SNOWPIERCER de Bong Joon-ho : l'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile, bonjour
et meilleurs voeux en ce début d'année 2018.
Tiens bah ça tombe bien ! Vous savez quoi ?
il sera justement question de bonne année dans cet épisode,
à travers un film d'action dans un train où le héros doit remonter les wagons.
Heu… ouais… si vous le voulez bien on va laisser de côté saumon agile,
pour monter à bord du Snowpiercer, dernier vestige de la civilisation
dont le conducteur est le cinéaste sud coréen Bong Joon-ho.
Auteur de Memories of Murder et du récent Okja,
Joon-ho à signé avec Snowpiercer l'un des films les plus vivifiants de ces dernières années.
Nous allons donc essayer de comprendre comment le réalisateur à su mener son train à bonne gare,
que ce soit par sa fabrication ou ses partis pris radicaux.
En revanche si vous n'avez pas encore vu le film,
on vous conseille de le faire avant de regarder notre épisode,
car on va méchamment spoiler.
Avant tout chose il est bon de rendre à César ce qui lui appartient
car Snowpiercer est avant tout une bande dessinée
issue d'artisans ayant renouvelé le 9ème art hexagonal.
À la fin des années 70 Jacques Lob, co créateur avec Gotlib de Superdupont,
imagine les prémices du Transperceneige.
Dans cette relecture SF de l'arche de Noé,
il souhaite exorciser sa peur du nucléaire
et sa jeunesse durant la seconde guerre mondiale.
Il confie les prémices de son oeuvre au dessinateur Alexis.
Malheureusement le décès de ce dernier en 1977 stoppe le projet
qui ne reprendra que 4 ans plus tard
grâce à Jean-Marc Rochette, co créateur de Edmond le cochon,
qui partage avec Lob la même angoisse vis à vis du nucléaire.
C'est donc à travers des sensibilités et des angoisses communes
que Le Transperceneige voit le jour.
Très vite la bande dessinée connaît un solide réseau de fans
qui en feront une oeuvre culte.
Bien des années après, c'est Benjamin Legrand,
qui avait déjà travaillé avec Lob sur Lone Sloane du grand Phillipe Druillet,
qui se charge de compléter l'histoire avec deux albums sortis en 1999 et en 2000.
Plusieurs projets d'adaptations sur grand écran sont envisagés.
Que ce soit par Robert Hossein au milieu des années 80,
ou par un jeune cinéaste, dont l'identité reste encore secrète,
qui souhaitait faire un film en stop motion au début des années 2000.
Mais aucun d'entre eux n'arrivera à terme.
Il faudra attendre que Bong Joon Ho découvre une édition pirate de la bande dessinée,
dans une librairie de Séoul en 2005
pour que Le Transperceneige bénéficie enfin des faveurs du grand écran.
Peu de temps après la sortie de The Host à l'été 2006,
Bong Joon-ho officialise le projet
qui devra encore attendre 7 ans pour arriver dans les salles.
Un délai qui s'explique
par la recherche de capitaux internationaux nécessaires à une adaptation digne de ce nom.
Pendant ce temps le réalisateur ne chôme pas.
En parallèle de ses deux autres réalisations,
Joon-ho en profite pour peaufiner le script avec le dramaturge Kelly Masterson
déjà présent au générique de 7H58 ce samedi-là de Sidney Lumet.
Park Chan-wook, le réalisateur de Old Boy vient soutenir son ami de longue date
en tant que producteur.
Tandis que le britannique, Matthew Stillman,
qui a visiblement un faible pour les franchises d'espionnages,
vient également prêter main forte à la production.
Enfin la récente starification de Chris Evans
acquise avec le 1er volet de la franchise Captain America
permet de faciliter le financement en vue d'un tournage à Prague au printemps 2012,
pour un budget de 40 millions de dollars.
Une somme importante pour le cinéma coréen
mais ridicule si on la compare aux 150 voir 200 millions
que coûte en moyenne un blockbuster américain.
Cette logistique internationale que le cinéaste avait déjà expérimenté
pour les effets spéciaux de The Host,
n'est pas sans rappeler celle des Wachowski et de Tom Tykwer sur Cloud Atlas.
D'ailleurs retenez bien le nom des Wachowski
car il en sera question bien plus tard.
