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Madame Bovary de Gustave Flaubert, Deuxième Partie, 2

Deuxième Partie, 2

Emma descendit la première, puis Félicité, M. Lheureux, une nourrice, et l'on fut obligé de réveiller Charles dans son coin, où il s'était endormi complètement dès que la nuit était venue. Homais se présenta ; il offrit ses hommages à Madame, ses civilités à Monsieur, dit qu'il était charmé d'avoir pu leur rendre quelque service, et ajouta d'un air cordial qu'il avait osé s'inviter lui-même, sa femme d'ailleurs étant absente. Mme Bovary, quand elle fut dans la cuisine, s'approcha de la cheminée. Du bout de ses deux doigts, elle prit sa robe à la hauteur du genou, et, l'ayant ainsi remontée jusqu'aux chevilles, elle tendit à la flamme, par-dessus le gigot qui tournait, son pied chaussé d'une bottine noire. Le feu l'éclairait en entier, pénétrant d'une lumière crue la trame de sa robe, les pores égaux de sa peau blanche et même les paupières de ses yeux qu'elle clignait de temps à autre. Une grande couleur rouge passait sur elle, selon le souffle du vent qui venait par la porte entrouverte. [ 110 ] De l'autre côté de la cheminée, un jeune homme à chevelure blonde la regardait silencieusement. Comme il s'ennuyait beaucoup à Yonville, où il était clerc chez Me Guillaumin, souvent M. Léon Dupuis (c'était lui, le second habitué du Lion d'or ) reculait l'instant de son repas, espérant qu'il viendrait quelque voyageur à l'auberge avec qui causer dans la soirée. Les Jours que sa besogne était finie il lui fallait bien, faute de savoir que faire, arriver à l'heure exacte, et subir depuis la soupe jusqu'au fromage le tête-à-tête de Binet. Ce fut donc avec joie qu'il accepta la proposition de l'hôtesse de dîner en la compagnie des nouveaux venus, et l'on passa dans la grande salle, où Mme Lefrançois, par pompe, avait fait dresser les quatre couverts. Homais demanda la permission de garder son bonnet grec, de peur des coryzas.

Puis, se tournant vers sa voisine :

— Madame, sans doute, est un peu lasse ?

on est si épouvantablement cahoté dans notre Hirondelle ! — Il est vrai, répondit Emma ; mais le dérangement m'amuse toujours ; j'aime à changer de place.

— C'est une chose si maussade, soupira le clerc, que de vivre cloué aux mêmes endroits !

— Si vous étiez comme moi, dit Charles, sans cesse obligé d'être à cheval…

— Mais, reprit Léon, s'adressant à Mme Bovary, rien n'est plus agréable, il me semble ; quand on le peut, ajouta-t-il.

— Du reste, disait l'apothicaire, l'exercice de [ 111 ] la médecine n'est pas fort pénible en nos contrées ; car l'état de nos routes permet l'usage du cabriolet, et, généralement, l'on paye assez bien, les cultivateurs étant aisés. Nous avons, sous le rapport médical, à part les cas ordinaires d'entérite, bronchite, affections bilieuses, etc., de temps à autre quelques fièvres intermittentes à la moisson, mais, en somme, peu de choses graves, rien de spécial à noter, si ce n'est beaucoup d'humeurs froides, et qui tiennent sans doute aux déplorables conditions hygiéniques de nos logements de paysan. Ah !

vous trouverez bien des préjugés à combattre, monsieur Bovary ; bien des entêtements de la routine, où se heurteront quotidiennement tous les efforts de votre science ; car on a recours encore aux neuvaines, aux reliques, au curé, plutôt que de venir naturellement chez le médecin ou chez le pharmacien. Le climat, pourtant, n'est point, à vrai dire, mauvais, et même nous comptons dans la commune quelques nonagénaires. Le thermomètre (j'en ai fait les observations) descend en hiver jusqu'à quatre degrés, et, dans la forte saison, touche vingt-cinq, trente centigrades tout au plus, ce qui nous donne vingt-quatre Réaumur au maximum, ou autrement cinquante-quatre Fahrenheit (mesure anglaise), pas davantage ! – et, en effet, nous sommes abrités des vents du nord par la forêt d'Argueil d'une part, des vents d'ouest par la côte Saint-Jean de l'autre, et cette chaleur, cependant, qui à cause de la vapeur d'eau dégagée par la rivière et la présence considérable de bestiaux dans les prairies, lesquels exhalent, comme vous savez, beaucoup d'ammoniaque, c'est-à-dire azote, [ 112 ] hydrogène et oxygène (non, azote et hydrogène seulement), et qui, pompant à elle l'humus de la terre, confondant toutes ces émanations différentes, les réunissant en un faisceau, pour ainsi dire, et se combinant de soi-même avec l'électricité répandue dans l'atmosphère, lorsqu'il y en a, pourrait à la longue, comme dans les pays tropicaux, engendrer des miasmes insalubres ; – cette chaleur, dis-je, se trouve justement tempérée du côté où elle vient, ou plutôt d'où elle viendrait, c'est-à-dire du côté sud, par les vents de sud-est, lesquels, s'étant rafraîchis d'eux-mêmes en passant sur la Seine, nous arrivent quelquefois tout d'un coup, comme des brises de Russie ! — Avez-vous du moins quelques promenades dans les environs ?

