Eglise et pouvoir : La cathédrale de Toul
Mes chers camarades, bien le bonjour et bienvenue dans la ville de Toul, en Meurthe-et-Moselle,
au cœur de la Lorraine historique ! Une fois n'est pas coutume, on va parler de cathédrale, et
ce qui est passionnant avec les cathédrales, c'est qu'elles nous en apprennent beaucoup
sur l'Histoire d'une ville. Une histoire assez mouvementé pour le cas de Toul !
Grâce à deux cours d'eau, la Moselle et la Meuse, Toul est au centre de l'Europe. Elle
est connectée à la Belgique, à l'Allemagne, et aux Pays-Bas. Il suffit d'un coup d'œil
alentour pour voir que la ville est placée à un endroit stratégique où les cours d'eau
se touchent presque : ici, à peine 12 petits kilomètres séparent la Moselle de la Meuse,
ce qui explique la présence d'un canal pour relier les deux.
Dès 450 avant notre ère, des populations s'installent ici pour bénéficier du trafic
fluvial. Le peuple des Leuques colonise les bords de l'eau, mais aussi les hauteurs alentour. Après
4 siècles de paix, en 58 avant notre ère, César et ses légions débarquent dans la région, les
Leuques continuent sur leur lancée et préfèrent ravitailler César plutôt que de l'affronter.
Et pour eux c'est plutôt une bonne décision puisque la ville devient par la suite un castrum
romain : Tullum Leucorum. Les Leuques ont droit de cité et ils s'intègrent parfaitement à l'Empire.
L'eau favorise le commerce, mais aussi une agriculture bien particulière : la vigne.
Au 4e siècle, Toul produit et exporte son vin en masse...et ça marche plutôt bien,
puisque la vigne est encore là aujourd'hui ! L'eau et le vin, c'est déjà pas mal pour
découvrir et comprendre Toul. Mais sa véritable histoire d'amour, le troisième pilier qui va
nous permettre de raconter cette ville du Moyen ge à nos jours, c'est sa cathédrale !
Une cathédrale est souvent révélatrice de l'identité d'une ville, de son histoire,
et surtout de ses difficultés passées. Au Moyen âge, la cathédrale et la ville
sont en effet très liées : ce sont les habitants qui financent la construction
de ce temple religieux, qui est aussi le centre du pouvoir de l'évêque et des
chanoines. Il dépend donc de la santé économique et politique de la cité.
Et bien sûr, cette même cité dépend du pays alentour : alors en cas de problème,
comme une guerre, ça se ressent sur l'édifice ! A Toul comme ailleurs, la ville et son église vont
grandir ensemble, souffrir ensemble, se disputer et se réconcilier... Et vous allez le voir,
Derrière cette façade splendide, se cache une histoire pas toujours rose…
Revenons au 4e siècle : en même temps que la vigne, apparaît le christianisme. Le premier
évêque de Toul est Saint Mansuy, et il a bien de la chance ! Pour dessiner les frontières de
son diocèse, il calque la carte de l'ancien territoire des Leuques, qui est absolument
immense. Mansuy se taille donc la part du lion, avec l'un des plus grands diocèses de
toute l'Europe ! Beaucoup de terre, beaucoup de revenus, le tout sous bonne protection puisque le
castrum est équipé d'une enceinte fortifiée qui le protège de tous les raids barbares.
Enfin, presque tous : en 456, Attila fait quand-même tout cramer, y compris le temple
païen toujours en place. Une aubaine pour l'évêque, qui peut édifier une première
cathédrale directement sur les ruines. Et on ne fait pas les choses à moitié : le premier
groupe épiscopal compte trois églises, dédiées à Notre Dame, Saint Jean-Baptiste,
et enfin Saint Etienne pour la cathédrale. En gros on peut dire merci Attila !
En 496, les clercs de Toul instruisent Clovis dans la foi chrétienne : la ville
s'associe donc à la royauté mérovingienne, puis carolingienne : Charlemagne l'intègre
au réseau de cités épiscopales qui forment le cœur de son empire, par leur essor culturel,
intellectuel et économique. C'est le premier âge d'or de Toul, qui est contrôlée exclusivement
par son évêque, chargé de la politique, de la sécurité, de la justice et de l'impôt.
