Paris Police 1900 : ambiance noire de la belle époque !
Mes chers camarades bien le bonjour !
Paris. Police. 1900. Ça c'est du titre efficace, on comprend tout de suite : c'est une série
policière, qui se passe à Paris, en 1900 ! Mais c'est surtout le titre de la dernière création
originale de Canal + dans le domaine des séries historiques ! Une œuvre noire avec des enquêtes,
des personnages pas toujours très gentils et surtout une ambiance de fou !
Ils m'ont contacté pour savoir si j'étais intéressé et avec mes récentes aventures
du côté des voyous du Paris du début du XXe siècle, ça m'a donné envie de jeter un œil,
de me faire une idée...et de vous donner mon avis là-dessus en fin d'épisode !
Je vous propose un rapide tour d'horizon de la série Paris
Police 1900, sans spoiler ! Au début du 20e siècle,
Paris est un des centres du monde : En centre-ville, Haussmann a rasé les taudis,
qui sont relégués dans “la Zone”, tout autour de Paris. On lui doit
aussi la construction de l'Opéra Garnier ; En moins de 50 ans, Paris accueille pas
moins de 5 expositions universelles où toutes les nations viennent construire
leurs ambassades : l'occasion de voir naître la Tour Eiffel, et le tout premier métropolitain !
Cette ère de paix et de prospérité dure depuis 1871 : c'est la légendaire “Belle Époque" où
Paris rayonne sur tout le continent Européen et attire des gens du monde
entier avec ses spectacles et ses divertissements extravagants. A Paris, se crée l'art de demain.
Et la série Paris Police 1900 va...com-plè-tement ignorer tous
ces beaux aspects, pour nous plonger dans un Paris sordide, criminel, et surtout,
antisémite. Du fun ! Petite remise en contexte pour que vous compreniez bien les choses...
En effet, je vous rappelle le contexte : suite au 19e siècle,
l'Etat-Nation et la démocratie se sont imposés. Mais comment définir une nation faite de Bretons,
Bourguignons, Provençaux ? Comment la penser vis-à-vis d'un empire colonial,
composé de peuples encore plus différents ? L'opinion publique s'enflamme, on débat
par presse interposée, et chaque nouvelle doctrine vient enrichir l'échiquier politique.
Certains se souviennent de la guerre de 1870 : ils veulent une revanche sur les Prussiens,
et sont anti-allemands ; D'autres retiennent plutôt
que la République a massacré les communards en 1871 : ils sont alors anti-républicains.
Les royalistes aussi d'ailleurs. Une bonne part des socialistes est
au contraire ultra-républicaine, mais férocement anti-cléricale.
C'est un peu compliqué et on arrive surtout à définir la France non pas seulement pour
ce qu'elle est, mais aussi pour ce qu'elle n'est pas...une vieille
habitude ! On n'est pas allemand, pas anglais, et surtout...pas juif !
A l'antijudaïsme médiéval et religieux succède l'antisémitisme : on rejette le peuple juif,
précisément parce que c'est une nation sans Etat, une communauté internationale. Du coup :
- Le complotiste peut croire que cette communauté est un réseau d'influence qui complote,
- L'ouvrier peut y voir des patrons, capitalistes et exploiteurs,
- Le militaire peut se l'imaginer en traître qui a servi les allemands,
- Et le chrétien, pourtant héritier du judaïsme, peut y dénoncer le peuple qui a trahi le Christ !
Bref : au début du 20e siècle, l'antisémitisme est un sentiment très fort, et socialement
acceptable pour beaucoup de français. Et c'est un des thèmes principaux de la série.
Dès le début, il est question du procès de Dreyfus, un juif accusé d'espionnage
pour l'Allemagne. Puis une scène nous montre Jules Guérin, directeur du journal L'Antijuif,
s'en prendre violemment à un vendeur du journal L'Aurore. L'Aurore, qui est précisément le journal
où Emile Zola avait écrit “J'accuse !” pour défendre Dreyfus. L'infâme Jules Guérin profite de
la haine contre Dreyfus pour écouler ses tirages, accusant un immense complot juif international.