continuait Mme Bovary parlant au jeune homme. — Oh !

fort peu, répondit-il. Il y a un endroit que l'on nomme la Pâture, sur le haut de la côte, à la lisière de la forêt. Quelquefois, le dimanche, je vais là, et j'y reste avec un livre, à regarder le soleil couchant. — Je ne trouve rien d'admirable comme les soleils couchants, reprit-elle, mais au bord de la mer, surtout.

— Oh !

j'adore la mer, dit M. Léon. — Et puis ne vous semble-t-il pas, répliqua Mme Bovary, que l'esprit vogue plus librement sur cette étendue sans limites, dont la contemplation vous élève l'âme et donne des idées d'infini, d'idéal ? — Il en est de même des paysages de montagnes, reprit Léon.

J'ai un cousin qui a voyagé en Suisse l'année dernière, et qui me disait qu'on [ 113 ] ne peut se figurer la poésie des lacs, le charme des cascades, l'effet gigantesque des glaciers. On voit des pins d'une grandeur incroyable, en travers des torrents, des cabanes suspendues sur des précipices, et, à mille pieds sous vous, des vallées entières, quand les nuages s'entrouvrent. Ces spectacles doivent enthousiasmer, disposer à la prière, à l'extase ! Aussi je ne m'étonne plus de ce musicien célèbre qui, pour exciter mieux son imagination, avait coutume d'aller jouer du piano devant quelque site imposant. — Vous faites de la musique ?

demanda-t-elle. — Non, mais je l'aime beaucoup, répondit-il.

— Ah !

ne l'écoutez pas, madame Bovary, interrompit Homais en se penchant sur son assiette, c'est modestie pure. – Comment, mon cher ! Eh ! l'autre jour, dans votre chambre, vous chantiez l' Ange gardien à ravir. Je vous entendais du laboratoire ; vous détachiez cela comme un acteur. Léon, en effet, logeait chez le pharmacien, où il avait une petite pièce au second étage, sur la place. Il rougit à ce compliment de son propriétaire, qui déjà s'était tourné vers le médecin et lui énumérait les uns après les autres les principaux habitants d'Yonville. Il racontait des anecdotes, donnait des renseignements. On ne savait pas au juste la fortune du notaire, et il y avait la maison Tuvache qui faisait beaucoup d'embarras. Emma reprit :

— Et quelle musique préférez-vous ?

— Oh !

la musique allemande, celle qui porte à rêver. [ 114 ] — Connaissez-vous les Italiens ? — Pas encore ; mais je les verrai l'année prochaine, quand j'irai habiter Paris, pour finir mon droit.

— C'est comme j'avais l'honneur, dit le pharmacien, de l'exprimer à votre époux, à propos de ce pauvre Yanoda qui s'est enfui ; vous vous trouverez, grâce aux folies qu'il a faites, jouir d'une des maisons les plus confortables d'Yonville. Ce qu'elle a principalement de commode pour un médecin, c'est une porte sur l'Allée, qui permet d'entrer et de sortir sans être vu. D'ailleurs, elle est fournie de tout ce qui est agréable à un ménage : buanderie, cuisine avec office, salon de famille, fruitier, etc. C'était un gaillard qui n'y regardait pas ! Il s'était fait construire, au bout du jardin, à côté de l'eau, une tonnelle tout exprès pour boire de la bière en été, et si Madame aime le jardinage, elle pourra… — Ma femme ne s'en occupe guère, dit Charles ; elle aime mieux, quoiqu'on lui recommande l'exercice, toujours rester dans sa chambre, à lire. — C'est comme moi, répliqua Léon ; quelle meilleure chose, en effet, que d'être le soir au coin du feu avec un livre, pendant que le vent bat les carreaux, que la lampe brûle ?… — N'est-ce pas ?

dit-elle, en fixant sur lui ses grands yeux noirs tout ouverts. — On ne songe à rien, continuait-il, les heures passent.

