperçoit votre maison ; je reste là, les yeux fixés sur cette retraite que je n'habiterai jamais avec vous. Et si je vous avais rencontrée plus tôt, vous auriez pu être à moi ! j'aurais serré dans mes bras la seule créature que la nature ait formée pour mon cœur, pour ce cœur qui a tant souffert parce qu'il vous cherchait, et qu'il ne vous a trouvée que trop tard ! Lorsque enfin ces heures de délire sont passées, lorsque le moment arrive où je puis vous voir, je prends en tremblant la route de votre demeure. Je crains que tous ceux qui me rencontrent ne devinent les sentiments que je porte en moi ; je m'arrête ; je marche à pas lents : je retarde l'instant du bonheur, de ce bonheur que tout menace, que je me crois toujours sur le point de perdre ; bonheur imparfait et troublé, contre lequel conspirent peut-être à chaque minute et les événements funestes et les regards jaloux, et les caprices tyranniques et votre propre volonté ! Quand je touche au seuil de votre porte, quand je l'entr'ouvre, une nouvelle terreur me saisit : je m'avance comme un coupable, demandant grâce à tous les objets qui frappent ma vue, comme si tous étaient ennemis, comme si tous m'enviaient l'heure de félicité dont je vais encore jouir. Le moindre son m'effraie, le moindre mouvement autour de moi m'épouvante, le bruit même de mes pas me fait reculer. Tout près de vous je crains encore quelque obstacle qui se place soudain entre vous et moi. Enfin je vous vois, je vous vois et je respire, et je vous contemple et je m'arrête, comme le fugitif qui touche au sol protecteur qui doit le garantir de la mort. Mais alors même, lorsque tout mon être s'élance vers vous, lorsque j'aurais un tel besoin de me reposer de tant d'angoisses, de poser ma tête sur vos genoux, de donner un libre cours à mes larmes, il faut que je me contraigne avec violence, que même auprès de vous je vive encore d'une vie d'effort : pas un instant d'épanchement ! pas un instant d'abandon ! Vos regards m'observent. Vous êtes embarrassée, presque offensée de mon trouble. Je ne sais quelle gêne a succédé à ces heures délicieuses où du moins vous m'avouiez votre amour. Le temps s'enfuit, de nouveaux intérêts vous appellent : vous ne les oubliez jamais ; vous ne retardez jamais l'instant qui m'éloigne. Des étrangers viennent : il n'est plus permis de vous regarder ; je sens qu'il faut fuir pour me dérober aux soupçons qui m'environnent. Je vous quitte plus agité, plus déchiré, plus insensé qu'auparavant ; je vous quitte, et je retombe dans cet isolement effroyable, où je me débats, sans rencontrer un seul être sur lequel je puisse m'appuyer, me reposer un moment. Ellénore n'avait jamais été aimée de la sorte. M. de P* avait pour elle une affection très-vraie, beaucoup de reconnaissance pour son dévouement, beaucoup de respect pour son caractère ; mais il y avait toujours dans sa manière une nuance de supériorité sur une femme qui s'était donnée publiquement à lui sans qu'il l'eût épousée. Il aurait pu contracter des liens plus honorables, suivant l'opinion commune : il ne le lui disait point, il ne se le disait peut-être pas à lui-même ; mais ce qu'on ne dit pas n'en existe pas moins, et tout ce qui est se devine. Ellénore n'avait eu jusqu'alors aucune notion de ce sentiment passionné, de cette existence perdue dans la sienne, dont mes fureurs mêmes, mes injustices et mes reproches, n'étaient que des preuves plus irréfragables. Sa résistance avait exalté toutes mes sensations, toutes mes idées : je revenais à des emportements qui l'effrayaient, à une soumission, à une tendresse, à une vénération idolâtre. Je la considérais comme une créature céleste. Mon amour tenait du culte, et il avait pour elle d'autant plus de charme, qu'elle craignait sans cesse de se voir humiliée dans un sens opposé. Elle se donna enfin tout entière.

Malheur à l'homme qui, dans les premiers moments d'une liaison d'amour, ne croit pas que cette liaison doit être éternelle ! Malheur à qui, dans les bras de la maîtresse qu'il vient d'obtenir, conserve une funeste prescience, et prévoit qu'il pourra s'en détacher ! Une femme que son cœur entraîne a, dans cet instant, quelque chose de touchant et de sacré. Ce n'est pas le plaisir, ce n'est pas la nature, ce ne sont pas les sens qui sont corrupteurs ; ce sont les calculs auxquels la société nous accoutume, et les réflexions que l'expérience fait naître. J'aimai, je respectai mille fois plus Ellénore après qu'elle se fut donnée. Je marchais avec orgueil au milieu des hommes ; je promenais sur eux un regard dominateur. L'air que je respirais était à lui seul une jouissance. Je m'élançais au-devant de la nature, pour la remercier du bienfait inespéré, du bienfait immense qu'elle avait daigné m'accorder.