Et en plus de se faire plein de pognon, il écrase la concurrence à coups de matraques. Tout dans
un contexte bien particulier : Dreyfus est, peut-être, innocent. Il va être jugé à nouveau.
La capitale est ébranlée par la nouvelle. A l'annonce du procès, les ligues nationalistes,
les antisémites, mais aussi les anarchistes, se réveillent. Ce sont des dizaines de milliers
d'hommes, potentiellement armés, qui sont prêts à s'entre-déchirer. Paris
est un champ de bataille de 2,7 M d'âmes. Oui, vous avez bien entendu : 2,7 M, c'est
500.000 habitants de plus qu'aujourd'hui, parce que la population ne s'est pas encore déversée
dans les banlieues. Et assis inconfortablement sur cette immense poudrière on retrouve à peine 8.000
policiers pour maintenir l'ordre. Autant vous dire que la ville est sur le point d'exploser…
Pour maîtriser la situation, on rappelle Louis Lépine, l'ancien préfet de police,
le seul homme de fer capable de sauver Paris du chaos ! Et c'est le second grand thème de
la série : on découvre le quotidien de la police de l'époque, qui cherche à se
réformer par tous les moyens. On découvre assez vite que prendre les empreintes digitales,
mais aussi la fameuse photo de face et de profil des criminels, est une invention de
l'époque. Ce protocole a d'ailleurs été institué par le criminologue Alphonse Bertillon, un autre
personnage de la série. Bertillon a également systématisé l'anthropométrie des suspects,
c'est-à-dire prendre les mesures de leurs corps (le tour de tête, la hauteur du front, la longueur
du pied etc.) pour pouvoir les identifier en cas de récidive. Autant de protocoles scientifiques
qui poussent l'écrivain Arthur Conan Doyle à confesser, dans le Chien de Baskerville,
que Bertillon est le premier enquêteur au monde...Sherlock Holmes n'étant que le numéro 2 !
Bouuuuuh Sherlock Holmes ! T'es nul ! Vive Bertillon !
Le préfet Lépine de son côté crée la brigade des policiers mobiles, des postes téléphoniques dans
tous les commissariats, et un numéro d'urgence gratuit : l'ancêtre de nos numéros d'urgence !
J'avoue avoir fait quelques recherches avant de regarder la série, et j'ai vraiment halluciné
sur le nombre de détails historiques et techniques hyper pointus sur cette époque,
de personnages qui ont existé, pensé et agi comme on le voit à l'écran :
les frères Guérin, l'avocate Jeanne Chauvin, la courtisane Marguerite Steinheil,
le sous-préfet Puybaraud, même le président Félix Faure qui meurt bel et bien après une fellation,
ce dont on a parlé dans l'épisode sur les femmes fatales au tout début
de la chaîne à une époque qui me paraît aussi lointaine que 1900...
En moins drôle et beaucoup plus choquant on retrouve à un moment le personnage
de Jules Guérin qui prononce un immonde discours antisémite, y'a d'autres mots,
même son public est un peu choqué au départ dans la série et vous verrez très vite de
quoi je parle si vous prenez le temps de la regarder. Et bien ce discours,
j'ai eu du mal à y croire tant la violence était hallucinante, mais...ça a existé !
Bien sûr, plus on connaît la période, plus on va
pouvoir profiter des allusions et des clins d'œil historiques.
Par exemple, à un moment de la série des criminels font le “coup du ramoneur” pour tuer quelqu'un,
là encore je vous montre rien et je vous laisse imaginer ce que c'est
mais ça fait directement référence à la mort suspecte d'Emile Zola,
pour laquelle on avait pensé au fameux “coup du ramoneur”.
Et même l'intrigue centrale, l'enquête policière, s'inspire d'une véritable affaire criminelle
de 1899. Justement, parlons-en de l'enquête ! Pas de panique, je ne vais rien vous spoiler.
Tout commence lorsque le président Félix Faure meurt d'un arrêt
cardiaque lors d'un rapport sexuel avec sa maîtresse. Dès le départ, donc, on a
un homme, un président, qui meurt. Et celle dont on va suivre les aventures,
une femme, Marguerite Steinheil, qui devient le centre de l'histoire.
