Parasite de Bong Joon-ho et Gone Girl de David Fincher, l'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile, bonjour !
Aujourd'hui, on ne va pas vraiment faire dans l'originalité
puisqu'on va parler du film-événement de ces derniers mois,
celui qui a commencé sa carrière internationale en remportant la Palme d'Or à Cannes en 2019
avant d'enchaîner les récompenses et les succès publics
jusqu'à finalement être le premier long-métrage non-anglophone
à obtenir l'Oscar du Meilleur Film.
Je veux bien sûr parler du Parasite de notre bien-aimé Bong Joon-Ho.
Sauf qu'on ne va pas se contenter de Parasite.
On va le confronter avec un film qui lui ressemble beaucoup
et essayer de voir comment ces deux oeuvres racontent finalement
quelque chose de très similaire.
Cet autre film, ce n'est d'autre que Gone Girl de David Fincher.
Le 16 octobre 2019,
alors qu'il est en pleine campagne pour les Oscar,
Bong Joon-Ho et son acteur fétiche Song Kang-ho sont invités au Lincoln Center
pour présenter une projection de Memories of Murder.
À la fin de son introduction, Bong Joon-Ho juge bon de faire un petit rappel :
Même si le ton est humoristique,
on peut comprendre le besoin d'une telle précision.
Dans son approche du tueur en série,
Memories of Murder se présente comme le contrepied total du thriller apocalyptique
qui phagocytait le genre depuis la sortie de Seven de David Fincher justement
Bien que reposant sur des mécaniques codées,
comme le duo de flics que tout oppose et le suspense autour des mises à mort,
le film de Bong Joon-ho place son enquête dans un environnement provincial réaliste
où l'enquête se heurte au contexte socio-politique de l'époque,
obligeant les enquêteurs à composer avec des contraintes qui les dépassent.
De plus, le film est tiré d'une histoire vraie,
celle d'un tueur en série ayant violé et assassiné une dizaine de femmes
entre 1986 et 1991 dans le Nord-Ouest de la Corée du Sud.
Et effectivement, le fait que Memories of Murder soit un film-dossier
qui revient sur une affaire de tueur en série jamais élucidée,
à travers une reconstitution méticuleuse d'une époque révolue,
le rapproche énormément du Zodiac de David Fincher.
Par ailleurs ces deux longs métrages ont des résonances
extrêmements personnelles pour leurs réalisateurs.
Memories of Murder trouve son origine
dans la pièce de théâtre Come and see me de Kim Kwang-rim consacrée à l'affaire.
Cette dernière a fourni le déclic au cinéaste
pour aborder une histoire qui l'avait profondément marqué.
Pour Fincher, l'affaire du tueur de Zodiaque revêt une importance toute particulière
puisqu'il a passé son enfance dans la région où eurent lieu les crimes.
Et oui, la police surveillait les bus scolaires qu'il empruntait
et sa voisine faisait partie de l'équipe chargée de l'enquête.
Dans le cas de Bong Joon-ho comme de Fincher,
le tournage de leur film s'apparente à une recherche de la vérité...
au point qu'ils tournèrent chacun sur les lieux des assassinats,
transformant les prises de vues en véritable enquête.
Pour les gens découvrant Memories of Murder en 2019,
il serait donc tentant de penser que Bong Joon-Ho se serait inspiré du travail de David Fincher
alors que comme le rappelait le cinéaste coréen son film est sorti 4 ans avant Zodiac.
Pourtant, il y a une certaine forme d'ironie à voir Bong Joon-Ho se détacher
se détacher de l'influence de David Fincher lors d'une projection
organisée dans le cadre d'une campagne médiatique destinée à promouvoir son film
le plus directement inspiré par David Fincher : Parasite.
D'un point de vue visuel,
Parasite tranche en effet avec les précédents films de Bong Joon-Ho.
Que ce soit dans Mother, The Host, Snowpiercer (dont nous avons déjà parlé)
ou Okja,
Bong Joon-Ho s'attachait à adopter une mise en scène organique.
Quelque soit son sujet,
son but était de donner au public l'impression de plonger
dans un monde vivant et parfois chaotique.
Dans chacun de ces films, l'absurde et la logique,
le ridicule et le tragique n'était jamais loin l'un de l'autre.
