E.T., l'extra-terrestre de Steven Spielberg : l'analyse de M. Bobine (2)
mais aussi un personnage à mi-chemin entre le monde des enfants et celui des adultes.
Le seul moment où Spielberg abandonne cette familiarité,
c'est dans cette très belle scène, où Mary est littéralement transformée en icône maternelle.
Mais à cet instant,
le réalisateur embrasse le point de vue non pas des enfants mais de E.T.,
qui observe la maman en secret avec une dévotion quasi religieuse.
Tiens, puisqu'on parle de religion,
c'est peut-être le moment d'évoquer une théorie qui est presque aussi vieille que le film,
à savoir que E.T est à peu de choses près … Jésus.
Bon, j'en vois deux ou trois qui rigolent là,
mais je vous assure qu'il y a quelques arguments assez solides derrière.
Déjà, visuellement, le cœur rougeoyant de E.T. évoque clairement
la tradition picturale liée au concept de Sacré-Cœur,
inspirée de l'Évangile selon St Jean.
Comme Jésus, E.T. accomplit toutes sortes de miracles :
il guérit les les malades et les blessés par imposition des mains.
Il ramène les morts à la vie.
Lui-même finit par rendre son dernier souffle,
mais c'est pour mieux pouvoir ressusciter et s'élever dans le ciel
sous le regard ému de ses disciples, qui vont alors pouvoir répandre la Bonne Parole.
Cette dimension « biblique » du film n'a pas échappé au département marketing de Universal,
qui pour créer l'affiche s'est méchamment inspiré de La Création d'Adam,
la plus célèbre des neuf fresques peintes par Michel-Ange
sur le plafond de la Chapelle Sixtine.
Et il n'est pas interdit de penser que tout ceci a pu jouer un rôle non négligeable
dans le succès ahurissant du film.
Mais Spielberg, lui, il en dit quoi ?
Eh bien, figurez-vous que ça le fait plutôt rigoler…
Bon après, on a fait un épisode entier l'an dernier
pour dire que Spielberg était pas forcément le mec le plus doué
pour analyser ses propres films.
Et puis il ne faut pas oublier que le mec a déjà donné
dans les variations autour de la Bible.
Ben oui, Rencontres du 3e type commence littéralement de la même manière
que le Livre de la Genèse.
« Et Dieu dit : Que la lumière soit !
Et la lumière fut ».
Le contact avec les extraterrestres se fait au sommet d'une montagne,
qui fait écho au Mont Sinaï où Dieu scelle l'alliance avec le Peuple d'Israël
en remettant à Moïse les Tables de la Loi.
Un écho rendu d'autant plus limpide par la présence
d'un extrait des 10 Commandements de Cecil B.de Mille au début du film.
Bref, tout ça pour dire que la dimension religieuse de E.T.
n'est peut-être pas si involontaire que ça.
En tous cas, elle participe clairement à la double nature du film,
pensé à la fois comme une oeuvre à vocation universelle
et un travail de pure introspection.
Pour en revenir une dernière fois avec la figure de Jésus-Christ,
il y a un point que celui-ci partage avec Elliot mais aussi Spielberg lui-même,
qui explique peut-être pourquoi son ombre plane sur le film.
Eh oui, tous les trois ont, à un moment donné de leur vie, souffert de l'absence du père.
Et, pour moi, s'il y a UN thème qui sous-tend E.T. l'extraterrestre,
c'est celui-là.
Depuis 50 ans que le mec fait du cinéma,
tout le monde ou presque est au courant
que les parents de Spielberg ont divorcé dans sa jeunesse,
et que cet événement a eu un impact décisif sur ses films,
remplis à craquer des familles séparées.
Par contre, moi j'ai dû attendre l'an dernier,
et la diffusion sur HBO du documentaire Spielberg
pour découvrir les détails du fameux divorce.
Dans le même documentaire,
Spielberg admet que cette scène de Rencontres du troisième type
est la reconstitution d'un événement qui s'est réellement passé
au sein du foyer familial suite à l'annonce du divorce.
Le fait d'avoir inséré des éléments autobiographiques très intimes
au sein d'un de ses blockbusters semble avoir fait un bien fou au réalisateur
puisqu'il va décider d'en faire le cœur même de son projet suivant, Growing up,
qui finira par devenir 5 ans plus tard E.T. l'extraterrestre.