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CHAPITRE III KAPITEL III CHAPTER III

Je passai la nuit sans dormir. |провел|||| Yo|Pasé|la|noche|sin|sin dormir Il n'était plus question dans mon âme ni de calculs ni de projets ; je me sentais, de la meilleure foi du monde, véritablement amoureux. ||||||||||||||||||||||по-настоящему| |no era||cuestión||mi|alma||||||||||||mejor||||| Ce n'était plus l'espoir du succès qui me faisait agir : le besoin de voir celle que j'aimais, de jouir de sa présence, me dominait exclusivement. |||||||||действовать||||||||||||||владел|исключительно Теперь мною двигала не надежда на успех, а потребность видеть любимую женщину, наслаждаться ее присутствием, которая доминировала надо мной. Onze heures sonnèrent, je me rendis auprès d'Ellénore ; elle m'attendait. В одиннадцать часов я отправился к Эленор; она ждала меня. Elle voulut parler : je lui demandai de m'écouter. |||||||слушать меня |||||||listen to me Она хотела говорить: я попросил ее выслушать меня. Je m'assis auprès d'elle, car je pouvais à peine me soutenir, et je continuai en ces termes, non sans être obligé de m'interrompre souvent : |сел||||||||||||продолжал|||||||||перебивать себя| Я сел рядом с ней, так как сам едва мог держаться на ногах, и продолжил, не без частых перерывов: Je ne viens point réclamer contre la sentence que vous avez prononcée ; je ne viens point rétracter un aveu qui a pu vous offenser ; je le voudrais en vain. |||||||приговор|||||||||отменить||признание|||||обидеть|||||напрасно |||||||||||pronounced||||||||||||||||| Я пришел не для того, чтобы обжаловать вынесенный вами приговор, не для того, чтобы отказаться от признания, которое могло вас оскорбить; я хотел бы сделать это напрасно. Cet amour que vous repoussez est indestructible : l'effort même que je fais dans ce moment pour vous parler avec un peu de calme est une preuve de la violence d'un sentiment qui vous blesse. ||||||незащищимый|усилие||||||||||||||||||||||||||рани́т ||||||indestructible||||||||||||||||||||||||||| Эта любовь, которую вы отвергаете, неистребима: само мое усилие, которое я прилагаю в этот момент, чтобы говорить с вами немного спокойно, доказывает жестокость чувства, которое причиняет вам боль. Mais ce n'est plus pour vous en entretenir que je vous ai priée de m'entendre ; c'est au contraire pour vous demander de l'oublier, de me recevoir comme autrefois, d'écarter le souvenir d'un instant de délire, de ne pas me punir de ce que vous savez un secret que j'aurais dû renfermer au fond de mon âme. |||||||обсуждать|||||попросила||выслушать меня||||||||забыть это|||||||||||||||||наказать|||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||to dismiss||||||||||||||||||||||||||| But it's no longer to talk to you about it that I've asked you to hear me; on the contrary, it's to ask you to forget it, to receive me as you once did, to put aside the memory of a moment of delirium, not to punish me for knowing a secret that I should have kept deep in my soul. Но я просил вас выслушать меня не для того, чтобы поговорить об этом; напротив, я просил вас забыть об этом, принять меня, как когда-то, отбросить воспоминания о минутном бреде, не наказывать меня за то, что вы знаете тайну, которую я должен был хранить глубоко в душе. Vous connaissez ma situation, ce caractère qu'on dit bizarre et sauvage, ce cœur étranger à tous les intérêts du monde, solitaire au milieu des hommes, et qui souffre pourtant de l'isolement auquel il est condamné. ||||||||||дикой|||||||||||||||||||||||| Вы знаете мое положение, этот характер, о котором говорят, что он странный и дикий, это сердце, чуждое всем интересам мира, одинокое среди людей и страдающее от изоляции, на которую оно обречено. Votre amitié me soutenait : sans cette amitié je ne puis vivre. Ваша дружба поддерживала меня: без нее я не мог бы жить. J'ai pris l'habitude de vous voir ; vous avez laissé naître et se former cette douce habitude : qu'ai-je fait pour perdre cette unique consolation d'une existence si triste et si sombre ? Я привыкла видеть вас; вы позволили этой милой привычке родиться и сформироваться: что я сделала, чтобы лишиться этого единственного утешения в столь печальном и мрачном существовании? Je suis horriblement malheureux ; je n'ai plus le courage de supporter un si long malheur ; je n'espère rien, je ne demande rien, je ne veux que vous voir ; mais je dois vous voir s'il faut que je vive. Я ни на что не надеюсь, ничего не прошу, я только хочу увидеть вас; но я должен увидеть вас, если хочу жить. Ellénore gardait le