L'appareil de photo
Juste quand j'allais partir pour l'école, le facteur a apporté un paquet pour moi, c'était un cadeau de mémé : un appareil de photo ! Ma mémé, c'est la plus gentille du monde «Elle a de drôles d'idées, ta mère, a dit Papa à Maman, ce n'est pas un cadeau à faire à un enfant. » Maman s'est fâchée, elle a dit que, pour Papa, tout ce que faisait sa mère (ma mémé) ne lui plaisait pas, que ce n'était pas malin de parler comme ça devant l'enfant, que c'était un merveilleux cadeau, et moi j'ai demandé si je pouvais emmener mon appareil de photo à l'école et Maman a dit que oui, mais attention de ne pas me le faire confisquer. Papa, il a haussé les épaules, et puis il a regardé les instructions avec moi et il m'a montré comment il fallait faire. C'est très facile. En classe, j'ai montré mon appareil de photo à Alceste, qui est assis à côté de moi, et je lui ai dit qu'à la récré on ferait des tas de photos. Alors, Alceste s'est retourné et en a parlé à Eudes et à Rufus qui sont assis derrière nous. Ils ont prévenu Geoffroy, qui a envoyé un petit papier à Maixent, qui l'a passé à Joachim, qui a réveillé Clotaire, et la maîtresse a dit: «Nicolas, répétez un peu ce que je viens de dire. » Alors moi, je me suis levé et je me suis mis à pleurer, parce que je ne savais pas ce que la maîtresse avait dit. Pendant qu'elle parlait, j'avais été occupé à regarder Alceste par la petite fenêtre de l'appareil. «Qu'est-ce que vous cachez sous votre pupitre? » a demandé la maîtresse. Quand la maîtresse vous dit «vous », c'est qu'elle n'est pas contente; alors moi, j'ai continué à pleurer, et la maîtresse est venue, elle a vu l'appareil de photo, elle me l'a confisqué, et puis elle m'a dit que j'aurais un zéro. «C'est gagné », a dit Alceste, et la maîtresse lui a donné un zéro aussi et elle lui a dit de cesser de manger en classe, et ça, ça m'a fait rigoler, parce que c'est vrai, il mange tout le temps, Alceste. «Moi je peux répéter ce que vous avez dit, mademoiselle », a dit Agnan, qui est le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse, et la classe a continué. Quand la récré a sonné, la maîtresse m'a fait rester après les autres et elle m'a dit: «Tu sais, Nicolas, je ne veux pas te faire de peine, je sais que c'est un beau cadeau que tu as là. Alors, situ promets d'être sage, de ne plus jouer en classe et de bien travailler, je t'enlève ton zéro et je te rends ton appareil de photo.» Moi, j'ai drôlement promis, alors la maîtresse m'a rendu l'appareil et elle m'a dit de rejoindre mes petits camarades dans la cour. La maîtresse, c'est simple : elle est chouette, chouette, chouette ! Quand je suis descendu dans la cour, les copains m'ont entouré. «On ne s'attendait pas à te voir », a dit Alceste, qui mangeait un petit pain beurré. «Et puis, elle t'a rendu ton appareil de photo ! » a dit Joachim. « Oui, j'ai dit, on va faire des photos, mettez vous en groupe ! » Alors, les copains se sont mis en tas devant moi, même Agnan est venu. L'ennui, c'est que, dans les instructions, ils disent qu'il faut se mettre à quatre pas, et moi j'ai encore des petites jambes. Alors, c'est Maixent qui a compté les pas pour moi, parce que lui il a des jambes très longues avec des gros genoux sales, et puis, il est allé se mettre avec les autres. J'ai regardé par la petite fenêtre pour voir s'ils étaient tous là, la tête d'Eudes je n'ai pas pu l'avoir parce qu'il est trop grand et la moitié d'Agnan dépassait vers la droite. Ce qui est dommage, c'est le sandwich qui cachait la figure d'Alceste, mais il n'a pas voulu s'arrêter de manger. Ils ont tous fait des