On se promène immobile dans des pays que l'on croit voir, et votre pensée, s'enlaçant à la fiction, se joue dans les détails ou poursuit le contour des aventures. Elle se mêle [ 115 ] aux personnages ; il semble que c'est vous qui palpitez sous leurs costumes. — C'est vrai !

c'est vrai ! disait-elle. — Vous est-il arrivé parfois, reprit Léon, de rencontrer dans un livre une idée vague que l'on a eue, quelque image obscurcie qui revient de loin, et comme l'exposition entière de votre sentiment le plus délié ? — J'ai éprouvé cela, répondit-elle.

— C'est pourquoi, dit-il, j'aime surtout les poètes.

Je trouve les vers plus tendres que la prose, et qu'ils font bien mieux pleurer. — Cependant ils fatiguent à la longue, reprit Emma ; et maintenant, au contraire, j'adore les histoires qui se suivent tout d'une haleine, où l'on a peur. Je déteste les héros communs et les sentiments tempérés, comme il y en a dans la nature. — En effet, observa le clerc, ces ouvrages ne touchant pas le cœur, s'écartent, il me semble, du vrai but de l'Art. Il est si doux, parmi les désenchantements de la vie, de pouvoir se reporter en idée sur de nobles caractères, des affections pures et des tableaux de bonheur. Quant à moi, vivant ici, loin du monde, c'est ma seule distraction ; mais Yonville offre si peu de ressources ! — Comme Tostes, sans doute, reprit Emma ; aussi j'étais toujours abonnée à un cabinet de lecture.

— Si Madame veut me faire l'honneur d'en user, dit le pharmacien, qui venait d'entendre ces derniers mots, j'ai moi-même à sa disposition une bibliothèque composée des meilleurs auteurs : Voltaire, Rousseau, Delille, Walter Scott, l'Écho [ 116 ] des feuilletons, etc., et je reçois, de plus, différentes feuilles périodiques, parmi lesquelles le Fanal de Rouen, quotidiennement, ayant l'avantage d'en être le correspondant pour les circonscriptions de Buchy, Forges, Neufchâtel, Yonville et les alentours. Depuis deux heures et demie, on était à table ; car la servante Artémise, traînant nonchalamment sur les carreaux ses savates de lisière, apportait les assiettes les unes après les autres, oubliait tout, n'entendait à rien et sans cesse laissait entrebâillée la porte du billard, qui battait contre le mur du bout de sa clenche. Sans qu'il s'en aperçût, tout en causant, Léon avait posé son pied sur un des barreaux de la chaise où Mme Bovary était assise. Elle portait une petite cravate de soie bleue, qui tenait droit comme une fraise un col de batiste tuyauté ; et, selon les mouvements de tête qu'elle faisait, le bas de son visage s'enfonçait dans le linge ou en sortait avec douceur. C'est ainsi, l'un près de l'autre, pendant que Charles et le pharmacien devisaient, qu'ils entrèrent dans une de ces vagues conversations où le hasard des phrases vous ramène toujours au centre fixe d'une sympathie commune. Spectacles de Paris, titres de romans, quadrilles nouveaux, et le monde qu'ils ne connaissaient pas, Tostes où elle avait vécu, Yonville où ils étaient, ils examinèrent tout, parlèrent de tout jusqu'à la fin du dîner. Quand le café fut servi, Félicité s'en alla préparer la chambre dans la nouvelle maison, et les convives bientôt levèrent le siège. Mme Lefrançois dormait auprès des cendres, tandis que le garçon [ 117 ] d'écurie, une lanterne à la main, attendait M. et Mme Bovary pour les conduire chez eux. Sa chevelure rouge était entremêlée de brins de paille, et il boitait de la jambe gauche. Lorsqu'il eut pris de son autre main le parapluie de M. le curé, l'on se mit en marche. Le bourg était endormi.

