×

Мы используем cookie-файлы, чтобы сделать работу LingQ лучше. Находясь на нашем сайте, вы соглашаетесь на наши правила обработки файлов «cookie».


image

Enlevé Kidnapped, chapitre 20

chapitre 20

XX. La fuite dans la bruyère :les rocs

Nous marchions et nous courions alternativement ; et à mesure que le matin approchait, nous marchions moins souvent et courions davantage. Bien que le pays semblât, à première vue, un désert, il s'y trouvait des cabanes et des chaumières habitées. Nous dûmes passer à côté d'au moins vingt d'entre elles, nichées aux lieux les plus secrets des montagnes. En arrivant à l'une de ces maisons, Alan me laissa sur la route et alla lui-même heurter au mur et parler un moment à la fenêtre avec le dormeur qu'il avait réveillé. C'était afin de communiquer les nouvelles ; et la chose était, dans ce pays, si bien considérée comme un devoir, qu'Alan dut faire halte et s'en acquitter au cours même de sa fuite pour la vie ; et chacun s'en acquittait si bien que dans plus de la moitié des logis où il s'adressa, on était déjà au courant du meurtre. Dans les autres, autant que je pus comprendre (car je restais à distance et l'on parlait une langue étrangère), la nouvelle était reçue avec plus de consternation que d'étonnement.

En dépit de notre hâte, le jour pointait, que nous étions encore loin de tout asile. Il nous trouva dans une vallée fantastique, parsemée de rochers, où courait une rivière torrentueuse. Des montagnes farouches l'encaissaient ; il n'y venait ni herbes ni arbres ; et j'ai souvent imaginé, depuis, que cette vallée pouvait bien être celle de Glencoe[29], où eut lieu le massacre au temps du roi Guillaume. Mais quant au détail de notre itinéraire, je l'ignore absolument ; notre chemin suivait tantôt des raccourcis, tantôt de grands détours ; notre allure était précipitée, nous voyagions surtout de nuit ; et les noms de lieux par lesquels on répondait à mes questions étant en gaélique, je les ai oubliés depuis longtemps.

Les premières lueurs du matin, donc, nous découvrirent cet affreux paysage, et je vis le front d'Alan se plisser.

– Ce n'est pas l'endroit qui nous convient, me dit-il. On viendra forcément par ici.

Et il se mit à courir plus vite jusqu'au bord de l'eau, en un point où la rivière était coupée en deux bras par trois rochers. Elle se précipitait avec un épouvantable bruit de tonnerre qui me résonnait dans le ventre ; et un nuage d'embrun flottait sur le courant. Sans regarder ni à droite ni à gauche, Alan s'élança d'un bond sur le rocher du milieu, s'y laissa retomber à quatre pattes pour se retenir, car le rocher n'était pas large, et il aurait pu facilement passer par-dessus. Je n'avais pas encore eu le loisir d'évaluer la distance ou de comprendre le danger, que je l'avais suivi, et qu'il m'avait empoigné et arrêté.

Nous étions donc là, côte à côte sur un étroit rocher tout glissant d'embrun ; il nous restait un bras encore plus large à sauter, et la rivière mugissait tout alentour de nous. Quand je me vis là, une affreuse nausée de crainte m'envahit, et je me cachai les yeux, de la main. Alan me secoua ; je le voyais parler, mais le bruit du rapide et le trouble de mon esprit m'empêchaient de l'entendre ; je m'aperçus toutefois que son visage rougissait de colère, et qu'il frappait du pied le rocher. Le même coup d'œil me montra les eaux profondes, et l'embrun suspendu dans l'air ; aussi je me voilai de nouveau la face, en frissonnant.

L'instant d'après, Alan m'avait mis aux lèvres la gourde d'eau-de-vie et il m'obligeait d'en boire la valeur d'un gobelet, ce qui me fit remonter le sang au cerveau. Puis, se faisant un porte-voix de ses mains qu'il appliqua contre mon oreille, il cria : « Pendu ou noyé ! » et, me tournant le dos, il sauta par-dessus le deuxième bras du courant, et prit terre sans encombre.

J'étais alors sur le rocher, ce qui me laissait plus de place ; l'eau-de-vie chantait à mes oreilles ; j'avais encore sous les yeux ce bon exemple, et juste assez de raison pour discerner que si je ne sautais pas sans retard, je ne sauterais pas du tout. Je fléchis sur mes jarrets et m'élançai, avec cette espèce de fureur désespérée qui tient parfois lieu de courage. En vérité, ce furent mes mains seules qui atteignirent l'autre bord ; elles glissèrent, se rattrapèrent, glissèrent de nouveau ; et j'allais retomber dans le courant, lorsque Alan me saisit, d'abord par les cheveux, puis au collet, et, d'un grand effort, m'attira sur la rive.

Sans dire un mot, il reprit sa course à toutes jambes, et il me fallut me remettre debout et courir derrière lui. J'étais fatigué, avant cela, mais je me sentais affreusement brisé, et à moitié ivre de l'eau-de-vie ; je trébuchais tout courant, un point de côté horrible me lancinait ; et lorsque Alan fit halte sous un gros roc qui se dressait parmi beaucoup d'autres, ce ne fut pas trop tôt pour David Balfour.

Un gros roc, dis-je ; mais c'étaient en réalité deux blocs qui s'arc-boutaient par leurs sommets, de vingt pieds de haut chacun et, à première vue, inaccessibles. Même Alan (qui paraissait doué de quatre mains) dut s'y reprendre à deux fois pour arriver au haut. À la troisième tentative, et en se mettant debout sur mes épaules, et de là s'élançant avec une telle violence que je pensai avoir l'échine rompue, il réussit à y prendre pied. Une fois là-haut, il me tendit son ceinturon de cuir ; et avec l'aide de ce ceinturon et d'une couple de crevasses où se posa mon pied, je me hissai à côté de lui.

Je découvris alors pourquoi il était monté là ; car les deux blocs, étant un peu creusés à leurs sommets qui se rejoignaient, formaient une sorte d'assiette ou de coupe, où trois et même quatre hommes auraient pu se cacher à l'aise.

Cependant, Alan n'avait pas prononcé une parole, mais il avait couru et grimpé avec une frénésie de hâte farouche et muette qui indiquait chez lui la crainte de quelque danger imminent. Même quand nous fûmes tous deux sur le roc, il ne dit rien, non plus qu'il ne dérida son front soucieux : il se tapit tout à plat, et, ne gardant qu'un œil au-dessus du rebord de notre lieu d'asile, promena tout autour de l'horizon un regard investigateur. L'aurore était venue, très pure ; nous découvrions les flancs pierreux de la vallée, et son fond parsemé de rochers, et la rivière qui serpentait d'un bord à l'autre et formait de blanches cascades ; mais pas la moindre fumée d'habitation, et nul être vivant, que des aigles croassant alentour d'une falaise.

