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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XVI (2)

Chapitre XVI (2)

Madame Arnould nous offrit de nous faire faire une promenade en bateau, ce que Marguerite et Prudence acceptèrent avec joie.

On a toujours associé la campagne à l'amour et l'on a bien fait : rien n'encadre la femme que l'on aime comme le ciel bleu, les senteurs, les fleurs, les brises, la solitude resplendissante des champs ou des bois. Si fort que l'on aime une femme, quelque confiance que l'on ait en elle, quelque certitude sur l'avenir que vous donne son passé, on est toujours plus ou moins jaloux. Si vous avez été amoureux, sérieusement amoureux, vous avez dû éprouver ce besoin d'isoler du monde l'être dans lequel vous vouliez vivre tout entier. Il semble que, si indifférente qu'elle soit à ce qui l'entoure, la femme aimée perde de son parfum et de son unité au contact des hommes et des choses. Moi, j'éprouvais cela bien plus que tout autre. Mon amour n'était pas un amour ordinaire ; j'étais amoureux autant qu'une créature ordinaire peut l'être, mais de Marguerite Gautier, c'est-à-dire qu'à Paris, à chaque pas, je pouvais coudoyer un homme qui avait été l'amant de cette femme ou qui le serait le lendemain. Tandis qu'à la campagne, au milieu de gens que nous n'avions jamais vus et qui ne s'occupaient pas de nous, au sein d'une nature toute parée de son printemps, ce pardon annuel, et séparée du bruit de la ville, je pouvais cacher mon amour et aimer sans honte et sans crainte.

La courtisane y disparaissait peu à peu. J'avais auprès de moi une femme jeune, belle, que j'aimais, dont j'étais aimé et qui s'appelait Marguerite : le passé n'avait plus de formes, l'avenir plus de nuages. Le soleil éclairait ma maîtresse comme il eût éclairé la plus chaste fiancée. Nous nous promenions tous deux dans ces charmants endroits qui semblent faits exprès pour rappeler les vers de Lamartine ou chanter les mélodies de Scudo. Marguerite avait une robe blanche, elle se penchait à mon bras, elle me répétait le soir sous le ciel étoilé les mots qu'elle m'avait dits la veille, et le monde continuait au loin sa vie sans tacher de son ombre le riant tableau de notre jeunesse et de notre amour.

Voilà le rêve qu'à travers les feuilles m'apportait le soleil ardent de cette journée, tandis que, couché tout au long sur l'herbe de l'île où nous avions abordé, libre de tous les liens humains qui la retenaient auparavant, je laissais ma pensée courir et cueillir toutes les espérances qu'elle rencontrait.

Ajoutez à cela que, de l'endroit où j'étais, je voyais sur la rive une charmante petite maison à deux étages, avec une grille en hémicycle ; à travers la grille, devant la maison, une pelouse verte, unie comme du velours, et derrière le bâtiment un petit bois plein de mystérieuses retraites, et qui devait effacer chaque matin sous sa mousse le sentier fait la veille.

Des fleurs grimpantes cachaient le perron de cette maison inhabitée qu'elles embrassaient jusqu'au premier étage.

À force de regarder cette maison, je finis par me convaincre qu'elle était à moi, tant elle résumait bien le rêve que je faisais. J'y voyais Marguerite et moi, le jour dans le bois qui couvrait la colline, le soir assis sur la pelouse, et je me demandais si créatures terrestres auraient jamais été aussi heureuses que nous.

– Quelle jolie maison ! me dit Marguerite qui avait suivi la direction de mon regard et peut-être de ma pensée.

– Où ? fit Prudence.

– Là-bas. Et Marguerite montrait du doigt la maison en question.

– Ah ! ravissante, répliqua Prudence, elle vous plaît ?

– Beaucoup.

– Eh bien ! Dites au duc de vous la louer ; il vous la louera, j'en suis sûre. Je m'en charge, moi, si vous voulez.

Marguerite me regarda, comme pour me demander ce que je pensais de cet avis.

Mon rêve s'était envolé avec les dernières paroles de Prudence, et m'avait rejeté si brutalement dans la réalité que j'étais encore tout étourdi de la chute.

– En effet, c'est une excellente idée, balbutiai-je, sans savoir ce que je disais.

– Eh bien, j'arrangerai cela, dit en me serrant la main Marguerite, qui interprétait mes paroles selon son désir. Allons voir tout de suite si elle est à louer.

La maison était vacante et à louer deux mille francs.

– Serez-vous heureux ici ? me dit-elle.

– Suis-je sûr d'y venir ?

– Et pour qui donc viendrais-je m'enterrer là, si ce n'est pour vous ?