Les piliers des halles allongeaient de grandes ombres. La terre était toute grise, comme par une nuit d'été. Mais, la maison du médecin se trouvant à cinquante pas de l'auberge, il fallut presque aussitôt se souhaiter le bonsoir, et la compagnie se dispersa. Emma, dès le vestibule, sentit tomber sur ses épaules, comme un linge humide, le froid du plâtre. Les murs étaient neufs, et les marches de bois craquèrent. Dans la chambre, au premier, un jour blanchâtre passait par les fenêtres sans rideaux. On entrevoyait des cimes d'arbres, et plus loin la prairie, à demi noyée dans le brouillard, qui fumait au clair de la lune, selon le cours de la rivière. Au milieu de l'appartement, pêle-mêle, il y avait des tiroirs de commode, des bouteilles, des tringles, des bâtons dorés avec des matelas sur des chaises et des cuvettes sur le parquet, – les deux hommes qui avaient apporté, les meubles ayant tout laissé là, négligemment. C'était la quatrième fois qu'elle couchait dans un endroit inconnu.

La première avait été le jour de son entrée au couvent, la seconde celle de son arrivée à Tostes, la troisième à la Vaubyessard, la quatrième était celle-ci ; et chacune s'était trouvée faire dans sa vie comme l'inauguration [ 118 ] d'une phase nouvelle. Elle ne croyait pas que les choses pussent se représenter les mêmes à des places différentes, et, puisque la portion vécue avait été mauvaise, sans doute ce qui restait à consommer serait meilleur.

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Deuxième Partie, 2 Zweiter Teil, 2 Part Two, 2 Parte seconda, 2 Segunda Parte, 2

Emma descendit la première, puis Félicité, M. Lheureux, une nourrice, et l’on fut obligé de réveiller Charles dans son coin, où il s’était endormi complètement dès que la nuit était venue. Homais se présenta ; il offrit ses hommages à Madame, ses civilités à Monsieur, dit qu’il était charmé d’avoir pu leur rendre quelque service, et ajouta d’un air cordial qu’il avait osé s’inviter lui-même, sa femme d’ailleurs étant absente. |||||||||||||||||||||||||||||||invite himself||||||| Mme Bovary, quand elle fut dans la cuisine, s’approcha de la cheminée. Du bout de ses deux doigts, elle prit sa robe à la hauteur du genou, et, l’ayant ainsi remontée jusqu’aux chevilles, elle tendit à la flamme, par-dessus le gigot qui tournait, son pied chaussé d’une bottine noire. With the tips of her two fingers, she took her dress at knee height, and, having thus raised it to the ankles, she stretched to the flame, over the leg that turned, her foot wearing a bootie black. Le feu l’éclairait en entier, pénétrant d’une lumière crue la trame de sa robe, les pores égaux de sa peau blanche et même les paupières de ses yeux qu’elle clignait de temps à autre. Une grande couleur rouge passait sur elle, selon le souffle du vent qui venait par la porte entrouverte. [ 110 ] De l’autre côté de la cheminée, un jeune homme à chevelure blonde la regardait silencieusement. Comme il s’ennuyait beaucoup à Yonville, où il était clerc chez Me Guillaumin, souvent M. Léon Dupuis (c’était lui, le second habitué du Lion d’or ) reculait l’instant de son repas, espérant qu’il viendrait quelque voyageur à l’auberge avec qui causer dans la soirée. ||||||||||||Guillaumin|||||||||||||||||||||||||||||| As he was very bored at Yonville, where he was a clerk with Me Guillaumin, often Mr. Léon Dupuis (he was the second regular at the Golden Lion) put back the moment of his meal, hoping that he would come some traveler at the hostel with whom to chat in the evening. Les Jours que sa besogne était finie il lui fallait bien, faute de savoir que faire, arriver à l’heure exacte, et subir depuis la soupe jusqu’au fromage le tête-à-tête de Binet. ||||work|||||||||||||||||||||until the||||||| The Days that his work was finished he had to, for lack of knowing what to do, arrive at the exact time, and undergo from soup to cheese the head-to-head of Binet. Ce fut donc avec joie qu’il accepta la proposition de l’hôtesse de dîner en la compagnie des nouveaux venus, et l’on passa dans la grande salle, où Mme Lefrançois, par pompe, avait fait dresser les quatre couverts. It was therefore with joy that he accepted the hostess's proposal to dine with the newcomers, and we went into the great room, where Madame Lefrançois, by pomp, had had the four place settings. Homais demanda la permission de garder son bonnet grec, de peur des coryzas. ||||||||||||colds Homais asked permission to keep his Greek cap, for fear of the coryzas.

Puis, se tournant vers sa voisine :

— Madame, sans doute, est un peu lasse ? - Madam, no doubt, is a little tired?

on est si épouvantablement cahoté dans notre Hirondelle ! — Il est vrai, répondit Emma ; mais le dérangement m’amuse toujours ; j’aime à changer de place.