sourires, et clic ! j'ai pris la photo. Elle sera terrible ! «Il est bien, ton appareil », a dit Eudes. «Bah ! a dit Geoffroy, à la maison, mon papa m'en a acheté un bien mieux, avec un flash! » Tout le monde s'est mis à rigoler, c'est vrai, il dit n'importe quoi, Geoffroy. «Et c'est quoi, un flash? » j'ai demandé. «Ben, c'est une lampe qui fait pif! comme un feu d'artifice, et on peut photographier la nuit», a dit Geoffroy. «Tu es un menteur, voilà ce que tu es ! »j'ai dit. «Je vais te donner une claque », m'a dit Geoffroy. «Si tu veux, Nicolas, a dit Alceste, je peux te tenir l'appareil de photo. » Alors, je lui ai donné l'appareil, en lui disant de faire attention, je me méfiais parce qu'il avait les doigts pleins de beurre et j'avais peur que ça glisse. Nous avons commencé à nous battre, et le Bouillon — c'est notre surveillant, mais ce n'est pas son vrai nom — est arrivé en courant et il nous a séparés. «Qu'est-ce qu'il y a encore? » il a demandé. «C'est Nicolas, a expliqué Alceste, il se bat avec Geoffroy parce que son appareil de photo n'a pas de feu d'artifice pour la nuit. — Ne parlez pas la bouche pleine, a dit le Bouillon, et qu'est-ce que c'est cette histoire d'appareil de photo ? » Alors Alceste lui a donné l'appareil, et le Bouillon a dit qu'il avait bien envie de le confisquer. « Oh ! non, m'sieur, oh ! non », j'ai crié. «Bon, a dit le Bouillon, je vous le laisse, mais regardez-moi bien dans les yeux, il faut être sage et ne plus se battre, compris?» Moi j'ai dit que j'avais compris, et puis je lui ai demandé si je pouvais prendre sa photo. Le Bouillon, il a eu l'air tout surpris. « Vous voulez avoir ma photo? » il m'a demandé. « Oh ! oui, m'sieur », j'ai répondu. Alors, le Bouillon, il a fait un sourire, et quand il fait ça, il a l'air tout gentil. « Hé hé, il a dit, hé, hé, bon, mais faites vite, parce que je dois sonner la fin de la récréation. » Et puis, le Bouillon s'est mis sans bouger au milieu de la cour, avec une main dans la poche et l'autre sur le ventre, un pied en avant et il a regardé loin devant lui. Maixent m'a compté quatre pas, j'ai regardé le Bouillon dans la petite fenêtre, il était rigolo. Clic, j'ai pris la photo, et puis il est allé sonner la cloche. Le soir, à la maison, quand Papa est revenu de son bureau, je lui ai dit 9ue je voulais prendre sa photo avec Maman. « Ecoute, Nicolas, m'a dit Papa, je suis fatigué, range cet appareil et laisse-moi lire mon journal. » « Tu n'es pas gentil, lui a dit Maman, pourquoi contrarier le petit? Ces photos seront des souvenirs merveilleux pour lui. » Papa a fait un gros soupir, il s'est mis à côté de Maman, et moi j'ai pris les six dernières photos du rouleau. Maman m'a embrassé et elle m'a dit que j'étais son petit photographe à elle. Le lendemain, Papa a pris le rouleau pour le faire développer, comme il dit. Il a fallu attendre plusieurs jours pour voir les photos, et moi j'étais drôlement impatient. Et puis, hier soir, Papa est revenu avec les photos. « Elles ne sont pas mal, a dit Papa, celles de l'école avec tes camarades et le moustachu, là... Celles que tu as faites à la maison sont trop foncées, mais ce sont les plus drôles ! » Maman est venue voir et Papa lui montrait les photos en disant : «Dis donc, il ne t'a pas gâtée, ton fils! » et Papa rigolait, et Maman a pris les photos et elle a dit qu'il était temps de passer à table. Moi, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Maman a changé d'avis. Maintenant, elle dit que Papa avait raison et que ce ne sont pas des jouets à offrir aux petits garçons. Et elle a mis l'appareil de photo en haut de l'armoire