Chapitre XXV (2)
« – Vous êtes une noble fille, répliqua votre père en m'embrassant sur le front, et vous tentez une chose dont Dieu vous tiendra compte ; mais je crains bien que vous n'obteniez rien de mon fils.
« – Oh ! soyez tranquille, monsieur, il me haïra.
« Il fallait entre nous une barrière infranchissable, pour l'un comme pour l'autre.
« J'écrivis à Prudence que j'acceptais les propositions de M. le comte de N…, et qu'elle allât lui dire que je souperais avec elle et lui.
« Je cachetai la lettre, et sans lui dire ce qu'elle renfermait, je priai votre père de la faire remettre à son adresse en arrivant à Paris.
« Il me demanda néanmoins ce qu'elle contenait.
« – C'est le bonheur de votre fils, lui répondis-je.
« Votre père m'embrassa une dernière fois. Je sentis sur mon front deux larmes de reconnaissance qui furent comme le baptême de mes fautes d'autrefois, et au moment où je venais de consentir à me livrer à un autre homme, je rayonnai d'orgueil en songeant à ce que je rachetais par cette nouvelle faute.
« C'était bien naturel, Armand ; vous m'aviez dit que votre père était le plus honnête homme que l'on pût rencontrer.
« M. Duval remonta en voiture et partit.
« Cependant j'étais femme, et quand je vous revis, je ne pus m'empêcher de pleurer, mais je ne faiblis pas.
« Ai-je bien fait ? Voilà ce que je me demande aujourd'hui que j'entre malade dans un lit que je ne quitterai peut-être que morte.
« Vous avez été témoin de ce que j'éprouvais à mesure que l'heure de notre inévitable séparation approchait ; votre père n'était plus là pour me soutenir, et il y eut un moment où je fus bien près de tout vous avouer, tant j'étais épouvantée de l'idée que vous alliez me haïr et me mépriser.
« Une chose que vous ne croirez peut-être pas, Armand, c'est que je priai Dieu de me donner de la force, et ce qui prouve qu'il acceptait mon sacrifice, c'est qu'il me donna cette force que j'implorais.
« À ce souper, j'eus besoin d'aide encore, car je ne voulais pas savoir ce que j'allais faire, tant je craignais que le courage ne me manquât !
« Qui m'eût dit, à moi, Marguerite Gautier, que je souffrirais tant à la seule pensée d'un nouvel amant ?
« Je bus pour oublier, et quand je me réveillai le lendemain, j'étais dans le lit du comte.
« Voilà la vérité tout entière, ami, jugez et pardonnez-moi, comme je vous ai pardonné tout le mal que vous m'avez fait depuis ce jour. »