Malgré les nombreuses réécritures,
celui-ci est resté fidèle à l'idée initiale de Spielberg.
Plusieurs scènes sont directement inspirées des souvenirs de jeunesse du réalisateur,
comme celle-là ou celle-là.
Le grand frère qui passe du statut de tortionnaire
à celui de protecteur au cours du film
est également un reflet du changement d'attitude de Spielberg avec ses deux sœurs
suite au départ de leur père.
Le décor de banlieue américaine est celui dans lequel le cinéaste a grandi.
Mais surtout, peu de temps avant le début du récit,
la famille d'Elliott a connu un bouleversement majeur.
La familiarité avec laquelle les enfants parlent de la nouvelle copine de leur père
laisse entendre qu'ils la connaissent personnellement,
comme si c'était une amie de la famille.
Voilà qui n'est pas sans rappeler ce qui s'est passé chez les Spielberg 20 ans plus tôt.
Mais pour moi, ce qui fait vraiment tout le prix de E.T. l'extraterrestre,
c'est la sublime métaphore qui se cache derrière le personnage-titre.
Une des plus belles de l'histoire du cinéma.
Si je vous demande ce que représente E.T. pour vous,
il y a de fortes chances que vous me répondiez qu'il s'agit d'un double d'Elliott.
Et je suis plutôt d'accord avec ça..
Après tout, ce sont tous deux des êtres « aliénés »
à qui leur « maison » manque terriblement.
Dans le cas d'Elliott, il s'agit de sa famille au complet.
Dès leur rencontre, un lien très fort se crée,
qui donne très vite l'impression qu'ils ne forment qu'une seule et même personne.
Quand Elliott est fatigué, E.T. l'est aussi.
Quand E.T. se bourre la gueule, Elliott en profite également.
Et puis le nom E.T., ce n'est pas seulement le diminutif de « extraterrestre ».
J'aurais quand même une autre interprétation à vous proposer.
Et si E.T. symbolisait en fait le père absent,
au même titre que tous ces personnages masculins sans visage qui peuplent le film ?
Regardez toutes ces scènes qui jouent sur le mimétisme entre Elliot et son ami.
Ça ne vous rappelle pas d'autres films de Spielberg ?
Eh oui, à chaque fois c'est une figure paternelle que les gamins imitent,
plus ou moins consciemment.
Maintenant, passons à la scène finale.
Les quelques mots que E.T. échange avec les enfants ressemblent beaucoup
aux paroles d'un parent avant une longue séparation.
Il salue la fiabilité de Michael,
comme s'il l'intronisait nouvel « homme de la famille »
Et surtout, il y a ça.
Comment mieux résumer les pensées qui animent un père et son enfant,
quand le premier doit quitter le domicile familial suite à un divorce ?
Pensées que tous deux savent impossibles à mettre en pratique.
Certains d'entre vous se souviennent peut-être qu'il y a 20 ans,
au moment de la sortie en salles d'Il faut sauver le soldat Ryan,
des cellules psychologiques avaient été mises en place aux États-Unis
à l'intention des vétérans de la Seconde Guerre Mondiale.
Le réalisme inédit des scènes de batailles
avaient fait ressurgir chez bon nombre d'anciens soldats
des sensations enfouies depuis plus d'un demi-siècle.
Eh bien, 16 ans plus tôt,
il aurait très bien pu se passer la même chose avec E.T. l'extraterrestre
mais avec des enfants de parents divorcés
à la place de vieux monsieurs traumatisés par la guerre.
A mon avis, dans les deux cas,
c'est très exactement le but recherché par Steven Spielberg.
Même si le monde entier a pu tomber amoureux de E.T.
pour son message de tolérance, sa volonté de ré-enchanter le quotidien
ou tout simplement ses immenses qualités cinématographiques,
ça ne m'étonnerait pas que l'ami Steven voulait avant tout s'adresser
aux hordes de gamins esseulés et déboussolés suite à la séparation de leurs parents.
Des gamins comme Elliott. Des gamins comme lui.
Spontanément, la plupart des gens auraient tendance à décrire E.T.
comme l'histoire d'un petit garçon qui aide un gentil extraterrestre à rentrer chez lui.