Alors enfin Alan se dérida.

– Oui, dit-il, à cette heure nous avons une chance ; puis me regardant avec quelque ironie : Vous n'êtes pas un fameux sauteur !

Je dus rougir d'humiliation, car il ajouta aussitôt :

– Bah ! je ne vous en blâmerai guère. Avoir peur d'une chose et pourtant l'accomplir, c'est ce qui fait l'homme brave par excellence. Or, il y avait là-bas de l'eau, et l'eau est capable de m'intimider moi-même. Non, non, ajouta-t-il, ce n'est pas vous qui êtes à blâmer, c'est moi.

Je lui en demandai la cause.

– Parce que je me suis conduit comme un imbécile, cette nuit. Pour commencer, je me suis trompé de route, et cela dans mon pays natal d'Appin ; aussi, le jour nous a surpris où nous n'aurions pas dû être ; en conséquence, nous nous trouvons ici exposés à quelque danger et à plus d'inconfort. Et ensuite (ce qui est le pire des deux, pour qui est familiarisé avec la bruyère comme moi) je suis parti sans bouteille à eau, et nous sommes condamnés à passer ici tout un long jour d'été sans rien à boire que de l'alcool pur. Vous pouvez croire que c'est là une petite affaire ; mais avant la tombée de la nuit, David, vous m'en direz des nouvelles.

J'étais fort désireux de lui donner meilleure opinion de moi, et lui offris, s'il consentait à vider l'eau-de-vie, de descendre et de courir jusqu'à la rivière, remplir la gourde.

– Non, dit-il, je ne voudrais pas gaspiller ce bon alcool. Il nous a rendu cette nuit un fameux service, car sans lui, à mon humble avis, vous seriez encore perché sur cette pierre là-bas. Et qui plus est, vous avez pu remarquer (vous, si observateur) qu'Alan Breck Stewart a peut-être marché un peu plus vite qu'à son ordinaire.

– Vous ! m'écriai-je, vous couriez à tout rompre.

– En vérité ? Eh bien, dans ce cas, je vous garantis qu'il n'y avait pas de temps à perdre. Et maintenant, assez causé ; faites un somme, garçon, et je veillerai.

Je m'installai donc pour dormir. Un peu de terre tourbeuse s'était amassée entre les sommets des deux blocs, et il y poussait quelques fougères, dont je me fis un lit. Le dernier bruit que je perçus était le croassement des aigles.

Il pouvait être neuf heures du matin, lorsque je fus réveillé brutalement par Alan, dont la main me comprimait la bouche.

– Chut ! susurra-t-il. Vous ronfliez.

– Eh mais, dis-je, surpris de lui voir le visage anxieux et assombri, – où est le mal ?

Il lança un coup d'œil par-dessus le rebord du roc, et me fit signe de l'imiter.

Le soleil était haut et ardait dans un ciel sans nuages. La vallée apparaissait nette comme une peinture. À environ un demi-mille en amont se trouvait un campement d'habits-rouges ; ils étaient rassemblés autour d'un grand feu, sur lequel plusieurs faisaient la cuisine ; et tout près, sur le haut d'un roc presque aussi élevé que le nôtre, se tenait une sentinelle, dont les armes étincelaient au soleil. Tout le long de la rivière, vers l'aval, d'autres sentinelles se succédaient, ici très rapprochées, ailleurs plus largement espacées ; les unes comme la première, debout sur des points culminants, les autres au niveau du sol et se promenant de long en large, pour se rencontrer à mi-chemin. Plus haut dans la vallée, où le terrain était plus découvert, la chaîne de postes se prolongeait par des cavaliers, que nous voyions au loin marcher de côté et d'autre. Plus bas, c'étaient encore des fantassins ; mais comme le cours d'eau s'y enflait brusquement par l'adjonction d'un fort affluent, ils s'espaçaient davantage, et surveillaient uniquement les gués et les pierres de traverse.

Je leur jetai un simple coup d'œil et me recouchai aussitôt à ma place. C'était un spectacle étrange, de voir cette vallée, si déserte à l'aube, tout étincelante d'armes et parsemée d'habits et pantalons rouges.

– Vous le voyez, David, dit Alan, c'est bien ce que je craignais : ils surveillent les bords du torrent. Ils ont commencé d'arriver voilà environ deux heures ; mais, ami, vous êtes un rude dormeur ! Nous sommes dans une mauvaise passe. S'ils montent sur les versants de la vallée, ils n'auront pas besoin de longue-vue pour nous découvrir ; mais si par bonheur ils ne quittent pas le fond, nous pouvons nous en tirer. Les postes sont plus clairsemés, en aval ; et, vienne la nuit, nous tâcherons de passer entre deux.

– Et qu'allons-nous faire jusque-là ? demandai-je.

– Rester ici, et rissoler.

Cet authentique mot écossais, rissoler[30], résumait en effet l'histoire de cette journée que nous avions alors à passer. On doit se souvenir que nous étions sur le sommet dénudé d'un bloc de rocher, telles des châtaignes à la poêle ; le soleil tombait d'aplomb sur nous, impitoyablement ; le roc devint brûlant au point que l'on pouvait à peine en supporter le contact ; et le minuscule espace de terre et de bruyère qui restait un peu plus frais ne pouvait recevoir que l'un de nous deux à la fois. Nous nous relayâmes pour rester couchés, sur le roc nu, position fort analogue à celle du saint qui fut martyrisé sur un gril ; et je vis une singularité frappante dans le fait que, sous la même latitude et à peu de jours d'intervalle, j'eusse pu souffrir si cruellement, d'abord du froid sur mon île, et à présent de la chaleur sur ce rocher.

Cependant, nous manquions d'eau, et n'avions à boire que de l'alcool pur, ce qui était pis que rien ; mais nous tenions la gourde aussi fraîche que possible, en la plongeant dans la terre, et nous trouvâmes quelque soulagement à nous humecter de son contenu les tempes et la poitrine.

Tout le jour, les soldats ne cessèrent de s'activer dans le fond de la vallée, tantôt à relever les sentinelles, tantôt à envoyer des patrouilles en reconnaissance parmi les rocs. Ceux-ci étaient en si grand nombre que chercher des hommes entre eux équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin, et, vu l'inutilité de la tâche, elle se trouvait exécutée avec peu de soin. Pourtant, nous voyions les soldats fouiller les bruyères de leurs baïonnettes, ce qui me donnait froid dans le dos, et de temps à autre ils rôdaient alentour de notre rocher, et nous osions à peine respirer.