silence. Эленор молчал. Que craignez-vous ? Чего вы боитесь? repris-je. Я продолжил. Qu'est-ce que j'exige ? |||я требую What is|||I require Чего я хочу? Ce que vous accordez à tous les indifférents. |||даёте||||равнодушные То, что вы дарите всем равнодушным. Est-ce le monde que vous redoutez ? ||||||боитесь Это тот мир, которого вы боитесь? Ce monde, absorbé dans ses frivolités solennelles, ne lira pas dans un cœur tel que le mien. |||||фривольности|соленны|||||||||| Этот мир, поглощенный своими торжественными фривольностями, не прочтет такого сердца, как мое. Comment ne serais-je pas prudent ? Как я мог не быть осторожным? n'y va-t-il pas de ma vie ? разве моя жизнь не поставлена на карту? Ellénore, rendez-vous à ma prière : vous y trouverez quelque douceur. |come||||||||| Эленора, приходите ко мне на молитву: там вы найдете немного сладости. Il y aura pour vous quelque charme à être aimée ainsi, à me voir auprès de vous, occupé de vous seule, n'existant que pour vous, vous devant toutes les sensations de bonheur dont je suis encore susceptible, arraché par votre présence à la souffrance et au désespoir. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||восприимчивый|вырванный||||||||| В том, что меня так любят, в том, что я с вами, занята только вами, существую только для вас, перед вами все ощущения счастья, к которым я еще восприимчива, вырванная вашим присутствием из страданий и отчаяния, есть своя прелесть для вас. Je poursuivis longtemps de la sorte, levant toutes les objections, retournant de mille manières tous les raisonnements qui plaidaient en ma faveur. |продолжал||||||||возражения|||||||||плели защиту||| Так продолжалось долгое время, я преодолевал все возражения и перевернул все аргументы в свою пользу. J'étais si soumis, si résigné, je demandais si peu de chose, j'aurais été si malheureux d'un refus ! ||||смирился|||||||||||| Я была так покорна, так смирилась, я просила так мало, я была бы так несчастна, если бы мне отказали! Ellénore fut émue. Эленор был тронут. Elle m'imposa plusieurs conditions. |наложила на меня|| Она поставила несколько условий. Elle ne consentit à me recevoir que rarement, au milieu d'une société nombreuse, avec l'engagement que je ne lui parlerais jamais d'amour. ||согласилась||||||||||||||||||| Она согласилась принимать меня лишь изредка, посреди большой компании, при условии, что я никогда не буду говорить с ней о любви. Je promis ce qu'elle voulut. Я обещал то, что она хотела. Nous étions contents tous les deux : moi, d'avoir reconquis le bien que j'avais été menacé de perdre ; Ellénore, de se trouver à la fois généreuse, sensible et prudente. Мы оба были счастливы: я - тем, что вернул себе собственность, которую мне угрожала опасность потерять; Эленора - тем, что оказалась одновременно щедрой, чувствительной и благоразумной. Je profitai dès le lendemain de la permission que j'avais obtenue ; je continuai de même les jours suivants. Уже на следующий день я воспользовался полученным разрешением и продолжал действовать в том же духе в течение нескольких дней. Ellénore ne songea plus à la nécessité que mes visites fussent peu fréquentes : bientôt rien ne lui parut plus simple que de me voir tous les jours. ||||||||||были||частые|||||||||||||| Эленор больше не считала, что мои визиты должны быть редкими: вскоре не осталось ничего проще, чем видеть меня каждый день. Dix ans de fidélité avaient inspiré à M. de P*** une confiance entière ; il laissait à Ellénore la plus grande liberté. Десять лет верности внушили господину де П* полное доверие; он позволил Эленор самую большую свободу. Comme il avait eu à lutter contre l'opinion qui voulait exclure sa maîtresse du monde où il était appelé à vivre, il aimait à voir s'augmenter la société d'Ellénore ; sa maison remplie constatait à ses yeux son propre triomphe sur l'opinion. ||||||||||исключить||||||||||||||||||||||подтверждала|||||||| Поскольку ему приходилось бороться с мнением, которое хотело исключить его любовницу из мира, в котором он был призван жить, ему нравилось видеть, как растет общество Эленоры; полный дом был в его глазах доказательством его собственного триумфа над мнением. Lorsque j'arrivais, j'apercevais dans les regards d'Ellénore une expression de plaisir. ||я замечал|||||||| Когда я приехал, в глазах Эленоры появилось выражение удовольствия. Quand elle s'amusait dans la conversation, ses yeux se tournaient naturellement vers moi. |||||||||поворачивались||| Когда она веселилась в разговоре, ее глаза, естественно, обращались ко мне. L'on ne racontait rien d'intéressant