×

Мы используем cookie-файлы, чтобы сделать работу LingQ лучше. Находясь на нашем сайте, вы соглашаетесь на наши правила обработки файлов «cookie».

image

Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 9 - La maison de Frantz

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 9 - La maison de Frantz

Mal rassuré, en proie à une sourde inquiétude, que l'heureux dénouement du tumulte de la veille n'avait pas suffi à dissiper, il me fallut rester enfermé dans l'école pendant toute la journée du lendemain. Sitôt après l'heure "d'étude" qui suit la classe du soir, je pris le chemin des Sablonnières. La nuit tombait quand j'arrivai dans l'allée de sapins qui menait à la maison. Tous les volets étaient déjà clos. Je craignis d'être importun, en me présentant à cette heure tardive, le lendemain d'un mariage. Je restai fort tard à rôder sur la lisière du jardin et dans les terres avoisinantes, espérant toujours voir sortir quelqu'un de la maison fermée... Mais mon espoir fut déçu. Dans la métairie voisine elle-même, rien ne bougeait. Et je dus rentrer chez moi, hanté par les imaginations les plus sombres. Le lendemain samedi, mêmes incertitudes. Le soir, je pris en hâte ma pèlerine, mon bâton, un morceau de pain, pour manger en route, et j'arrivai, quand la nuit tombait déjà, pour trouver tout fermé aux Sablonnières, comme la veille... Un peu de lumière au premier étage; mais aucun bruit; pas un mouvement... Pourtant, de la cour de la métairie je vis cette fois la porte de la ferme ouverte, le feu allumé dans la grande cuisine et j'entendis le bruit habituel des voix et des pas à l'heure de la soupe. Ceci me rassura sans me renseigner. Je ne pouvais rien dire ni rien demander à ces gens. Et je retournai guetter encore, attendre en vain, pensant toujours voir la porte s'ouvrir et surgir enfin la haute silhouette d'Augustin. C'est le dimanche seulement, dans l'après-midi, que je résolus de sonner à la porte des Sablonnières. Tandis que je grimpais les coteaux dénudés, j'entendais sonner au loin les vêpres du dimanche d'hiver. Je me sentais solitaire et désolé. Je ne sais quel pressentiment triste m'envahissait. Et je ne fus qu'à demi surpris lorsque, à mon coup de sonnette, je vis M. de Galais tout seul paraître et me parler à voix basse: Yvonne de Galais était alitée, avec une fièvre violente; Meaulnes avait dû partir dès vendredi matin pour un long voyage; on ne sait quand il reviendrait... Et comme le vieillard, très embarrassé, très triste, ne m'offrait pas d'entrer, je pris aussitôt congé de lui. La porte refermée, je restai un instant sur le perron, le coeur serré, dans un désarroi absolu, à regarder sans savoir pourquoi une branche de glycine desséchée que le vent balançait tristement dans un rayon de soleil. Ainsi ce remords secret que Meaulnes portait depuis son séjour à Paris avait fini par être le plus fort. Il avait fallu que mon grand compagnon échappât à la fin à son bonheur tenace... Chaque jeudi et chaque dimanche, je vins demander des nouvelles d'Yvonne de Galais, jusqu'au soir où, convalescente enfin, elle me fit prier d'entrer. Je la trouvai, assise auprès du feu, dans le salon dont la grande fenêtre basse donnait sur la terre et les bois. Elle n'était point pâle comme je l'avais imaginé, mais tout enfiévrée, au contraire, avec de vives taches rouges sous les yeux, et dans un état d'agitation extrême. Bien qu'elle parût très faible encore, elle s'était habillée comme pour sortir. Elle parlait peu, mais elle disait chaque phrase avec une animation extraordinaire, comme si elle eût voulu se persuader à elle-même que le bonheur n'était pas évanoui encore... Je n'ai pas gardé le souvenir de ce que nous avons dit. Je me rappelle seulement que j'en vins à demander avec hésitation quand Meaulnes serait de retour. "Je ne sais pas quand il reviendra", répondit-elle vivement. Il y avait une supplication dans ses yeux, et je me gardai d'en demander davantage. Souvent, je revins la voir. Souvent je causai avec elle auprès du