Ce fut dans cette occasion que j'entendis pour la première fois parler bon anglais. Un homme s'en vint poser la main sur la face ensoleillée du bloc sur lequel nous étions, et la retira aussitôt avec un juron.

« Je vous garantis que c'est chaud ! » dit-il ; et je fus surpris de l'entendre manger la moitié des mots et chanter pour ainsi dire en parlant, et aussi de cette singulière manie d'élider les h. J'avais déjà, il est vrai, entendu Ransome ; mais il empruntait ses façons à toutes sortes de gens, et il parlait si mal en somme, que j'attribuais le tout à son enfantillage. Mon étonnement fut d'autant plus fort, de retrouver cette manière de parler dans la bouche d'un homme fait ; et au vrai, je ne m'y suis jamais habitué, pas plus d'ailleurs qu'à la grammaire anglaise, comme peut-être un œil très exercé pourrait çà et là le découvrir jusque dans les présents mémoires.

La fastidiosité et les souffrances de ces heures passées sur notre rocher ne firent que s'accroître à mesure que le jour s'avançait ; le roc devenait toujours plus brûlant et le soleil plus féroce. Nous avions à supporter des vertiges et des nausées, avec des douleurs aiguës comme des rhumatismes. Je me rappelai alors, et me suis souvent rappelé depuis, ces vers de notre psaume écossais :

La lune durant la nuit ne te blessera pas,

Non plus que, de jour, le soleil.

Et ce fut bien réellement par la permission de Dieu que nous n'attrapâmes d'insolation ni l'un ni l'autre.

À la fin, vers deux heures, le supplice était devenu intolérable, et en outre de la douleur à subir, il nous fallait résister à une tentation. Car le soleil était à cette heure un peu dans l'ouest, et il y avait un espace d'ombre sur le flanc de notre rocher, qui était le côté invisible aux soldats.

– Autant une mort que l'autre, dit Alan. Et se laissant glisser par-dessus le rebord, il sauta à terre du côté de l'ombre.

Je le suivis sans hésiter, et m'étendis aussitôt de mon long, tout épuisé et vertigineux de cette interminable torture. Nous demeurâmes sans bouger une heure ou deux, courbaturés de la tête aux pieds, anéantis, et exposés sans remède aux yeux de tout soldat qui fût passé par là. Mais personne ne vint, car tous prenaient l'autre côté ; si bien que notre rocher demeurait notre égide, même dans cette nouvelle situation.

Peu à peu nous recouvrâmes quelques forces ; et comme les soldats s'étaient alors rapprochés de la rivière, Alan fut d'avis que nous pourrions tenter de fuir. À ce moment, je n'avais plus peur que d'une chose au monde : retourner sur le rocher ; tout le reste m'était égal. Nous nous mîmes donc aussitôt en ordre de marche, et entreprîmes de nous glisser d'un roc à l'autre successivement, tantôt rampant à plat ventre dans l'ombre, tantôt galopant dans l'intervalle, le cœur sur les lèvres.

Après avoir exploré méthodiquement ce côté de la vallée, et peut-être alourdis par la touffeur de l'après-midi, les soldats s'étaient fort relâchés de leur vigilance, et somnolaient à leur poste ou ne surveillaient plus que les rives du torrent ; aussi, de la façon que je viens de dire, descendant la vallée et obliquant un peu vers la hauteur, nous nous éloignâmes par degrés de leur voisinage. Il eût fallu avoir cents yeux tout autour de la tête, pour rester caché sur ce terrain inégal et à portée de voix de toutes ces sentinelles dispersées. Lorsque nous avions à franchir un espace découvert, la promptitude ne suffisait pas, il fallait encore scruter à l'instant, outre les embûches de tout le paysage, la solidité de chacune des pierres sur lesquelles nous devions poser le pied ; car l'après-midi était tombé à un silence tel qu'un simple caillou faisait, en roulant, le bruit d'un coup de pistolet, et réveillait tous les échos des hauteurs et des précipices.

Au coucher du soleil, en dépit de l'allure si lente de nos progrès, nous avions déjà parcouru quelque distance, bien que la sentinelle sur le roc fût toujours visible. Mais nous arrivâmes alors devant un objet qui nous fit oublier toutes nos craintes. C'était un torrent profond et rapide qui se précipitait devant nous, pour rejoindre le courant principal.

Nous nous jetâmes à terre sur son bord et plongeâmes dans l'eau nos têtes et nos bras ; et je ne saurais dire ce qui était le plus délicieux, du grand frisson éprouvé au contact de la torrentueuse fraîcheur ou des avides gorgées que nous en avalions.

Nous restâmes là (cachés par les rives), buvant coup sur coup, nous baignant le torse, laissant pendre nos poignets dans l'eau vive, jusqu'à ce que la fraîcheur les endolorît, et pour finir, ainsi admirablement revigorés, nous sortîmes le sac à farine et fîmes le drammach dans notre casserole de fer. Ce mets – simple pâte de farine d'avoine délayée dans l'eau froide – ne laisse pas d'être fort appétissant pour quelqu'un d'affamé ; et quand il n'y a pas moyen de faire du feu, ou si l'on a (comme dans notre cas) toute raison de n'en pas faire, le drammach est le meilleur soutien de ceux qui ont pris la bruyère.

Sitôt la nuit tombée, nous nous remîmes en route, d'abord avec les mêmes précautions, puis bientôt avec plus de hardiesse, nous redressant de tout notre haut et allant d'un bon pas. Le chemin était très compliqué, suivant des flancs de montagne abrupts, et longeant des précipices ; des nuages s'étaient rassemblés, au coucher du soleil, et la nuit était froide et obscure ; aussi je marchais sans grande fatigue, mais dans une crainte continuelle de tomber ou de rouler à bas des pentes, et sans soupçonner rien de notre direction.

La lune se leva comme nous étions encore en route ; elle était à son dernier quartier, et resta longtemps voilée de nuages ; mais à la fin, elle se dégagea claire et me montra une foule de sombres cimes montagneuses, tandis qu'elle se reflétait loin au-dessous de nous dans le bras étroit d'un loch maritime.

À cette vue, nous fîmes halte tous deux, moi frappé d'étonnement de me trouver à pareille hauteur et marchant (me semblait-il) sur les nuages ; Alan pour vérifier sa direction.