qu'elle ne m'appelât pour l'entendre. ||||интересного|||звонила мне|| Не было ничего интересного, что она не позвала бы меня послушать. Mais elle n'était jamais seule : des soirées entières se passaient sans que je pusse lui dire autre chose en particulier que quelques mots insignifiants ou interrompus. |||||||целые вечера||||||мог||||||||||||прерванных слов Но она никогда не оставалась одна: целые вечера проходили без того, чтобы я мог сказать ей хоть что-нибудь, кроме нескольких незначительных или прерванных слов. Je ne tardai pas à m'irriter de tant de contrainte. ||задержался|||раздражаться|||| Вскоре меня стало раздражать такое количество ограничений. Je devins sombre, taciturne, inégal dans mon humeur, amer dans mes discours. |||молчаливый|неравный||||горький||| Я стал мрачным, неразговорчивым, неровным и горьким в речи. Je me contenais à peine lorsqu'un autre que moi s'entretenait à part avec Ellénore ; j'interrompais brusquement ces entretiens. ||содержал|||||||разговаривал|||||||| Я с трудом сдерживал себя, когда кто-то, кроме меня, разговаривал с Эленорой отдельно; я внезапно прерывал эти разговоры. Il m'importait peu qu'on pût s'en offenser, et je n'étais pas toujours arrêté par la crainte de la compromettre. |мне было важно|||||обидеть|||||||||страх|||скомпрометировать Мне было все равно, если кто-то обижался, и меня не всегда сдерживал страх скомпрометировать ее. Elle se plaignit à moi de ce changement. Она пожаловалась мне на это изменение. Que voulez-vous ? Чего вы хотите? lui dis-je avec impatience : vous croyez sans doute avoir fait beaucoup pour moi ; je suis forcé de vous dire que vous vous trompez. Вы, наверное, думаете, что сделали для меня очень много, но я вынужден сказать, что вы ошибаетесь. Je ne conçois rien à votre nouvelle manière d'être. ||понимаю|||||| Я не понимаю твоего нового образа жизни. Autrefois vous viviez retirée ; vous fuyiez une société fatigante ; vous évitiez ces éternelles conversations qui se prolongent précisément parce qu'elles ne devraient jamais commencer. |||||избегали|||||избегали||||||затягиваются|||||должны|| Раньше вы жили в уединении, сторонились утомительного общества, избегали вечных разговоров, которые затягиваются именно потому, что их никогда не следует начинать. Aujourd'hui votre porte est ouverte à la terre entière. Сегодня ваша дверь открыта для всего мира. On dirait qu'en vous demandant de me recevoir, j'ai obtenu pour tout l'univers la même faveur que pour moi. ||||прошение|||||||||||||| Кажется, что, попросив вас принять меня, я добился для всей вселенной той же благосклонности, что и для себя. Je vous l'avoue, en vous voyant jadis si prudente, je ne m'attendais pas à vous trouver si frivole. ||признаю||||когда-то|||||||||||легкомысленной Должен признаться, когда я увидел вас таким осторожным, то не ожидал, что вы окажетесь таким легкомысленным. Je démêlai dans les traits d'Ellénore une impression de mécontentement et de tristesse. |распутал|||черты|||||||| |unraveled||the||||||||| В чертах лица Эленора я уловил отпечаток недовольства и грусти. Chère Ellénore, lui dis-je en me radoucissant tout à coup, ne mérité-je donc pas d'être distingué des mille importuns qui vous assiègent ? |||||||умиротворяясь||||||||||выдающийся|||посторонние|||досаждают Моя дорогая Эленора, - сказал я, внезапно смягчившись, - разве я не заслуживаю того, чтобы меня выделили из тысячи незваных гостей, осаждающих вас? l'amitié n'a-t-elle pas ses secrets ? Разве у дружбы нет своих секретов? n'est-elle pas ombrageuse et timide au milieu du bruit et de la foule ? Разве она не робкая и застенчивая среди шума и толпы? Ellénore craignait, en se montrant inflexible, de voir se renouveler des imprudences qui l'alarmaient pour elle et pour moi. |||||непоколебимый||||||||беспокоили||||| Эленор опасалась, что, проявляя несгибаемость, она повторит неосторожность, которая тревожила ее и меня. L'idée de rompre n'approchait plus de son cœur : elle consentit à me recevoir quelquefois seule. ||разорвать|||||||согласилась||||| Мысль о расставании больше не была близка ее сердцу: она согласилась иногда видеть меня одного. Alors se modifièrent rapidement les règles sévères qu'elle m'avait prescrites. Затем строгие правила, которые она мне предписывала, быстро изменились. Elle me permit de lui peindre mon amour ; elle se familiarisa par degrés avec ce langage : bientôt elle m'avoua qu'elle m'aimait. ||||||||||||||||||признала мне|| Она позволила мне изобразить свою любовь к ней; постепенно она освоила этот язык: вскоре она призналась, что любит меня. Je