feu, dans ce salon bas où la nuit venait plus vite que partout ailleurs. Jamais elle ne parlait d'elle-même ni de sa peine cachée. Mais elle ne se lassait pas de me faire conter par le détail notre existence d'écoliers de Sainte-Agathe. Elle écoutait gravement, tendrement, avec un intérêt quasi maternel, le récit de nos misères de grands enfants. Elle ne paraissait jamais surprise, pas même de nos enfantillages les plus audacieux, les plus dangereux. Cette tendresse attentive qu'elle tenait de M. de Galais, les aventures déplorables de son frère ne l'avaient point lassée. Le seul regret que lui inspirât le passé, c'était, je pense, de n'avoir point encore été pour son frère une confidente assez intime, puisque, au moment de sa grande débâcle, il n'avait rien osé lui dire non plus qu'à personne et s'était jugé perdu sans recours. Et c'était là, quand j'y songe, une lourde tâche qu'avait assumée la jeune femme—tâche périlleuse, de seconder un esprit follement chimérique comme son frère; tâche écrasante, quand il s'agissait de lier partie avec ce cœur aventureux qu'était mon ami le grand Meaulnes. De cette foi qu'elle gardait dans les rêves enfantins de son frère, de ce soin qu'elle apportait à lui conserver au moins des bribes de ce rêve dans lequel il avait vécu jusqu'à vingt ans, elle me donna un jour la preuve la plus touchante et je dirai presque la plus mystérieuse. Ce fut par une soirée d'avril désolée comme une fin d'automne. Depuis près d'un mois nous vivions dans un doux printemps prématuré, et la jeune femme avait repris en compagnie de M. de Galais les longues promenades qu'elle aimait. Mais ce jour-là, ce vieillard se trouvant fatigué et moi-même libre, elle me demanda de l'accompagner malgré le temps menaçant. A plus d'une demi-lieue des Sablonnières, en longeant l'étang, l'orage, la pluie, la grêle nous surprirent. Sous le hangar où nous nous étions abrités contre l'averse interminable, le vent nous glaçait, debout l'un près de l'autre, pensifs, devant le paysage noirci. Je la revois, dans sa douce robe sévère, toute pâlie, toute tourmentée. "Il faut rentrer, disait-elle. Nous sommes partis depuis si longtemps. Qu'a-t-il pu se passer?" Mais, à mon étonnement, lorsqu'il nous fut possible enfin de quitter notre abri, la jeune femme, au lieu de revenir vers les Sablonnières, continua son chemin et me demanda de la suivre. Nous arrivâmes, après avoir longtemps marché, devant une maison que je ne connaissais pas, isolée, au bord d'un chemin défoncé qui devait aller vers Préveranges.C'était une petite maison bourgeoise, couverte en ardoise, et que rien ne distinguait du type usuel dans ce pays, sinon son éloignement et son isolement. A voir Yvonne de Galais, on eût dit que cette maison nous appartenait et que nous l'avions abandonnée durant un long voyage. Elle ouvrit, en se penchant, une petite grille, et se hâta d'inspecter avec inquiétude le lieu solitaire. Une grande cour herbeuse, où des enfants avaient dû venir jouer pendant les longues et lentes soirées de la fin de l'hiver, était ravinée par l'orage. Un cerceau trempait dans une flaque d'eau. Dans les jardinets où les enfants avaient semé des fleurs et des pois, la grande pluie n'avait laissé que des traînées de gravier blanc. Et enfin nous découvrîmes, blottie contre le seuil d'une des portes mouillées, toute une couvée de poussins transpercée par l'averse. Presque tous étaient morts sous les ailes raidies et les plumes fripées de la mère. A ce spectacle pitoyable, la jeune femme eut un cri étouffé. Elle se pencha et, sans souci de l'eau ni de la boue, triant les poussins vivants d'entre les morts, elle les mit dans un pan de son manteau. Puis nous entrâmes dans la maison dont elle avait la clef. Quatre portes ouvraient sur un étroit couloir où le vent s'engouffra en sifflant. Yvonne de Galais ouvrit la première à notre droite et me fit pénétrer dans une chambre sombre, ou je distinguai, après un moment d'hésitation, une grande place et un petit lit recouvert, à la mode