Il fut apparemment satisfait, et il dut à coup sûr nous juger hors de portée des oreilles ennemies ; car toute la dernière partie de notre course nocturne, il trompa l'ennui du chemin en sifflant des tas d'airs, guerriers, joyeux, mélancoliques ; airs de danse qui faisaient accélérer le pas ; airs de mon pays du sud qui faisaient aspirer au retour et à la fin de mes aventures ; et tous, parmi les grandes montagnes sombres et désertes, nous tenaient compagnie le long du chemin.

chapitre 20 chapter 20 capítulo 20

XX. XX. La fuite dans la bruyère :les rocs Escape into the heather: the rocks

Nous marchions et nous courions alternativement ; et à mesure que le matin approchait, nous marchions moins souvent et courions davantage. We walked and ran alternately, and as morning approached, we walked less and ran more. Bien que le pays semblât, à première vue, un désert, il s’y trouvait des cabanes et des chaumières habitées. Although at first sight the country seemed a desert, there were inhabited huts and thatched cottages. Nous dûmes passer à côté d’au moins vingt d’entre elles, nichées aux lieux les plus secrets des montagnes. We must have missed at least twenty of them, nestled in the most secret parts of the mountains. En arrivant à l’une de ces maisons, Alan me laissa sur la route et alla lui-même heurter au mur et parler un moment à la fenêtre avec le dormeur qu’il avait réveillé. Arriving at one of these houses, Alan left me on the road and went himself to bump into the wall and talk for a moment at the window with the sleeper he had awakened. C’était afin de communiquer les nouvelles ; et la chose était, dans ce pays, si bien considérée comme un devoir, qu’Alan dut faire halte et s’en acquitter au cours même de sa fuite pour la vie ; et chacun s’en acquittait si bien que dans plus de la moitié des logis où il s’adressa, on était déjà au courant du meurtre. It was in order to communicate the news; and the thing was, in this country, so well regarded as a duty, that Alan had to halt and perform it in the very course of his flight for life; and everyone performed it so well that in more than half the lodgings he addressed, they already knew of the murder. Dans les autres, autant que je pus comprendre (car je restais à distance et l’on parlait une langue étrangère), la nouvelle était reçue avec plus de consternation que d’étonnement. In the others, as far as I could make out (for I was at a distance and they spoke a foreign language), the news was received with more consternation than astonishment.

En dépit de notre hâte, le jour pointait, que nous étions encore loin de tout asile. Despite our haste, it was still daylight, and we were still a long way from an asylum. Il nous trouva dans une vallée fantastique, parsemée de rochers, où courait une rivière torrentueuse. He found us in a fantastic, rock-strewn valley, with a torrential river running through it. Des montagnes farouches l’encaissaient ; il n’y venait ni herbes ni arbres ; et j’ai souvent imaginé, depuis, que cette vallée pouvait bien être celle de Glencoe[29], où eut lieu le massacre au temps du roi Guillaume. Fierce mountains encircled it; there was neither grass nor trees; and I have often imagined, since then, that this valley could well be that of Glencoe[29], where the massacre took place in the time of King William. Mais quant au détail de notre itinéraire, je l’ignore absolument ; notre chemin suivait tantôt des raccourcis, tantôt de grands détours ; notre allure était précipitée, nous voyagions surtout de nuit ; et les noms de lieux par lesquels on répondait à mes questions étant en gaélique, je les ai oubliés depuis longtemps. But as for the details of our itinerary, I'm completely ignorant; our path sometimes followed shortcuts, sometimes long detours; our pace was hurried, we traveled mostly by night; and the place names by which my questions were answered being in Gaelic, I've long since forgotten them.

Les premières lueurs du matin, donc, nous découvrirent cet affreux paysage, et je vis le front d’Alan se plisser. The first light of morning, therefore, revealed this dreadful landscape to us, and I saw Alan's brow furrow.

– Ce n’est pas l’endroit qui nous convient, me dit-il. - This is not the place for us," he says. On viendra forcément par ici. We're bound to come this way.

Et il se mit à courir plus vite jusqu’au bord de l’eau, en un point où la rivière était coupée en deux bras par trois rochers. And he ran faster to the water's edge, to a point where the river was cut into two arms by three rocks. Elle se précipitait avec un épouvantable bruit de tonnerre qui me résonnait dans le ventre ; et un nuage d’embrun flottait sur le courant. It rushed by with a dreadful thunderous noise that echoed in my belly; and a cloud of spray floated down the current. Sans regarder ni à droite ni à gauche, Alan s’élança d’un bond sur le rocher du milieu, s’y laissa retomber à quatre pattes pour se retenir, car le rocher n’était pas large, et il aurait pu facilement passer par-dessus. Without looking left or right, Alan leapt onto the middle rock and dropped back onto all fours to hold on, for the rock was not wide and he could easily have climbed over it. Je n’avais pas encore eu le loisir d’évaluer la distance ou de comprendre le danger, que je l’avais suivi, et qu’il m’avait empoigné et arrêté. I hadn't yet had time to assess the distance or understand the danger, I had followed him, and he had grabbed me and stopped me.

Nous étions donc là, côte à côte sur un étroit rocher tout glissant d’embrun ; il nous restait un bras encore plus large à sauter, et la rivière mugissait tout alentour de nous. So there we were, side by side on a narrow rock all slippery with spray; we still had an even wider arm to jump, and the river was roaring all around us. Quand je me vis là, une affreuse nausée de crainte m’envahit, et je me cachai les yeux, de la main. When I saw myself there, an awful nausea of fear came over me, and I covered my eyes with my hand. Alan me secoua ; je le voyais parler, mais le bruit du rapide et le trouble de mon esprit m’empêchaient de l’entendre ; je m’aperçus toutefois que son visage rougissait de colère, et qu’il frappait du pied le rocher. Alan shook me; I could see him speaking, but the noise of the rapid and the turmoil of my mind prevented me from hearing him; I did notice, however, that his face was flushed with anger, and that he was stamping his foot on the rock. Le même coup d’œil me montra les eaux profondes, et l’embrun suspendu dans l’air ; aussi je me voilai de nouveau la face, en frissonnant. The same glance showed me the deep waters, and the spray suspended in the air; so I veiled my face again, shivering.

L’instant d’après, Alan m’avait mis aux lèvres la gourde d’eau-de-vie et il m’obligeait d’en boire la valeur d’un gobelet, ce qui me fit remonter le sang au cerveau. The next thing I knew, Alan had put the flask of brandy to my lips and was forcing me to drink a goblet's worth, which sent blood rushing to my brain. Puis, se faisant un porte-voix de ses mains qu’il appliqua contre mon oreille, il cria : « Pendu ou noyé ! Then, using his hands as megaphones and pressing them against my ear, he shouted: "Hang or drown! » et, me tournant le dos, il sauta par-dessus le deuxième bras du courant, et prit terre sans encombre. "and, with his back to me, he jumped over the second arm of the stream and landed safely.