Mais est-ce que ce ne serait pas le contraire en fait ?
Le vrai sujet du film, ce n'est pas plutôt le sauvetage d'Elliott par E.T ?
D'ailleur, à ce sujet,
est-ce que vous vous êtes déjà demandé pourquoi E.T. dépérissait progressivement
pendant tout l'acte 2 du film ?
Il ne supporte pas l'atmosphère terrestre sur le long terme ?
Il a chopé un virus comme les aliens de La guerre des mondes ?
Malgré le charabia médico-technique
qu'on entend tout au long de l'éprouvante scène de l'agonie,
personne ne semble capable d'expliquer ou de renverser le phénomène.
Du coup, une théorie envisageable, c'est qu'en fait E.T. meurt à petit feu
à cause du lien qu'il a tissé avec Elliott.
Paradoxalement, ce lien empathique est si profond
qu'il provoque une déchirure entre les deux personnages.
E.T. souhaite rentrer chez lui, mais Elliott ne veut pas revivre une telle séparation
et le lien qui les unit devient toxique pour les deux protagonistes.
La mort de E.T. force Elliott à accepter l'idée qu'il doit le quitter pour toujours.
Mais sa résurrection lui offre l'opportunité de formuler des mots d'une extrême importance
Des mots qu'il n'a pas eu l'occasion de prononcer devant son père :
Pour moi, il est évident que le personnage joué par Henry Thomas souffre de dépression
depuis le départ subit de son géniteur.
En débarquant de façon tout aussi brusque et inexplicable dans la vie de cet enfant perdu
(pour citer une œuvre chère à Spielberg),
E.T. lui permet d'entamer un processus de guérison et d'acceptation.
A ce titre, leur relation se construit autour des célèbres 5 étapes du deuil.
Tout d'abord, il y a le choc :
ici c'est bien évidemment la première rencontre brutale entre Elliott et E.T.
puis face au scepticisme de sa famille,
Elliott se laisse aller à la colère, symbolisée ici par un nuage de vapeur.
Vient ensuite l'étape du marchandage
puis celle de la dépression.
La plus terrible mais aussi la plus nécessaire pour en arriver à l'étape finale :
l'acceptation.
Une fois qu'Elliott est prêt à laisser partir son ami,
E.T. utilise une dernière fois ses dons
pour guérir définitivement l'esprit du jeune garçon
en nous renvoyant bien sûr à la scène de guérison du doigt blessé d'Elliott,
mais aussi à la première fois ou l'extra-terrestre formule verbalement
son désir de rentrer chez lui.
Ainsi, l'ombre du doigt de E.T. qui se projette sur le visage d'Elliott
nous rappelle que la guérison l'enfant ne peut que passer par le départ de E.T.
Enfin
tandis que le vaisseau de E.T. dessine dans la nuit un arc-en-ciel hautement symbolique,
Spielberg conclut naturellement son film sur l'image d'un enfant apaisé, serein.
Et, j'imagine, prêt désormais à passer un coup de fil à son père.
Parce que oui, tous ces « E.T. téléphone maison »,
c'est pas juste une super catchphrase,
mais aussi l'ultime conseil donné à Elliott.
Pour résumer,
au contact de E.T., le jeune garçon vit donc une expérience cathartique,
qui le guérit émotionnellement du traumatisme causé par le départ de son père.
Et c'est à mon humble avis ce que Spielberg tente également de faire
par le biais de la fiction et de la métaphore
auprès des jeunes spectateurs qui ont connu le même drame qu'Elliott.
Ce qui fait par conséquent de E.T. l'extraterrestre un film « méta ».
Oui je sais, je vous ai déjà fait le coup avec Jurassic Park et Le temple maudit,
mais hé, jamais deux sans trois, n'est-ce pas ?
Récemment, un autre film a défendu cette idée
que les histoires pouvaient être dotées d'un pouvoir curateur.
Je veux bien sûr parler de Quelques minutes après minuit de Juan Antonio Bayona.
Là aussi, une créature magique apparaît brusquement
dans la vie d'un enfant à un moment particulièrement difficile pour lui.
Là aussi, elle extirpe du garçon une vérité douloureuse
et lui apprend l'inéluctabilité de certaines choses.
Ce qui lui permet in fine d'apaiser sa conscience