campagnarde, d'un édredon de soie rouge. Quant à elle, après avoir cherché un instant dans le reste de l'appartement, elle revint, portant la couvée malade dans une corbeille garnie de duvet, qu'elle glissa précieusement sous l'édredon. Et, tandis qu'un rayon de soleil languissant, le premier et le dernier de la journée, faisait plus pâles nos visages et plus obscure la tombée de la nuit, nous étions là, debout, glacés et tourmentés, dans la maison étrange! D'instant en instant, elle allait regarder dans le nid fiévreux, enlever un nouveau poussin mort pour l'empêcher de faire mourir les autres. Et chaque fois il nous semblait que quelque chose comme un grand vent par les carreaux cassés du grenier, comme un chagrin mystérieux d'enfants inconnus, se lamentait silencieusement. "C'était ici, me dit enfin ma compagne, la maison de Frantz quand il était petit. Il avait voulu une maison pour lui tout seul, loin de tout le monde, dans laquelle il pût aller jouer, s'amuser et vivre quand cela lui plairait. Mon père avait trouvé cette fantaisie si extraordinaire, si drôle, qu'il n'avait pas refusé. Et quand cela lui plaisait, un jeudi, un dimanche, n'importe quand, Frantz partait habiter dans sa maison comme un homme. Les enfants des fermes d'alentour venaient jouer avec lui, l'aider à faire son ménage, travailler dans le jardin. C'était un jeu merveilleux! Et le soir venu, il n'avait pas peur de coucher tout seul. Quant à nous, nous l'admirions tellement que nous ne pensions pas même à être inquiets. "Maintenant et depuis longtemps, poursuivit-elle avec un soupir, la maison est vide. Monsieur de Galais, frappé par l'âge et le chagrin, n'a jamais rien fait pour retrouver ni rappeler mon frère. Et que pourrait-il tenter? "Moi je passe ici bien souvent. Les petits paysans des environs viennent jouer dans la cour comme autrefois. Et je me plais à imaginer que ce sont les anciens amis de Frantz; que lui-même est encore un enfant et qu'il va revenir bientôt avec la fiancée qu'il s'était choisie. "Ces enfants-là me connaissent bien. Je joue avec eux. Cette couvée de petits poulets était à nous..." Tout ce grand chagrin dont elle n'avait jamais rien dit, ce grand regret d'avoir perdu son frère si fou, si charmant et si admiré, il avait fallu cette averse et cette débâcle enfantine pour qu'elle me les confiât. Et je l'écoutais sans rien répondre, le coeur tout gonflé de sanglots.... Les portes et la grille refermées, les poussins remis dans la cabane en planches qu'il y avait derrière la maison, elle reprit tristement mon bras et je la reconduisis. Des semaines, des mois passèrent. Epoque passée! Bonheur perdu! De celle qui avait été la fée, la princesse et l'amour mystérieux de toute notre adolescence, c'est à moi qu'il était échu de prendre le bras et de dire ce qu'il fallait pour adoucir son chagrin, tandis que mon compagnon avait fui. De cette époque, de ces conversations, le soir, après la classe que je faisais sur la côte de Saint-Benoist-des-Champs, de ces promenades où la seule chose dont il eût fallu parler était la seule sur laquelle nous étions décidés à nous taire, que pourrais-je dire à présent? Je n'ai pas gardé d'autre souvenir que celui, à demi effacé déjà, d'un beau visage amaigri, de deux yeux dont les paupières s'abaissent lentement tandis qu'ils me regardent, comme pour déjà ne plus voir qu'un monde intérieur. Et je suis demeuré son compagnon fidèle--compagnon d'une attente dont nous ne parlions pas--durant tout un printemps et tout un été comme il n'y en aura jamais plus. Plusieurs fois, nous retournâmes, l'après-midi, à la maison de Frantz. Elle ouvrait les portes pour donner de l'air, pour que rien ne fût moisi quand le jeune ménage reviendrait. Elle s'occupait de la volaille à demi sauvage qui gîtait dans la basse-cour. Et le jeudi où le dimanche, nous encouragions les jeux des petits campagnards d'alentour, dont les cris et les rires, dans le site solitaire, faisaient paraître plus déserte et plus vide encore la petite maison abandonnée.