J’étais alors sur le rocher, ce qui me laissait plus de place ; l’eau-de-vie chantait à mes oreilles ; j’avais encore sous les yeux ce bon exemple, et juste assez de raison pour discerner que si je ne sautais pas sans retard, je ne sauterais pas du tout. I was then on the rock, which gave me more room; the brandy was singing in my ears; I still had that good example before my eyes, and just enough reason to discern that if I didn't jump without delay, I wouldn't jump at all. Je fléchis sur mes jarrets et m’élançai, avec cette espèce de fureur désespérée qui tient parfois lieu de courage. I flexed my hocks and dashed forward, with that kind of desperate fury that sometimes takes the place of courage. En vérité, ce furent mes mains seules qui atteignirent l’autre bord ; elles glissèrent, se rattrapèrent, glissèrent de nouveau ; et j’allais retomber dans le courant, lorsque Alan me saisit, d’abord par les cheveux, puis au collet, et, d’un grand effort, m’attira sur la rive. In truth, it was my hands alone that reached the other side; they slipped, caught themselves, slipped again; and I was about to fall back into the current, when Alan grabbed me, first by the hair, then by the collar, and, with a great effort, pulled me to shore.

Sans dire un mot, il reprit sa course à toutes jambes, et il me fallut me remettre debout et courir derrière lui. Without saying a word, he ran off again, and I had to get to my feet and run after him. J’étais fatigué, avant cela, mais je me sentais affreusement brisé, et à moitié ivre de l’eau-de-vie ; je trébuchais tout courant, un point de côté horrible me lancinait ; et lorsque Alan fit halte sous un gros roc qui se dressait parmi beaucoup d’autres, ce ne fut pas trop tôt pour David Balfour. I was tired, before that, but I felt horribly broken, and half-drunk on brandy; I stumbled as I ran, a horrible stitch in my side throbbing; and when Alan halted under a large rock that stood among many others, it was not a moment too soon for David Balfour.

Un gros roc, dis-je ; mais c’étaient en réalité deux blocs qui s’arc-boutaient par leurs sommets, de vingt pieds de haut chacun et, à première vue, inaccessibles. A large boulder, I said, but in reality it was two boulders, each twenty feet high and, at first glance, inaccessible. Même Alan (qui paraissait doué de quatre mains) dut s’y reprendre à deux fois pour arriver au haut. Even Alan (who seemed to have four hands) had to work twice to get to the top. À la troisième tentative, et en se mettant debout sur mes épaules, et de là s’élançant avec une telle violence que je pensai avoir l’échine rompue, il réussit à y prendre pied. On the third attempt, and by standing on my shoulders, and from there launching himself with such violence that I thought I'd broken my spine, he managed to gain a foothold. Une fois là-haut, il me tendit son ceinturon de cuir ; et avec l’aide de ce ceinturon et d’une couple de crevasses où se posa mon pied, je me hissai à côté de lui. Once up there, he handed me his leather belt; and with the help of this belt and a couple of crevices where my foot landed, I pulled myself up beside him.

Je découvris alors pourquoi il était monté là ; car les deux blocs, étant un peu creusés à leurs sommets qui se rejoignaient, formaient une sorte d’assiette ou de coupe, où trois et même quatre hommes auraient pu se cacher à l’aise. I then discovered why he had climbed up there; for the two blocks, being a little hollowed out at their summits which met, formed a sort of plate or cup, where three or even four men could have hidden at ease.

Cependant, Alan n’avait pas prononcé une parole, mais il avait couru et grimpé avec une frénésie de hâte farouche et muette qui indiquait chez lui la crainte de quelque danger imminent. However, Alan had not uttered a word, but had run and climbed with a frenzy of fierce, mute haste that indicated in him the fear of some imminent danger. Même quand nous fûmes tous deux sur le roc, il ne dit rien, non plus qu’il ne dérida son front soucieux : il se tapit tout à plat, et, ne gardant qu’un œil au-dessus du rebord de notre lieu d’asile, promena tout autour de l’horizon un regard investigateur. Even when we were both on the rock, he didn't say a word, nor did he relax his worried brow: he lurked flat out, and, keeping only one eye over the edge of our place of refuge, looked all around the horizon with an investigative gaze. L’aurore était venue, très pure ; nous découvrions les flancs pierreux de la vallée, et son fond parsemé de rochers, et la rivière qui serpentait d’un bord à l’autre et formait de blanches cascades ; mais pas la moindre fumée d’habitation, et nul être vivant, que des aigles croassant alentour d’une falaise. The dawn had come, very pure; we could see the stony sides of the valley, and its rocky floor, and the river that meandered from one side to the other and formed white waterfalls; but not the slightest smoke from a dwelling, and no living thing but eagles croaking around a cliff.

Alors enfin Alan se dérida. So at last Alan relaxed.

– Oui, dit-il, à cette heure nous avons une chance ; puis me regardant avec quelque ironie : Vous n’êtes pas un fameux sauteur ! - Yes," he says, "at this hour we have a chance; then looking at me with some irony: "You're not a famous jumper!

Je dus rougir d’humiliation, car il ajouta aussitôt : I must have blushed with humiliation, for he immediately added:

– Bah ! - Bah! je ne vous en blâmerai guère. I don't blame you. Avoir peur d’une chose et pourtant l’accomplir, c’est ce qui fait l’homme brave par excellence. To be afraid of a thing and yet accomplish it, that's what makes the man brave par excellence. Or, il y avait là-bas de l’eau, et l’eau est capable de m’intimider moi-même. Now, there was water there, and water is capable of intimidating me myself. Non, non, ajouta-t-il, ce n’est pas vous qui êtes à blâmer, c’est moi. No, no," he added, "it's not you who's to blame, it's me.

Je lui en demandai la cause. I asked him why.

– Parce que je me suis conduit comme un imbécile, cette nuit. - Because I behaved like an idiot last night. Pour commencer, je me suis trompé de route, et cela dans mon pays natal d’Appin ; aussi, le jour nous a surpris où nous n’aurions pas dû être ; en conséquence, nous nous trouvons ici exposés à quelque danger et à plus d’inconfort. To begin with, I took the wrong road in my native Appin, so the day caught us where we shouldn't have been; as a result, we find ourselves exposed to some danger and more discomfort here. Et ensuite (ce qui est le pire des deux, pour qui est familiarisé avec la bruyère comme moi) je suis parti sans bouteille à eau, et nous sommes condamnés à passer ici tout un long jour d’été sans rien à boire que de l’alcool pur. And then (which is the worse of the two, for anyone familiar with heather like me) I left without a water bottle, and we're doomed to spend a whole long summer day here with nothing to drink but pure alcohol. Vous pouvez croire que c’est là une petite affaire ; mais avant la tombée de la nuit, David, vous m’en direz des nouvelles. You may think it's a small matter, but by nightfall, David, you'll be telling me all about it.