passai quelques heures à ses pieds, me proclamant le plus heureux des hommes, lui prodiguant mille assurances de tendresse, de dévouement et de respect éternel. |||||||||||||||растрачивая||убеждений||||преданность|||| Я провел несколько часов у ее ног, провозглашая себя счастливейшим из мужчин, осыпая ее тысячей заверений в нежности, преданности и вечном уважении. Elle me raconta ce qu'elle avait souffert en essayant de s'éloigner de moi ; que de fois elle avait espéré que je la découvrirais malgré ses efforts ; comment le moindre bruit qui frappait ses oreilles lui paraissait annoncer mon arrivée ; quel trouble, quelle joie, quelle crainte, elle avait ressentis en me revoyant ; par quelle défiance d'elle-même, pour concilier le penchant de son cœur avec la prudence, elle s'était livrée aux distractions du monde, et avait recherché la foule qu'elle fuyait auparavant. ||||||||||||||||||||||узнал бы||||||||||||||||||||||||||||увидев меня|||||||согласовать||||||||осторожность|||||отвлечения|||||||||убегала от| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||what||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Она рассказала мне, как мучилась, пытаясь скрыться от меня; как часто надеялась, что я обнаружу ее, несмотря на все ее усилия; как малейший шум, доносившийся до ее ушей, казался ей сообщением о моем приходе; какое смятение, какую радость, какой страх она испытала, увидев меня снова; с каким недоверием к себе, чтобы примирить склонность своего сердца с благоразумием, она предалась развлечениям мира и искала толпу, которой раньше избегала. Je lui faisais répéter les plus petits détails, et cette histoire de quelques semaines nous semblait être celle d'une vie entière. ||||||||||история|||||||||| Я заставлял его повторять мельчайшие детали, и эта история, произошедшая за несколько недель, показалась нам историей всей жизни. L'amour supplée aux longs souvenirs, par une sorte de magie. |дополняет|||||||| |supplements|||||||| Любовь заменяет долгие воспоминания неким волшебством. Toutes les autres affections ont besoin du passé : l'amour crée, comme par enchantement, un passé dont il nous entoure. |||привязанности||||||создаёт|||волшебство||||||окружает нас Все другие привязанности нуждаются в прошлом: любовь, словно по волшебству, создает прошлое, которым окружает нас. Il nous donne, pour ainsi dire, la conscience d'avoir vécu, durant des années, avec un être qui naguère nous était presque étranger. |||||||||||||||||formerly|||| Это дает нам, так сказать, осознание того, что мы много лет жили с человеком, который когда-то был нам почти незнаком. L'amour n'est qu'un point lumineux, et néanmoins il semble s'emparer du temps. ||||||тем не менее|||завладеть|| |||||||||seize|| Любовь - это всего лишь точка света, и все же она, кажется, захватывает время. Il y a peu de jours qu'il n'existait pas, bientôt il n'existera plus ; mais, tant qu'il existe, il répand sa clarté sur l'époque qui l'a précédé, comme sur celle qui doit le suivre. |||||||||||не будет||||||||||||||предшествовавший||||||| ||||||||||||||||||spreads|||||||||||||| Его не было несколько дней назад, и скоро его уже не будет; но пока он существует, он распространяет свою ясность на эпоху, которая ему предшествовала, а также на ту, которая за ним последует. Ce calme pourtant dura peu. Но спокойствие длилось недолго. Ellénore était d'autant plus en garde contre sa faiblesse, qu'elle était poursuivie du souvenir de ses fautes : et mon imagination, mes désirs, une théorie de fatuité dont je ne m'apercevais pas moi-même, se révoltaient contre un tel amour. Элленор|||||||||||преследуемая||||||||||||||тщеславие|||||||||восставали|||| ||||||||||||||||||my|||||||vanity||||||||||||| Эленора тем более остерегалась своей слабости, что ее преследовали воспоминания о ее недостатках, а мое воображение, мои желания, теория фатума, о которой я и сам не подозревал, восставали против такой любви. Toujours timide, souvent irrité, je me plaignais, je m'emportais, j'accablais Ellénore de reproches. |||раздражённый|||жаловаться||взрывался|заваливал|||упрёки ||||||||lost my temper|burdened||| Всегда застенчивая, часто раздраженная, я жаловалась, выходила из себя, обвиняла Эленору. Plus d'une fois elle forma le projet de briser un lien qui ne répandait sur sa vie que de l'inquiétude et du trouble ; plus d'une fois je l'apaisai par mes supplications, mes désaveux et mes pleurs. ||||создала|||||||||||||||||||||||успокоил|||мольбы||отказ, опровержение||| ||times||||||break||||||||||||||||||||||||||| Не раз она планировала разорвать