Learn languages from TV shows, movies, news, articles and more! Try LingQ for FREE

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 9 - La maison de Frantz Le Grand meaulnes - part three - chapter 9 - Frantz's house Le Grand meaulnes - tercera parte - capítulo 9 - La casa de Frantz

Mal rassuré, en proie à une sourde inquiétude, que l'heureux dénouement du tumulte de la veille n'avait pas suffi à dissiper, il me fallut rester enfermé dans l'école pendant toute la journée du lendemain. |||prey|||||||||||||||||||||||||||||| Uneasily reassured, a prey to a deep anxiety, that the happy ending of the tumult of the day before had not been enough to dissipate, I had to remain shut up in the school all the next day. Sitôt après l'heure "d'étude" qui suit la classe du soir, je pris le chemin des Sablonnières. Soon after the hour of "study" following the evening class, I took the path of Sablonnières. La nuit tombait quand j'arrivai dans l'allée de sapins qui menait à la maison. Night was falling when I reached the fir tree path leading to the house. Tous les volets étaient déjà clos. All the shutters were already closed. Je craignis d'être importun, en me présentant à cette heure tardive, le lendemain d'un mariage. |||importunate|||||||||next|| I was afraid of being unwelcome, by presenting myself at this late hour, the day after a marriage. Je restai fort tard à rôder sur la lisière du jardin et dans les terres avoisinantes, espérant toujours voir sortir quelqu'un de la maison fermée... Mais mon espoir fut déçu. |||||||||||||||surrounding||||||||||||||disappointed I stayed very late to roam the edge of the garden and the surrounding lands, hoping to see someone come out of the closed house ... But my hope was disappointed. Dans la métairie voisine elle-même, rien ne bougeait. ||farm||||||moved In the neighboring farm, nothing was moving. Et je dus rentrer chez moi, hanté par les imaginations les plus sombres. And I had to go home, haunted by the darkest imaginations. Le lendemain samedi, mêmes incertitudes. ||Saturday|| The next day, Saturday, the same uncertainties. Le soir, je pris en hâte ma pèlerine, mon bâton, un morceau de pain, pour manger en route, et j'arrivai, quand la nuit tombait déjà, pour trouver tout fermé aux Sablonnières, comme la veille... Un peu de lumière au premier étage; mais aucun bruit; pas un mouvement... Pourtant, de la cour de la métairie je vis cette fois la porte de la ferme ouverte, le feu allumé dans la grande cuisine et j'entendis le bruit habituel des voix et des pas à l'heure de la soupe. |||||||cloak|||||||||||||||||||||||Sablonnières||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| In the evening, I hastily took my pilgrim, my staff, a piece of bread, to eat on the way, and I arrived, when the night was already falling, to find everything closed to the Sablonnières, as the day before ... A little light on the first floor; but no noise; not a movement ... Yet from the yard of the farm I saw this time the door of the farm open, the fire lit in the kitchen and I heard the usual sound of the voices and footsteps at the time of the soup. Ceci me rassura sans me renseigner. |||||inform This reassured me without inquiring. Je ne pouvais rien dire ni rien demander à ces gens. I could not say anything or ask anything to those people. Et je retournai guetter encore, attendre en vain, pensant toujours voir la porte s'ouvrir et surgir enfin la haute silhouette d'Augustin. |||watch||||||||||||emerge||||| And I went back to watch again, to wait in vain, always thinking to see the door open and to finally emerge Augustine's tall figure. C'est le dimanche seulement, dans l'après-midi, que je résolus de sonner à la porte des Sablonnières. ||Sunday|||||||||||||| It was Sunday alone, in the afternoon, that I resolved to ring at the door of the Sablonnières. Tandis que je grimpais les coteaux dénudés, j'entendais sonner au loin les vêpres du dimanche d'hiver. |||was climbing||hills|denuded||||||vespers||| As I climbed the barren slopes, I heard the vespers of Winter Sunday ringing off. Je me sentais solitaire et désolé. I felt lonely and sorry. Je ne sais quel pressentiment triste m'envahissait. I do not know what sad presentiment was invading me. Et je ne fus qu'à demi surpris lorsque, à mon coup de sonnette, je vis M. de Galais tout seul paraître et me parler à voix basse: Yvonne de Galais était alitée, avec une fièvre violente; Meaulnes avait dû partir dès vendredi matin pour un long voyage; on ne sait quand il reviendrait... Et comme le vieillard, très embarrassé, très triste, ne m'offrait pas d'entrer, je pris aussitôt congé de lui. |||||||||||||||||||||||||||||||confined to bed|||||||||||||||||||||would return|||||||||||||||||| And I was only half surprised when, at the sound of the bell, I saw M. de Galais appear alone and speak to me in a low voice: Yvonne de Galais was bedridden, with a violent fever; Meaulnes had to leave on