Avec ses plans méticuleusement composés
et son scénario où le moindre élément a un sens,
Parasite apparaît donc comme une rupture dans le cinéma de Bong Joon-Ho…
une rupture qui évoque justement le travail de David Fincher depuis The Social Network.
Rien que le décor de Parasite,
cette maison moderne toute en lignes droites et en transparences,
permet à Bong Joon-Ho de structurer ses plans à la façon d'un Fincher,
séparant ses personnages, les enfermant chacun dans leur propre espace.
On retrouve ainsi cette approche architecturale de la mise en scène,
où les rapports de force entre les personnages sont définis
par le décor dans lequel ils évoluent.
Mais si Parasite peut évoquer visuellement différents films de Fincher,
thématiquement,
il se rapproche plus particulièrement de son dernier film en date :
Gone Girl.
Il y a d'abord une similitude dans la structure.
Dans les deux cas, on a affaire à un thriller où la question de la maison
et du foyer familial est centrale.
Dans les deux cas, un personnage ou un groupe de personnes en manipule un autre.
Dans les deux cas, on a un twist qui remet tout en question au milieu du film,
et dans les deux cas, on a une fin amère et ambiguë.
En outre, ce qui rapproche également Fincher et Joon-ho,
c'est la manière dont ils utilisent leur références cinématographiques
de manière harmonieuse au sein de leurs récits.
Si les deux cinéastes utilise des mécaniques de suspense héritées d'Alfred Hitchcock,
Fincher lorgne directement du côté du plus célèbre héritier du maître :
Brian De Palma.
Le cinéaste va ainsi emprunter à De Palma son goût pour les jeux de dupe
et la manière dont la perception faussée d'évènements et d'images
peut avoir un impact sur ses protagonistes,
ce qui était déjà à l'oeuvre dans Blow Out ou même Mission: Impossible.
Du côté de Bong Joon-ho,
beaucoup ont fait remarquer à juste titre la proximité de Parasite
avec le cinéma contestataire italien des années 70.
Mais lors de la remise de la Palme d'or
ce sont à deux cinéastes français que le cinéaste sud-coréen a dédié son prix :
Henri Georges Clouzot et Claude Chabrol.
Le premier est l'auteur du Salaire de la peur qui fut à l'origine de sa vocation de cinéaste,
mais aussi des Diaboliques,
un huis-clos reposant en grande partie sur des rebondissements retors.
Le second s'est fait une spécialité de dépeindre férocement
le comportement de ses semblables avec des films comme Que La Bête Meure,
Le Boucher ou encore La Cérémonie.
Une autre influence notable est celle de Luis Bunuel,
que ce soit pour L'Ange Exterminateur qui décrit la spirale auto-destructrice
d'individus issus des hautes sphères de Mexico,
ou pour l'histoire de Viridiana qui voit une riche héritière un peu naïve
accueillir des sans-abris pour se donner bonne conscience
jusqu'à ce qu'ils profitent de son absence pour détruire son salon
de la même manière que les Kim dans Parasite.
En plus de ces très sérieuses références,
Fincher comme Bong Joon-ho n'hésitent pas à s'inspirer d'oeuvres plus légères.
Ainsi, contrairement à ce que l'on pourrait croire au vu de sa filmographie,
Fincher n'est jamais le dernier pour la déconne,
au point que ses films ont régulièrement droit à des touches comiques
permettant de souffler entre deux moments de tensions,
quitte à ce que ce registre serve à piéger le spectateur comme c'est le cas dans Fight Club.
Dans Gone Girl,
les relations entre Nick et Amy, où chacun essaie d'avoir l'ascendant sur l'autre,
n'auraient pas dépareillé dans une screwball comedy de l'âge d'or Hollywoodien.
Dans son rapport au voyeurisme médiatique
le film évoque également la satire sociale acerbe du Gouffre aux Chimères de Billy Wilder
dont on a déjà parlé sur cette chaîne.
Cette tendance à l'humour caustique se retrouve également chez Bong Joon-ho
qui associe cette notion à un registre beaucoup plus paillard,
typique d'une certaine tradition asiatique,
mais aussi plus burlesque.
