Leçon 44 - Pensez vacances II
(Avant d'aller retrouver Hubert, Mireille va faire un tour place Vendôme. Elle arrive chez Angélina, rue de Rivoli, où Hubert l'attend pour déjeuner.)
Mireille: Hubert! Tu ne devineras jamais! Je te le donne en mille!
Hubert: Puisque je ne devinerai jamais, dis-le-moi tout de suite.
Mireille: Nous avons gagné à la loterie!
Hubert: Qui ça, “nous”?
Mireille: Eh bien, Robert et moi, pardi!
Hubert: C'est une honte! La loterie est une des institutions les plus immorales de notre triste époque. Il n'y a que le loto et le tiercé qui soient pires.
Mireille: Mais qu'est-ce que ça a de si honteux que ça, la loterie?
Hubert: D'abord, ça décourage les vertus capitales de notre société capitaliste: le travail, l'économie, l'épargne. Et puis, ça encourage la paresse; au lieu de compter sur leur travail, les gens ne comptent plus que sur leur chance. Ils vivent dans l'attente du jeudi matin.
Mireille: Mais je croyais que tu jouais aux courses à Longchamp, non?
Hubert: Ce n'est pas la même chose, parce que moi, je travaille pour l'amélioration de la race chevaline!
(Pendant ce temps, Robert essaie courageusement de faire quelques achats. Il est au rayon des chaussures à la Samaritaine.)
Le vendeur: Vous cherchez des bottes?
Robert: Non. Je voudrais des chaussures que je puisse mettre pour conduire et pour faire de la marche. Quelque chose qui soit solide, mais pas trop lourd.
Le vendeur: Quelle est votre pointure?
Robert: Comment?
Le vendeur: Du combien chaussez-vous?
Robert: Ah! Je chausse du onze et demi.
Le vendeur: Vous, du onze et demi? Vous plaisantez! Vous faites au moins du 43, je dirais même du 44!
Robert: Mais je vous assure! La dernière fois que j'ai acheté des chaussures—c'était à Boston, cet hiver—c'était du onze et demi. Tenez, ce sont justement celles que j'ai aux pieds.
Le vendeur: Eh bien, elles devaient être élastiques! Elles ont grandi depuis cet hiver. Du onze et demi! Ha, ha! Vous autres Américains, vous ne dévaluez pas le dollar, mais vous avez certainement dévalué vos pointures! Asseyez-vous, que je prenne vos mesures. 44 juste! C'est bien ce que je pensais. Oh, je ne me trompe pas souvent. J'ai le compas dans l'oeil!
Robert: Un compas dans l'oeil? Ça ne vous gêne pas pour prendre les mesures?
(Mireille arrive chez Tante Georgette, toujours très excitée.)
Georgette: Alors, qu'est-ce que ton père m'a dit? Tu as gagné à la loterie?
Mireille: Oui!
Georgette: Gagner à la Loterie nationale, mon rêve! Aujourd'hui, il n'y en a plus que pour les jeunes. Eh bien, les vieux n'ont plus qu'à crever dans leur coin, ou trier des lentilles.
Mireille: Bon, attends, je vais t'aider.
Georgette: Mmm, celle-là, non! Non, celle-là, non!
Mireille: Elle n'est pas bonne?
Georgette: Non! Ah, c'est Georges qui les aimait, les lentilles.
Mireille: Georges?
Georgette: Non, pas ton cousin, non. Georges, Georges de Pignerol, il s'appelait. Tu ne l'as pas connu. Tes parents ne l'aimaient pas, ils ne voulaient pas le voir. Quel bel homme! Grand, brun, distingué. Je l'avais rencontré, un soir, sur le boulevard des Italiens. On avait pris un café. On se comprenait. On voulait monter ensemble un salon de coiffure pour chiens. On avait réuni nos économies pour acheter un très beau magasin. Ton père n'était pas d'accord. Il a été très désagréable avec Georges. Georges ne l'a pas supporté. Il est parti, et je ne l'ai jamais revu. Alors, dis-moi, c'est combien que tu as gagné à la loterie?
Georgette: 40.000F? Mais qu'est-ce que tu vas faire de tout cet argent?
Mireille: Ben, je ne sais pas. J'ai téléphoné à Cécile, tout à l'heure, pour lui annoncer la nouvelle. Elle me conseille de garder l'argent pour quand je serai mariée. Son mari dit que je devrais acheter un terrain. Il dit que c'est le placement le plus sûr. Papa voudrait que j'achète des tableaux qui vaudront des millions dans dix ans. Et toi, qu'est-ce que tu me conseilles?
Georgette: Eh bien, c'est bien égoïste, tout ça, hein! Moi, si j'étais toi, je ferais une donation à la SPA.
Mireille: La SPA? Qu'est-ce que c'est que ça?
Georgette: Mais la Société Protectrice des Animaux, voyons! Et puis, tu pourrais m'aider pour mon cimetière de chiens. Pas vrai, Fido?
(Robert est toujours au rayon des chaussures.)
Le vendeur: Vous voulez des chaussures de montagne?
Robert: Non, j'ai peur que ce soit trop lourd. Tout de même, pour la marche, il vaudrait mieux des chaussures montantes, pas des souliers bas.
Le vendeur: Voilà ce qu'il vous faut: des Pataugas. Ce sont des chaussures montantes. Ça tient très bien la cheville, mais c'est très souple, très léger. Vous avez des semelles anti-dérapantes. Avec ça, vous ne pouvez pas glisser. Essayez-les, vous verrez. Comment vous vont-elles?
Robert: Pas mal, mais celle de gauche me serre un peu.
Le vendeur: Oh, ce n'est rien, vous vous y habituerez.
Robert: Combien valent-elles?
Le vendeur: 450 francs.
Robert: Celle de droite est vraiment très bien, mais celle de gauche me serre vraiment. Et si je ne prenais que celle de droite, ce serait combien?
Le vendeur: 450 francs. Je regrette, Monsieur, mais nous ne les vendons pas séparément.
Robert: Vraiment? Bon, alors, tant pis, je prendrai la paire. Celle de droite est réellement très bien. Je m'y sens très bien!
Le vendeur: Vous n'avez pas besoin de sandales, d'espadrilles, de pantoufles?
Robert: Non, merci. Pas aujourd'hui.