Friday morning for a long journey; when the old man, very embarrassed, very sad, did not offer to enter, I immediately took leave of him. La porte refermée, je restai un instant sur le perron, le coeur serré, dans un désarroi absolu, à regarder sans savoir pourquoi une branche de glycine desséchée que le vent balançait tristement dans un rayon de soleil. |||||||||steps|||tight|||confusion||||||||||wisteria|dried|||||||||| The door closed, I remained for a moment on the porch, my heart set in absolute confusion, to look at why I did not know why a branch of dried wisteria that the wind swayed sadly in a ray of sunshine. Ainsi ce remords secret que Meaulnes portait depuis son séjour à Paris avait fini par être le plus fort. ||remorse|||||||||||||||| Thus this secret remorse that Meaulnes wore since his stay in Paris had ended up being the strongest. Il avait fallu que mon grand compagnon échappât à la fin à son bonheur tenace... Chaque jeudi et chaque dimanche, je vins demander des nouvelles d'Yvonne de Galais, jusqu'au soir où, convalescente enfin, elle me fit prier d'entrer. |||||||escaped|||||||tenacious||Thursday|||Sunday|||||||||||||||||| It had been necessary that my great companion escaped at last his tenacious happiness ... Every Thursday and Sunday, I came to ask for news of Yvonne de Galais, until the evening when, convalescent finally, she made me pray for enter. Je la trouvai, assise auprès du feu, dans le salon dont la grande fenêtre basse donnait sur la terre et les bois. I found her sitting by the fire in the drawing-room, whose large low window overlooked the earth and the woods. Elle n'était point pâle comme je l'avais imaginé, mais tout enfiévrée, au contraire, avec de vives taches rouges sous les yeux, et dans un état d'agitation extrême. She was not pale as I had imagined, but feverish, on the contrary, with bright red spots under the eyes, and in a state of extreme agitation. Bien qu'elle parût très faible encore, elle s'était habillée comme pour sortir. Although she looked very weak, she had dressed as if to go out. Elle parlait peu, mais elle disait chaque phrase avec une animation extraordinaire, comme si elle eût voulu se persuader à elle-même que le bonheur n'était pas évanoui encore... Je n'ai pas gardé le souvenir de ce que nous avons dit. |||||||||||||||||||||||||||vanished||||||||||||have| She spoke little, but she said each sentence with extraordinary animation, as if she wanted to convince herself that happiness was not fainted yet ... I have not kept the memory of what we have said. Je me rappelle seulement que j'en vins à demander avec hésitation quand Meaulnes serait de retour. |||only||I|||||||||| I only remember that I came to ask hesitantly when Meaulnes would be back. "Je ne sais pas quand il reviendra", répondit-elle vivement. "I do not know when he'll come back," she said quickly. Il y avait une supplication dans ses yeux, et je me gardai d'en demander davantage. There was a supplication in his eyes, and I took care not to ask for more. Souvent, je revins la voir. Often, I came back to see her. Souvent je causai avec elle auprès du feu, dans ce salon bas où la nuit venait plus vite que partout ailleurs. ||||||||||||||||||||elsewhere Often I chatted with her by the fire, in that low room where the night came faster than anywhere else. Jamais elle ne parlait d'elle-même ni de sa peine cachée. ||||||||||hidden She never spoke of herself or her hidden pain. Mais elle ne se lassait pas de me faire conter par le détail notre existence d'écoliers de Sainte-Agathe. ||||tired|||||||||||||| But she never tired of being told by the detail of our existence as schoolboys of St. Agatha. Elle écoutait gravement, tendrement, avec un intérêt quasi maternel, le récit de nos misères de grands enfants. She listened seriously, tenderly, with an almost maternal interest, to the story of our miseries of great children. Elle ne paraissait jamais surprise, pas même de nos enfantillages les plus audacieux, les plus dangereux. She never looked surprised, not even our most daring, most dangerous childishness. Cette tendresse attentive qu'elle tenait de M. de Galais, les aventures déplorables de son frère ne l'avaient point lassée. This attentive tenderness which she held of M. de Galais, the deplorable adventures of her brother, had not wearied her. Le seul regret que lui inspirât le passé, c'était, je pense, de n'avoir point encore été pour son frère une confidente assez intime, puisque, au moment de sa grande débâcle, il n'avait rien osé lui dire non plus qu'à personne et s'était jugé perdu sans recours. |||||inspired|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| The only regret that inspired him in the past was, I think, not yet been for his brother an intimate confidante, since, at the time of his great debacle, he had not dared to tell him either than anyone and thought himself lost without recourse. Et c'était là, quand j'y