D'un point de vue pragmatique
ce choix permet au réalisateur de bénéficier de plus gros moyens qu'à l'accoutumé,
ainsi que d'une visibilité internationale.
Cependant elle l'oblige à faire des choix d'adaptations radicaux
pour rendre Snowpiercer artistiquement et économiquement faisable.
La période glacière n'est plus provoquée par une bombe,
mais par une tentative raté d'empêcher le réchauffement climatique.
Le culte de la Sainte Loco laisse place à celui de l'ingénieur Wilford.
Le héros ne se prénomme plus Proloff mais Curtis,
l'élément perturbateur qui déclenche les hostilités n'est plus le même,
quantité de personnages ont disparus,
d'autres sont créés pour l'occasion etc.. etc...
Autant dire que Joon-ho n'y va pas de main morte
pour se réapproprier l'oeuvre de Lob.
Cependant à l'instar d'Alfonso Cuaron sur le prisonnier d'Azakaban,
ces choix ont pour but de retranscrire cinématographiquement
les émotions véhiculé par le support d'origine,
ici une bande dessinée.
À ce titre Snowpiercer est moins une adaptation qu'un dialogue
entre le cinéaste sud coréen et les créateurs français.
« Quand je parle de m'approprier l'essence de la bande-dessinée,
je pense à trois éléments :
le moteur du train qui est situé tout à l'avant et gardé par son créateur,
la quête du héros lancé dans une course, progressant toujours de gauche à droite,
et l'âge de glace qui apporte le désespoir.
De mon point de vue, c'est vraiment le cœur du livre.
Je dois ensuite écrire des intrigues, inventer des situations,
créer des personnages, qui sont très éloignés du livre. »
En effet, même si l'histoire part dans des directions différentes de celle de la BD
elle aborde néanmoins des thématiques similaires.
L'oeuvre de Lob s'inscrivait dans une tradition européenne du post apocalyptique littéraire
représenté par des auteurs comme René Barjavel,
Stefan Wul ou encore J.G. Ballard.
N'oublions pas qu'à la sortie du Transperceneige,
Georges-Jean Arnaud démarrait son cycle littéraire La compagnie des glaces
basé sur un postulat proche de celui de Lob.
Ces diverses oeuvres optent pour une approche introspective
voir intellectuelle de la science fiction
sans pour autant renier leurs origines populaires, bien au contraire.
Bong Joon-ho prend parfaitement conscience de ceci dans son adaptation cinématographique….
d'une manière disons… un peu bourrine.
Et oui, si le cinéaste reste globalement bien accueilli
par la presse et les cinéphiles,
depuis quelques années le débat ne cesse de grandir
sur le traitement que confine Bong Joon-ho à ses sujets,
d'autant qu'en Corée du sud, le réalisateur est avant tout perçu
comme un simple faiseur de blockbuster,
une sorte de Luc Besson local.
- Qu'est-ce qu'il y a ? - Non rien j'ai peur...
Si ses polars et ses drames sociaux ne posent pas de problème,
c'est une autre paire de manche quand le bonhomme aborde la science fiction.
Certains lui reproche d'enfoncer des portes ouvertes sur les questions socio politiques,
avec la finesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.
D'autres lui reproche un humour hystérique et gras du bide
que n'aurait pas renier les charlots ou Jean Marie Poiré.
Il faut dire que la critique réduit bien souvent es films à des messages superficiel,
à base de critique de l'impérialisme américain sur The Host,
du capitalisme dans Snowpiercer
ou plus récemment Okja qui se voit réduit à un tract végan.
Pour être tout à fait franc,
ce qui vient d'être dit n'est pas totalement faux,
mais cela ne représente que l'infime façade d'une oeuvre bien plus complexe
et plus riche qu'elle n'y parait.
Si l'humour de Joon-ho rejoint une tradition paillarde asiatique qui peut décontenancer,
il s'inscrit également dans le grotesque propre à la science fiction sarcastique
qu'affectionne le cinéaste.
De son propre aveu,
le personnage de Gilliam campé par le grand John Hurt est un hommage
à l'ancien Monty Python Terry Gilliam.
L'auteur de Brazil prenait un malin plaisir à montrer l'absurdité d'un régime totalitaire
à travers une courte focale déformante.
Cependant l'emprunt à Gilliam reste un clin d'oeil.