J’étais fort désireux de lui donner meilleure opinion de moi, et lui offris, s’il consentait à vider l’eau-de-vie, de descendre et de courir jusqu’à la rivière, remplir la gourde. I was anxious to give him a better opinion of me, and offered, if he would empty the brandy, to run down to the river and fill the flask.

– Non, dit-il, je ne voudrais pas gaspiller ce bon alcool. - No," he says, "I wouldn't want to waste the good booze. Il nous a rendu cette nuit un fameux service, car sans lui, à mon humble avis, vous seriez encore perché sur cette pierre là-bas. He did us a great favor last night, because without him, in my humble opinion, you'd still be perched on that rock over there. Et qui plus est, vous avez pu remarquer (vous, si observateur) qu’Alan Breck Stewart a peut-être marché un peu plus vite qu’à son ordinaire. And what's more, you may have noticed (you, so observant) that Alan Breck Stewart may have walked a little faster than usual.

– Vous ! - You! m’écriai-je, vous couriez à tout rompre. I exclaimed, running like crazy.

– En vérité ? - Really? Eh bien, dans ce cas, je vous garantis qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Well, in that case, I guarantee you there was no time to lose. Et maintenant, assez causé ; faites un somme, garçon, et je veillerai. And now, enough chitchat; take a nap, boy, and I'll keep watch.

Je m’installai donc pour dormir. So I settled down to sleep. Un peu de terre tourbeuse s’était amassée entre les sommets des deux blocs, et il y poussait quelques fougères, dont je me fis un lit. A bit of peaty soil had accumulated between the tops of the two blocks, and a few ferns were growing there, which I made my own bed. Le dernier bruit que je perçus était le croassement des aigles. The last sound I heard was the cawing of eagles.

Il pouvait être neuf heures du matin, lorsque je fus réveillé brutalement par Alan, dont la main me comprimait la bouche. It could have been nine o'clock in the morning, when I was rudely awakened by Alan, whose hand was squeezing my mouth.

– Chut ! - Hush! susurra-t-il. he whispered. Vous ronfliez. You snore.

– Eh mais, dis-je, surpris de lui voir le visage anxieux et assombri, – où est le mal ? - Well," I said, surprised to see his face anxious and darkened, "what's the harm?

Il lança un coup d’œil par-dessus le rebord du roc, et me fit signe de l’imiter. He glanced over the edge of the rock and motioned for me to follow.

Le soleil était haut et ardait dans un ciel sans nuages. The sun was high and shining in a cloudless sky. La vallée apparaissait nette comme une peinture. The valley appeared as clear as a painting. À environ un demi-mille en amont se trouvait un campement d’habits-rouges ; ils étaient rassemblés autour d’un grand feu, sur lequel plusieurs faisaient la cuisine ; et tout près, sur le haut d’un roc presque aussi élevé que le nôtre, se tenait une sentinelle, dont les armes étincelaient au soleil. About half a mile upstream was an encampment of redcoats; they were gathered around a large fire, over which several were cooking; and nearby, on the top of a rock almost as high as ours, stood a sentinel, his weapons glinting in the sun. Tout le long de la rivière, vers l’aval, d’autres sentinelles se succédaient, ici très rapprochées, ailleurs plus largement espacées ; les unes comme la première, debout sur des points culminants, les autres au niveau du sol et se promenant de long en large, pour se rencontrer à mi-chemin. All along the river, downstream, other sentinels followed one another, here close together, elsewhere more widely spaced; some like the first, standing on high points, others at ground level and wandering up and down, meeting halfway. Plus haut dans la vallée, où le terrain était plus découvert, la chaîne de postes se prolongeait par des cavaliers, que nous voyions au loin marcher de côté et d’autre. Further up the valley, where the terrain was more open, the chain of posts was extended by horsemen, whom we could see in the distance walking from side to side. Plus bas, c’étaient encore des fantassins ; mais comme le cours d’eau s’y enflait brusquement par l’adjonction d’un fort affluent, ils s’espaçaient davantage, et surveillaient uniquement les gués et les pierres de traverse. Further down, they were still infantrymen, but as the river swelled abruptly with the addition of a strong tributary, they spaced themselves further apart, guarding only the fords and crossing stones.

Je leur jetai un simple coup d’œil et me recouchai aussitôt à ma place. I just glanced at them and immediately went back to my seat. C’était un spectacle étrange, de voir cette vallée, si déserte à l’aube, tout étincelante d’armes et parsemée d’habits et pantalons rouges. It was a strange sight, to see this valley, so deserted at dawn, all gleaming with weapons and dotted with red clothes and pants.

– Vous le voyez, David, dit Alan, c’est bien ce que je craignais : ils surveillent les bords du torrent. - You see, David," says Alan, "it's just as I feared: they're watching the banks of the torrent. Ils ont commencé d’arriver voilà environ deux heures ; mais, ami, vous êtes un rude dormeur ! They started arriving about two hours ago; but, friend, you're a rough sleeper! Nous sommes dans une mauvaise passe. We're in a bad way. S’ils montent sur les versants de la vallée, ils n’auront pas besoin de longue-vue pour nous découvrir ; mais si par bonheur ils ne quittent pas le fond, nous pouvons nous en tirer. If they climb the slopes of the valley, they won't need a spyglass to discover us; but if by chance they don't leave the bottom, we can get away with it. Les postes sont plus clairsemés, en aval ; et, vienne la nuit, nous tâcherons de passer entre deux. The posts are sparser downstream, and come nightfall, we'll try to pass between them.

– Et qu’allons-nous faire jusque-là ? - And what are we going to do until then? demandai-je. I asked.

– Rester ici, et rissoler. - Stay here and fry.

Cet authentique mot écossais, rissoler[30], résumait en effet l’histoire de cette journée que nous avions alors à passer. This authentic Scottish word, rissoler[30], indeed summed up the story of the day we were then to spend. On doit se souvenir que nous étions sur le sommet dénudé d’un bloc de rocher, telles des châtaignes à la poêle ; le soleil tombait d’aplomb sur nous, impitoyablement ; le roc devint brûlant au point que l’on pouvait à peine en supporter le contact ; et le minuscule espace de terre et de bruyère qui restait un peu plus frais ne pouvait recevoir que l’un de nous deux à la fois. We were standing on the bare summit of a boulder, like chestnuts in a frying pan; the sun was falling mercilessly down on us; the rock became so hot that we could barely stand the touch of it; and the tiny space of earth and heather that remained a little cooler could only accommodate one of us at a time. Nous nous relayâmes pour rester couchés, sur le roc nu, position fort analogue à celle du saint qui fut martyrisé sur un gril ; et je vis une singularité frappante dans le fait que, sous la même latitude et à peu de jours d’intervalle, j’eusse pu souffrir si cruellement, d’abord du froid sur mon île, et à présent de la chaleur sur ce rocher. We took turns lying on the bare rock, a position very similar to that of the saint who was martyred on a grill; and I saw a striking singularity in the fact that, in the same latitude and only a few days apart, I could have suffered so cruelly, first from the cold on my island, and now from the heat on this rock.