songe, une lourde tâche qu'avait assumée la jeune femme—tâche périlleuse, de seconder un esprit follement chimérique comme son frère; tâche écrasante, quand il s'agissait de lier partie avec ce cœur aventureux qu'était mon ami le grand Meaulnes. ||||||||||assumed||||task|perilous||assist||||||||||||||||||||||||| And it was there, when I thought about it, a heavy task assumed by the young woman-a perilous task, to second a madly chimerical spirit like her brother; an overwhelming task, when it came to bonding with that adventurous heart that was my friend the great Meaulnes. De cette foi qu'elle gardait dans les rêves enfantins de son frère, de ce soin qu'elle apportait à lui conserver au moins des bribes de ce rêve dans lequel il avait vécu jusqu'à vingt ans, elle me donna un jour la preuve la plus touchante et je dirai presque la plus mystérieuse. ||||||||||||||care|||||conserve||||bribes|||||||||||||||||||||||||||| From this faith that she kept in her brother's childhood dreams, from this care she took to preserve at least fragments of that dream in which he had lived until he was twenty, she one day gave me the most touching proof, and I would almost say the most mysterious. Ce fut par une soirée d'avril désolée comme une fin d'automne. ||||||sorry|||| It was on a desolate April evening, like the end of autumn. Depuis près d'un mois nous vivions dans un doux printemps prématuré, et la jeune femme avait repris en compagnie de M. de Galais les longues promenades qu'elle aimait. ||||||||||||||||resumed||||||||||| For nearly a month we had been living in a gentle premature spring, and the young woman had resumed long walks that she loved, accompanied by Mr. de Galais. Mais ce jour-là, ce vieillard se trouvant fatigué et moi-même libre, elle me demanda de l'accompagner malgré le temps menaçant. But that day, this old man finding himself tired and myself free, she asked me to accompany him despite the threatening weather. A plus d'une demi-lieue des Sablonnières, en longeant l'étang, l'orage, la pluie, la grêle nous surprirent. ||||||||||||||||surprised More than half a league from Les Sablonnières, following the pond, the storm, the rain, the hail surprised us. Sous le hangar où nous nous étions abrités contre l'averse interminable, le vent nous glaçait, debout l'un près de l'autre, pensifs, devant le paysage noirci. ||||||were|||the downpour|||||||||||||||blackened Under the shed where we had sheltered against the endless shower, the wind froze us, standing near each other, pensive, in front of the blackened landscape. Je la revois, dans sa douce robe sévère, toute pâlie, toute tourmentée. I see her, in her soft, stern dress, all pale, all tormented. "Il faut rentrer, disait-elle. "We have to go home," she said. Nous sommes partis depuis si longtemps. We left for so long. Qu'a-t-il pu se passer?" What could have happened? " Mais, à mon étonnement, lorsqu'il nous fut possible enfin de quitter notre abri, la jeune femme, au lieu de revenir vers les Sablonnières, continua son chemin et me demanda de la suivre. But, to my astonishment, when it was finally possible for us to leave our shelter, the young woman, instead of returning to the Sablonnières, continued on her way and asked me to follow her. Nous arrivâmes, après avoir longtemps marché, devant une maison que je ne connaissais pas, isolée, au bord d'un chemin défoncé qui devait aller vers Préveranges.C'était une petite maison bourgeoise, couverte en ardoise, et que rien ne distinguait du type usuel dans ce pays, sinon son éloignement et son isolement. |||||||||||||||||||rutted|||||Préveranges||||||||||||||||||||||distance||| We arrived, after having walked a long time, in front of a house I did not know, isolated, on the edge of a broken road which was to go towards Préveranges. It was a little bourgeois house, covered in slate, and nothing could distinguish commonplace in this country, if not its remoteness and isolation. A voir Yvonne de Galais, on eût dit que cette maison nous appartenait et que nous l'avions abandonnée durant un long voyage. To see Yvonne de Galais, one would have said that this house belonged to us and that we had abandoned it during a long journey. Elle ouvrit, en se penchant, une petite grille, et se hâta d'inspecter avec inquiétude le lieu solitaire. As she leaned forward, she opened a small grating, and hastened to inspect the lonely place with anxiety. Une grande cour herbeuse, où des enfants avaient dû venir jouer pendant les longues et lentes soirées de la fin de l'hiver, était ravinée par l'orage. |||||||||||||||||||||||gullied|| A large grassy yard, where children had to come and play during the long and slow evenings of late winter, was ravaged by the storm. Un cerceau trempait dans une flaque d'eau. |hoop||||puddle| A hoop dipped in a puddle of water. Dans les jardinets où les enfants avaient semé des fleurs et des pois, la grande pluie n'avait laissé que des traînées de gravier