узы, которые не приносили в ее жизнь ничего, кроме беспокойства и суматохи; не раз я успокаивал ее своими мольбами, отречениями и слезами. Ellénore, lui écrivais-je un jour, vous ne savez pas tout ce que je souffre. Эленора, - написал я ей однажды, - ты не знаешь, что я испытываю. Près de vous, loin de vous, je suis également malheureux. Рядом с вами и вдали от вас я одинаково несчастен. Pendant les heures qui nous séparent, j'erre au hasard, courbé sous le fardeau d'une existence que je ne sais comment supporter. ||||||Я блуждаю|||согнутый|||бремя существования|||||||| В часы между нами я брожу наугад, сгибаясь под бременем существования, которое не знаю, как перенести. La société m'importune, la solitude m'accable. ||мне мешает|||меня угнетает Общество беспокоит меня, одиночество подавляет. Ces indifférents qui m'observent, qui ne connaissent rien de ce qui m'occupe, qui me regardent avec une curiosité sans intérêt, avec un étonnement sans pitié, ces hommes qui osent me parler d'autre chose que de vous, portent dans mon sein une douleur mortelle. |||наблюдают за мной|||не знают||||||||смотрят||||||||||||||осмеливаются||||||||||||||смертельная Эти равнодушные люди, которые наблюдают за мной, которые ничего не знают о том, что меня занимает, которые смотрят на меня с незаинтересованным любопытством, с безжалостным удивлением, эти мужчины, которые осмеливаются говорить со мной о чем-либо, кроме вас, несут в моей груди смертельную боль. Je les fuis ; mais, seul, je cherche en vain un air qui pénètre dans ma poitrine oppressée. ||избегаю||||||тщетно||||||||угнетённой Я убегаю от них, но, оставшись один, тщетно ищу воздух, чтобы проникнуть в мою сдавленную грудь. Je me précipite sur cette terre qui devrait s'entrouvrir pour m'engloutir à jamais ; je pose ma tête sur la pierre froide qui devrait calmer la fièvre ardente qui me dévore. ||поспешу||||||раскрыться||поглотить меня||||||||||||||||жгучей|||поглощает Я бросаюсь на эту землю, которая должна раскрыться, чтобы поглотить меня навсегда; я кладу голову на холодный камень, который должен успокоить пожирающий меня жар. Je me traîne vers cette colline d'où l'on aperçoit votre maison ; je reste là, les yeux fixés sur cette retraite que je n'habiterai jamais avec vous. ||тащу себя||||||||||||||||||||не буду жить||| |me|||||||||||||||||||||||| Я тащусь к холму, с которого виден ваш дом, и остаюсь там, не сводя глаз с этого уединения, в котором я никогда не буду жить вместе с вами. Et si je vous avais rencontrée plus tôt, vous auriez pu être à moi ! |||||встретил|||||||| И если бы я встретил тебя раньше, ты могла бы стать моей! j'aurais serré dans mes bras la seule créature que la nature ait formée pour mon cœur, pour ce cœur qui a tant souffert parce qu'il vous cherchait, et qu'il ne vous a trouvée que trop tard ! Я бы сжала в объятиях единственное существо, которое природа создала для моего сердца, для этого сердца, которое так много страдало, потому что искало тебя и нашло слишком поздно! Lorsque enfin ces heures de délire sont passées, lorsque le moment arrive où je puis vous voir, je prends en tremblant la route de votre demeure. |||||бред|||||||||||||||||||| Когда эти часы бреда наконец закончились, когда наступил момент, когда я могу увидеть вас, я с трепетом направился к вашему дому. Je crains que tous ceux qui me rencontrent ne devinent les sentiments que je porte en moi ; je m'arrête ; je marche à pas lents : je retarde l'instant du bonheur, de ce bonheur que tout menace, que je me crois toujours sur le point de perdre ; bonheur imparfait et troublé, contre lequel conspirent peut-être à chaque minute et les événements funestes et les regards jaloux, et les caprices tyranniques et votre propre volonté ! |||||||встречают меня||угадают||||||||||||||||откладываю|||||||||||||||||||||недостаточный и тревожный|||||сговариваются|||||||||роковые||||||||тиранические|||| Я боюсь, что все, кто меня встретит, догадаются о чувствах, которые я ношу в себе; я останавливаюсь; я иду медленным шагом: я оттягиваю момент счастья, того счастья, которому все угрожает, которое, как мне кажется, я всегда готов потерять; несовершенного и беспокойного счастья, против которого, возможно, каждую минуту замышляются и роковые события, и ревнивые взгляды, и тиранические прихоти, и ваша собственная воля! Quand je touche au seuil de votre porte, quand je l'entr'ouvre, une nouvelle terreur me saisit : je m'avance comme un coupable, demandant grâce à tous les objets qui frappent ma vue, comme si tous étaient ennemis, comme si tous m'enviaient l'heure de