Chapitre XIV (2)
Voilà ce que je me répétais la nuit, et ce qu'à chaque instant j'étais prêt à aller dire à Marguerite.
Quand le jour parut, je ne dormais pas encore, j'avais la fièvre ; il m'était impossible de penser à autre chose qu'à Marguerite.
Comme vous le comprenez, il fallait prendre un parti décisif, et en finir avec la femme ou avec mes scrupules, si toutefois elle consentait encore à me recevoir.
Mais, vous le savez, on retarde toujours un parti décisif : aussi, ne pouvant rester chez moi, n'osant me présenter chez Marguerite, j'essayai un moyen de me rapprocher d'elle, moyen que mon amour-propre pourrait mettre sur le compte du hasard, dans le cas où il réussirait.
Il était neuf heures ; je courus chez Prudence, qui me demanda à quoi elle devait cette visite matinale.
Je n'osai pas lui dire franchement ce qui m'amenait. Je lui répondis que j'étais sorti de bonne heure pour retenir une place à la diligence de C…, où demeurait mon père.
– Vous êtes bien heureux, me dit-elle, de pouvoir quitter Paris par ce beau temps-là.
Je regardai Prudence, me demandant si elle se moquait de moi.
Mais son visage était sérieux.
– Irez-vous dire adieu à Marguerite ? reprit-elle toujours sérieusement.
– Non.
– Vous faites bien.
– Vous trouvez ?
– Naturellement. Puisque vous avez rompu avec elle, à quoi bon la revoir ?
– Vous savez donc notre rupture ?
– Elle m'a montré votre lettre.
– Et que vous a-t-elle dit ?
– Elle m'a dit : « Ma chère Prudence, votre protégé n'est pas poli : on pense ces lettres-là, mais on ne les écrit pas ! »
– Et de quel ton vous a-t-elle dit cela ?
– En riant et elle a ajouté : « Il a soupé deux fois chez moi, et il ne me fait même pas de visite de digestion. »
Voilà l'effet que ma lettre et mes jalousies avaient produit. Je fus cruellement humilié dans la vanité de mon amour.
– Et qu'a-t-elle fait hier au soir ?
– Elle est allée à l'opéra.
– Je le sais. Et ensuite ?
– Elle a soupé chez elle.
– Seule ?
– Avec le comte de G…, je crois.
Ainsi ma rupture n'avait rien changé dans les habitudes de Marguerite.
C'est pour ces circonstances-là que certaines gens vous disent : « Il fallait ne plus penser à cette femme qui ne vous aimait pas. »
– Allons, je suis bien aise de voir que Marguerite ne se désole pas pour moi, repris-je avec un sourire forcé.
– Et elle a grandement raison. Vous avez fait ce que vous deviez faire, vous avez été plus raisonnable qu'elle, car cette fille-là vous aimait, elle ne faisait que parler de vous, et aurait été capable de quelque folie.
– Pourquoi ne m'a-t-elle pas répondu, puisqu'elle m'aime ?
– Parce qu'elle a compris qu'elle avait tort de vous aimer. Puis les femmes permettent quelquefois qu'on trompe leur amour, jamais qu'on blesse leur amour-propre, et l'on blesse toujours l'amour-propre d'une femme quand, deux jours après qu'on est son amant, on la quitte, quelles que soient les raisons que l'on donne à cette rupture. Je connais Marguerite, elle mourrait plutôt que de vous répondre.
– Que faut-il que je fasse alors ?
– Rien. Elle vous oubliera, vous l'oublierez, et vous n'aurez rien à vous reprocher l'un à l'autre.
– Mais si je lui écrivais pour lui demander pardon ?
– Gardez-vous-en bien, elle vous pardonnerait.
Je fus sur le point de sauter au cou de Prudence.
Un quart d'heure après, j'étais rentré chez moi et j'écrivais à Marguerite :
« Quelqu'un qui se repent d'une lettre qu'il a écrite hier, qui partira demain si vous ne lui pardonnez, voudrait savoir à quelle heure il pourra déposer son repentir à vos pieds.
« Quand vous trouvera-t-il seule ? Car, vous le savez, les confessions doivent être faites sans témoins. »
Je pliai cette espèce de madrigal en prose, et je l'envoyai par Joseph, qui remit la lettre à Marguerite elle-même, laquelle lui répondit qu'elle répondrait plus tard.
Je ne sortis qu'un instant pour aller dîner, et à onze heures du soir je n'avais pas encore de réponse.
Je résolus alors de ne pas souffrir plus longtemps et de partir le lendemain.
En conséquence de cette résolution, convaincu que je ne m'endormirais pas si je me couchais, je me mis à faire mes malles.