blanc. ||little gardens||||||||||peas||||||||||gravel| In the small gardens where the children had sown flowers and peas, the heavy rain had left only trails of white gravel. Et enfin nous découvrîmes, blottie contre le seuil d'une des portes mouillées, toute une couvée de poussins transpercée par l'averse. |||| nestled|||||||wet|||brood|||pierced||the downpour And finally we found, nestled against the threshold of one of the wet doors, a whole brood of chicks pierced by the downpour. Presque tous étaient morts sous les ailes raidies et les plumes fripées de la mère. |||||||rigid||||wrinkled||| Almost all of them were dead under the mother's stiffened wings and wrinkled feathers. A ce spectacle pitoyable, la jeune femme eut un cri étouffé. At this pitiful sight, the young woman gave a stifled cry. Elle se pencha et, sans souci de l'eau ni de la boue, triant les poussins vivants d'entre les morts, elle les mit dans un pan de son manteau. She leaned down and, regardless of the water or the mud, sorting out the living chicks from the dead, she put them in a fold of her coat. Puis nous entrâmes dans la maison dont elle avait la clef. Then we entered the house to which she had the key. Quatre portes ouvraient sur un étroit couloir où le vent s'engouffra en sifflant. ||||||||||rushed|| Four doors opened onto a narrow corridor where the wind whistled in. Yvonne de Galais ouvrit la première à notre droite et me fit pénétrer dans une chambre sombre, ou je distinguai, après un moment d'hésitation, une grande place et un petit lit recouvert, à la mode campagnarde, d'un édredon de soie rouge. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||comforter||| Yvonne de Galais opened the first on our right and made me enter a dark room, where I distinguished, after a moment's hesitation, a large square and a small bed covered, in country style, with a red silk eiderdown. . Quant à elle, après avoir cherché un instant dans le reste de l'appartement, elle revint, portant la couvée malade dans une corbeille garnie de duvet, qu'elle glissa précieusement sous l'édredon. |||||||||||||||||||||basket|||down|||||the duvet As for her, after looking for a moment in the rest of the apartment, she returned, carrying the sick brood in a basket filled with down, which she slipped carefully under the eiderdown. Et, tandis qu'un rayon de soleil languissant, le premier et le dernier de la journée, faisait plus pâles nos visages et plus obscure la tombée de la nuit, nous étions là, debout, glacés et tourmentés, dans la maison étrange! |||||| languishing|||||||||||||||||||||||||||||||| And, as a languid ray of sunlight, the first and last of the day, made our faces paler and the nightfall darker, we stood there, frozen and tormented, in the strange house! D'instant en instant, elle allait regarder dans le nid fiévreux, enlever un nouveau poussin mort pour l'empêcher de faire mourir les autres. of instant|||||||||feverish||||chick|||||||| From moment to moment, she was going to look into the feverish nest, removing a new dead chick to prevent it from killing the others. Et chaque fois il nous semblait que quelque chose comme un grand vent par les carreaux cassés du grenier, comme un chagrin mystérieux d'enfants inconnus, se lamentait silencieusement. ||||||||||||wind||||||||||||||| And each time it seemed to us that something like a great wind through the broken panes of the attic, like a mysterious grief of unknown children, silently lamented. "C'était ici, me dit enfin ma compagne, la maison de Frantz quand il était petit. "This was it," my companion finally told me, "Frantz's house when he was little. Il avait voulu une maison pour lui tout seul, loin de tout le monde, dans laquelle il pût aller jouer, s'amuser et vivre quand cela lui plairait. He had wanted a house all to himself, away from everyone else, where he could go and play, have fun and live whenever he pleased. Mon père avait trouvé cette fantaisie si extraordinaire, si drôle, qu'il n'avait pas refusé. My father found this fantasy so extraordinary, so funny, that he didn't refuse. Et quand cela lui plaisait, un jeudi, un dimanche, n'importe quand, Frantz partait habiter dans sa maison comme un homme. And when it pleased him, on a Thursday, a Sunday, anytime, Frantz would go and live in his house like a man. Les enfants des fermes d'alentour venaient jouer avec lui, l'aider à faire son ménage, travailler dans le jardin. Children from surrounding farms came to play with him, help him with his housework, work in the garden. C'était un jeu merveilleux! It was a wonderful game! Et le soir venu, il n'avait pas peur de coucher tout seul. And in the evening, he was not afraid to go to bed on his own. Quant à nous, nous l'admirions tellement que nous ne pensions pas même à être inquiets. As for us, we admired him so much that we didn't even think to be worried. "Maintenant et depuis longtemps, poursuivit-elle avec un soupir, la maison