Chapitre IV (2)
Et Armand, donnant un libre cours à ses pensées et à ses larmes, me tendait la main et continuait :
– On me trouverait bien enfant, si l'on me voyait me lamenter ainsi sur une pareille morte ; c'est que l'on ne saurait pas ce que je lui ai fait souffrir à cette femme, combien j'ai été cruel, combien elle a été bonne et résignée. Je croyais qu'il m'appartenait de lui pardonner, et aujourd'hui, je me trouve indigne du pardon qu'elle m'accorde. Oh ! je donnerais dix ans de ma vie pour pleurer une heure à ses pieds.
Il est toujours difficile de consoler une douleur que l'on ne connaît pas, et cependant j'étais pris d'une si vive sympathie pour ce jeune homme, il me faisait avec tant de franchise le confident de son chagrin, que je crus que ma parole ne lui serait pas indifférente, et je lui dis :
– N'avez-vous pas des parents, des amis ? Espérez, voyez-les, et ils vous consoleront, car moi je ne puis que vous plaindre.
– C'est juste, dit-il en se levant et en se promenant à grands pas dans ma chambre, je vous ennuie. Excusez-moi, je ne réfléchissais pas que ma douleur doit vous importer peu, et que je vous importune d'une chose qui ne peut et ne doit vous intéresser en rien.
– Vous vous trompez au sens de mes paroles, je suis tout à votre service ; seulement je regrette mon insuffisance à calmer votre chagrin. Si ma société et celle de mes amis peuvent vous distraire, si enfin vous avez besoin de moi en quoi que ce soit, je veux que vous sachiez bien tout le plaisir que j'aurai à vous être agréable.
– Pardon, pardon, me dit-il, la douleur exagère les sensations. Laissez-moi rester quelques minutes encore, le temps de m'essuyer les yeux, pour que les badauds de la rue ne regardent pas comme une curiosité ce grand garçon qui pleure. Vous venez de me rendre bien heureux en me donnant ce livre ; je ne saurai jamais comment reconnaître ce que je vous dois.
– En m'accordant un peu de votre amitié, dis-je à Armand, et en me disant la cause de votre chagrin. On se console en racontant ce qu'on souffre.
– Vous avez raison ; mais aujourd'hui j'ai trop besoin de pleurer, et je ne vous dirais que des paroles sans suite. Un jour, je vous ferai part de cette histoire, et vous verrez si j'ai raison de regretter la pauvre fille. Et maintenant, ajouta-t-il en se frottant une dernière fois les yeux et en se regardant dans la glace, dites-moi que vous ne me trouvez pas trop niais, et permettez-moi de revenir vous voir.
Le regard de ce jeune homme était bon et doux ; je fus au moment de l'embrasser.
Quant à lui, ses yeux commençaient de nouveau à se voiler de larmes ; il vit que je m'en apercevais, et il détourna son regard de moi.
– Voyons, lui dis-je, du courage.
– Adieu, me dit-il alors.
Et, faisant un effort inouï pour ne pas pleurer, il se sauva de chez moi plutôt qu'il n'en sortit.
Je soulevai le rideau de ma fenêtre, et je le vis remonter dans le cabriolet qui l'attendait à la porte ; mais à peine y était-il qu'il fondit en larmes et cacha son visage dans son mouchoir.