Au point qu'au 10e siècle est construite une nouvelle cathédrale romane, si grande
qu'elle englobe littéralement les 3 anciennes églises ! L'évêque cherche ainsi à montrer sa
puissance et son indépendance. En effet, depuis le Traité de Verdun signé en 843,
l'empire a été divisé en 3 espaces : Franc à l'Ouest, Germanique à l'Est...et, coincée
au milieu, la Lotharingie où se trouve Toul. Et faut bien se rendre compte que les rois de
France comme les empereurs d'Allemagne ne vont jamais vraiment cesser de se
disputer cet espace central. En fait, ça va durer...jusqu'au 20e siècle !!!
Les évêques, bien placés au centre de l'échiquier, en profitent pour accroître leur influence locale
en soutenant les Francs ou les Germains selon leurs intérêts. Des mesures qui permettent de
multiplier les agrandissements et modifications de la cathédrale. Ce que l'on peut observer de nos
jours est le 9e édifice construit au même endroit. Son chantier a débuté au 13e siècle, en même
temps qu'une collégiale : Saint Gengoult, ayant pour but d'accueillir un collège de chanoines.
Ces édifices nous renseignent sur une chose : à cette époque,
Toul est une ville d'importance et l'influence de l'église dans la ville est énorme.
Encore en 1789, lors de la Révolution Française, la ville compte :
-1 évêque - 2 chapitres de chanoines,
- 6 paroisses, - 3 abbayes,
- une dizaine de maisons religieuses, - 20 religieux,
- 100 religieuses, - et 200 prêtres.
Et ça, ce n'est qu'après un 18e siècle où les vocations religieuses sont en chute. Imaginez ce
que c'était à la grande époque du Moyen âge...des centaines de religieux, auxquels il faut ajouter
leurs valets, leurs serviteurs, leurs employés, leurs fournisseurs, les bâtiments annexes,
les logements, les stockages, les achats de terrains autour de la ville, les rentes,
les loyers, les quêtes perçues pour chaque paroissien… Tout ça sur une ville n'excédant
pas les 7.000 habitants. Donc ça représente une part énorme de l'activité économique locale.
Le cas de Toul est spectaculaire, mais loin d'être isolé : je vous recommande les superbes vidéos des
cours publics de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine, qui vous révèleront à quel
point la cathédrale a du poids dans la ville médiévale. Les liens sont en description !
Les travaux de Saint Gengoult démarrent donc en même temps que ceux de la dernière
cathédrale. Cette nouvelle collégiale est dédiée à Gengoult, ou Gangolf, un saint du
8e siècle vénéré en Bourgogne et en Lorraine. Tué par l'amant de sa femme, c'est le saint
patron...des cocus ! A invoquer en cas de situation conjugale difficile,
Saint Gengoult est un peu celui qui ramasse les pots cassés quand Saint Valentin s'est foiré.
Mais même avec la protection des saints et toute sa fortune, l'évêque peine à achever
ces constructions. En effet, il est souvent en dispute avec les bourgeois de la ville,
ou les comtes de Bar ou de Lorraine. Avec tout ça, les travaux prennent du retard : il faut plus de
250 ans pour enfin terminer la cathédrale : elle est lancée en 1221, il y a 800 ans - à l'époque de
Robin des Bois s'il avait existé - et est achevée en 1497 : après la découverte des Amériques !
Mais pendant tout ce temps, l'architecture évolue. Résultat : le bâtiment est de style
gothique classique, puis rayonnant, et enfin flamboyant, avant de connaître quelques
influences de la Renaissance. C'est ainsi qu'en entrant dans le petit cloître de Saint-Gengoult,
on passe une porte typiquement Renaissance...pour arriver dans un intérieur en gothique flamboyant !