– Eh bien, Marguerite, laissez-moi louer cette maison moi-même.

– Êtes-vous fou ? non seulement c'est inutile, mais ce serait dangereux ; vous savez bien que je n'ai le droit d'accepter que d'un seul homme, laissez-vous donc faire, grand enfant, et ne dites rien.

– Cela fait que, quand j'aurai deux jours libres, je viendrai les passer chez vous, dit Prudence.

Nous quittâmes la maison et reprîmes la route de Paris tout en causant de cette nouvelle résolution. Je tenais Marguerite dans mes bras, si bien qu'en descendant de voiture, je commençais déjà à envisager la combinaison de ma maîtresse avec un esprit moins scrupuleux.

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Chapitre XVI (2) Kapitel XVI (2) Chapter XVI (2) Capítulo XVI (2)

Madame Arnould nous offrit de nous faire faire une promenade en bateau, ce que Marguerite et Prudence acceptèrent avec joie.

On a toujours associé la campagne à l'amour et l'on a bien fait : rien n'encadre la femme que l'on aime comme le ciel bleu, les senteurs, les fleurs, les brises, la solitude resplendissante des champs ou des bois. ||||||||||||||frames|||||||||||scents||||breezes|||||||| We have always associated the countryside with love and we have done well: nothing surrounds the woman we love like the blue sky, the scents, the flowers, the breezes, the resplendent solitude of the fields or the wood. Si fort que l'on aime une femme, quelque confiance que l'on ait en elle, quelque certitude sur l'avenir que vous donne son passé, on est toujours plus ou moins jaloux. So sehr man eine Frau auch liebt, so sehr man ihr auch vertraut, so sehr man sich auch der Zukunft sicher sein kann, die ihre Vergangenheit einem gibt, man ist immer mehr oder weniger eifersüchtig. Si vous avez été amoureux, sérieusement amoureux, vous avez dû éprouver ce besoin d'isoler du monde l'être dans lequel vous vouliez vivre tout entier. Il semble que, si indifférente qu'elle soit à ce qui l'entoure, la femme aimée perde de son parfum et de son unité au contact des hommes et des choses. ||||||||||surrounds|||||||||||||||||| It seems that, however indifferent she may be to her surroundings, the beloved woman loses her perfume and her unity in contact with men and things. Moi, j'éprouvais cela bien plus que tout autre. I felt that way more than anyone else. Mon amour n'était pas un amour ordinaire ; j'étais amoureux autant qu'une créature ordinaire peut l'être, mais de Marguerite Gautier, c'est-à-dire qu'à Paris, à chaque pas, je pouvais coudoyer un homme qui avait été l'amant de cette femme ou qui le serait le lendemain. |||||||||||||||||||||||||||||jostle||||||||||||||| My love was no ordinary love; I was in love as much as an ordinary creature can be, but with Marguerite Gautier, that is to say, in Paris, at every step, I could elbow a man who had been the lover of this woman or who would be the next day. Tandis qu'à la campagne, au milieu de gens que nous n'avions jamais vus et qui ne s'occupaient pas de nous, au sein d'une nature toute parée de son printemps, ce pardon annuel, et séparée du bruit de la ville, je pouvais cacher mon amour et aimer sans honte et sans crainte. |||||||||||||||||||||||||adorned||||||||||||||||||||||||| While in the countryside, in the midst of people we had never seen and who paid no attention to us, in the midst of a nature all adorned with its springtime, this annual forgiveness, and separated from the noise of the city, I could hide my love and love without shame and without fear.

La courtisane y disparaissait peu à peu. |||disappeared||| J'avais auprès de moi une femme jeune, belle, que j'aimais, dont j'étais aimé et qui s'appelait Marguerite : le passé n'avait plus de formes, l'avenir plus de nuages. ||||||||||||||||||||||||||clouds Le soleil éclairait ma maîtresse comme il eût éclairé la plus chaste fiancée. Nous nous promenions tous deux dans ces charmants endroits qui semblent faits exprès pour rappeler les vers de Lamartine ou chanter les mélodies de Scudo. ||were walking||||||||||||||||||||melodies|| Marguerite avait une robe blanche, elle se penchait à mon bras, elle me répétait le soir sous le ciel étoilé les mots qu'elle m'avait dits la veille, et le monde continuait au loin sa vie sans tacher de son ombre le riant tableau de notre jeunesse et de notre amour. |||||||leaned||||||||||||starry|||||||even||||||||||stain|||shadow|||||||||| Marguerite wore a white dress, she leaned on my arm, she repeated to me in the evening under the starry sky the words she had said to me the day before, and the world continued its life in the distance without staining the smiling picture with its shadow. of our youth and our love.