En effet, parce qu'elle a été l'amante du président, elle est considérée comme
une personne d'influence, qui détient des secrets d'Etat. La police va l'utiliser
comme agent infiltré au sein des ligues, un milieu particulièrement dangereux.
Parallèlement à cela, le jeune inspecteur Antoine Jouin doit faire ses preuves dans la police. Mais,
révolté par un homme qui bat sa femme et porte plainte contre elle pour adultère,
Antoine l'agresse : car oui, on pouvait porter plainte à l'époque,
et la femme pouvait être sanctionnée par la loi,
emprisonnée, etc. La violence conjugale reste interdite en théorie, mais elle est courante.
La bourde d'Antoine le pousse à se plonger dans une enquête sordide : on a retrouvé une malle
ensanglantée dans la scène. A l'intérieur, les restes d'une femme mutilée et décapitée.
Antoine Jouin a la chance de pouvoir s'associer avec Jeanne Chauvin,
encore un personnage bien réel puisque c'était la première avocate de France,
qui au terme d'un long combat a pu exercer cette profession alors interdite aux femmes.
Jeanne a de la trempe, ce qui va bien aider notre jeune inspecteur. Elle ne se laisse pas faire,
même lorsque le cabinet de son patron juif est attaqué par une foule antisémite.
Ces différentes intrigues vont bien sûr se connecter, les personnages vont se croiser,
et Jouin va faire la rencontre de plusieurs grandes figures de l'époque. Chaque trame permet
d'aborder une strate sociale de l'époque, depuis les salons fortunés espionnés par Marguerite
jusqu'aux bas-fonds sillonnés par les policiers de Lépine. Bien entendu, le complot de salon alimente
la foule dans les rues, et vice-versa, donc même sans se rencontrer, nos héros
s'influencent secrètement. Une chouette façon de rendre compte de la réalité politique de l'époque.
Dernier point important, mais ça vous l'avez remarqué : la série fait la
part belle à la femme du 20e siècle. Et autant vous dire que c'était pas gagné !
Dur en effet d'aligner autant de rôles féminins que masculins dans une série
policière et politique d'époque, deux milieux assez largement réservés aux
mâles. Mais on a Jeanne Chauvin, Marguertie Steinheil, et divers profils et expériences
de l'époque : une ménagère pauvre qui se prostitue et que la police n'écoute pas,
une femme adultère battue à mort par son époux, une espionne manipulée et forcée
à prendre des risques, une avocate à qui on refuse la reconnaissance due à sa profession,
etc. La plupart de ces femmes vivent dans une “zone grise”, entre insoumission et contrainte,
souvent obligée de faire des compromis, mais sans cesse en lutte pour s'affirmer,
ou survivre, selon leur condition. Violence, contrainte, séduction, soupçon,
misogynie : tout cela révèle la société de l'époque, et le rôle qu'elle attribue aux femmes.
Vu les interviews de l'auteur de la série, Fabien Nury,
il en est arrivé à ce troisième thème sans vraiment d'idée reçue : c'est en découvrant,
au fur et à mesure de ses recherches, tout ce qu'il pouvait montrer d'intéressant sur les
femmes de l'an 1900, qu'il a décidé d'en faire un pilier de la série.
Et faut dire que Fabien Nury n' en est pas à son coup d'essai
niveau historique ! On lui doit rien de moins que
L'excellente bd La mort de Staline, adaptée au cinéma en 2017,
Le film Les Brigades du Tigre, sur la police de Georges Clemenceau
La série de bd Il était une fois en France, sur la résistance et la collaboration ;
Et enfin, la bd W.E.S.T., sur la police au début du 20e siècle...mais aux USA.
Bref : l'auteur s'est vraiment spécialisé dans la période 1900-1950, et plutôt dans le genre
policier, roman noir, etc. En fait, Fabien Nury est tellement à fond dans l'Histoire qu'il affirme
préfère “extrapoler” plutôt “qu'inventer” : partir sur une solide base historique,
très riche, et ensuite romancer sur les personnages et les intrigues de l'époque.