...rien à voir avec le cloître de la cathédrale, qui lui est en gothique rayonnant,
donc plus ancien. Il est d'ailleurs immense : ses trois allées font au
total 157m de long. C'est l'un des plus grands cloître Gothique de France ! Il
faut bien toute cette place pour accueillir l'immense chapitre de l'évêque. Sans compter
ses autres habitants : les gargouilles ! Bien conservés, très visibles à cette faible hauteur,
ces petits monstres de pierre servent à évacuer les eaux du toit.
Ce cloître permet à l'époque de relier plusieurs églises disparues entre elles,
et les bâtiments communautaires des chanoines. Il y a tant de monde qui vit là que, comme dans
chaque ville de France, l'évêque est un peu obligé d'aller voir ailleurs pour trouver du confort.
Il fait alors construire sa propre domus, la maison de l'évêque, qu'on appellera bien plus tard
le palais épiscopal.En France la quasi-totalité de ces palais ont été très bien conservés,
car reconvertis en préfectures de police, casernes, musées ou écoles.
Celui-ci date du 18e siècle, et accueille désormais l'hôtel de ville. Ce palais peut à
l'occasion accueillir une belle cour en façade, et c'est là que se joue la vie publique de la
cité...mais pas du tout à la cathédrale, réservée au chanoines ou aux marchands !
Après ce long tour d'horizon, nous voici de retour dans la cathédrale Saint-Étienne de Toul, un
édifice assez exceptionnel. Le style “Français”, qu'on appellera plus tard “gothique” apparaît en
Île-de-France avant de se répandre en Europe. Toul est justement le premier édifice gothique
construit à l'Est, dans l'espace impérial. Cette église initie donc l'école Touloise,
qui va influencer bien des constructions en Lorraine, à Metz, Saint-Dié et Epinal, mais
aussi en Allemagne, à Trèves, à Cologne, à Worms ou encore à Ratisbonne. Un beau rayonnement !
On commence toujours la construction ou la reconstruction d'une église par son chœur,
l'endroit le plus sacré de l'Eglise puisqu'il continent l'autel et le tabernacle : une armoire
qui contient en général un récipient sacré et les hosties. On avance ensuite jusqu'à la façade,
en démontant et en remplaçant le bâtiment bloc par bloc. Le chœur
et le transept datent donc du 13e siècle, la nef du 14e, et la façade,
du 15e. Deux chapelles latérales sont même ajoutées encore plus tard, au 16e siècle,
dans le plus pur style Renaissance. Pendant tout ce temps la cathédrale
est donc en chantier mais elle peut être utilisée pour dire les messes et les offices !
La nef est empli d'une grande clarté. Pleine de couleurs au Moyen ge,
la cathédrale avait perdu ses beaux atours avec le temps, et était devenue toute grise.
Mais la récente restauration a révélé de belles traces de polychromie dans la nef,
ce qui a permis de repeindre les arcs en doré. Et à 30m de hauteur,
les clefs de voûte sont multicolores. Tout le reste a retrouvé sa blancheur, ce qui met
particulièrement en valeur l'orgue néoclassique des années 60, niché là, sous la rosace.
La façade de la cathédrale de Toul, magnifique, a elle bien failli ne jamais voir le jour !
Si la Guerre de Cent Ans est finie, elle continue d'avoir des répercussions : les
conflits entre ducs de Lorraine et de Bourgogne impactent l'économie locale. En 1460,
ce sont donc le pape Pie II et le roi de France Charles VII (le copain de Jeanne d'Arc) qui
envoient les fonds nécessaires pour que les derniers vestiges romans soient modernisés
en gothique. Après presque 40 ans de travaux, en 1497 les cloches peuvent enfin sonner au sommet
des deux impressionnantes tours de 62m de haut. Alors bien sûr, il faut imaginer cette façade
garnie d'innombrables statues, mais la Révolution Française est passée par là !
Toul est sortie grandie de la longue période médiévale durant laquelle elle a su garder une
certaine autonomie, et jouer son rôle sur la scène diplomatique européenne.