Voilà le rêve qu'à travers les feuilles m'apportait le soleil ardent de cette journée, tandis que, couché tout au long sur l'herbe de l'île où nous avions abordé, libre de tous les liens humains qui la retenaient auparavant, je laissais ma pensée courir et cueillir toutes les espérances qu'elle rencontrait. ||||||||||||||||lying||||||||||||||||links||||held||||||||gather||||| This is the dream that through the leaves the scorching sun of that day brought me, while, lying all along on the grass of the island where we had landed, free from all the human ties that previously bound it, I let my thoughts run and pick up all the hopes they encountered.

Ajoutez à cela que, de l'endroit où j'étais, je voyais sur la rive une charmante petite maison à deux étages, avec une grille en hémicycle ; à travers la grille, devant la maison, une pelouse verte, unie comme du velours, et derrière le bâtiment un petit bois plein de mystérieuses retraites, et qui devait effacer chaque matin sous sa mousse le sentier fait la veille. |||||||||||||||||||floors|||||hemicycle|||||||||lawn||united|||||||||||||||||||||||moss||||| Add to this that, from where I was, I could see on the bank a charming little two-storey house, with a semicircular gate; through the gate, in front of the house, a green lawn, smooth as velvet, and behind the building a little wood full of mysterious retreats, and which was to efface each morning under its moss the path made the day before.

Des fleurs grimpantes cachaient le perron de cette maison inhabitée qu'elles embrassaient jusqu'au premier étage. ||climbing|hid||porch||||uninhabited||embraced|||

À force de regarder cette maison, je finis par me convaincre qu'elle était à moi, tant elle résumait bien le rêve que je faisais. |||||||||||||||||summarized|||||| J'y voyais Marguerite et moi, le jour dans le bois qui couvrait la colline, le soir assis sur la pelouse, et je me demandais si créatures terrestres auraient jamais été aussi heureuses que nous.

– Quelle jolie maison ! me dit Marguerite qui avait suivi la direction de mon regard et peut-être de ma pensée.

– Où ? fit Prudence.

– Là-bas. Et Marguerite montrait du doigt la maison en question.

– Ah ! ravissante, répliqua Prudence, elle vous plaît ?

– Beaucoup.

– Eh bien ! Dites au duc de vous la louer ; il vous la louera, j'en suis sûre. ||||||||||will rent||| Je m'en charge, moi, si vous voulez.

Marguerite me regarda, comme pour me demander ce que je pensais de cet avis.

Mon rêve s'était envolé avec les dernières paroles de Prudence, et m'avait rejeté si brutalement dans la réalité que j'étais encore tout étourdi de la chute. |||flown|||||||||rejected||||||||||dizzy||| My dream had flown away with Prudence's last words, and had thrown me back into reality so brutally that I was still dazed from the fall.

– En effet, c'est une excellente idée, balbutiai-je, sans savoir ce que je disais.

– Eh bien, j'arrangerai cela, dit en me serrant la main Marguerite, qui interprétait mes paroles selon son désir. ||||||||||||interpreted||||| Allons voir tout de suite si elle est à louer.

La maison était vacante et à louer deux mille francs. |||vacant||||||

– Serez-vous heureux ici ? me dit-elle.

– Suis-je sûr d'y venir ? Am||||

– Et pour qui donc viendrais-je m'enterrer là, si ce n'est pour vous ? "And for whom would I come to bury myself there, if not for you?"

– Eh bien, Marguerite, laissez-moi louer cette maison moi-même.

– Êtes-vous fou ? non seulement c'est inutile, mais ce serait dangereux ; vous savez bien que je n'ai le droit d'accepter que d'un seul homme, laissez-vous donc faire, grand enfant, et ne dites rien. not only is it useless, but it would be dangerous; you know very well that I have the right to accept from only one man, so let yourself go, big child, and say nothing.

– Cela fait que, quand j'aurai deux jours libres, je viendrai les passer chez vous, dit Prudence. |||||||||will come|||||| - Das bedeutet, dass ich, wenn ich zwei freie Tage habe, zu Ihnen kommen werde, um sie bei Ihnen zu verbringen", sagte Prudence.

Nous quittâmes la maison et reprîmes la route de Paris tout en causant de cette nouvelle résolution. |||||rejoined||||||||||| Je tenais Marguerite dans mes bras, si bien qu'en descendant de voiture, je commençais déjà à envisager la combinaison de ma maîtresse avec un esprit moins scrupuleux. |||||||||descending|||||||||||||||||scrupulous I held Marguerite in my arms, so that when I got out of the car, I was already beginning to consider my mistress's suit with a less scrupulous mind.