DRASTIQUE 2010-06-30
Réduction drastique du train de vie des ministres ! Voilà une information qui frappe les imaginations, et qu'on met facilement à la Une, cela fait en effet saliver : on va savoir quelles étaient les dépenses somptuaires des grands commis de l'État ; on va s'indigner à peu de frais en détaillant ces luxueux agréments considérés aujourd'hui comme abusifs : cigares, appartements, voitures, etc. Et pour que cette nouvelle règlementation fasse de l'effet, elle est annoncée de façon assez cinglante : on parle d'une réduction drastique . En quoi une réduction drastique est-elle plus radicale qu'une réduction tout court ? Cela tient peut-être largement au style de la communication. Mais cet adjectif drastique est intéressant d'abord parce que sa mode n'est pas si ancienne : vingt ou trente ans tout au plus, le mot d'une génération. Le sens est très facile à comprendre ; même si on ne connaît pas le mot, les situations dans lesquelles on l'emploie, ou simplement le ton sur lequel il est prononcé permettent de comprendre l'effet qu'il produit. Une réduction drastique est une réduction sévère, sans concession, dont la décision tombe comme un couperet. La prononciation du mot n'est pas absolument pour rien dans cet effet de sens : sa sonorité peut avoir un aspect très tranchant. On peut dire que d'une façon le mot a eu deux vies. Il vient du grec et pendant longtemps il a été assez peu employé, et assez savant : un mot de médecin, qu'on appliquait aux médecines, aux potions, aux médicaments. Un remède drastique était un remède énergique, qui faisait de l'effet. Ce qu'on appelle aujourd'hui un produit actif ! Et le terme s'est spécialisé dans une signification particulière : c'est comme ça qu'on appelait un purgatif, une médication qui purifie le système digestif. Et puis vers la fin du XIXe siècle, mais à très petite dose à l'époque, le mot nous revient d'Angleterre, avec le sens qu'il a aujourd'hui. Il est le plus souvent lié à une décision qui sanctionne, qui verrouille, qui vérifie. Et toujours à une réalité plutôt négative. Et il exprime la façon dont un changement prend sa forme : c'est strict, c'est sévère, c'est sans appel et sans indulgence. C'est le contraire de ce qui est coulant, indulgent, compréhensif. Et parfois, le mot n'évoque plus qu'une grande sévérité : un glissement qui s'explique probablement par la proximité du mot draconien . Cet adjectif-là a également une origine grecque, même s'il a été formé en français ; il dérive d'un nom de personne : Dracon était un législateur athénien célèbre pour la sévérité du code pénal qu'il avait fait adopter. Pourquoi sa célébrité a-t-elle ainsi traversé les siècles ? Le fait que son nom ressemble à dragon a peut-être joué, mais il est difficile de mesurer quelle est la porosité d'un mot par rapport à un autre. On retiendra en tout cas que l'adjectif draconien s'applique tout autant à la sévérité de la loi qu'à l'intransigeance de son application. Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/ Venez découvrir le livre Les Mots de l'Actualité d'Yvan Amar.