TIGRE 2009-04-24
Le conflit qui oppose actuellement l'armée du Sri Lanka aux rebelles tamouls donne des inquiétudes quant à son évolution : le pouvoir n'a pas réduit les Tigres. C'est de ce dernier mot que je voudrais parler, puisqu'en français, on le trouve avec des échos et dans des contextes spéciaux. Le tigre, un animal, un mot qui fait rêver. Attention, moins que certains autres, moins que le lion par exemple qu'on trouve un peu partout – à la fois dans la langue et dans l'iconographie, dans les illustrations –, depuis longtemps : le moyen-âge et même l'antiquité. Il faut dire que les lions, on les connaissait mieux. Même si ce n'était pas l'animal le plus fréquent de la terre, on en voyait, notamment dans le nord de l'Afrique. Le tigre est plus exotique, et en français sa réputation est inquiétante : il passe d'abord non seulement pour dangereux, mais pour cruel, presque naturellement porté à la violence et au meurtre. Ainsi trouve-t-on l'image toute faite : « tigre assoiffé de sang », ou « tigre altéré de sang ». Mais il faut bien dire qu'aujourd'hui l'image est un peu empesée, elle sent trop son cliché pour qu'on l'emploie autrement que de façon ironique. D'autre part l'expression appartient davantage au monde de l'écrit : la formule, même figée, n'a jamais absolument intégré le langage courant. En revanche la qualité, ou plutôt le défaut, en tout cas l'attitude la plus fréquemment associée à ce mot « tigre », c'est la jalousie. « Jaloux comme un tigre » exprime donc une jalousie excessive, et souvent un peu déplacée, disproportionnée. Une attitude violente donc, mais qui va avec un éternel soupçon, une éternelle inquiétude sur la fidélité. La phrase s'utilise autant sinon plus encore au féminin : « jalouse comme une tigresse ». Ou même, sans qu'on prenne la peine de préciser le caractère qui est en cause, comme s'il était trop connu pour qu'on ait besoin de le rappeler. On dit d'une femme « c'est une tigresse, une vraie, une véritable tigresse ». Le recours à cet adjectif « véritable » est tout à fait intéressant ; on sait bien qu'une tigresse n'est pas « véritablement » jalouse à la manière d'une femme. On feint, on fait semblant de ne pas être dans la langue figurée, de parler de manière littérale pour donner plus de poids encore à l'image qu'on emploie. C'est le comble de la langue figurée ! Mais cette image de la tigresse, si elle évoque toujours la jalousie, fait apparaître une image de femme bien particulière : jalouse, mais tout spécialement féminine, agressant l'amant volage ou la rivale avec des armes identifiées comme caricaturalement féminines, les ongles longs qui lacèrent par exemple. Comme si celle qui était jalouse comme une tigresse, ne pouvait être qu'une hyperbole, un concentré de féminité qui s'est fait déborder par plus féminine qu'elle encore. On voit bien combien toutes ces nuances proviennent d'un horizon masculin, combien elles témoignent de peurs, de fantasmes, de projections masculines. Enfin on se souviendra que le tigre a été un peu réhabilité par une grande marque d'essence, il y a de cela une grande quarantaine d'années. Le slogan « Mettez un tigre dans votre moteur » avait eu tant de succès que la phrase s'est longtemps utilisée un peu dans tous les contextes, pour évoquer une énergie remarquable et souvent inattendue : « aujourd'hui, il a mis un tigre dans son moteur ! ».
Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/