En effet, difficile de ne pas penser au Jacques Tati de Mon Oncle
face au contraste entre l'environnement des Kim et celui des Park
ou à celui de Playtime dans la manière d'utiliser des verrières.
Enfin, on retrouve dans Parasite l'influence de films comme The Party de Blake Edwards
ou La Maison Démontable de Buster Keaton
où le saccage jubilatoire d'une maison prend une portée subversive.
Qu'il soit relationnel chez Fincher ou burlesque chez Joon-ho,
l'humour a la même finalité.
Il est là pour appuyer la charge sarcastique et éviter à Gone Girl
comme à Parasite d'apparaître comme des pensums lourdingues.
Car derrière leur aspect de thriller,
les deux longs métrages partagent le même projet :
montrer comment une structure sociale se perpétue
à travers ses catégories les moins favorisées.
Petit avertissement, donc, si vous n'avez pas vu Gone Girl ou Parasite,
à partir de maintenant, ça va spoiler sévère !
Dans Gone Girl, adaptation du roman de Gillian Flynn
qui a elle-même participé à l'écriture du scénario,
on suit l'histoire de Nick Dunne, un professeur de littérature,
dont l'épouse Amy Dunne disparaît soudainement.
Celle-ci étant la principale inspiration d'une série de livres pour enfant
ntitulée Amazing Amy,
sa disparition attire l'attention des médias
et Nick Dunne se retrouve vite désigné par l'opinion publique
comme le principal suspect.
Au travers de flashbacks, on apprend comment Nick a rencontré Amy,
comment leur histoire a commencée,
comment ils ont dû quitter New York pour retourner dans le Midwest natal de Nick
suite à la récession de 2008 et à la maladie de sa mère.
Sauf que tout ce que l'on croyait savoir est remis en cause
par la révélation au milieu du film.
Amy Dunne est toujours vivante.
C'est elle qui a mis en scène sa propre disparition dans le but de piéger son mari
et le faire accuser de meurtre.
On en apprend alors un peu plus sur le passé d'Amy.
On découvre qu'elle a piégé un de ses ex et l'a fait condamner pour viol.
On découvre que sous ses dehors d'épouse compréhensive,
elle reproche à son mari de l'avoir forcée à s'enterrer dans une vie terne et provinciale.
De la même façon,
lorsqu'elle apprend que son mari la trompe avec une de ses étudiantes,
ce qui la blesse le plus n'est pas tant l'adultère en lui-même…
mais la médiocre banalité du professeur qui se tape une élève.
En voix-off, Amy expose alors ses motivations…
et elles sont pour le moins surprenantes.
Ce qu'elle reproche fondamentalement à son mari,
c'est de ne pas être à la hauteur de ses attentes.
Alors qu'elle considère mériter une vie parfaite,
ans laquelle elle forme un couple parfait avec un mari parfait,
elle se retrouve coincée dans un quotidien désespérément banal
par la faute d'un mari qui ne semble faire aucun effort pour en sortir.
Le ressentiment d'Amy est d'autant plus fort
qu'elle estime s'être pliée à toutes les consignes
pour être une copine parfaite puis une épouse-modèle.
De son côté, lorsque Nick comprend qu'Amy l'a piégé et qu'il en découvre les raisons,
il se débrouille pour regagner les faveurs de l'opinion publique
et par la même occasion celles d'Amy.
Fascinée par la performance de Nick et par sa nouvelle aura médiatique,
elle décide qu'il peut finalement lui offrir la vie dont elle rêve
et envisage de rentrer chez elle.
Mais elle réalise alors que Desi Collings, un ex-petit ami chez qui elle s'était réfugiée,
est toujours obsédé par elle et refuse de la laisser partir.
Elle simule alors un viol et le tue.
Elle retourne chez elle et adopte le rôle de la victime enfin libre
qui retrouve son mari héroïque sous les yeux des médias.
Mais dès qu'ils retrouvent l'intimité de leur maison,
Nick annonce qu'il veut la quitter.
Amy lui apprend alors qu'elle a utilisé son sperme pour tomber enceinte.
Prenant alors conscience que sa femme est prête à tout pour le garder près d'elle,
Nick accepte alors de jouer le jeu
et le film se conclut sur une image du couple annonçant la grossesse d'Amy à la télévision.