Le réalisateur tient sa promesse, puisque la quasi-totalité des personnages que vous
allez voir dans la série ont vraiment existé. Et en plus, il a approfondi sa
connaissance des évènements pendant 1 an, alors qu'il maîtrisait déjà la période !
Pour conclure je dirais que l'on a affaire à un support historique vraiment solide, bien sourcé,
bien documenté, grâce à des recherches plutôt fournies. Evidemment, ça reste
une fiction ! Mais une fiction très éclairée par des événements historiques bien réels,
des attitudes sociales réalistes, et un casting plutôt convaincant. Si vous êtes fan de l'époque,
ça devrait vous plaire. Même si vous n'êtes pas gaga des années 1900, vous voudrez peut-être avoir
mon avis, hors du champ de l'histoire. Parce que l'histoire c'est cool mais si la série est chiante
à regarder bon...D'abord mais je précise : je n'ai pas encore regardé toute la série au moment où
je vous parle, donc je commente uniquement ce que j'ai vu à savoir la moitié de la première saison.
On va passer sur le premier point, vous l'avez compris : historiquement, c'est très
bon. Ça plaira déjà à ceux qui veulent un peu découvrir l'ambiance et les enjeux de l'époque.
Avec ce contexte hyper riche, les créateurs n'ont pas eu froid aux yeux : ils exposent
beaucoup d'intrigues, beaucoup de personnages secondaires, il y a beaucoup de choses à mettre
en place dans les premiers épisodes, donc au début, logiquement, ça met du temps à démarrer.
Disons que tout est bien mis en place et lancé à la fin de l'épisode 2,
donc certains vont devoir s'accrocher un peu, j'ai trouvé ça un poil long mais ça vaut le coup
car la série est plutôt bonne et c'est normal que l'on prenne du temps pour installer tout
l'univers qui est hyper riche. Au-delà de ça, il y a vraiment un truc que je trouve génial dans cette
série c'est que les créateurs ont choisi d'ignorer complètement le côté “Paris de la Belle Epoque” !
Adieu à Paris vue du ciel, aux grands boulevards, aux ponts sur la Seine. On
plonge dans une ville de petits quartiers, avec une action qui se passe majoritairement
dans des intérieurs étroits, ou sombres, dans la cage d'escalier du commissariat,
les chambres sous les mansardes, les salons la nuit, etc. On est dans un Peaky Blinders,
mais volontairement étouffé, on sent qu'à Paris, on vit entassés ! Il faut ajouter
pleins de plans d'animaux morts, chassés, tués, écorchés, manipulés en boucherie...sans
doute une façon de nous coincer dans un quotidien pas très rose bonbon.
Et tout cela donne, bien entendu, une ambiance un peu particulière. Si ! j'ai quand même un regret,
c'est que les personnages secondaires sont parfois trop bons paradoxalement :
Le préfet est redoutable, l'avocate est exigeante,
le policier Fiersi, un rival de Jouin, est violent et effrayant,
Jules Guérin est vraiment infecte...
...Et, parfois, ça peut donner l'impression qu' Antoine et
Marguerite - qui sont pourtant les héros - sont un peu en retrait,
un peu entourés de gens plus puissants, importants, ou charismatiques qu'eux.
Encore une fois, je n'ai pas tout vu, je fais ce bilan à mi-saison, quand on attend encore
que les héros s'affirment plus et prennent la place qu'ils méritent. En tout cas, je
regarderai sans doute la suite avec impatience et si vous avez l'occasion de voir Paris Police 1900,
n'hésitez pas à me faire vos retours sous cette vidéo et à me dire ce que vous en avez pensé !
Merci à Canal+ de m'avoir contacté pour m'avoir donné l'occasion de travailler sur le sujet,
si vous voulez voir la série je vous mets en description un lien
vers le site myCANAL et l'offre CANAL+SERIES pour voir tout ça,
ça vaut le coup ! Merci également à Jean de Boisséson qui m'a accompagné sur cette analyse.
Quand on parle ciné, Jean, il ne lui faut pas 2s pour dire “oui” et se greffer à un projet,
ça fait toujours plaisir ! A très bientôt sur Nota Bene pour de nouvelles vidéos ! Ciao !