En 1648, la Guerre de Trente Ans s'achève, et Toul est définitivement annexée à la France,
dans la nouvelle province des Trois-Évêchés : Toul, Metz, Verdun. Dans un premier temps,
la fière cité autonome devient une simple ville frontière. Puis progressivement,
elle entre dans une phase de déclin, ou plutôt, elle se transforme.
Sur le plan religieux, Toul s'efface. En 1776, l'immense évêché est
démembré en plusieurs petits évêchés ; En 1790, il est même supprimé : désormais,
l'évêque ne séjournera plus à Toul, mais à Nancy. Une sacrée insulte pour
la cité épiscopale vieille de 14 siècles ! En 1794, après avoir dissout les ordres
religieux, la Révolution s'attaque à la cathédrale et à son cloître.
Bref : ça sent le sapin !
Mais au 18e siècle, qui dit frontière, dit Vauban, alias le chevalier Sébastien Le Prestre
de Vauban. Cet architecte militaire reconnu fait fortifier toute la cité de Toul. La Porte de
Metz est le dernier vestige de son époque. Bien entendu, on peut encore voir des fortifications
qui respectent ses plans ingénieux, mais elles ont été aménagées, transformées et restaurées.
Après Vauban, les guerres napoléoniennes démontrent l'urgence de sécuriser la
frontière française orientale. Toul résiste héroïquement en 1814, puis encore en 1870
face aux troupes Allemandes venues annexer une partie de l'Alsace et de la Moselle…
et oui, au final c'est assez dingue : on est toujours sur le conflit pour
savoir qui contrôlera la Lotharingie ! Et ce sera encore le cas en 39-45 !
A chacune de ces guerres, les destructions et les reconstructions se succèdent, sans épargner
la cathédrale : En 1870, les bombes rasent ¼ de la ville, et détruisent des vitraux de la cathédrale.
Les Français décident alors de construire une ceinture défensive pour la république : Verdun,
Toul et Epinal forment 3 camps retranchés pour abriter 42.000 soldats. A elle seule, Toul en
accueille 12.000, répartis dans ses 12 forts. Juste à temps pour la 1ere guerre
mondiale ! Mais...il ne se passe rien. La ligne de front s'arrête à quelques
kilomètres. La ville est épargnée pour le moment…jusqu'à la 2nd guerre mondiale !
L'héroïque résistance des Toulois en juin 1940 provoque un second
bombardement : ⅓ de la ville est rasé. On avait heureusement démonté les vitraux
de la cathédrale pour les protéger mais le bâtiment est mutilé. La cathédrale trône,
sombre et abîmée, au-dessus d'une ville fantôme : Toul vient de passer de 13.000
à 3.000 habitants. Pendant toute l'occupation, elle est vide, comme abandonnée à elle-même...
Rien à voir avec la Toul d'aujourd'hui puisque après la guerre, la ville a été reconstruite.
L'activité militaire a dû faire face à d'autres pans de l'économie qui se sont développés,
notamment, en ce qui me concerne, le tourisme. Aujourd'hui je me suis
concentré sur la cathédrale, et sur son rapport au reste de la ville, parce que
Toul offre un parfait exemple de cette relation médiévale très privilégiée entre cité et église.
Mais lorsqu'on se promène dans Toul, on peut apercevoir bien d'autres choses : des vestiges
de remparts gallo-romains, des églises, des musées, et même une commanderie de Templiers.
En tout cas c'est une très belle ville nichée au milieu des remparts et il y a un beau parcours à
faire dans le centre-ville pour découvrir tout ça ! Si vous avez l'occasion de passer dans le coin,
n'hésitez pas ! Merci à Jean de Boissésson avec qui j'ai préparé cette vidéo, merci à
la ville de Toul qui m'a contacté pour mettre en avant son patrimoine et merci à Maxime Santiago
et à son superbe travail de reconstitution 3D de la cathédrale, vous pouvez retrouver tout ça
en description. On espère comme toujours que ça vous a plu et on compte sur vous pour partager
l'épisode si c'est le cas ! A très bientôt pour de nouveaux reportages sur Nota Bene !