est vide. “Now and for a long time,” she continued with a sigh, “the house is empty. Monsieur de Galais, frappé par l'âge et le chagrin, n'a jamais rien fait pour retrouver ni rappeler mon frère. ||||||||||||||||recall|| Monsieur de Galais, struck by age and grief, never did anything to find or recall my brother. Et que pourrait-il tenter? And what could he try? "Moi je passe ici bien souvent. "I pass here very often. Les petits paysans des environs viennent jouer dans la cour comme autrefois. Small peasants from the area come to play in the yard as in the old days. Et je me plais à imaginer que ce sont les anciens amis de Frantz; que lui-même est encore un enfant et qu'il va revenir bientôt avec la fiancée qu'il s'était choisie. And I like to imagine that these are Frantz's old friends; that he himself is still a child and that he will return soon with the bride he had chosen. "Ces enfants-là me connaissent bien. "These kids know me well. Je joue avec eux. I play with them. Cette couvée de petits poulets était à nous..." Tout ce grand chagrin dont elle n'avait jamais rien dit, ce grand regret d'avoir perdu son frère si fou, si charmant et si admiré, il avait fallu cette averse et cette débâcle enfantine pour qu'elle me les confiât. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||shower|and|||||||| This brood of little chickens was ours ... "All this great sorrow about which she had never said anything, this great regret at having lost her brother so mad, so charming and so admired, it had taken this downpour and this childish debacle so that she confided them to me. Et je l'écoutais sans rien répondre, le coeur tout gonflé de sanglots.... Les portes et la grille refermées, les poussins remis dans la cabane en planches qu'il y avait derrière la maison, elle reprit tristement mon bras et je la reconduisis. |||||||||||||||||||||||cabin||||||||||||||||| And I listened to her without answering, my heart swollen with sobs .... The doors and the gate closed, the chicks put back in the wooden hut behind the house, she sadly took my arm again and I led her back. Des semaines, des mois passèrent. Weeks, months passed. Epoque passée! Time passed! Bonheur perdu! Happiness lost! De celle qui avait été la fée, la princesse et l'amour mystérieux de toute notre adolescence, c'est à moi qu'il était échu de prendre le bras et de dire ce qu'il fallait pour adoucir son chagrin, tandis que mon compagnon avait fui. ||||||fair|||||||||||||||fallen|||||||||||||||||||| From the one who had been the fairy, the princess and the mysterious love of all our adolescence, it was up to me to take the arm and say what it took to soften her sorrow, while my companion had fled. De cette époque, de ces conversations, le soir, après la classe que je faisais sur la côte de Saint-Benoist-des-Champs, de ces promenades où la seule chose dont il eût fallu parler était la seule sur laquelle nous étions décidés à nous taire, que pourrais-je dire à présent? Of that time, of those conversations, in the evening, after the class I was doing on the coast of Saint-Benoist-des-Champs, of those walks where the only thing we needed to talk about was the only thing we were determined to shut up, what can I say now? Je n'ai pas gardé d'autre souvenir que celui, à demi effacé déjà, d'un beau visage amaigri, de deux yeux dont les paupières s'abaissent lentement tandis qu'ils me regardent, comme pour déjà ne plus voir qu'un monde intérieur. I have no other memory than that, already half erased, of a beautiful emaciated face, of two eyes whose eyelids slowly lower while they look at me, as if already to see only an inner world. Et je suis demeuré son compagnon fidèle--compagnon d'une attente dont nous ne parlions pas--durant tout un printemps et tout un été comme il n'y en aura jamais plus. And I remained his faithful companion - companion of an expectation of which we did not speak - during a whole spring and a whole summer as there will never be again. Plusieurs fois, nous retournâmes, l'après-midi, à la maison de Frantz. Several times in the afternoon we returned to Frantz's house. Elle ouvrait les portes pour donner de l'air, pour que rien ne fût moisi quand le jeune ménage reviendrait. She opened the doors to give air, so that nothing would be moldy when the young couple returned. Elle s'occupait de la volaille à demi sauvage qui gîtait dans la basse-cour. |||||||||was nesting|||| She looked after the half-wild fowl that roamed in the farmyard. Et le jeudi où le dimanche, nous encouragions les jeux des petits campagnards d'alentour, dont les cris et les rires, dans le site solitaire, faisaient paraître plus déserte et plus vide encore la petite maison abandonnée. ||||||||||||||||||||||||||||||||||house| And on Thursday or Sunday, we encouraged the games of the little country people around, whose cries and laughter, in the lonely site, made the little abandoned house seem even more deserted and empty.