Cependant, nous manquions d’eau, et n’avions à boire que de l’alcool pur, ce qui était pis que rien ; mais nous tenions la gourde aussi fraîche que possible, en la plongeant dans la terre, et nous trouvâmes quelque soulagement à nous humecter de son contenu les tempes et la poitrine. However, we were short of water, and had only pure alcohol to drink, which was worse than nothing; but we kept the gourd as cool as possible, dipping it into the earth, and found some relief in moistening our temples and chests with its contents.

Tout le jour, les soldats ne cessèrent de s’activer dans le fond de la vallée, tantôt à relever les sentinelles, tantôt à envoyer des patrouilles en reconnaissance parmi les rocs. All day long, the soldiers kept busy at the bottom of the valley, sometimes relieving the sentries, sometimes sending out patrols to reconnoiter among the rocks. Ceux-ci étaient en si grand nombre que chercher des hommes entre eux équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin, et, vu l’inutilité de la tâche, elle se trouvait exécutée avec peu de soin. There were so many of them that looking for men among them was like looking for a needle in a haystack, and, given the uselessness of the task, it was carried out with little care. Pourtant, nous voyions les soldats fouiller les bruyères de leurs baïonnettes, ce qui me donnait froid dans le dos, et de temps à autre ils rôdaient alentour de notre rocher, et nous osions à peine respirer. Yet we could see the soldiers digging their bayonets into the heather, which gave me the chills, and from time to time they prowled around our rock, and we hardly dared to breathe.

Ce fut dans cette occasion que j’entendis pour la première fois parler bon anglais. It was on this occasion that I first heard good English spoken. Un homme s’en vint poser la main sur la face ensoleillée du bloc sur lequel nous étions, et la retira aussitôt avec un juron. A man came and put his hand on the sunny face of the block we were standing on, and immediately withdrew it with an expletive.

« Je vous garantis que c’est chaud ! "I guarantee it's hot! » dit-il ; et je fus surpris de l’entendre manger la moitié des mots et chanter pour ainsi dire en parlant, et aussi de cette singulière manie d’élider les h. J’avais déjà, il est vrai, entendu Ransome ; mais il empruntait ses façons à toutes sortes de gens, et il parlait si mal en somme, que j’attribuais le tout à son enfantillage. "and I was surprised to hear him eat half the words and sing, as it were, as he spoke, and also by his singular habit of eliding the h's. I had, it's true, heard Ransome before. I had, it's true, heard Ransome speak before, but he borrowed his mannerisms from all sorts of people, and spoke so badly that I attributed it all to his childishness. Mon étonnement fut d’autant plus fort, de retrouver cette manière de parler dans la bouche d’un homme fait ; et au vrai, je ne m’y suis jamais habitué, pas plus d’ailleurs qu’à la grammaire anglaise, comme peut-être un œil très exercé pourrait çà et là le découvrir jusque dans les présents mémoires. My astonishment was all the greater, to find this manner of speaking in the mouth of a made man; and the truth is, I never got used to it, any more than to English grammar, as perhaps a very trained eye could discover here and there even in the present memoirs.

La fastidiosité et les souffrances de ces heures passées sur notre rocher ne firent que s’accroître à mesure que le jour s’avançait ; le roc devenait toujours plus brûlant et le soleil plus féroce. The tediousness and suffering of these hours spent on our rock only increased as the day progressed; the rock became ever hotter and the sun more ferocious. Nous avions à supporter des vertiges et des nausées, avec des douleurs aiguës comme des rhumatismes. We had to put up with dizziness and nausea, with sharp pains like rheumatism. Je me rappelai alors, et me suis souvent rappelé depuis, ces vers de notre psaume écossais : I remembered then, and have often remembered since, these verses from our Scottish psalm:

La lune durant la nuit ne te blessera pas, The moon at night won't hurt you,

Non plus que, de jour, le soleil. Nor, by day, the sun.

Et ce fut bien réellement par la permission de Dieu que nous n’attrapâmes d’insolation ni l’un ni l’autre. And it was indeed by God's permission that neither of us got sunstroke.

À la fin, vers deux heures, le supplice était devenu intolérable, et en outre de la douleur à subir, il nous fallait résister à une tentation. In the end, around two o'clock, the ordeal became intolerable, and in addition to the pain we had to endure, we had to resist a temptation. Car le soleil était à cette heure un peu dans l’ouest, et il y avait un espace d’ombre sur le flanc de notre rocher, qui était le côté invisible aux soldats. For the sun was at that hour a little in the west, and there was a shadowy space on the side of our rock, which was the side invisible to the soldiers.

– Autant une mort que l’autre, dit Alan. - As much one death as the other," says Alan. Et se laissant glisser par-dessus le rebord, il sauta à terre du côté de l’ombre. And sliding over the edge, he jumped to the ground on the shadow side.

Je le suivis sans hésiter, et m’étendis aussitôt de mon long, tout épuisé et vertigineux de cette interminable torture. I followed him without hesitation, and immediately stretched out, exhausted and dizzy from this interminable torture. Nous demeurâmes sans bouger une heure ou deux, courbaturés de la tête aux pieds, anéantis, et exposés sans remède aux yeux de tout soldat qui fût passé par là. We lay motionless for an hour or two, aching from head to toe, devastated, and exposed without remedy to the eyes of any soldier who happened to pass by. Mais personne ne vint, car tous prenaient l’autre côté ; si bien que notre rocher demeurait notre égide, même dans cette nouvelle situation. But no one came, for they all went the other way; so our rock remained our aegis, even in this new situation.

Peu à peu nous recouvrâmes quelques forces ; et comme les soldats s’étaient alors rapprochés de la rivière, Alan fut d’avis que nous pourrions tenter de fuir. Gradually we regained some of our strength, and as the soldiers had moved closer to the river, Alan decided we should try to escape. À ce moment, je n’avais plus peur que d’une chose au monde : retourner sur le rocher ; tout le reste m’était égal. At that moment, I was afraid of only one thing in the world: getting back on the rock; I didn't care about anything else. Nous nous mîmes donc aussitôt en ordre de marche, et entreprîmes de nous glisser d’un roc à l’autre successivement, tantôt rampant à plat ventre dans l’ombre, tantôt galopant dans l’intervalle, le cœur sur les lèvres. So we immediately got into marching order, and set about slipping from one rock to the next in succession, sometimes crawling on our bellies in the shadows, sometimes galloping in between, our hearts on our lips.