— C’est une chose si maussade, soupira le clerc, que de vivre cloué aux mêmes endroits !

— Si vous étiez comme moi, dit Charles, sans cesse obligé d’être à cheval…

— Mais, reprit Léon, s’adressant à Mme Bovary, rien n’est plus agréable, il me semble ; quand on le peut, ajouta-t-il.

— Du reste, disait l’apothicaire, l’exercice de [ 111 ] la médecine n’est pas fort pénible en nos contrées ; car l’état de nos routes permet l’usage du cabriolet, et, généralement, l’on paye assez bien, les cultivateurs étant aisés. "Besides," said the apothecary, "the exercise of [111] medicine is not very painful in our regions; because the state of our roads allows the use of the convertible, and, generally, we pay quite well, the cultivators being well off. Nous avons, sous le rapport médical, à part les cas ordinaires d’entérite, bronchite, affections bilieuses, etc., de temps à autre quelques fièvres intermittentes à la moisson, mais, en somme, peu de choses graves, rien de spécial à noter, si ce n’est beaucoup d’humeurs froides, et qui tiennent sans doute aux déplorables conditions hygiéniques de nos logements de paysan. |||||||||||of enteritis|bronchitis||biliary||||||||||||||||||||||||||||of humors||||||||||||||| We have, in medical terms, apart from the ordinary cases of enteritis, bronchitis, bilious affections, etc., from time to time a few intermittent fevers at harvest, but, in sum, few serious things, nothing special to note, if not a lot of cold moods, which are probably due to the deplorable hygienic conditions of our peasant accommodation. Ah !

vous trouverez bien des préjugés à combattre, monsieur Bovary ; bien des entêtements de la routine, où se heurteront quotidiennement tous les efforts de votre science ; car on a recours encore aux neuvaines, aux reliques, au curé, plutôt que de venir naturellement chez le médecin ou chez le pharmacien. |||||||||||obstinacies||||||will collide||||||||||||||novenas|||||||||||||||| Le climat, pourtant, n’est point, à vrai dire, mauvais, et même nous comptons dans la commune quelques nonagénaires. |||||||||||||||||nonagenarians The climate, however, is not, frankly, bad, and even we count in the commune some nonagenarians. Le thermomètre (j’en ai fait les observations) descend en hiver jusqu’à quatre degrés, et, dans la forte saison, touche vingt-cinq, trente centigrades tout au plus, ce qui nous donne vingt-quatre Réaumur au maximum, ou autrement cinquante-quatre Fahrenheit (mesure anglaise), pas davantage ! ||||||||||||||||||||||||||||||||Réaumur||||||||||| – et, en effet, nous sommes abrités des vents du nord par la forêt d’Argueil d’une part, des vents d’ouest par la côte Saint-Jean de l’autre, et cette chaleur, cependant, qui à cause de la vapeur d’eau dégagée par la rivière et la présence considérable de bestiaux dans les prairies, lesquels exhalent, comme vous savez, beaucoup d’ammoniaque, c’est-à-dire azote, [ 112 ] hydrogène et oxygène (non, azote et hydrogène seulement), et qui, pompant à elle l’humus de la terre, confondant toutes ces émanations différentes, les réunissant en un faisceau, pour ainsi dire, et se combinant de soi-même avec l’électricité répandue dans l’atmosphère, lorsqu’il y en a, pourrait à la longue, comme dans les pays tropicaux, engendrer des miasmes insalubres ; – cette chaleur, dis-je, se trouve justement tempérée du côté où elle vient, ou plutôt d’où elle viendrait, c’est-à-dire du côté sud, par les vents de sud-est, lesquels, s’étant rafraîchis d’eux-mêmes en passant sur la Seine, nous arrivent quelquefois tout d’un coup, comme des brises de Russie ! ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||river|||||||||||exhale|||||of ammonia||||nitrogen|||||||||||drawing up|||the humus|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||generate||miasmas|unhealthy miasmas||||||||||||||||||would come||||||||||||||||||||||||||||||||| — Avez-vous du moins quelques promenades dans les environs ?

continuait Mme Bovary parlant au jeune homme. — Oh !

fort peu, répondit-il. Il y a un endroit que l’on nomme la Pâture, sur le haut de la côte, à la lisière de la forêt. Quelquefois, le dimanche, je vais là, et j’y reste avec un livre, à regarder le soleil couchant. — Je ne trouve rien d’admirable comme les soleils couchants, reprit-elle, mais au bord de la mer, surtout. |||||||suns|settings|||||||||