Comme Joon-ho le dit lui-même
c'est plutôt du côté de John Carpenter et de George Miller
qu'il faut chercher les influence de Snowpiercer.
La représentation caricaturale des wagons de la 1ère classe
n'est pas sans évoquer le monde factice d'Invasion Los Angeles,
tandis que le grotesque de certains personnages,
renvoie au gouvernement du diptyque New-York 1997 / Los Angeles 2013.
Une filiation que l'on retrouve également chez Song Kang-ho,
acteur fétiche du cinéaste,
qui semble avoir pris beaucoup de plaisir à la jouer Snake Plissken.
Quand à George Miller,
revenons à ce que Bong Joon-ho disait avant la sortie de Mad Max Fury Road.
« Le look du Dôme du tonnerre de Snowpiercer ?
Non, ma véritable influence, c'est plutôt Mad Max : Le Défi,
mais pas simplement en termes de look,
plus pour sa structure linéaire et la façon dont l'action ne cesse d'avancer
sans jamais laisser au public l'occasion de reprendre son souffle.
Droit, toujours tout droit… »
On ne peut pas faire plus explicite.
En parlant de Fury Road,
Nous vous avions récemment parlé de la chaîne youtube Versus
qui faisait le lien entre le film de George Miller
et le Mécano de la General de Buster Keaton.
On pourrait en faire de même entre Snowpiercer et Le train mongol,
un film de propagande soviétique de 1929 signé Ilya Trauberg,
un ancien assistant de Sergei Einseinstein.
Le Train Mongol narre la révolte de travailleurs dans un train lancé à vive allure.
Une vision atypique de la lutte des classes
que l'on retrouve trait pour trait dans le film de Bong Joon-ho,
y compris dans son traitement frontal de la violence.
On remarque d'ailleurs que les confrontations entre le peuple et les autorités
sont omniprésents dans son cinéma.
Qu'il s'agisse des violences policières dans Memories of Murder,
des manifestants de The Host,
ou encore des terroristes écolo de Okja.
Tous ces éléments mettent en exergue
le rapport qu'entretient le cinéaste avec les affres de son pays.
Et quand on sait que le réalisateur a participé à de nombreuses manifestations étudiantes
durant ses études de sociologie, qui lui valurent d'ailleurs un mois de prison,
difficile de ne pas voir dans ces éléments une catharsis.
Pour traduire cette idée d'un point de vue cinématographique,
le réalisateur se fait un point d'honneur
à mettre en avant la foule et le chaos qui l'anime,
notamment en misant sur différents niveaux d'échelles
et sur la profondeur de champ.
À l'instar de James Cameron et Steven Spielberg,
Joon-ho semble être l'un des rares cinéastes à l'heure actuelle
à avoir compris que la mise en valeurs des figurants dans l'espace
en dit plus sur la société que bien des mots.
Dans Snowpiercer le défi est de taille
puisque qu'il s'agit de faire ressentir ce bouillonnement dans un espace clos.
Pour réussir cette tâche,
le réalisateur a recours à des décors démontables qui permettent à l'équipe
de placer la caméra où bon leur semble,
mais également au Steadycam qui permet des mouvements fluides
et surtout de laisser aux interprètes une plus grande liberté de mouvements
y compris dans un espace restreint.
L'autre point fort de la réalisation est d'utiliser
la contrainte horizontale du train à son avantage
en convoquant un autre média que le cinéma à savoir…. le jeux vidéo.
En effet de nombreuses scènes privilégie une vue de profil
qui n'est pas sans rappeler le scrolling horizontal présent dans de nombreux Beat Them all.
Vous savez ce genre ou vous avancez en bastonnant le plus d'adversaires possibles,
pour poursuivre votre aventure.
Et ce parallèle n'est pas si saugrenu que ça,
si l'on en juge les différents affrontements qui peuple le récit,
mais aussi la progression narrative ou les personnages traverse les wagons,
un peu comme un perso de jeux vidéo traverserait différents niveaux tenu par des boss.
Un procédé repris par Yeon Sang-ho dans Dernier Train pour Busan
autre film coréen évoquant la lutte des classes au sein d'un film de genre ultra codé.
Cette vue horizontale nous amène à la scène centrale de Snowpiercer,
celle de la bonne année.
Comme l'a fait remarquer Tony Zhou sur sa défunte chaîne YouTube,