Après avoir exploré méthodiquement ce côté de la vallée, et peut-être alourdis par la touffeur de l’après-midi, les soldats s’étaient fort relâchés de leur vigilance, et somnolaient à leur poste ou ne surveillaient plus que les rives du torrent ; aussi, de la façon que je viens de dire, descendant la vallée et obliquant un peu vers la hauteur, nous nous éloignâmes par degrés de leur voisinage. Having methodically explored this side of the valley, and perhaps weighed down by the afternoon heat, the soldiers had relaxed their vigilance, and were either dozing at their posts or watching only the banks of the torrent; so, in the manner I have just described, descending the valley and obliquing a little towards the heights, we moved away from their vicinity by degrees. Il eût fallu avoir cents yeux tout autour de la tête, pour rester caché sur ce terrain inégal et à portée de voix de toutes ces sentinelles dispersées. You'd have had to have a hundred eyes around your head to stay hidden on this uneven terrain, within earshot of all those scattered sentries. Lorsque nous avions à franchir un espace découvert, la promptitude ne suffisait pas, il fallait encore scruter à l’instant, outre les embûches de tout le paysage, la solidité de chacune des pierres sur lesquelles nous devions poser le pied ; car l’après-midi était tombé à un silence tel qu’un simple caillou faisait, en roulant, le bruit d’un coup de pistolet, et réveillait tous les échos des hauteurs et des précipices. When we had to cross an open space, promptness was not enough, we still had to scrutinize at a moment's notice, in addition to the pitfalls of the whole landscape, the solidity of each of the stones on which we had to set foot; for the afternoon had fallen to such a silence that a simple pebble, on rolling, made the sound of a pistol shot, and awakened all the echoes of the heights and precipices.

Au coucher du soleil, en dépit de l’allure si lente de nos progrès, nous avions déjà parcouru quelque distance, bien que la sentinelle sur le roc fût toujours visible. By sunset, despite our slow progress, we had already covered some distance, although the sentry on the rock was still visible. Mais nous arrivâmes alors devant un objet qui nous fit oublier toutes nos craintes. But then we came upon an object that made us forget all our fears. C’était un torrent profond et rapide qui se précipitait devant nous, pour rejoindre le courant principal. It was a deep, swift torrent rushing past us, joining the main current.

Nous nous jetâmes à terre sur son bord et plongeâmes dans l’eau nos têtes et nos bras ; et je ne saurais dire ce qui était le plus délicieux, du grand frisson éprouvé au contact de la torrentueuse fraîcheur ou des avides gorgées que nous en avalions. We threw ourselves ashore on its edge and plunged our heads and arms into the water; and I can't tell which was more delicious, the great thrill of the torrential coolness or the greedy gulps we swallowed.

Nous restâmes là (cachés par les rives), buvant coup sur coup, nous baignant le torse, laissant pendre nos poignets dans l’eau vive, jusqu’à ce que la fraîcheur les endolorît, et pour finir, ainsi admirablement revigorés, nous sortîmes le sac à farine et fîmes le drammach dans notre casserole de fer. We stood there (hidden by the riverbanks), drink after drink, bathe our chests, let our wrists hang in the running water, until the coolness sore them, and finally, thus beautifully invigorated, we took out the flour sack and made the drammach in our iron pan. Ce mets – simple pâte de farine d’avoine délayée dans l’eau froide – ne laisse pas d’être fort appétissant pour quelqu’un d’affamé ; et quand il n’y a pas moyen de faire du feu, ou si l’on a (comme dans notre cas) toute raison de n’en pas faire, le drammach est le meilleur soutien de ceux qui ont pris la bruyère. This dish - a simple paste of oatmeal diluted in cold water - is very appetizing to the hungry; and when there's no way to make a fire, or if (as in our case) there's every reason not to, drammach is the best support for those who have taken to the heather.

Sitôt la nuit tombée, nous nous remîmes en route, d’abord avec les mêmes précautions, puis bientôt avec plus de hardiesse, nous redressant de tout notre haut et allant d’un bon pas. As soon as night fell, we set off again, at first with the same precautions, but soon with greater boldness, standing up tall and moving briskly. Le chemin était très compliqué, suivant des flancs de montagne abrupts, et longeant des précipices ; des nuages s’étaient rassemblés, au coucher du soleil, et la nuit était froide et obscure ; aussi je marchais sans grande fatigue, mais dans une crainte continuelle de tomber ou de rouler à bas des pentes, et sans soupçonner rien de notre direction. The path was very complicated, following steep mountainsides, and skirting precipices; clouds had gathered, at sunset, and the night was cold and dark; so I walked without great fatigue, but in continual fear of falling or rolling down the slopes, and suspecting nothing of our direction.

La lune se leva comme nous étions encore en route ; elle était à son dernier quartier, et resta longtemps voilée de nuages ; mais à la fin, elle se dégagea claire et me montra une foule de sombres cimes montagneuses, tandis qu’elle se reflétait loin au-dessous de nous dans le bras étroit d’un loch maritime. The moon rose while we were still on our way; it was at its last quarter, and remained veiled in clouds for a long time; but in the end, it cleared clearly and showed me a host of dark mountain peaks, while it was reflected far below us in the narrow arm of a sea loch.

À cette vue, nous fîmes halte tous deux, moi frappé d’étonnement de me trouver à pareille hauteur et marchant (me semblait-il) sur les nuages ; Alan pour vérifier sa direction. At this sight, we both halted, I struck with astonishment to find myself at such a height and walking (it seemed to me) on the clouds; Alan to check his direction.

Il fut apparemment satisfait, et il dut à coup sûr nous juger hors de portée des oreilles ennemies ; car toute la dernière partie de notre course nocturne, il trompa l’ennui du chemin en sifflant des tas d’airs, guerriers, joyeux, mélancoliques ; airs de danse qui faisaient accélérer le pas ; airs de mon pays du sud qui faisaient aspirer au retour et à la fin de mes aventures ; et tous, parmi les grandes montagnes sombres et désertes, nous tenaient compagnie le long du chemin. He was apparently satisfied, and he must surely have judged us beyond the reach of enemy ears; for all the last part of our nightly run he cheated the tedium of the way by whistling a lot of tunes, warlike, merry, melancholy; dance tunes that made one quicken one's pace; tunes of my southern country that made one long for the return and end of my adventures; and all of them, amidst the great, dark, deserted mountains, kept us company along the way.