— Oh !

j’adore la mer, dit M. Léon. — Et puis ne vous semble-t-il pas, répliqua Mme Bovary, que l’esprit vogue plus librement sur cette étendue sans limites, dont la contemplation vous élève l’âme et donne des idées d’infini, d’idéal ? |||||||||||||||||||||||||||||||of infinity| "And then does it not seem to you," replied Madame Bovary, "that the spirit wanders more freely over this limitless expanse, the contemplation of which lifts your soul and gives ideas of infinity, of ideal?" — Il en est de même des paysages de montagnes, reprit Léon. "It is the same with mountain landscapes," replied Leon.

J’ai un cousin qui a voyagé en Suisse l’année dernière, et qui me disait qu’on [ 113 ] ne peut se figurer la poésie des lacs, le charme des cascades, l’effet gigantesque des glaciers. On voit des pins d’une grandeur incroyable, en travers des torrents, des cabanes suspendues sur des précipices, et, à mille pieds sous vous, des vallées entières, quand les nuages s’entrouvrent. |||||||||||||||||||||||||||||part Ces spectacles doivent enthousiasmer, disposer à la prière, à l’extase ! |||enthuse|||||| Aussi je ne m’étonne plus de ce musicien célèbre qui, pour exciter mieux son imagination, avait coutume d’aller jouer du piano devant quelque site imposant. So I am no longer surprised by this famous musician who, to better excite his imagination, used to go and play the piano in front of some imposing site. — Vous faites de la musique ?

demanda-t-elle. — Non, mais je l’aime beaucoup, répondit-il.

— Ah !

ne l’écoutez pas, madame Bovary, interrompit Homais en se penchant sur son assiette, c’est modestie pure. don't listen to her, Mrs. Bovary, interrupted Homais, leaning on his plate, it's pure modesty. – Comment, mon cher ! Eh ! l’autre jour, dans votre chambre, vous chantiez l' Ange gardien à ravir. ||||||were singing||||| Je vous entendais du laboratoire ; vous détachiez cela comme un acteur. ||||||detached|||| I heard you from the laboratory; you detached this as an actor. Léon, en effet, logeait chez le pharmacien, où il avait une petite pièce au second étage, sur la place. Il rougit à ce compliment de son propriétaire, qui déjà s’était tourné vers le médecin et lui énumérait les uns après les autres les principaux habitants d’Yonville. Il racontait des anecdotes, donnait des renseignements. On ne savait pas au juste la fortune du notaire, et il y avait la maison Tuvache qui faisait beaucoup d’embarras. ||||||||||||||||Tuvache|||| We did not know exactly the fortune of the notary, and there was the Tuvache house which was very embarrassing. Emma reprit :

— Et quelle musique préférez-vous ?

— Oh !

la musique allemande, celle qui porte à rêver. German music, the one that makes you dream. [ 114 ] — Connaissez-vous les Italiens ? — Pas encore ; mais je les verrai l’année prochaine, quand j’irai habiter Paris, pour finir mon droit. - Not yet ; but I will see them next year, when I go to live in Paris, to finish my studies.

— C’est comme j’avais l’honneur, dit le pharmacien, de l’exprimer à votre époux, à propos de ce pauvre Yanoda qui s’est enfui ; vous vous trouverez, grâce aux folies qu’il a faites, jouir d’une des maisons les plus confortables d’Yonville. |||||||||||||||||Yanoda|||||||||||||||||||| - It's like I had the honor, said the pharmacist, to express it to your husband, about poor Yanoda who fled; you will find yourself, thanks to the follies he has done, enjoying one of the most comfortable houses in Yonville. Ce qu’elle a principalement de commode pour un médecin, c’est une porte sur l’Allée, qui permet d’entrer et de sortir sans être vu. The main convenience for a doctor is a door to the alley, which allows entry and exit without being seen. D’ailleurs, elle est fournie de tout ce qui est agréable à un ménage : buanderie, cuisine avec office, salon de famille, fruitier, etc. C’était un gaillard qui n’y regardait pas ! He was a fellow who did not look at it! Il s’était fait construire, au bout du jardin, à côté de l’eau, une tonnelle tout exprès pour boire de la bière en été, et si Madame aime le jardinage, elle pourra… He had himself built, at the end of the garden, next to the water, an arbor expressly to drink beer in summer, and if Madame likes gardening, she can ... — Ma femme ne s’en occupe guère, dit Charles ; elle aime mieux, quoiqu’on lui recommande l’exercice, toujours rester dans sa chambre, à lire. "My wife hardly cares," said Charles; she likes it better, although she is recommended to exercise, always stay in her room, to read. — C’est comme moi, répliqua Léon ; quelle meilleure chose, en effet, que d’être le soir au coin du feu avec un livre, pendant que le vent bat les carreaux, que la lampe brûle ?… ||||||||||||||||||||||that||||||||| — N’est-ce pas ?