félicité dont je vais encore jouir. ||||||||||приоткрываю|||||||мне нужно|||||||||||ударяют|||||||враги||||завидели мне||||||||наслаждаться Когда я касаюсь порога вашей двери, когда я открываю ее, меня охватывает новый ужас: я шагаю вперед, как виновный, прося пощады у всех предметов, которые попадаются мне на глаза, как будто все они враги, как будто все они завидуют мне в тот час блаженства, которым я еще только собираюсь насладиться. Le moindre son m'effraie, le moindre mouvement autour de moi m'épouvante, le bruit même de mes pas me fait reculer. |||пугает меня|||||||меня пугает|||||||||отступать ||||||||||terrifies me||||||||| Малейший звук пугает меня, малейшее движение вокруг меня пугает меня, сам звук моих шагов заставляет меня отшатнуться. Tout près de vous je crains encore quelque obstacle qui se place soudain entre vous et moi. Находясь рядом с тобой, я все еще боюсь какого-то препятствия, которое вдруг встанет между нами. Enfin je vous vois, je vous vois et je respire, et je vous contemple et je m'arrête, comme le fugitif qui touche au sol protecteur qui doit le garantir de la mort. |||||||||||||созерцаю||||||беглец|||||||||||| ||||||||||||||||||the||||||||||||| Наконец-то я вижу тебя, вижу и дышу, созерцаю и замираю, как беглец, прикоснувшийся к защитной земле, которая должна гарантировать ему смерть. Mais alors même, lorsque tout mon être s'élance vers vous, lorsque j'aurais un tel besoin de me reposer de tant d'angoisses, de poser ma tête sur vos genoux, de donner un libre cours à mes larmes, il faut que je me contraigne avec violence, que même auprès de vous je vive encore d'une vie d'effort : pas un instant d'épanchement ! |||||||вскакивает||||||||||||||||||||||||||||||||||сдерживаю себя|||||||||||||усилий||||выплескивания ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||of outpouring Но даже тогда, когда все мое существо устремляется к тебе, когда мне так необходимо отдохнуть от стольких мук, положить голову на твои колени, дать волю слезам, я должен сдерживать себя с жестокостью, что даже с тобой я все еще живу жизнью усилий: ни минуты излияния! pas un instant d'abandon ! ни на минуту! Vos regards m'observent. Ваши глаза наблюдают за мной. Vous êtes embarrassée, presque offensée de mon trouble. ||смущённая||обиженная||| Вы смущены, почти оскорблены моим замешательством. Je ne sais quelle gêne a succédé à ces heures délicieuses où du moins vous m'avouiez votre amour. ||||||преемствовал||||вкусные|||||признавались|| |||which|||||||||||||| Не знаю, какое смущение сменили те восхитительные часы, когда ты хотя бы признался мне в любви. Le temps s'enfuit, de nouveaux intérêts vous appellent : vous ne les oubliez jamais ; vous ne retardez jamais l'instant qui m'éloigne. |||||||зовут||||||||откладываете|||| Время летит, новые интересы зовут: ты никогда не забываешь о них; ты никогда не откладываешь момент, который уносит меня. Des étrangers viennent : il n'est plus permis de vous regarder ; je sens qu'il faut fuir pour me dérober aux soupçons qui m'environnent. |||||||||||||||||скрыться|||| ||||||permitted||||||||||||||| Незнакомые люди приближаются: мне больше не разрешается смотреть на вас; я чувствую, что должен бежать, чтобы спастись от подозрений, которые меня окружают. Je vous quitte plus agité, plus déchiré, plus insensé qu'auparavant ; je vous quitte, et je retombe dans cet isolement effroyable, où je me débats, sans rencontrer un seul être sur lequel je puisse m'appuyer, me reposer un moment. ||||||||безумный||||покидаю|||||||||||борюсь|||||||||||||| ||||||torn||insane||||||||||||||||||||||||||||| Я оставляю вас еще более взволнованным, еще более растерзанным, еще более бессмысленным, чем прежде; я оставляю вас и возвращаюсь в эту ужасающую изоляцию, где я борюсь, не находя ни одного существа, на которое я мог бы опереться, отдохнуть хоть на мгновение. Ellénore n'avait jamais été aimée de la sorte. Эленор никогда не была так любима. M. de P*** avait pour elle une affection très-vraie, beaucoup de reconnaissance pour son dévouement, beaucoup de respect pour son caractère ; mais il y avait toujours dans sa manière une nuance de supériorité sur une femme qui s'était donnée publiquement à lui sans qu'il l'eût épousée. Месье де П* испытывал к ней искреннюю привязанность, благодарность за преданность, уважение к ее характеру, но в его манерах всегда присутствовал оттенок превосходства по отношению к женщине, которая публично отдалась ему, а он на ней не женился. Il aurait pu contracter des liens plus honorables, suivant l'opinion commune : il ne le