dit-elle, en fixant sur lui ses grands yeux noirs tout ouverts. — On ne songe à rien, continuait-il, les heures passent.

On se promène immobile dans des pays que l’on croit voir, et votre pensée, s’enlaçant à la fiction, se joue dans les détails ou poursuit le contour des aventures. Elle se mêle [ 115 ] aux personnages ; il semble que c’est vous qui palpitez sous leurs costumes. |||||||||||pulse||| She mixes [115] with the characters; it seems you are throbbing under their costumes. — C’est vrai !

c’est vrai ! disait-elle. — Vous est-il arrivé parfois, reprit Léon, de rencontrer dans un livre une idée vague que l’on a eue, quelque image obscurcie qui revient de loin, et comme l’exposition entière de votre sentiment le plus délié ? "Have you ever," replied Leon, "come across in a book a vague idea that we have had, some obscured image that comes back from afar, and like the entire exposition of your most untied feeling?" — J’ai éprouvé cela, répondit-elle.

— C’est pourquoi, dit-il, j’aime surtout les poètes.

Je trouve les vers plus tendres que la prose, et qu’ils font bien mieux pleurer. — Cependant ils fatiguent à la longue, reprit Emma ; et maintenant, au contraire, j’adore les histoires qui se suivent tout d’une haleine, où l’on a peur. ||||||||||||||||||all|||||| Je déteste les héros communs et les sentiments tempérés, comme il y en a dans la nature. ||||||||tempered|||||||| I hate common heroes and temperate feelings, like there are in nature. — En effet, observa le clerc, ces ouvrages ne touchant pas le cœur, s’écartent, il me semble, du vrai but de l’Art. Il est si doux, parmi les désenchantements de la vie, de pouvoir se reporter en idée sur de nobles caractères, des affections pures et des tableaux de bonheur. ||||||disenchantments||||||||||||||||||of the||| Quant à moi, vivant ici, loin du monde, c’est ma seule distraction ; mais Yonville offre si peu de ressources ! — Comme Tostes, sans doute, reprit Emma ; aussi j’étais toujours abonnée à un cabinet de lecture. "Like Tostes, no doubt," replied Emma; so I was still subscribed to a reading room.