lui disait point, il ne se le disait peut-être pas à lui-même ; mais ce qu'on ne dit pas n'en existe pas moins, et tout ce qui est se devine. |||связи||||почтенные|||||||||точка|||||||||||||||||||||||||||| По общему мнению, он мог бы заключить более почетные связи: он не сказал этого ей, возможно, он не сказал этого себе; но то, что не сказано, тем не менее существует, а обо всем, что есть, можно догадаться. Ellénore n'avait eu jusqu'alors aucune notion de ce sentiment passionné, de cette existence perdue dans la sienne, dont mes fureurs mêmes, mes injustices et mes reproches, n'étaient que des preuves plus irréfragables. |||||||||||||||||||ярости|||несправедливости|||упрёки||||||неопровержимые |||||||||||||||||||||||||||||||irrefutable До этого момента Эленор не подозревала об этом страстном чувстве, об этом затерянном в ней существовании, о котором моя ярость, мои несправедливости и упреки были лишь еще более неопровержимыми доказательствами. Sa résistance avait exalté toutes mes sensations, toutes mes idées : je revenais à des emportements qui l'effrayaient, à une soumission, à une tendresse, à une vénération idolâtre. |||возвышенный|||||||||||вспышки||пугали её||одной|покорность||||||идолопоклонство|идолопоклонническую Его сопротивление возвысило все мои ощущения, все мои идеи: я вернулась к тем вспышкам, которые пугали его, к покорности, нежности, идолопоклонническому почитанию. Je la considérais comme une créature céleste. ||считал|||| Я думал о ней как о небесном создании. Mon amour tenait du culte, et il avait pour elle d'autant plus de charme, qu'elle craignait sans cesse de se voir humiliée dans un sens opposé. |любовь||||||||||||||||||||униженной|||| Моя любовь была похожа на культ, и это было тем более очаровательно для нее, что она постоянно боялась быть униженной в противоположном направлении. Elle se donna enfin tout entière. Наконец она полностью отдалась ему.

Malheur à l'homme qui, dans les premiers moments d'une liaison d'amour, ne croit pas que cette liaison doit être éternelle ! Горе тому, кто в первые минуты любовных отношений не верит, что они должны быть вечными! Malheur à qui, dans les bras de la maîtresse qu'il vient d'obtenir, conserve une funeste prescience, et prévoit qu'il pourra s'en détacher ! |||||||||||получить|сохраняет|||предвидение||предвидит|||| Woe betide anyone who, in the arms of the mistress he's just won, retains a fatal prescience, and foresees that he'll be able to detach himself from her! Горе тому, кто в объятиях только что обретенной любовницы сохраняет роковое предчувствие и предвидит, что сможет оторваться от нее! Une femme que son cœur entraîne a, dans cet instant, quelque chose de touchant et de sacré. |||||ведет||||||||||| There's something touching and sacred about a woman whose heart leads her. Есть что-то трогательное и священное в женщине, чье сердце ведет ее в этот момент. Ce n'est pas le plaisir, ce n'est pas la nature, ce ne sont pas les sens qui sont corrupteurs ; ce sont les calculs auxquels la société nous accoutume, et les réflexions que l'expérience fait naître. ||||||||||||||||||коррупционеры|||||||||привыкает||||||| It's not pleasure, it's not nature, it's not the senses that are corrupting; it's the calculations that society accustoms us to, and the reflections that experience gives rise to. Развращают не удовольствия, не природа, не чувства, а расчеты, к которым приучает нас общество, и размышления, которые порождает опыт. J'aimai, je respectai mille fois plus Ellénore après qu'elle se fut donnée. Я любил||уважал||||||||| I loved and respected Ellénore a thousand times more after she gave herself away. Я любил и уважал Эленору в тысячу раз больше после того, как она отдала себя. Je marchais avec orgueil au milieu des hommes ; je promenais sur eux un regard dominateur. |шел||гордость|||||||||||доминирующий I walked proudly among men; I looked down on them. Я гордо ходил среди людей; я смотрел на них свысока. L'air que je respirais était à lui seul une jouissance. |||дышал||||||наслаждение The air I breathed was a pleasure in itself. Воздух, которым я дышал, был приятен сам по себе. Je m'élançais au-devant de la nature, pour la remercier du bienfait inespéré, du bienfait immense qu'elle avait daigné m'accorder. |я бросался||||||||||благодеяние|неожиданный||||||удосужилась| I rushed forward to thank nature for the unhoped-for, the immense benefit she had deigned to bestow upon me. Я устремился к природе, чтобы поблагодарить ее за долгожданное благо, за то огромное благо, которое она соизволила мне подарить.