— Si Madame veut me faire l’honneur d’en user, dit le pharmacien, qui venait d’entendre ces derniers mots, j’ai moi-même à sa disposition une bibliothèque composée des meilleurs auteurs : Voltaire, Rousseau, Delille, Walter Scott, l’Écho [ 116 ] des feuilletons, etc., et je reçois, de plus, différentes feuilles périodiques, parmi lesquelles le Fanal de Rouen, quotidiennement, ayant l’avantage d’en être le correspondant pour les circonscriptions de Buchy, Forges, Neufchâtel, Yonville et les alentours. |||||||||||||||||||||||||||||||Delille||||||||||||||||||||||||||||||districts|||||||| Depuis deux heures et demie, on était à table ; car la servante Artémise, traînant nonchalamment sur les carreaux ses savates de lisière, apportait les assiettes les unes après les autres, oubliait tout, n’entendait à rien et sans cesse laissait entrebâillée la porte du billard, qui battait contre le mur du bout de sa clenche. ||||||||||||||nonchalantly|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||latch Sans qu’il s’en aperçût, tout en causant, Léon avait posé son pied sur un des barreaux de la chaise où Mme Bovary était assise. Without realizing it, while chatting, Leon had put his foot on one of the bars of the chair where Madame Bovary was sitting. Elle portait une petite cravate de soie bleue, qui tenait droit comme une fraise un col de batiste tuyauté ; et, selon les mouvements de tête qu’elle faisait, le bas de son visage s’enfonçait dans le linge ou en sortait avec douceur. |||||||||||like|||||||piped|||||||||||||||||||||| She wore a small blue silk tie, which held a piped batiste collar straight like a strawberry; and, according to the movements of her head, the lower part of her face sank into the linen or came out gently. C’est ainsi, l’un près de l’autre, pendant que Charles et le pharmacien devisaient, qu’ils entrèrent dans une de ces vagues conversations où le hasard des phrases vous ramène toujours au centre fixe d’une sympathie commune. |||||||that||||||||||||||||||||||||||| Thus, one close to the other, while Charles and the pharmacist were quoting, they entered one of those vague conversations where the randomness of the sentences always brings you back to the fixed center of a common sympathy. Spectacles de Paris, titres de romans, quadrilles nouveaux, et le monde qu’ils ne connaissaient pas, Tostes où elle avait vécu, Yonville où ils étaient, ils examinèrent tout, parlèrent de tout jusqu’à la fin du dîner. Shows in Paris, titles of novels, new quadrilles, and the world they did not know, Tostes where she had lived, Yonville where they were, they examined everything, talked about everything until the end of dinner. Quand le café fut servi, Félicité s’en alla préparer la chambre dans la nouvelle maison, et les convives bientôt levèrent le siège. When the coffee was served, Felicite went to prepare the room in the new house, and the guests soon raised the seat. Mme Lefrançois dormait auprès des cendres, tandis que le garçon [ 117 ] d’écurie, une lanterne à la main, attendait M. et Mme Bovary pour les conduire chez eux. Ms. Lefrançois slept by the ashes, while the stable boy, a lantern in his hand, waited for Mr. and Mrs. Bovary to take them home. Sa chevelure rouge était entremêlée de brins de paille, et il boitait de la jambe gauche. ||||entangled||||||||||| Lorsqu’il eut pris de son autre main le parapluie de M. le curé, l’on se mit en marche. When he had taken the priest's umbrella from his other hand, they started off. Le bourg était endormi. The village was asleep.

Les piliers des halles allongeaient de grandes ombres. The pillars of the halls elongated large shadows. La terre était toute grise, comme par une nuit d’été. Mais, la maison du médecin se trouvant à cinquante pas de l’auberge, il fallut presque aussitôt se souhaiter le bonsoir, et la compagnie se dispersa. |||||||||||||||almost immediately||||||||| But, the doctor's house being fifty paces from the inn, it was almost immediately necessary to wish each other good-night, and the company dispersed. Emma, dès le vestibule, sentit tomber sur ses épaules, comme un linge humide, le froid du plâtre. Emma, from the hallway, felt the cold plaster on her shoulders, like a damp cloth. Les murs étaient neufs, et les marches de bois craquèrent. The walls were new, and the wooden steps creaked. Dans la chambre, au premier, un jour blanchâtre passait par les fenêtres sans rideaux. In the bedroom, on the first floor, a whitish day passed through the windows without curtains. On entrevoyait des cimes d’arbres, et plus loin la prairie, à demi noyée dans le brouillard, qui fumait au clair de la lune, selon le cours de la rivière. There were glimpses of treetops, and further on the meadow, half drowned in the fog, which smoked in the moonlight, according to the course of the river. Au milieu de l’appartement, pêle-mêle, il y avait des tiroirs de commode, des bouteilles, des tringles, des bâtons dorés avec des matelas sur des chaises et des cuvettes sur le parquet, – les deux hommes qui avaient apporté, les meubles ayant tout laissé là, négligemment. ||||||||||drawers||||||||||||||||||bowls||||||||||||||||negligently In the middle of the apartment, pell-mell, there were dresser drawers, bottles, rods, golden sticks with mattresses on chairs and bowls on the floor, - the two men who had brought them, the furniture having left everything there, carelessly. C’était la quatrième fois qu’elle couchait dans un endroit inconnu.

La première avait été le jour de son entrée au couvent, la seconde celle de son arrivée à Tostes, la troisième à la Vaubyessard, la quatrième était celle-ci ; et chacune s’était trouvée faire dans sa vie comme l’inauguration [ 118 ] d’une phase nouvelle. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||the inauguration||| The first had been the day of his entry into the convent, the second that of his arrival at Tostes, the third at Vaubyessard, the fourth was this; and each had found herself doing in her life like the inauguration [118] of a new phase. Elle ne croyait pas que les choses pussent se représenter les mêmes à des places différentes, et, puisque la portion vécue avait été mauvaise, sans doute ce qui restait à consommer serait meilleur. ||believed|||||||||||||||||||||||||||||| She did not believe that things could be represented the same in different places, and, since the portion lived had been bad, no doubt what was left to consume would be better.